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L’étiquette « zéro émission CO2e » est-elle usurpée pour les « wattures » ?

Si on reconnait l’évident avantage des voitures électriques à ne pas polluer les grandes villes (1) par l’émission de gaz à effet de serre (GES) par comparaison avec les voitures à moteur thermique, tout n’est pas aussi
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Si on reconnait l’évident avantage des voitures électriques à ne pas polluer les grandes villes (1) par l’émission de gaz à effet de serre (GES) par comparaison avec les voitures à moteur thermique, tout n’est pas aussi vert que ce que les constructeurs nous disent pour séduire nos élans de sauveurs de la planète.

Les constructeurs (et nous aussi !) ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête !

  • Obligation de ne produire que des véhicules électriques et d’arrêter les véhicules thermiques en 2035 (2)
  • Obligation assortie par Bruxelles de menaces de sanction financière à partir de 2025 pour tout gramme de CO2e par km excédentaire sortant de leur production, ce qui d’après les directeurs des grandes marques européennes se chiffrerait à plusieurs dizaines de milliards d’euros ! On comprend mieux la publicité pour ces véhicules (wattures) affichant « zéro CO2e/km » (i) pour convaincre ainsi Bruxelles de leur vert(u).

Une voiture électrique est-elle écologique ?

Réfléchissons un peu : prenons l’exemple d’une citadine moderne dotée d’une batterie lithium (3) NMC de 45 kWh.

Elle consomme environ 15 à 20 kWh/100 km si elle roule en France et si la recharge y a été faite. Comme notre mix électrique (à majorité nucléaire 75%, et hydroélectrique 15%) correspond à une émission de 50 g  CO2e/kWh, elle émet de façon indirecte entre 7,5 et 10 g  CO2e/km (ville, route, autoroute) et non zéro.

Si elle roule en Allemagne avec un mix électrique (à majorité gaz, pétrole et charbon, 61%…) correspondant à 350g CO2e/kWh, elle va émettre entre 50 et 70 g CO2e/km.  Je n’ose pas rouler en Hongrie ni en Chine où ma petite citadine dégagera entre 80 et 120 gCO2e/km, quasiment plus que son modèle thermique.

La publicité nous ment donc et j’approuve les associations de consommateurs à réclamer une meilleure information des acheteurs. D’autant que si nous nous penchons sur le cycle de vie (4) nous appuyons là où ça fait mal !

Imaginons que l’on conserve notre petite watture 16 ans (soit 2 fois 8 ans pour une durée raisonnable de la batterie) et que nous parcourions 10 000 km/an : en fin de vie, en France nous aurions émis entre 1,3 et 1,6 t CO2e. Comparons à l’émission de la même citadine thermique à la limite du malus (100 g/km) qui va émettre après 160 000 km 16 t de CO2e soit 10 fois plus. Il y a donc là un très large avantage à la voiture électrique.

Oui mais imaginons que la dépense énergétique pour fabriquer la caisse et les moteurs des deux exemplaires soit à peu près la même. Il faut y ajouter pour la « watture » la fabrication du pack de batteries. On estime qu’il faut pour sa fabrication de l’ordre de 12 000 à 15 000 kWh. Hélas la plupart des batteries sont fabriquées en Chine ce qui représente avec un mix de 550 g CO2e/kWh, 8,25 t CO2e qu’il faut ajouter aux 1,6 t soit 9,85 t à comparer aux 16 t de la citadine thermique. Ceci montre qu’en France on a intérêt à rouler en voiture électrique et, mieux encore si la batterie est issue d’une gigafactory qui se monte sur notre territoire car les 8,25 t chinoises maigriraient à 0,75 t. Cocorico vive le made in France.

Je vous laisse faire le calcul pour rouler et fabriquer en Allemagne ou en Tchéquie ou Hongrie, l’avantage s’amenuise beaucoup trop.

Quoi qu’il en soit en ajoutant la dépense de fabrication de la batterie notre « watture » est justiciable maintenant d’environ 60 g CO2e/km et non 0 g et on n’a pas pris en compte le remplacement possible du pack après 8 ans. Il est vraiment urgent que l’Etat et les constructeurs réforment l’étiquette énergie.

L’aspect économique et industriel

Á l’ouverture du Salon de l’Auto, l’industrie automobile Européenne est morose. La chute des ventes des voitures électriques en Allemagne suite à la suppression de la prime d’achat entraine une fermeture d’usines VW (une première depuis 1945). En France les ventes se tassent. Les grands PDG de Renault, Peugeot Stellantis, Volkswagen se demandent comment survivre. Car dans les ports européens arrive la déferlante chinoise, les marques BYD, MG Motor, Aiways, Leapmotor envahissent le marché européen avec des voitures électriques performantes et moins couteuses que nos modèles malgré le transport de plusieurs milliers de kilomètres. Les experts qui visitent les nouvelles usines autour de Shenzhen sont bluffés par l’armée de robots faisant virevolter les pièces et les plaçant avec précision avec quelques points de soudure. Ils sont aussi impressionnés par les presses de « gigacasting » moulant les carrosseries aluminium à haute pression. Si en 1970 les Chinois ont bien appris de l’expertise européenne des voitures et moteurs thermiques, depuis 2000 ce sont les européens qui doivent acquérir le savoir-faire chinois dans les voitures électriques et aussi dans la fabrication des packs de batteries. Car là aussi si les Européens et les Américains ont été les inventeurs des batteries lithium-ion, ce sont les Chinois qui sont devenus les maitres de la chimie des batteries NMC (Nickel, Manganèse, Cobalt) et maintenant des LFP (lithium, fer, phosphate) (5) comme CATL qui détient 38% du marché mondial. La firme chinoise consacre près de 5% de son budget à la R&D, les batteries au sodium et tout solide sont en préparation, d’où l’incertitude et l’attentisme qui gagnent les investisseurs des gigafactories européennes.

Votre mobilité personnelle

Adopterez-vous la mobilité électrique ? Une très intéressante étude de l’UFC Que Choisir (6) montre les avantages et désavantages des modèles électriques. Un prix 30% plus élevé que les modèles thermiques, mais une rentabilité économique championne si on dispose d’une prise « wall box » dans son garage avec un carburant EDF kWh Heures Creuses, à environ 0,20 €, ce qui met les 100 km à 3 € au lieu de 9 € pour la petite citadine-diesel. Malheureusement en ville, et dans les immeubles collectifs, rares sont les prises individuelles et là, comme sur autoroute les bornes affichent une moyenne de 0,60 €/kWh ce qui donne une dépense équivalente au thermique (9 € pour 100 km). De plus, pour les modèles d’autres segments - compacte, berline, SUV -  le poids intervient sur la consommation et des études comparatives mettent en évidence divers points de bascule de rentabilité de 60 000 à 100 000 km entre l’électrique et le thermique. L’entretien pour un véhicule électrique est plus simple car il y a moins de pièces en mouvement comme dans un moteur thermique. Il n’est pas moins couteux car on manque d’ouvriers qualifiés en électricité et électronique en ce domaine. Le fonctionnement complexe des batteries peut aussi donner lieu à quelques « bugs » et les spécialistes de dépannage manquent encore. Tesla a ses propres spécialistes, un réseau « Revolte » a formé plus de 200 spécialistes en France chez les concessionnaires, capables de tout réparer, chargeurs, logiciels, cartes électroniques, composants des batteries… Même après un accident.

Les prix élevés des modèles électriques la diminution ou la suppression des aides à l’achat expliquent la crise actuelle qui frappe l’automobile. Heureusement le Salon de l’Auto va montrer l’émergence de nouveaux modèles Renault R5 e-tech, Citroën ë-C3 à moins de 25 000 €. Le nombre de points de recharge a aussi atteint le chiffre de 140 000 en septembre 2024, avec une répartition très variable suivant les régions, mais on en programme un million pour 2035.

Avant tout achat, prenez le temps de la réflexion. Suis-je un petit ou un gros rouleur ? Ville, autoroute ? Quelle autonomie ? Quel segment d’automobile ? Quelle consommation moyenne en kWh ? Quelle émission de CO2e ? Puis je disposer d’une borne personnelle ?

Les associations de consommateurs appellent à une meilleure information, mais soulignent que la voiture électrique n’est pas la panacée. Elles pensent que les primes à la conversion seraient mieux utilisées par les pouvoirs publics à investir dans les transports collectifs. Elles citent l’effet de rebond en Norvège où les utilisateurs de véhicules électriques prennent de moins en moins les transports en commun.

Alors ? Achetez de bonnes chaussures, graissez votre bon vieux vélo, sachez que l’exercice physique est aussi bon pour vous comme pour la planète !

Jean-Claude Bernier
Octobre 2024

 

(i) (CO2e) pour CO2 équivalent, unité créée par le GIEC pour mesurer et comparer les effets climatiques d’un gaz à effet de serre, sachant que les différents gaz n’ont pas le même impact sur l’effet de serre et ont une durée de vie dans l’atmosphère différente.

Pour en savoir plus
(1) La mobilité urbaine, S. Delalande, Colloque Chimie et grandes villes, 9 novembre 2016
(2) La voiture intelligente (vidéo), F. Demerliac, collection Des idées plein la tech'
(3) Le lithium, un élément chimique indispensable pour notre mobilité actuelle, É. Bausson, fiche Chimie et... en fiche lycée (Mediachimie.org)
(4) Chimie pour un développement durable, Fédération française pour les sciences de la chimie (FFC)
(5) Un Nobel de chimie populaire, J.-C. Bernier, éditorial Mediachimie.org et Accumulateur « Lithium –Ion » : une révolution technologique portable ! (vidéo), R. Blareau et F. Brénon
(6) Véhicule électrique d’indispensables révisions sur l’information et le signal prix, UFC Que choisir

 

Crédit illustration : © Adobe Stock Patrick J.

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Un prix Nobel de chimie qui doit beaucoup à l’IA

Décidément la prestigieuse académie suédoise est séduite par l’intelligence artificielle. Après le prix Nobel de physique décerné à deux spécialistes des réseaux de neurones en électronique avancée, le prix Nobel de
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Décidément la prestigieuse académie suédoise est séduite par l’intelligence artificielle. Après le prix Nobel de physique décerné à deux spécialistes des réseaux de neurones en électronique avancée, le prix Nobel de chimie a récompensé des chercheurs qui se sont servis de l’intelligence artificielle pour transformer les recherches sur les structures tridimensionnelles des protéines. La moitié du prix a été décerné à 2 spécialistes, un anglais Demis Hassabis et un américain John Jumper qui appartiennent tous deux à l’entreprise Google DeepMind pour y avoir développé un programme d’IA nommé « AlphaFold » qui permet de prédire la structure complexe des protéines à partir de données sur des acides aminés. L’autre moitié du prix revient à David Baker, un biochimiste de l’université Washington à Seattle, qui réussit à concevoir des protéines entièrement nouvelles.

Ces découvertes ont une importance primordiale en biologie, car les protéines sont les molécules de la vie, elles sont dans les muscles qui nous donnent la force, dans les anticorps qui nous protègent des maladies et aussi dans celles qui lisent et copient l’ADN.

On se rappelle tous les études des structures par cristallographie à Grenoble à l ESRF ou à Saclay sur SOLEIL complétées par RMN, elles pouvaient prendre plusieurs mois. Ces travaux menés depuis plus de 40 ans dans tous les pays ont permis de nourrir une base de données internationale qui contient plus de 200 000 protéines avec leurs structure. C’est le fruit de plusieurs décennies de recherche, mais c’est encore peu en comparaison des 100 fois plus de protéines existant dans la nature.

Les protéines sont comme des chaines ou des colliers dont les maillons ou les perles sont des acides aminés. La façon dont elles s’enroulent est très importante, on parle de repliement de la protéine, qui lui donne ses propriétés. Avec le programme Alphafold en rentrant une séquence d’acides aminés, l’IA donne la structure tridimensionnelle de n’importe quelle protéine.

David Baker procède presque à l’inverse du programme Alphafold de ses collègues de Google Deepmind. On propose une structure 3D que l’on veut produire et son programme optimise la séquence d’acides aminées qui pourrait donner une protéine stable. C’est ainsi qu’il a développé une protéine nouvelle capable de bloquer la protéine Spike responsable du Covid-19. On voit là un champ immense qui s’ouvre pour la recherche de nouveaux médicaments en sachant l’importance des formes des récepteurs pour affuter des protéines sachant les copier afin d’annihiler les protéines dysfonctionnelles que nous avons dans notre corps lors d’une maladie.

La Fondation de la maison de la chimie avait déjà bien perçu l’importance de l’IA pour la chimie ; elle avait sensibilisé en février 2023 le grand public et les jeunes lycéens sur ce sujet brûlant au sein d'un colloque Chimie et Intelligence artificielle. Citons notamment les 2 conférences plénières de François Xavier Coudert, directeur de recherche CNRS, professeur attaché ENS – Université PSL, et de Carlo Adamo, Directeur Institute of Chemistry for Life and Health Sciences (i-CLeHS) – Chimie ParisTech, et la conférence de clôture de Cédric Villani, Université Lyon I, Institut des Hautes Études Scientifiques.

L’intelligence artificielle en recherche ne remplace pas le chercheur mais elle lui permet de manipuler des millions de données en un temps record c’est un accélérateur de découvertes !

Jean-Claude Bernier
Octobre 2024
 

Pour en savoir plus

Colloque Chimie et intelligence artificielle, Fondation de la maison de la chimie, février 2023, accès aux videos et articles des conférences sur Mediachimie.org
Concepts d’IA et Machine Learning ; utilisation en chimie ; les méthodes d’IA comme nouveau langage, François Xavier Coudert, article et vidéo, Colloque Chimie et intelligence artificielle, Fondation de la maison de la chimie, février 2023
L’Intelligence Artificielle comme moteur dans la recherche en chimie, Carlo Adamo, article et vidéo, Colloque Chimie et intelligence artificielle, Fondation de la maison de la chimie, février 2023
Intelligence artificielle pour la science et l’industrie, Cédric Villani, article et vidéo, Colloque Chimie et intelligence artificielle, Fondation de la maison de la chimie, février 2023
L'intelligence artificielle, un moteur dans la recherche en chimie !, Éric Bausson, Fiche Chimie et… en fiches lycée, Mediachimie.org

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Eau et innovation

Quoi de plus simple et anonyme que la molécule H2O, elle est pourtant vitale (1). Notre corps en contient plus de 65% soit 45 litres si vous pesez 70 kg. Sur notre bonne vieille planète l’eau est essentiellement sous
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Quoi de plus simple et anonyme que la molécule H2O, elle est pourtant vitale (1). Notre corps en contient plus de 65% soit 45 litres si vous pesez 70 kg. Sur notre bonne vieille planète l’eau est essentiellement sous forme d’eau salée, 97,5% (mer et océans), et l’eau douce ne représente donc que 2,5%. Mais seulement 30% de cette eau douce constitue les nappes phréatiques et les rivières, le reste étant sous forme de glace ou de neige.

En France ce sont des milliers de rivières, fleuves, cours d’eau et ruisseaux qui serpentent sur 500 000 km et sous nos pieds 2000 milliards de m3 sont stockés dans nos nappes phréatiques. Sans eau il n’y a pas de vie et on sait quel rôle essentiel elle joue dans notre alimentation, nos sources d’énergie (2) et notre industrie. Rien d’étonnant alors que les épisodes de sécheresses, de cumuls de précipitations, de pollutions, de pressions agricoles et urbaines trouvent de larges échos dans les médias et l’opinion. Pour répondre à ces problèmes y a t-il encore de la recherche sur les technologies liées à l’eau ? Essayons par trois exemples d’esquisser une réponse.

La lutte contre les espèces exotiques envahissantes

C’est un véritable fléau à l’échelle mondiale ! Ces espèces étouffent la vie aquatique, gênent l’écoulement dans les rivières et canalisations et sont sources de dégâts à l’environnement et de pertes économiques. Claude Grison et son laboratoire montpelliérain en étudiant des espèces comme la laitue de mer et la Jussie d’eau ont découvert qu’une bonne partie de la plante était au contraire capable de dépolluer l’eau (3). Transformées en fine poudre, elles sont des filtres très efficaces pour récupérer des métaux comme le palladium, le manganèse, le zinc et le nickel. Elles peuvent aussi être utilisées pour la récupération de polluants comme les herbicides.

La valorisation de ces découvertes est réalisée par une startup qui va transformer ces poudres gorgées de microparticules métalliques comme catalyseurs pour diverses réactions chimiques industrielles en remplacement de ceux issus des extractions minières. L’équipe de Montpellier espère avec ses partenaires industriels monter en puissance ces solutions de dépollution grâce à ces plantes envahissantes dont la croissance risque d’être accélérée par le changement climatique.

La pollution chimique organique

La chimie analytique a fait d’énormes progrès depuis 20 ans. Les procédés de séparation, d’extraction, et de caractérisation ; chromatographie inverse ou d’exclusion, spectrographies de masse… permettent d’identifier les polluants à des concentration très faibles comme le ppb (microgramme par kilo) et même moins. On est donc capable de caractériser les micropolluants (4) dans l’eau. Hélène Budzinski et son laboratoire de Bordeaux, l’EPOC, savent caractériser des milliers de molécules organiques. Mais d’après elle, alors qu’il y en a des millions, un enjeu de taille se dresse pour les chercheurs en chimie analytique : comment analyser ce qui n’est pas encore connu ! Ce projet novateur se fait en collaboration avec la régie de l’eau de Bordeaux (5). Il va demander de grands progrès méthodologiques de séparation et d’identification pour anticiper des actions sur des polluants potentiellement toxiques dont la recherche et l’analyse ne sont pas encore réglementées. Le challenge va aussi plus loin car on peut observer des effets sur la santé, la faune, l’environnement sans identifier les polluants et l’inverse est aussi possible. Un pesticide n’est peut-être pas en cause puisque l’effet escompté n’est pas constaté mais le mélange avec d’autres herbicides par un effet cocktail peut être impactant. S’y ajoutent des conditions environnementales, pH, température, turbidité… qui peuvent intervenir. Le projet de recherche mené par le CNRS, la régie de l’eau et l’office français de la biodiversité va essayer de caractériser par la chimie couplée à des bio-essais l’impact de rejets dans un affluent de la Garonne.

La prédiction des ressources et de la consommation

La recherche d’une meilleure qualité de l’eau au robinet c’est bien, mais la disponibilité de la ressource, son usage, sont aussi pour les collectivités locales une préoccupation constante (6). On l’a vu cet été lors du stress hydrique de certains départements et villes du sud de la France. C’est ainsi qu’un laboratoire de Mathématique du CNRS à Nice travaille avec la régie Eau Azur sur un projet complexe. Comment modéliser la prévision des demandes en eau des usagers au moins trois semaines à l’avance et aussi en amont prévoir le niveau des nappes phréatiques sur plusieurs mois.

Un premier modèle s’appuyant sur des méthodes statistiques classiques et sur un traitement des données par intelligence artificielle fournit des prévisions à six jours encore loin des six mois ! Mais il y a un réel intérêt scientifique à développer un outil mathématique de pointe pour traiter un sujet concret et utile. Le problème est bien sûr les prédictions météorologiques aléatoires qui influencent les niveaux des nappes. Mais la prédiction du stock disponible et du prélèvement permettra d’arrêter ici les pompes, là de les conserver, sans risques de pannes et des couts associés à ces défaillances et aux réparations. L’objectif pour les collectivités locales est de mieux gérer l’eau actuelle et future, prévoir la demande et dimensionner de nouveaux réservoirs si nécessaire.

En France la recherche dans la filière eau rassemble plus de 200 laboratoires et près de 3000 personnes à travers le CNRS, le BRGM, l’INRAE et plusieurs universités (7). Il s’agit d’accroître les connaissances sur les polluants, leur détection et leur élimination, les risques naturels, inondations et sécheresse, la valorisation des eaux usées, les réseaux de distribution intelligents, les nouveaux matériaux d’infrastructure de canalisation et les accès aux ressources. Le PEPR (Programme et équipements prioritaires de recherche) « One water - eau bien commun » financé sur 10 ans accélère la recherche académique et industrielle en ce domaine. Il sera décrypté lors du colloque « chimie et eau » du 6 novembre prochain.

Jean-Claude Bernier
Septembre 2024

Pour en savoir plus
(1) L’eau, une ressource essentielle à la vie, D. Soissons, dossier Nathan / Fondation de la Maison de la Chimie (Mediachimie.org)
(2) L’eau et l’énergie sont-elles dépendantes ?, A. Charles, N. Baffier et J.-C. Bernier, fiche Chimie et… cycle 4 (Mediachimie.org) et Pourquoi économiser l’eau potable est-il aussi source d’économie d’énergie ? F. Brénon et O. Garreau, Question du mois (Mediachimie.org)
(3) Zoom sur la phytoremédiation des métaux lourds, J.P. Foulon, Zoom sur… (Mediachimie.org)
(4) L’eau, sa purification et les micropolluants, M. Coquery et S. Martin Rue, in Chimie et nature (EDP Sciences) 2012, isbn : 978-2-7598-0754-3
(5) La bataille de l’eau propre, C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, in La chimie et la sécurité des personnes, des biens, de la santé et de l'environnement, collection Chimie et... Junior, EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie
(6) L’eau ressource indispensable pour la ville, A. Charles, A.Harari et J.-C. Bernier, fiche Chimie et… cycle 4 (Mediachimie.org)
(7) Les chimistes dans les métiers de l’eau, F. Brénon et G. Roussel, série Les chimistes dans (Mediachimie.org)

Crédits :
- Figure : répartition de l'eau sur Terre. DR.
- Illustration : Goutte d’eau, José Manuel Suárez/Wikimedia Commons CC BY 2.0

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Participer ou performer ?

Le terme « perform + ance » a pour signification « ce qui est accompli, une chose effectuée ». Que ce soit pour les arts, le théâtre, dans le sport ou dans notre vie quotidienne, cette notion est de plus en plus présente.
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Le terme « perform + ance » a pour signification « ce qui est accompli, une chose effectuée ». Que ce soit pour les arts, le théâtre, dans le sport ou dans notre vie quotidienne, cette notion est de plus en plus présente.

Si lors des Jeux Antiques, les athlètes devaient juste être les plus forts, les premiers sur la ligne d’arrivée, de nos jours s’ajoute à ce concept d’être le/la meilleur(e), celui de la performance sportive. Il faut non seulement monter sur un podium mais en plus, battre un record (le sien ou celui existant au niveau européen ou mondial), bref performer dans des contextes parfois complexes (conditions météo, acoustiques, concurrence accrue, minima, sélections…).

Les athlètes, valides ou porteurs de handicap, sont obnubilés par ce concept. Les fédérations sportives et les coachs ne le sont pas moins. C’est pourquoi, chacun sollicite chercheurs, industriels dont de nombreux chimistes… la science en général pour imaginer des process, des équipements, des matériaux, des produits « licites » permettant d’accroître leurs performances. D’ailleurs, le lieu sacré en France d’entrainements des athlètes et para-athlètes de haut niveau ne s’appelle-t-il pas l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) et la devise olympique n’est-elle pas « Plus haut, plus vite, plus fort ensemble » ?

Aller plus vite, optimiser sa pénétration dans l’air, personnaliser la charge de travail en fonction de la morphologie, pouvoir bénéficier de textiles compatibles avec des efforts longs ou dans des conditions extrêmes… pour tous ces objectifs, la science apporte son savoir-faire, ses batteries de données qui permettent d’apporter des solutions individuelles ou plus globales pour cette quête de performance.

À l’approche des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, ce terme sera sur toutes les lèvres, dans tous les esprits. Les scientifiques ont travaillé dur pour réfléchir à des textiles, des matériaux plus souples, plus légers et résistants, apporter données et savoirs pour que les sportives et sportifs se sentent prêts et compétitifs pour performer !

Jean Gomez

Pour en savoir plus
Colloque Chimie et Sports, Fondation de la maison de la Chimie, février 2024
Chimie dans le sport - Sports et matériaux, É. Bausson, dossier Nathan / Fondation de la Maison de la Chimie (Mediachimie.org)
Quels matériaux pour les prothèses des para-sportifs ?, A. Harari, Question du mois (Mediachimie.org)
Des textiles pour sportifs, apport de la chimie pour améliorer confort et performances, F. Roland, La chimie et le sport (EDP Sciences, 2011) isbn : 978-2-7598-0596-9, p. 239

 

Crédit illustration : Flickr, domaine public
 

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Les nouveaux vélos pour les champions et pour nous

Les vélos du Tour de FranceAvec le Tour de France 2024 parti d’Italie fin juin et deux Français vainqueurs des deux premières étapes l’audience télévision explose en Europe. Ce sont des centaines de milliers de
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Les vélos du Tour de France

Avec le Tour de France 2024 parti d’Italie fin juin et deux Français vainqueurs des deux premières étapes l’audience télévision explose en Europe. Ce sont des centaines de milliers de spectateurs sur les routes et des millions de téléspectateurs sur leurs canapés qui suivront les coureurs sur leurs petites merveilles de technologie que sont devenus les vélos de course.

Loin des vélos en acier des années 1913 réparables dans une forge par Eugène Christophe, la demande de légèreté des machines a exigé d’abord des épaisseurs de tubes du cadre de plus en plus faibles, puis le remplacement de l’acier par l’aluminium et plus récemment l’usage des composites carbone qui apportent le faible poids et une rigidité améliorée (1). Tous les vélos des équipes du Tour de France ont maintenant non seulement des cadres moulés en fibre de carbone + polyester mais aussi des roues en carbone pour que le poids avec les accessoires soit de l’ordre de 7 kg (2).

Parlons d’ailleurs des accessoires. Pour transmettre l’effort, le moyeu du pédalier est muni d’un capteur d’effort qui traduit au coureur la puissance qu’il dépense, en watt. Depuis quelques années les roulements « en céramique » (3) disposent de billes en alumine dans les couronnes d’acier, très dures sur des surfaces de contact réduites et améliorent ainsi de plus de 80% le glissement et la fluidité des pièces en mouvement. Il en est de même pour le dérailleur électromagnétique qui peut être commandé par un « shifter », un petit bouton sur le guidon qui par bluetooth commande les changements de vitesse. Enfin, depuis longtemps, les bons vieux freins à patins ont été abandonnés. Ce sont des freins à disques sur les moyeux des roues à commande, soit hydraulique, soit électrique. Par ailleurs sur les roues en carbone les boyaux et chambres à air ont laissé place aux tubeless qui contiennent un solvant avec un polymère qui, en cas de crevaison limitée, comble le trou et permet au coureur de rouler encore un peu (4). Chaque vélo est adapté à la taille du coureur et à sa recherche d’aérodynamique, pour cela la tige du guidon est abaissée et même la tige de selle est creusée à l’arrière d’une cavité qui diminue la trainée arrière. Toutes ces améliorations technologiques n’ont qu’un seul but, améliorer le rendement énergétique , donc faire économiser quelques « wattheures » au coureur et diminuer son rythme cardiaque. Bien sûr la Fédération internationale a veillé à ce que ces progrès technologiques ne rompent pas l’égalité des chances et elle a limité le poids minimum des machines à 6,8 kg. Ne vous y trompez pas le coût de ces superbes vélos n’est pas à la portée du tout-venant, il est compris entre 12 000 et 20 000 €. Quand on sait qu’il y a entre 1000 et 2000 vélos qui se baladent dans la caravane du Tour voilà une caravane en or !

Le vélo de tout le monde

J’espère que vous avez payé moins pour votre vélo. En Europe la mode et le souci de préserver notre environnement continuent à soutenir le marché du vélo. Il s’en est vendu environ 25 millions en 2023 dont à peu près 20% avec assistance électrique (VAE). En France, le marché représente un CA de 3,5 Mrd € avec 2,23 millions de machines vendues à un prix moyen de 980 € dont 700 000 VAE au prix moyen de 1 900 €.

Alors avez-vous bien contribué à la préservation de notre chère planète ? Si vous avez un VAE l’empreinte carbone en France est de l’ordre de 17 g (CO2e)(i)/km parcouru si vous gardez votre engin 15000 km. C’est légèrement plus que pour un vélo ordinaire mu par la force musculaire qui est de 11 à 13 g CO2e/km parcouru. Ces chiffres sont très bons comparés au TGV 35 g CO2e/km parcouru par passager, 70 g CO2e/km pour une voiture électrique et plus de 100 g CO2e/km pour une voiture thermique. Seule la marche à pied (1 à 2 g CO2e/km) et le métro (8 à 10 g CO2e/km) sont plus performants que le vélo. L’essentiel de cette empreinte carbone est dû à la fabrication. Prenons un vélo de 20 kg en aluminium : la production du cadre en Chine exige 181 kg CO2e ; s’il est à assistance électrique il faut ajouter 20 kg CO2e pour la batterie et 37 kg CO2e pour le moteur. Comment réduire son empreinte carbone ? il est clair que s’il était fabriqué en France, avec de l'aluminium de recyclage ou de refusion, de 181 kg CO2e on passerait à peine à 20 kg CO2e (compte tenu de l'énorme différence d'énergie entre l'aluminium primaire et celui de seconde fusion et des mix électriques Français et Chinois comparés). Et encore moins si par « retrofit » (ii) on transformerait votre bon vieux vélo en VAE.

Bien, me diriez-vous : « mais je consomme de l’électricité ! ». Les batteries des voitures électriques (5) ont mauvaise réputation à cause de leurs poids, mais sur le VAE la batterie est bien plus petite et d’une capacité souvent inférieure à 1 kWh. Par exemple, pour faire 100 km un VAE demande environ 1 kWh ce qui représente en France 0,5 g CO2e/km parcouru soit moins de 4% des émissions totales, et en Allemagne 4 g CO2e/km un peu plus à cause du mix électrique.

Si vous êtes passionnés de cyclisme et d’environnement on peut encore améliorer l’empreinte carbone du VAE avec d’autres matériaux comme un cadre en bois ou en fibres de carbone recyclées ou en aluminium vert (6) avec des batteries au sodium (7) plutôt qu’au lithium, etc.

La forme physique

En cette année olympique n’oubliez pas que tous les jours faire du vélo vous fait perdre des calories par km parcouru et entretient votre moteur personnel : le cœur. Grâce aux hormones fabriquées par le cerveau au cours de l’effort, comme l’endorphine, vous vous sentirez mieux (8).

On a parfois accusé nos champions qui montraient une débauche de « watts » lors d’ascensions en montagne, d’avoir dissimulé dans le cadre de leur vélo de course un micromoteur et une micro-batterie électrique : les contrôles par infrarouge en course et par rayons X au garage ont montré que c’était faux. Par contre le dopage chimique par détournements de médicaments reste toujours possible, mais la chimie analytique fait continuellement des progrès et les risques de se voir rattraper par la patrouille toujours plus probables.

Pour vous en pédalant au fil des kilomètres, dopez-vous de grand air pur et de paysages apaisants, alors vous réussirez vos vacances.

Jean-Claude Bernier
Juillet 2024

 

(i) (CO2e) pour CO2 équivalent, unité créée par le GIEC pour mesurer et comparer les effets climatiques d’un gaz à effet de serre, sachant que les différents gaz n’ont pas le même impact sur l’effet de serre et ont une durée de vie dans l’atmosphère différente.
(ii) rénovation
 


Pour en savoir plus
(1) Les matériaux dans le sport, (r)évolutionnaires !, P. Bray, O. Garreau et J.-C. Bernier, fiche Chimie et... en fiches cycle 4 (Mediachimie.org)
(2) Les matériaux de la performance C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, La chimie dans le sport, collection Chimie et... Junior (EDP Sciences, 2014)
(3) Les céramiques et les réfractaires, indispensables à l’industrie primaire, J. Poirier, Colloque Chimie et matériaux stratégiques, novembre 2022
(4) Comment fabriquer des pneus à partir d’un arbre ? La vulcanisation,  J.-C. Bernier, série Réaction en un clin d'œil (Mediachimie.org)
(5) Le lithium un élément chimique indispensable pour notre mobilité actuelle, É. Bausson, fiche Chimie et... en fiches cycle 4 (Mediachimie.org)
(6) Comment verdir les métaux ? J.-C. Bernier et F. Brénon, éditorial (Mediachimie.org)
(7) Les batteries sodium-ion, J.-C. Bernier, éditorial (Mediachimie.org)
(8) Sport et cerveau, C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, La chimie dans le sport, collection Chimie et... Junior (EDP Sciences, 2014)

 

Crédit illustration : Pexels / Pixabay

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Les pistes d’athlétisme

On ne sait pas comment est mort Philippidès après avoir parcouru les 42 km entre Marathon et Athènes pour annoncer la victoire sur les Perses, à bout de souffle ou les pieds meurtris, car il n’y avait dans l’Antiquité ni
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On ne sait pas comment est mort Philippidès après avoir parcouru les 42 km entre Marathon et Athènes pour annoncer la victoire sur les Perses, à bout de souffle ou les pieds meurtris, car il n’y avait dans l’Antiquité ni revêtement des chemins ni chaussures adaptées à la course. Depuis le renouveau des Jeux Olympiques on porte maintenant une grande attention non seulement aux athlètes et aux champions mais aussi à leur environnement stades, pistes de courses, accessoires sportifs (1). La piste d’athlétisme où sont courues la plupart des épreuves de sprint et de fond a une grande importance dans ces jeux.

Un peu d’histoire

En Europe c’est vers 1850 que les stades ont pris leur forme actuelle composée d’une piste oblongue, deux lignes droites et deux courbes les réunissant faisant environ 400 m ou 440 yards. Sur le modèle des jeux de la Grèce Antique qui à Olympie aux alentours de 800 ans av. J.-C. regroupaient les athlètes venant de toutes les régions sous domination grecque.

Au XIXe siècle et début du XXe les pistes étaient cendrées (on brulait pas mal de charbon à cette époque), composées de terre et de cendres et l’anneau de la piste était séparé en couloirs (6 à 9) pour les courses de sprint à l’aide de cordes suite à une contestation lors du 400 m aux jeux de 1908. Ces cordes assez gênantes entre compétiteurs voisins furent vite abandonnées au profit de marquages au sol à l’aide de peinture blanche ou de poudre blanche. Ces pistes grises cendrées favorisaient les chutes, dérapages et les blessures. Les revêtements furent remplacés progressivement par de l’herbe ou par de la brique pilée après 1930, ce qui va leur donner une teinte rouge orangée comme sur les terrains de tennis. La technique s’étant améliorée le terrain de la piste comprend plusieurs couches : des cailloux ou graviers – du mâchefer – du calcaire concassé – de la brique broyée finement le tout damé sur environ 6 cm.

Puis dans les années 1950 on arrive à remplacer le revêtement des routes par de l’asphalte (2) qui comprend du goudron issu de la distillation du charbon avec beaucoup d’hydrocarbures non saturés comme liant et un granulat de gravier. À cause de son caractère cancérigène le goudron sera progressivement remplacé par le bitume issu des fractions lourdes du pétrole comportant elles des hydrocarbures saturés. Les années 1960 montrent des pistes d’athlétisme nouvelles, avec un colorant rouge. Ces pistes bitumées (10% de bitume et 90% de granulat de tailles choisies) vont apporter un entretien facilité une porosité contrôlée pour l’évacuation des pluies et une durée améliorée. Mais elles seront vite détrônées.

Les pistes modernes

En 1959 le directeur de 3M du Minnesota passionné de course de chevaux souhaite une piste pour eux ménageant leurs muscles et évitant les blessures. 3M étant spécialisé dans les films plastiques, il teste alors un revêtement constitué d’élastomère et de caoutchouc dans un élevage de chevaux appelé « Tartan », le nom restera bien qu’il n’ait rien à voir avec un vêtement traditionnel écossais. Ce « ruban » s’avérera trop couteux pour les kilomètres de piste d’un hippodrome, aussi 3M le propose aux stades d’athlétisme. C’est ainsi que dès les Jeux de 1968 à Mexico une piste en Tartan « rouge » est inaugurée. Est-ce la qualité de la piste ou l’altitude à 2200 m qui entraine une exceptionnelle chute des records olympiques précédents ? Les deux sans doute (3).

Après, les pistes évolueront en épaisseur et en quantité de polyuréthane ainsi que leur couleur, bleue à Rio en 2016 pour améliorer la concentration et le calme des athlètes, rouge de nouveau à Tokyo au Japon pour mieux satisfaire les télévisions.
La piste à Tokyo en 2021 fabriquée sur mesure par l’entreprise italienne Mondo ne fait que 14 mm d’épaisseur. Au-dessous du polyuréthane sont disposés des granulés de caoutchouc en design hexagonal qui ménagent de petites poches d’air. La piste absorbe l’énergie des coureurs et la renvoie avec un effet « trampolino » dans le sens de la marche. Plusieurs coureurs ont dit qu’ils avaient l’impression de « courir sur de l’air » ou de « marcher sur des nuages » sur cette piste très rapide. Il faut dire aussi que les grands fabricants de chaussure de sprint ont fait des efforts. Les chaussures « miracles » ont une semelle élastique avec crampons disposés en hexagone doublée d’une semelle rigide en carbone, des couches de mousse en polyester et polyamide recouverts d’un tissu imper respirant de type « Gore-Tex ».

De plus les fabricants ont fait un réel effort de développement durable et par souci de l’environnement : les mousses de polyamides viennent d’un bioprocédé rendu célèbre par Arkema utilisant des graines de ricin (4) et leur expansion est faite par insufflation d’azote qui les garantit exemptes de CFC, HCFC ou COV (composés organiques volatils). Par ailleurs le principal fabricant a mis en place une chaine de recyclage (5).

La conjonction des chaussures et de la piste apporte un progrès sur les temps de course en sprint et en fond de l’ordre de 2 à 4% ce qui fait dire au roi du sprint Usain Bolt « avec ces chaussures je serais passé au 100 m sous les 9"50 ! ». Car entre 1912 et 2021 pour le 100 m on est passé de la cendrée au Tartan et de 10,6 à 9,58 secondes !

La piste de Paris

Pour les Jeux 2024 à Paris qui vous intéressent au plus haut point, c’est encore le stade de France qui sera doté d’une piste « Mondotrack EB » qui a nécessité 1000 rouleaux de polyéthylène et polyuréthane avec leur support caoutchouté d’épaisseur 15 mm déroulés sur la piste il a fallu 2 800 pots de colle et elle est de couleur violette ! Oui vous avez bien lu : Violette. Comme d’habitude la France se singularise, fini le rouge ou le bleu, c’est le violet, choisi pour apaiser les compétiteurs et peut être les politiques et faire plaisir aux caméramans de télévision. La piste sera en violet clair et les zones de service en violet plus sombre. De plus, obéissant aux tendances de « green washing », le fabricant a incorporé dans la charge minérale des coquilles de moules et d’huitres broyées (soit du calcaire ou carbonate de calcium) ce qui permet de dire qu’il y a pour cette piste au moins 50% de matériaux renouvelables bien mieux qu’à Londres (6). En principe la piste devrait être finie début juin et un premier gala est prévu pour essais le 25 juin.

Certains esprits chagrins ou radicaux avaient émis des réserves sur les granulats de caoutchouc utilisés pour les terrains de sports avec la crainte de libérer des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques). On peut rappeler que les sprinters n’y passent que quelques secondes et sont donc peu exposés, mais plus sérieusement rappeler surtout que deux réglementations suivies par les fabricants sont impératives et protectrices. Le règlement CLP définit que pour que les granulats de caoutchoucs soient considérés sans danger, ils doivent rester en deçà de certains seuils spécifiques quant à la présence de substances classées dangereuses telles que certains HAP.

Le règlement REACH indique que seuls les granulats de caoutchoucs considérés sans danger sont autorisés pour la fabrication de terrains de sports.

Alors bons jeux, vibrez à Paris ou devant la télévision, la chimie (7) ne sera pas seulement présente sur les revêtements de piste mais sur les sautoirs, les courts, les terrains, les maillots, les prothèses partout pour les jeux olympiques et paralympiques.

Jean-Claude Bernier
Juin 2024

 

Pour en savoir plus :
(1) Chimie et Sports en cette année Olympique et Paralympique, Conférences du Colloque du 7 février 2024
(2) Les infrastructures de transport : les apports de la chimie dans les projets d’avenir, H. Van Damme, Colloque Chimie et Transports, avril 2013, Fondation de la Maison de la chimie
(3) Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites J.-F. Toussaint, La chimie et le sport (EDP Sciences, 2011) isbn : 978-2-7598-0596-9, p. 45
(4) Comment faire des polyamides à partir d’huile de ricin ? Du ricin au Rilsan®, une réaction de polymérisation à la française, J.-P. Foulon, Réactions en un clin d’œil, Mediachimie.org
(5) Les matériaux au service de la performance de la chaussure, A. Lahutte, Conférence Chimie et Sports en cette année Olympique et Paralympique, février 2024, Fondation de la Maison de la Chimie
(6) Un stade plus écologique est-il possible ?, A. Harari, Question du mois, Mediachimie.org
(7) 2023-2024 : Sports et chimie, une sélection de ressources pour découvrir et comprendre pourquoi la chimie occupe une place si importante dans le domaine du sport de haut niveau (Mediachimie.org)

 

Crédit illustration : Visuel du stade de France / Paris2024.org

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Sur le devant de la scène

Elle offre ses courbes et ses méandres à ceux qui veulent bien la voir le long des quais, du haut de certains monuments mais aussi en amont et en aval de la capitale. Elle sera reine le 26 juillet car sur plus de 6 km
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Elle offre ses courbes et ses méandres à ceux qui veulent bien la voir le long des quais, du haut de certains monuments mais aussi en amont et en aval de la capitale.

Elle sera reine le 26 juillet car sur plus de 6 km elle accueillera plus de 10 500 athlètes, et offrira un spectacle à des milliers de spectateurs qui sans doute « en prendront plein les Jeux ». Au-delà du 26 juillet, elle sera le théâtre de compétitions de nage en eau libre, de l’épreuve de natation des triathlètes des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.

Mais tout ceci ne sera possible que si son eau est dépolluée, si les bactéries ont disparu pour rendre à ce fleuve l’honorabilité qui lui revient après les récurrentes promesses faites depuis plus de 20 ans par nos politiques.

La Seine sera sans doute sur le devant de la scène grâce à la chimie et à l’expertise de ces acteurs industriels qui s’intéressent à l’eau. Au-delà des Jeux, ce sujet est primordial, vital, parfois préoccupant car soit nous allons en manquer soit nous allons être confrontés à des zones fluviales ou autres étendues aquatiques polluées par des rejets industriels et humains.

Mediachimie.org s’intéresse à ces sujets depuis de nombreuses années et explore les avancées, les problématiques, les solutions apportées. Laissez-vous guider au fil de l’eau pour découvrir toutes ces ressources et comprendre, réfléchir et prendre conscience si ce n’est déjà le cas de ce sujet ESSENTIEL !

Jean Gomez

 

Quelques ressources à explorer sur le site www.mediachimie.org :

 

Crédit illustration : Cérémonie d'ouverture, l'embarquement des athlètes, © Paris 2024 - Florian Hulleu

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Plus vert que vert ; l’hydrogène blanc ou l’hydrogène naturel

Le dihydrogène H2 est un gaz très léger, insipide et incolore. Mais depuis quelques années en fonction de son origine on lui a collé presque toutes les couleurs de l’arc en ciel ! Noir ou gris s’il est préparé à partir du
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Le dihydrogène H2 est un gaz très léger, insipide et incolore. Mais depuis quelques années en fonction de son origine on lui a collé presque toutes les couleurs de l’arc en ciel ! Noir ou gris s’il est préparé à partir du charbon ou du méthane, vert ou jaune s'il est préparé par électrolyse de l’eau (1) avec une électricité issue des énergies renouvelables ou nucléaire, de gris il devient bleu si on récupère le CO2 lors de sa synthèse. Tout le code des couleurs y était passé jusqu’à ce que plus récemment on lui trouve la couleur blanche originelle ? oui… Puisqu’il s’agit de l’hydrogène natif issu tout seul de notre bonne vieille Terre comme des restes et souvenirs qui lui restent après les condensations des atomes à la suite du Big–Bang.

La première fois que j’ai entendu parler de l’hydrogène « naturel », c’est lors de discussions avec le professeur Armand Lattes lors de nos nombreuses rencontres à la SCF au milieu des années 2000. Il avait eu connaissance d’émanations d’hydrogène en Russie et en Ukraine et, par l’intermédiaire d’un de ses jeunes thésards à Toulouse Viacheslav Zgonnik, prit contact avec un géologue russe V. N. Larin qui était spécialiste du contexte géologique de ces émanations. À l’époque nous pensions (à tort) qu’il s’agissait de l’influence du réchauffement climatique sur le permafrost. Alerté par Armand Lattes l’IFPEN (i) ne dut qu’à la présence d’Hervé Toulhoat (2) de lancer un programme exploratoire qui a abouti à de très sérieuses connaissances scientifiques prolongé par un Groupement de Recherche (GDR) coopératif HydroGeMM sur l’hydrogène du sous-sol considéré au départ comme une joyeuse galéjade toulousaine !

20 ans après, avec l’engouement pour l’énergie décarbonée, les gisements géants d’hydrogène ne font pas que rêver les chercheurs du CNRS et de l ‘IFPEN mais aussi nombre d’entreprises minières dont 40 compagnies multiplient les explorations et forages de par le monde en 2024.

Comment se forme cet hydrogène « natif »

Au moins trois processus ont été identifiés :

  • a) dans les fosses océaniques profondes aux endroits où deux plaques continentales se chevauchent des émanations volcaniques ont été vues : des « fumées noires » avec des émanations de sulfures métalliques, de sulfates et d’hydrogène dans un fluide à 300° C , acide à pH 3 et constituant un milieu extrême prébiotique ou des archaebactéries transforment ces sources de soufre, d’oxygène et d’hydrogène en ATP (ii) source énergétique de la vie (3). Sont également vues des émanations de fumées blanches à températures plus basses 60° à 70°C et des excrétions de carbonate de calcium CaCO3, de magnésite principalement constituée de carbonate de magnésium et de silicates (4).
    On parle alors en ces domaines de serpentinisation avec des réactions suivantes :
    3 Fe2SiO4 + 2 H2O = 2 Fe3O4 + 3 SiO2 + 2 H2
    2 Fe3Si2O5(OH)4 + 6 Mg(OH)2 = 2 Mg3Si2O5 (OH)4 + 2 Fe3O4 + 6 H2
    (Chrysolite ferreuse) (iii) + Brucite (Mg(OH)2) = Serpentine (iv) + Magnétite (Fe3O4) + dihydrogène
     
  • b) La radioactivité naturelle dans certaines croûtes terrestre peut, par radiolyse, décomposer l’eau
  • c) l’oxydo-réduction dans des zones cratoniques
    Au début de l’Archéen, période de l’histoire de la Terre comprise entre 4 et 3 milliards d’années, l’océan était dépourvu d’oxygène et contenait du fer ferreux (Fe2+) en solution. Avec l’oxygénation des océans, ce fer ferreux s’est oxydé en fer ferrique (Fe3+) et il s’est déposé sous la forme de couches d’oxydes de fer tels que la magnétite (Fe3O4) et l’hématite (Fe2O3), alternant avec des dépôts d’argiles et de carbonates. Ces dépôts successifs, qui s’expliquent par une sédimentation sous une épaisseur d'eau variable avec une concentration plus ou moins importante d’oxygène, se sont formés au cours du temps, entraînant ainsi la formation d’importants gisements de minerais de fer (5)

    Les couches situées à moindre profondeur ont été oxydées par les pluies et les eaux de surfaces contenant de l’oxygène. Par contre celles situées à plus grande profondeur, plusieurs centaines de mètres, baignées par de l’eau anoxique d’un aquifère profond peuvent engendrer un flux d’hydrogène suivant la réaction :
    2 Fe3O4 + H2O = 3 Fe2O3 + H2

Une exploitation industrielle ?

Les flux d’hydrogène issus des rides médio océaniques et volcans sous-marins à très grande profondeur sont difficilement exploitables. Ces rides dues au mouvement des plaques continentales peuvent aussi s’observer à terre dans certaines régions dans l’Afar (en Éthiopie) ou en Islande par exemple. Des recherches sur la possibilité d’exploitation de l’hydrogène à côté de l’usage des calories en géothermie mériteraient d’être conduites. Par contre le mécanisme d’oxydoréduction par la magnétite ouvre un horizon immense car ces nombreuses zones cratoniques, aires sédimentaires anciennes datant de 2 à 3 milliards d’années, sont nombreuses dans le monde et incitent les compagnies minières exploitant le minerai de fer à aller voir plus en profondeur si des flux d’hydrogène sont décelables.

Le journal du CNRS de décembre 2023 citait la découverte de dihydrogène par le laboratoire de GéoRessources de Nancy lors de forages au-dessous de couches de charbon exploitées dans d’anciennes mines de Lorraine. D’abord menés afin de trouver du méthane, mais surprise, plus on descendait en profondeur plus la teneur en hydrogène dans le méthane augmentait pour atteindre 15% à 1100 m. Des travaux menés avec l’IFPEN et les géologues amènent à penser que par extrapolation la teneur pourrait dépasser 90% à -3000m !

D’où l’enthousiasme des chercheurs qui pensent avoir trouvé en Lorraine un gisement de plus de 40 millions de tonnes d’hydrogène naturel. De la découverte à l’exploitation il y a encore un long chemin. Une seule compagnie au monde, Hydroma au Mali, exploite depuis 4 ans, un puits qui produit de l’hydrogène pur à 96%, à la pression de 4 bars et utilisé pour alimenter une turbine à gaz qui produit de l’électricité localement. Par vision aérienne on a identifié des zones de dépression circulaires de rayon de quelques centaines de mètres où rien ne pousse ; en Russie, en Ukraine, aux Etats unis, au Brésil les géologues les appellent « les ronds de sorcière », de l’hydrogène s’en échappe de façon non constante et non continue mais non négligeable : ces zones sont dans des aires cratoniques.

Une nouvelle source d’énergie décarbonée ?

De nombreuses compagnies minières ou leaders dans l’énergie s’intéressent à ce nouveau paradigme non prévu dans la planification énergétique. C’est que le prix de l’hydrogène gris est en moyenne inférieur à 2$/kg, le vert proche de 6$/kg alors que le blanc revient à 1$/kg.

La compagnie NH2E (v) aux États-Unis a foré un premier puits au Kansas. En France la société 45-8 Energy a obtenu en décembre 2023 l’autorisation de recherche dans les Pyrénées, TBH2 en Aquitaine et plus de 40 compagnies se lancent dans de telles recherches. Car selon un modèle de l’institut d’études géologiques des États-Unis (USGS) de 2022, la captation efficace des réserves mondiales pourrait satisfaire la demande énergétique globale pendant plus de 1000 ans (6).

Revenons sur terre cependant : rien ne garantit que l’hydrogène natif tienne ses promesses, la captation, son stockage, sa distribution poseront les mêmes problèmes que l’hydrogène gris ou vert. Sa compression ou sa liquéfaction consomment plus de la moitié de son potentiel énergétique. Mais les optimistes font remarquer que si on s’était arrêté à la fin du XIXe siècle aux faibles manifestations de présence du pétrole en surface on n’aurait jamais exploité les immenses réserves de l’or noir.

En sera–t-il de même pour l’or blanc ?

Jean-Claude Bernier
Avril 2024

 

(i) IFP Energies nouvelles
(ii) Adénosine triphosphate
(iii) La chrysolite ferreuse est le silicate de magnésium et de fer II (Mg, Fe) 2 SiO4;
(iv) La serpentine est une famille de minéraux du groupe des silicates. Formule chimique : (Mg,Fe,Ni)3 Si2O5(OH)4
(v) Natural Hydrogen energy https://www.nh2e.com/
 


Pour en savoir plus
(1) Qu’est-ce que l’hydrogène vert ?, F. Brénon, Question du mois, Mediachimie.org
(2) IFPEN et l’hydrogène naturel, H Toulhouat, L’Actualité Chimique N° 483 (avril 2023) p. 11-12
(3) Les origines de la vie, du minéral aux biomolécules, d'après la conférence de T. Georgelin, Colloque Chimie, aéronautique et espace, novembre 2017, Fondation de la Maison de la Chimie
(4) Hydrates de gaz et hydrogène : ressources de la mer du futur, J.L. Charlou,  La chimie et la mer (EDP Sciences, 2009) isbn : 978-2-7598-0426-9, p. 99
(5) Action de l’eau sur le fer, G. Chaudron, C. R. Acad. Sci., 159 (1914) pp. 237-239, gallica.bnf.fr
(6) Le dihydrogène est-il une solution d’avenir pour lutter contre le réchauffement climatique ?, É. Bausson, F. Brénon et G. Roussel, Dossier pédagogique Nathan / Mediachimie (Mediachimie.org)

 

Crédit illustration : source image rcphotostock /pexels

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Des textiles d'athlètes pour les volontaires des JOP Paris 2024

À J -125, la tenue des 45 000 volontaires des Jeux Olympiques et Paralympiques élaborée par Décathlon a été dévoilée. Ces tenues, puisque plusieurs pièces (chaussures, chaussette, pantalon double fonction, tee-shirts,
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À J -125, la tenue des 45 000 volontaires des Jeux Olympiques et Paralympiques élaborée par Décathlon a été dévoilée. Ces tenues, puisque plusieurs pièces (chaussures, chaussette, pantalon double fonction, tee-shirts, chapeau, banane, marinière transformable, chapeau, sac) constituent ce bagage vestimentaire, ont été testées par les athlètes et élaborées par le fabricant en répondant aux critères suivants : déperlance, élasticité, résistance, ergonomie.

Cet uniforme des volontaires fortement identifiable allie fonctionnalité et confort. Il est annoncé comme éco-conçu, moderne et modulable. Dans une volonté d’éco-conception et d’éco-responsabilité, l’ensemble de cette panoplie, unisexe, a été réalisée avec une part importante de Made in France.

La chimie, une fois de plus, a œuvré pour proposer des textiles adaptés aux volontaires. Si dans ce cas la quête de performances sportives n’est pas de mise, il n’empêche que les textiles proposés répondent en tous points à ceux des sportifs de haut niveau et donc aux contraintes de température extérieure, de température du corps et aux critères fixés ci-dessus par le COJO.

Pour en savoir plus sur le sujet consultez nos articles :

Alors ouvrons grands les jeux !

Jean Gomez

 

Crédit illustration : © Paris 2024 x Decathlon
 

- Éditorial
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Des matériaux pour des sauts olympiques

J’avais dans un premier temps voulu intituler cet édito une chimie pour s’envoyer en l’air mais des interprétations ambiguës pouvaient complétement dénaturer le propos. Il s’agit bien ici en 2024 de parler des épreuves
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J’avais dans un premier temps voulu intituler cet édito une chimie pour s’envoyer en l’air mais des interprétations ambiguës pouvaient complétement dénaturer le propos. Il s’agit bien ici en 2024 de parler des épreuves olympiques qui permettent à certains athlètes de s’élever loin du sol et de vaincre la pesanteur pour établir un nouveau record. Deux épreuves retiennent notre attention, l’une discipline olympique depuis 1896 lorsque le baron Pierre de Coubertin l’introduit dans les premiers Jeux olympiques de l’ère moderne, le saut à la perche, l’autre plus récente intégrée aux Jeux de Sydney en 2000 est la version gymnastique d’un jeu de jardin, le trampoline.

Le saut à la perche

Utilisé dans la Grèce antique comme moyen pour franchir les ruisseaux à l’aide de longues tiges de bois on en retrouve trace dans des jeux irlandais vers 550 av. J.-C. sous forme de saut en longueur. Au XVIIIe siècle aux Pays-Bas, le Fierljeppen est un jeu consistant à franchir une rivière avec une longue perche de plusieurs mètres. Ce n’est que fin du XIXe siècle que les sauts en longueur laissent la place aux sauts en hauteur avec une impulsion du coureur vers le haut et non plus horizontale. Intégré dans les championnats anglo-saxons les règles s’imposent progressivement et en 1892 les championnats de France couronnent un stadiste avec un saut à 2,41 m. En 1896 c’est un Américain William Hoyt qui remporte la médaille d’or des premiers Jeux avec un saut à 3,30 m.

Commence alors la course aux matériaux pour la perche. Au départ perches en bois rigides peu flexibles puis en Bambou un matériau composite naturel (1) qui plie sans nécessairement se rompre. Viennent ensuite des alliages d’aluminium et de cuivre dont les coefficients d’élasticité ont été optimisés et enfin des perches en composites avec des nappes de fibres de verre cylindriques bien collées par des polyesters et mieux encore des fibres de carbone tressées et enserrées dans un polymère (2). Ces dernières perches peuvent se plier largement et se déplier en lançant l’athlète vers le haut. C’est très grossièrement un réservoir d’énergie car il s’agit bien dans cette compétition d’accumuler et de restituer le maximum d’énergie.

Pour un athlète de 80 kg et pour sauter à 5 m il faut 80 x 10 x 5 = 4000 J avec une seule impulsion. Un athlète capable de développer 1,3 kW en 0,3 seconde (saut à pieds joints) n’atteindra que 70 cm. Il faut donc une course d’élan qui va donner une énergie cinétique Ec = ½ mv2, une énergie potentielle de l’athlète capable avec les bras et les muscles des abdominaux de se retourner et de pointer vers la barre, Ep, et bien sûr l’énergie de flexion restituée par la perche vers le haut Ef.


L’équation totale est alors Etotale = Ec + Ep + Ef qui permet en une seconde d’atteindre la puissance (i) nécessaire pour sauter 5 m et plus. La perche en composite absorbe et restitue l’énergie comme un arc qui a été tendu et qui va lancer une flèche vers la cible. Les perches en composites doivent allier rigidité et flexibilité, elles ont une longueur comprise entre 5 et 6 m et pèse environ 20 kg (3). C’est pourquoi on voit au début de la course d’élan le sauteur porter la perche verticalement et l’abaisser progressivement avant de l’enfoncer dans le butoir et de donner son impulsion vers le haut. C’est un moment crucial car la propulsion doit être dirigée vers le haut et vers l’avant sinon le sauteur s’expose à un « retour piste » très dangereux car il retombe sur la piste et non sur les matelas de mousse en polyester de l’autre côté du sautoir. Discipline très exigeante, ce n’est que depuis 2010 que les recordmen tutoient les 6 mètres ; d’abord l’ukrainien Sergueï Bubka, puis le français Renaud Lavillenie et depuis 2023 Le Suédois Armand Duplantis à 6,23 m. Y a-t-il encore des degrés de progression ? Seuls l’entrainement et la recherche en matériaux nouveaux nous l’apprendront.

Le trampoline

C’est dans les années 1930 qu’un jeune américain Georges Nissen, en voyant au cirque les trapézistes se laisser tomber dans un filet, a l’idée de fabriquer un appareil qui leur permettrait de rebondir avec un tissu accroché à un cadre rigide par des ressorts. Avec trois amis il fait une tournée aux États-Unis et au Mexique pour populariser son invention qui est baptisée « el trampolin » en espagnol. C’est en 1941 qu’il crée la première société de fabrication des trampolines qui sont utilisés pour l’entrainement des pilotes, et c’est après 1950 que des épreuves de trampoline sont intégrées dans les compétitions universitaires d’athlétisme. Les premiers championnats du monde voient le jour en 1964 et en 1980 le trampoline est intégré comme sport de démonstration dans les Jeux olympiques et ne devient sport olympique qu’en 2000 aux Jeux de Sydney.

Le trampoline de compétition est constitué d’un cadre métallique de 4x2 m situé à 1,15 m du sol et entouré de matelas de mousse de polyester pour la sécurité des gymnases. Le tapis de sol est en polypropylène avec des mailles très serrées (260 g/m2(4) accroché par des œillets métalliques au cadre par 120 ressorts en acier dur à teneur en carbone supérieure à 0,45% et souvent galvanisés (5). Les athlètes par impulsion sautent sur le tapis de saut qui avec les ressorts leur restituent de l’énergie et peut les propulser à chaque impulsion à plus de huit mètres en hauteur. Les acrobaties et figures dans les airs, sauts périlleux, retournés, rouleaux, etc. sont appréciés par un jury qui donne une note technique et artistique. Les champions olympiques 2020 sont Ie biélorusse Ivan Litvinovich et chez les femmes la chinoise Zhu Xueying. En 2024 la compétition doit se dérouler à l’Arena Bercy le 2 août. En fait c’est plutôt l’activité de loisirs qui a entrainé les compétitions. On trouve pour quelques centaines d’euros des trampolines de jardin de formes carrée ou circulaire avec un tapis de saut protégé par des coussins et un filet de protection pour la sécurité des enfants. Les salles de sport ont aussi installé des « jumping fitness » où il s’agit de faire des exercices de sport sur trampoline, une séance de 15 minutes remplaçant le jogging.

Dans ces deux sports, le saut à la perche et le trampoline, les forces musculaires alliées à la technologie des matériaux sont une belle démonstration de l’énergie déployée, conservée et amplifiée, non seulement pour atteindre des records mais pour décrire des trajectoires et sauts de toute beauté.

Jean-Claude Bernier
janvier 2024

(i) La puissance est l’énergie libérée pendant un certain temps.

 

Pour en savoir plus
(1) Les matériaux composites dans le sport,Y. Rémond et J.-F. Caron, in La chimie et le sport (EDP Sciences, 2011) isbn : 978-2-7598-0596-9
(2) Les matériaux de la performance, C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, in La chimie dans le sport, collection Chimie et... Junior (EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie, 2014), isbn : 978-2-7598-1238-7
(3) Les matériaux dans le sport, (r) évolutionnaires !, P. Bray, O. Garreau et J.-C. Bernier, Fiche Chimie et... en fiches (Mediachimie.org)
(4) Les textiles et les vêtements pour le sport, C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, in La chimie dans le sport, collection Chimie et... Junior (EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie, 2014), isbn : 978-2-7598-1238-7
(5) Corrosion des métaux et protection, D. Soissons, Dossier pédagogique Nathan / Mediachimie (Mediachimie.org)
 

Crédits illustrations : Perche par andreas N / Pixabay ; Trampoline, Finale Jeux olympiques de la jeunesse d'été de 2018, Martin Rulsch, CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons

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Deux enfants terribles pour le climat, el Niño et La Niña

Des températures anormalement élevées cet automne en France, des précipitations fortes et continues en Europe en novembre, des cyclones à répétition dans le Pacifique Sud m’ont fait consulter les relevés de température
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Des températures anormalement élevées cet automne en France, des précipitations fortes et continues en Europe en novembre, des cyclones à répétition dans le Pacifique Sud m’ont fait consulter les relevés de température globale de la moyenne atmosphère des organismes américains utilisant les satellites depuis 1979 (figure 1) (1).


Figure 1. Température de la basse atmosphère au niveau mondial basée sur le satellite UAH, jusqu'en septembre 2023

J’ai été surpris par le pic détecté pour octobre 2023 à plus de +0,91°C, bien au-delà du record relevé en 1998 de +0,6°C. D’après les climatologues ce serait dû à des phénomènes de dynamique des océans et en particulier de l’océan Pacifique. Je me suis alors rappelé un séjour au Chili invité par des collègues universitaires à Santiago et à Valparaiso. C’était une visite de l’École supérieure de la pêche dans cette dernière université où j’ai vu des écrans Sonar montrant l’abondance de bancs de poissons le long des côtes Ouest de l’Amérique du Sud attirés par la remontée d’eaux froides. On m’avait alors expliqué les phénomènes climatiques « la Niña » et « el Niño ». Depuis, ces deux manifestations de la dynamique des océans et leur influence sur le climat de la planète « La Niña » et « el Niño » ont eu les honneurs de la presse mondiale qui en a constaté leurs influences (2) sans que les scientifiques en comprennent bien les origines.

La Niña

Dans une situation normale dans le Pacifique Sud les alizés du sud-est sont bien établis autour de l’anticyclone de l’île de Pâques. Ces vents réguliers soufflent d’est en ouest entrainant les eaux chaudes de surface vers l’ouest. Ce déplacement provoque une remontée des eaux profondes froides à l’est du Pacifique le long des côtes du Pérou et du Chili et apparait au sud de l’équateur une langue froide. Ces eaux froides plus riches en nutriment à l’est attirent les bancs de poissons à la grande satisfaction des pêcheurs sud-américains. À l’ouest les eaux de surface sont plus chaudes et l’évaporation conduit à des précipitations plus abondantes vers l’Indonésie jusqu’au nord de l’Australie. Si la Niña se prolonge, elle peut entrainer des inondations dans ces pays (figure 2).


Figure 2. Conditions La Niña, superposée sur la carte des anomalies de température moyenne de surface de la mer. En orange les zones de réchauffement de la surface de la mer, en bleu-vert les zones plus froides. Dessin NOAA Climate.gov de Fiona Martin.

El Niño

Lors d’un épisode El Niño les hautes pressions de l’anticyclone de l’île de Pâques faiblissent, les alizés s’arrêtent voire s’inversent, les eaux chaudes refluent vers l’est avec leurs cortèges de nuages chargés d’eau, les tempêtes et les ouragans apparaissent bien plus à l’est et affectent la Polynésie française et les côtes du Pérou avec de fortes précipitations qui provoquent des inondations et des glissements de terrain.

De plus, le long des côtes les eaux chaudes plus pauvres en nutriments n’attirent plus les poissons au grand dam cette fois des pêcheurs péruviens et chiliens (3). Au contraire à l’ouest, le temps est bien plus sec et lors d’épisodes El Niño des incendies peuvent frapper l’Indonésie et l’Australie (figure 3).

Le nom El Niño a été donné à ce phénomène par les pêcheurs qui l’ont observé, car il apparaissait à son maximum souvent en décembre par référence au « petit garçon » ou « El Niño de Navidad », l’enfant Jésus célébré à Noël.


Figure 3. Conditions El Niño, superposée sur la carte des anomalies de température moyenne de surface de la mer. En orange les zones de réchauffement de la surface de la mer, en bleu-vert les zones plus froides. Dessin NOAA Climate.gov de Fiona Martin.

Les oscillations océaniques et le climat

Ces phénomènes couplés Océan /Atmosphère appelés ENSO (El Niño Southern Oscillation) par les météorologues dépendent principalement de la température des eaux de surface du Pacifique. Plus la température est élevée plus l’évaporation (4) est forte. A 15°C un m3 d’air au-dessus de la surface contient 13 g d’eau, à 26°C c’est presque le double (24 g/m3). D’où les fortes précipitations, la formation d’orages et un excédent de cyclones majeurs sur l’ensemble du Pacifique.

Dans le dernier épisode intense de El Niño de 1997/98, 18 cyclones y avaient été observés alors qu’en 1999 avec la Niña seuls 7 cyclones avaient été recensés sur l’ensemble de l’océan Pacifique. Ce phénomène se reproduit régulièrement avec une périodicité de 2 à 7 ans. Sont alors libérées davantage d’humidité et de chaleur dans l’atmosphère (5) ce qui conduit à une hausse des températures mondiales comme en 1998 et 2016 qui donnèrent des températures globales jusque-là jamais enregistrées. El Niño qui a commencé cet été et qui atteint son maximum en décembre est bien parti avec le réchauffement climatique (6) pour battre le record de température mondiale en 2023.

Ces oscillations océaniques font partie des phénomènes météorologiques encore peu expliqués, comme le « jet-stream » qui est un courant d’air se déplaçant à grande vitesse à haute altitude entre la troposphère et la stratosphère d’ouest en est et qui est mis à profit par les compagnies aériennes transatlantiques pour gagner du temps et économiser le carburant entre l’Amérique et l’Europe.

El Niño a semble-t-il aussi un effet sur ces jet-streams ; les précipitations augmentent en Californie et le courant jet polaire se déplace plus au sud. Ces courants d’air notamment en Atlantique Nord accompagnent aussi les tempêtes sur le « rail des dépressions » qui nait près de Terre-Neuve et lors des hivers doux et humides suit le 50° parallèle jusqu’aux Îles Britanniques et nos régions du Nord-Ouest.

Les météorologues suivent attentivement ces phénomènes planétaires et peuvent par exemple pour la France donner des tendances à 3 mois avec des probabilités pour cet automne à 70% plus chaud et à 50% plus humide que les normales.

Des études supplémentaires seront encore nécessaires pour expliquer tous ces phénomènes climatiques et les prévoir. La nature reste difficile à modéliser !

 

Jean-Claude Bernier
Novembre 2023


(1) UAH satellite based temperature of the global lower atmosphere, thru September 2023, site Dr Roy Spencer’s Global Warming Blog
(2) L’augmentation de température, Les conséquences du réchauffement climatique (vidéo) CEA 2015
(3) Une chimie de la mer pour l’avenir de la terre, E. Durocher, J.-P. Labbé, J.-C. Bernier, Fiche Chimie et... en fiches (Mediachimie.org)
(4) Changements d’état (vidéo) Palais de la découverte, hébergé sur le site www.canal-u.tv
(5) Chimie, atmosphère et climat, E. Durocher, J.-P. Labbé, J.-C. Bernier, Fiche Chimie et... en fiches (Mediachimie.org)
(6) Le changement climatique, C. Agouridas, J.-C.Bernier, D. Olivier et P. Rigny, La chimie, l'énergie et le climat, collection Chimie et... Junior, EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie (2017)

 


Circulation atmosphérique dans le Pacifique Sud au large du Chili : localisation des masses anticycloniques (A) et dépressionnaires (L), Isostasie123 - travail personnel, Wikimedia Commons (licence CC BY-SA 3.0)

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La transition énergétique ne tient qu’à un fil : les réseaux électriques

Le dernier rapport de l’agence Internationale de l’Energie (AIE) attire notre attention sur le problème des réseaux électriques (1) qui sans nouveaux investissements et développements de réseaux intelligents vont bloquer
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Le dernier rapport de l’agence Internationale de l’Energie (AIE) attire notre attention sur le problème des réseaux électriques (1) qui sans nouveaux investissements et développements de réseaux intelligents vont bloquer les transitions énergétiques. En effet, les transitions énergétiques en Europe et dans le monde s’appuient entre autres sur une électrification bas carbone. L’électricité va remplacer le gaz, elle va propulser les voitures particulières et les camions, les projets hydrogène vont multiplier les électrolyseurs, les champs d’éoliennes off-shore en mer et les fermes photovoltaïques dans les déserts exigent des liaisons et de longs réseaux fiables et intelligents (2).

Il existe au niveau mondial 80 millions de kilomètres de lignes dont 7% pour le transport longue distance (THT 400 kV et HT 225 kV)* et 93% pour la distribution (MT 15 à 30 kV et BT 400 et 240 V)* au total cela représente plus de 100 allers -retours terre – lune ! Pour la France on identifie environ 100 000 km de lignes HT et environ 580 000 km de lignes MT et 650 000 km de lignes BT dont à peu près 213 000 km souterraines.
La transition énergétique va augmenter l’électrification bas carbone du chauffage, de l’industrie, du transport (3). Dans la consommation finale d’énergie mondiale, l’électricité qui représentait 21% en 2022, devrait monter jusqu’à 35% en 2050. D’où le risque de ne pouvoir faire face à ces progressions si on ne peut relier par un conducteur la production d’électricité au consommateur. L’Allemagne s’est trouvée dans ce cas où sa production éolienne basée prioritairement dans le nord ne pouvait être acheminée dans les zones de consommation du sud. On peut ajouter que, dans les pays européens où la densité de population est plutôt forte, l’implantation d’une ligne haute tension (225 kV) peut prendre 6 à 12 ans pour obtenir les permis et être construite. C’est bien plus rapide en Chine et en Inde.

Les conducteurs

L’AIE estime vital de construire et rénover environ 80 millions de kilomètres de réseau, c’est-à-dire l’équivalent du réseau actuel qui serait doublé d’ici 2040. C’est demander le doublement des investissements actuels et aussi des ressources en matériaux.

En effet, quels sont les matériaux nécessaires pour acheminer l’électricité de la centrale à votre prise de courant ? Les grands spécialistes des câbles font appel à deux bons conducteurs : le cuivre Cu de conductivité ρ  = 59 106 S.m-1 l’Aluminium Al ρ = 37 106 S.m-1. L’aluminium est moins bon conducteur mais il est plus léger d=2,7 que le cuivre d= 8,9 et d’autre part les prix sont nettement différents 8 €/kg pour le cuivre et 2 €/kg pour l’aluminium. C’est pourquoi les alliages d’aluminium comportant comme additifs Mg et Si, parfois renforcés acier, sont utilisés pour les lignes aériennes HT, dites de transport, alors que le cuivre est plus utilisé pour les lignes basse tension (BT) dites de distribution et les lignes enterrées ou sous-marines (4).

Y aura-t-il suffisamment de métaux pour conduire cette (r)évolution ?

Le calcul est complexe : plus la tension est forte moins la section du câble est grande pour une puissance délivrée et donc le poids de conducteur par kilomètre est plus faible (5).

Pour le transport en haute tension par voie aérienne en fil d’aluminium il faut : 11 kg/Mw/km alors que pour la distribution en basse tension il faut 65 kg/Mw/km. Pour des conducteurs en cuivre il faut entre 101 kg/Mw/km et 438 kg/Mw/km suivant le transport ou la distribution de l’électricité. Une extrapolation sur les 88 millions de km de lignes à doubler dont 7% pour le transport et 93% pour la distribution donne respectivement 62 000 tonnes et 4,86 Mt d’aluminium et si la moitié de la distribution en basse tension est faite avec le cuivre il en faut 16,3 Mt.

Rappelons que les productions mondiales sont 67 Mt pour Al et 26 Mt pour le Cu. Pour la France on compte 100 000 km de lignes haute tension gérée par RTE, 586 000 km de moyenne tension (15-30 kV) et 650 000 km de basse tension (400 et 230 V) dont 230 000 km enterrées gérées par EDF. L’estimation des besoins en conducteur conduit à environ 40 000 tonnes d’Al et 286 000 tonnes de Cu s’il fallait doubler le réseau. Notons que dans l’infrastructure d’un réseau il y a aussi les pylônes (6) qui supportent le poids des lignes, ils sont environ 100 000. Ils peuvent atteindre 90 mètres en acier avec une dizaine d’isolateurs en céramique pour la THT. Ils relient entre eux les nœuds de connexion et surtout les postes de transformateurs HT /BT qui comportent des tonnes d’acier spéciaux fer silicium (3%) à grains orientés et à forte perméabilité magnétique, leur nombre est d’environ 4000 en France. D’ailleurs Enedis envisage de doubler ses investissements à 5,5 Mrds € par an comme RTE d’ici 2040 approchant des 10 Mrds € annuels pour le réseau électrique, coûts cachés de la transition.

Et la chimie où est-elle ?

Elle est déjà bien présente dans la chimie métallurgique de préparation de l’aluminium et du cuivre de qualités électriques, mais si vous avez déjà épluché un fil électrique vous avez constaté qu’autour de l’âme en cuivre une enveloppe plastique (7) jouait un rôle de protection et d’isolant. On utilise le polyéthylène pour les THT et HT, il peut être réticulé si on cherche une bonne résistance au froid (lignes de montagne). Les copolymères éthylène /propylène sont plus utilisés pour les moyennes et basses tensions. Les couches de caoutchouc et silicones qui ont de très bonnes résistances aux basses et hautes températures sont souvent présentes pour les câbles enterrés ou sous-marins.

Dans les transformateurs, outre les papiers siliconés de l’isolation, on trouve les huiles isolantes qui servent aussi de fluide caloporteur jusqu’aux radiateurs externes pour éliminer la chaleur due aux effets Joule et aux pertes par courants de Foucault. Ces huiles autrefois à base de PCB (polychlorobiphényle) remarquablement stables mais toxiques pour l’environnement ont été remplacées par des huiles mélangeant naphtènes (aromatiques) et alcènes à haut point éclair pour éviter les incendies.

Le prix des conducteurs, des isolants plastiques, des aciers à grains orientés (GO), des pylônes, des moyens de construction a explosé en 10 ans. Alors que les investissements dans les énergies renouvelables ont doublé en 10 ans, ceux en faveur des réseaux électriques sont restés stables. On a augmenté le volume du liquide dans le réservoir mais on n’a pas changé le petit robinet. Faute de prévision et dans un contexte de sous-investissement dans les réseaux s’est créé un goulot d’étranglement et on entre en dépendance du gaz et du charbon à la merci de coupures de courant dont l’impact économique est encore bien plus grand.

Jean-Claude Bernier
novembre 2023

 

*Très Haute Tension THT, Haut Tension HT, MT Moyenne Tension, BT Basse Tension

 

Pour en savoir plus
(1) Electricty grids and secure energy transitions (AIE) Octobre 2023
(2) Réseaux de transport de l’électricité et transition énergétique de S. Henry, article et conférence, Colloque Chimie et enjeux énergétiques, Fondation de la Maison de la chimie (2012)
(3) Le transport ou le stockage de l’énergie électrique, de C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, in La chimie, l’énergie et le climat, collection Chimie et... Junior, EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie (2014), ISBN : 978-2-7598-2098-6 (2014)
(4) Câble High-Tech en PACA (vidéo, Des Idées plein la tech’) Virtuel / Universcience / Fondation Internationale de la Maison de la Chimie
(5) Les métaux stratégiques pour l’énergie, de B. Goffé, article et conférence, Colloque Chimie et enjeux énergétiques, Fondation de la Maison de la chimie (2012)
(6) Zoom sur quelques aspects de la corrosion des ouvrages d’art, de J.-P. Foulon, Zoom sur… Mediachimie.org
(7) Polymères stratégiques, sensibles pour l’industrie : bioressources, recyclage, quelle stratégie ?, de D. Bortzmeyer, article et conférence, Colloque Chimie et matériaux stratégiques, Fondation de la Maison de la chimie (2022)

 

Crédit illustration : Lignes à haute tension (Sagy, Val d'Oise), France, Spedona/JH Mora, travail personnel / Wikimedia Commons (licence CC BY-SA 3.0)

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Le sport, c’est de la chimie

Cette année la Fête de la science, année préolympique oblige, est consacrée au sport. La Fondation de la Maison de la Chimie et Mediachimie.org ont déjà largement étoffé le sujet. Rappelons le colloque « La Chimie et le
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Cette année la Fête de la science, année préolympique oblige, est consacrée au sport. La Fondation de la Maison de la Chimie et Mediachimie.org ont déjà largement étoffé le sujet. Rappelons le colloque « La Chimie et le sport » de mars 2010 qui va être renouvelé et actualisé par le prochain colloque en février 2024 « Chimie et sports olympiques ». En effet, le sport par ses multiples facettes fait appel à la chimie. C’est d’abord dans notre corps avec tous nos systèmes biologiques, puis dans notre cerveau où des hormones sont libérées, le tout avec une alimentation équilibrée et sans dopage. Mais si les performances s’améliorent c’est aussi grâce aux nouveaux matériaux.

La machine biologique

Quand on a une activité sportive nos muscles ont besoin d’énergie (1) (2). Cette énergie est stockée et transportée dans nos cellules sous forme de molécules d’ATP (adénosine triphosphate) qui par hydrolyse va donner un phosphate inorganique Pi et l’ADP (adénosine diphosphate) avec surtout de l’énergie libérée utilisable par l’organisme. L’ATP nous est fournie à chaque fois que nous respirons par l’oxygène transporté dans nos milliards de cellules et par le glucose ou les acides gras qui viennent de notre alimentation et sont transformés en ATP. Nos muscles sont composés de fibres où se juxtaposent deux types de protéines, l’actine et la myosine. Lorsque le cerveau commande un mouvement, le message acheminé vers le muscle comporte l’ATP mais aussi des ions calcium qui vont agir sur ces deux protéines et commander la contraction ou le relâchement. Pour que notre corps marche bien pour pratiquer un sport retenons qu’il faut de l’oxygène et donc bien respirer et des sucres et des protéines, donc bien s’alimenter.

Le cerveau

Ces molécules ne sont pas seules motrices pour la pratique du sport, il y a aussi des hormones qui sont fabriquées dans le cerveau (3) surtout par deux glandes, l’hypophyse et l’hypothalamus. C’est par exemple l’endorphine qui donne une sensation de bien-être. Notons aussi que pour les grands champions qui dépassent leurs limites les endorphines comme toute morphine a une capacité analgésique qui masque la douleur d’un effort intense (4). Une autre hormone, la dopamine, procure une sensation de plaisir et diminue la fatigue. On voit souvent son action lorsqu’un grand champion a gagné une course : son bonheur efface un peu les séquelles de son effort final. N’oublions pas non plus l’adrénaline que procure toujours un challenge que l’on se donne : elle augmente notre résistance au stress. Enfin une dernière sécrétion, celle de la sérotonine qui a une action sur la détente et le sommeil. Ce sont évidemment des libérations exacerbées par des entrainements intenses de nos grands champion. Mais nous en bénéficions lorsque nous pratiquons à notre niveau (5) un sport, des molécules qui ont des effets bénéfiques sur notre santé mentale et notre santé tout court !

Les matériaux de la performance

Usain Bolt est recordman du 100 m grâce à ses capacités naturelles et à son entrainement, mais aussi grâce aux super-chaussures (6) avec au moins 4 couches : une semelle externe élastique avec des crampons légers, une semelle interne rigide en composite carbone – carbone, une couche de mousse polyester, une tige et un tissu qui maintiennent le pied en PTFE. Les records en demi-fond le doivent aussi aux nouvelles pistes d’athlétisme en polyuréthane disposant en sous-couches de granulés de caoutchouc ménageant de petites poches d’air. La piste absorbe l’énergie mais le renvoie au coureur avec un effet « trampolino ».

Si Armand Duplantis a franchi 6,23 mètres au saut à la perche en septembre, c’est bien sûr dû à ses aptitudes acrobatiques et à son entrainement, mais aussi à sa perche fabriquée en matériau composite (7) avec des fibres de carbone noyées dans des polyesters. S’il avait eu un bambou ou une perche en aluminium il aurait plafonné à 4 ou 5 mètres.

Oui l’entrainement est essentiel mais la chimie des matériaux booste les performances en athlétisme mais aussi en ski, en canoé kayak, en voile et en vélo.

Pour courir il faut de l’essence

Vous avez déjà entendu ces commentaires de reporters sportifs concernant un battu à l’arrivée : « oui il n’avait plus de jus ». En effet il y a a nécessité pour les sports qui demandent un effort de longue durée, vélo, tennis, marathon…, d’avoir une bonne alimentation avant, durant et après l’effort : une bonne hydratation, des protéines légères ou des sucres assimilables rapidement durant l’effort et avant la compétition des sucres lents ou au contraire un aliment hyper protéiné et sans sucres. Eviter les boissons vitaminées et surtout les aliments dits « dopants ». Il y a toujours suivant les disciplines des soupçons de dopages, souvent avec des molécules de médicaments que l’on détourne de leur usage. Heureusement de plus en plus les fédérations internationales augmentent le nombre de substances interdites et les contrôles. La chimie analytique a développé pour cela des moyens de détection.

Bougez, courez, pédalez, sautez, lancez, jouez, vous allez déjouer le stress, vous éloignerez les maladies cardiovasculaires, l’obésité, l’ostéoporose et le « mal de dos ». En un mot vous vivrez mieux !

Octobre 2023
Jean-Claude Bernier

 

Pour en savoir plus
(1) Quelle chimie dans le sport ? épisode 1 : le métabolisme énergétique aérobie (video), R. Blareau, Blablareau au labo / Mediachimie
(2) Quelle chimie dans le sport  ? épisode 2 : les métabolismes énergétiques anaérobies (vidéo), R. Blareau, Blablareau au labo / Mediachimie
(3) Sport et cerveau, C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, in La chimie dans le sport, collection Chimie et... Junior, EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie (2014), isbn : 978-2-7598-1238-7
(4) La fabrique des champions, C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, in La chimie dans le sport, collection Chimie et... Junior, EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie (2014), isbn : 978-2-7598-1238-7
(5) Effets de l’exercice physique et de l’entrainement sur la neurochimie cérébrale : effets sur la performance et la santé mentale Ch.-Y. Guezennec Colloque La chimie et le sport, Fondation de la Maison de la chimie (2010)
(6) Chimie et pluie des records aux jeux de Tokyo, J.-Cl. Bernier, éditorial Mediachimie.org
(7) Les matériaux dans le sport, (r)évolutionnaires !, P. Bray, O. Garreau et J.C. Bernier, Fiche Chimie et… en fiches Mediachimie.org

 

Crédit : Image par Vectorportal.com, CC BY

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Comment est fabriqué le ballon de rugby ?

La Coupe du monde de rugby en France suscite en cet automne un engouement très britannique mais aussi très international avec ces vingt équipes venues du monde entier. On connait moins le rugby que le football avec ses
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La Coupe du monde de rugby en France suscite en cet automne un engouement très britannique mais aussi très international avec ces vingt équipes venues du monde entier. On connait moins le rugby que le football avec ses règles où se mélangent les passes en arrière et les mêlées organisées et où 30 athlètes affamés se disputent la possession d’un curieux ballon ovale.

En 2023 le ballon officiel de match « INNOVO » du fabricant du Sussex Gilbert n’a plus grand-chose à voir avec le ballon originel que prit à la main William Webb Ellis vers 1823 qui créa ainsi ce nouveau jeu. Il est probable que ce fut un ballon de football plutôt rond qu’ovale qui fut d’abord fabriqué par un cordonnier William Gilbert de la ville de Rugby.

C’est donc à lui qu’on attribue l’invention du ballon de rugby fait au départ de vessies de porc fraiches recouvertes de quatre panneaux de cuir. C’est à la demande des étudiants qu’il fait évoluer leurs formes avec des ballons de plus en plus ovales, plus faciles à attraper, à tenir en courant, roulant plus mal et sortant moins du terrain. De 1850 à 1880 la petite entreprise fabrique plusieurs milliers de ballons par an.

Une première modification est introduite par Richard Lindon qui invente une vessie en caoutchouc (1) qui se gonfle avec une pompe à air et évite de gonfler à la bouche les vessies de porc qui ont parfois contaminé les ouvriers chargés du gonflage. Progressivement les dimensions du ballon se normalisent autour de 30 cm de long et de 60 cm de circonférence du petit périmètre. Si la vessie reste en caoutchouc souple le ballon en cuir est lisse et donc glissant ; lorsqu’il pleut le cuir absorbe l’eau en augmentant son poids et se déforme plus facilement ce qui n’arrange pas le jeu au pied et complique la tâche des tireurs qui transforment les essais par tirs au but.

C’est dans les années 1990 que le ballon « synthétique » va s’imposer : le cuir va être remplacé par du caoutchouc plus dur, du polychlorure de vinyle (PVC) (2) ou du polyuréthane (PU) (3). La vessie en latex est de plus en plus substituée par un caoutchouc butyl (4) et à une pression de 9,5 PSI (i) elle se dégonfle moins.

Les nouvelles compétitions, Tournoi des Nations, Coupes d’Europe et Coupes du monde, vont voir une course à l’innovation. La petite entreprise Gilbert devenue grande reste encore une marque de référence devant Adidas et Summit. C’est elle qui est en 2023 la marque officielle de la Coupe du monde en France avec le ballon « INNOVO » qui contient une vessie en copolymère butyl (ii) protégée par 4 plis de polycoton et caoutchouc et une double valve brevetée « truflight » insérée dans une couture des 4 panneaux de polyuréthane sur lesquels sont moulés des « crips », picots en forme d’étoiles de hauteurs millimétriques différentes du centre vers les extrémités permettant une meilleure dispersion de l’eau, une bonne prise en main et un aérodynamisme amélioré. Dissimulées dans les coutures, faites à la main, la double valve et son contrepoids contribuent à un équilibre parfait. En 2023 cette double valve munie de capteurs donne naissance avec le partenaire de Gilbert Sportable Technologies à un « ballon intelligent » (5). Les entraineurs ou les équipes peuvent intégrer des ballons connectés et afficher sur écran d’ordinateur les statistiques du match, en temps réel. La vitesse du ballon, sa rotation, la distance de la passe, la précision du coup de pied… toutes données exploitables, ne serait-ce que pour préparer la prochaine Coupe du monde en Australie en 2027.

Plus simple et terre à terre pour les enfants et l’initiation à ce beau sport, préférez le ballon en mousse de polyester qui est aussi amusant.

Jean-Claude Bernier
septembre 2023

 

(i) Le PSI ou Pound-force/square inch est l'unité anglosaxone de mesure de pression. 1 PSI = 6,89476 kPa = 0,0689476 Bar donc 9,5 PSI = 0,655 bar.
(ii) La caoutchouc butyl est un copolymère d’isobutylène et d’isoprène
 

Pour en savoir plus
(1) Comment fabriquer des pneus à partir d’un arbre ? La vulcanisation,  Jean-Claude Bernier (fiche Une réaction en un clin d'oeil)
(2) PVC voir Produit du jour de la société chimique de France
(3) Chimie et pluie de records aux jeux olympiques de Tokyo, Jean-Claude Bernier (éditorial) ; PU voir Produit du jour de la société chimique de France
(4) Le caoutchouc synthétique BUP
(5) Shootez, vous êtes connectés, Jean-Claude Bernier (editorial)

 

Crédit illustration : Erwan Harzic- Travail personnel / Wikimedia Commons (licence CC BY-SA 4.0)

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Quel avenir pour l’énergie solaire ?

Alors que l’Agence internationale de l’énergie note qu’en 2022 les énergies éoliennes et solaires ont dépassé les 11% de l’électricité sur le plan mondial, une conférence de Daniel Lincot au Collège de France et un
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Alors que l’Agence internationale de l’énergie note qu’en 2022 les énergies éoliennes et solaires ont dépassé les 11% de l’électricité sur le plan mondial, une conférence de Daniel Lincot au Collège de France et un rapport de l’Académie de technologie sur le photovoltaïque doivent attirer notre attention (1).

Les panneaux solaires

Pour rappel, l’énergie solaire via un panneau photovoltaïque s’appuie sur le fait que l’absorption de photons par un matériau semi-conducteur peut générer un courant électrique (i).

Parmi ces matériaux, le silicium est particulièrement bien placé car son « gap » correspond en énergie à celle du rayonnement solaire (2). Il reste à capturer les électrons excités pour en faire un courant électrique, avec un collecteur. Depuis 1955 et les premières cellules basées sur des jonctions P/N (ii) simples avec 6% de rendement on a d’abord amélioré le dopage avec des éléments comme le bore ou le phosphore. L’adjonction de grille pour drainer les électrons, la passivation de la surface et sa texturation pour réduire la réflexion de la lumière ont permis de monter le rendement entre 15 et 20%. L’innovation des hétéro-jonctions avec des dépôts de couches minces sur le silicium cristallin ont encore amélioré le rendement à 26%. Pour aller plus loin on pense à mieux absorber les photons dans l’ultra-violet ou ceux qui ont une grande longueur d’onde : on superpose alors à la cellule silicium d’autres cellules qui ont ces propriétés d’absorption, ainsi les cellules dites « tandem » peuvent atteindre 30 à 40% de rendement (3). La recherche est toujours très active en ce domaine avec les nouvelles pérovskites et les cellules organiques.

Pour l’instant face à la concurrence du silicium, la filière couche mince CIGS (iii) ou CdTe n’a pas encore réussi à s’imposer et ne dépasse pas 5% de la production. Cependant en France Solar Cloth produit des panneaux souples légers et performants puisque les modules en couche mince CIGS atteignent un rendement de 17% pouvant recouvrir les toits trop fragiles ou avoir des applications dans les tentes ou serres photovoltaïques (4).

Le silicium photovoltaïque

Pour fabriquer des panneaux photovoltaïques la chimie des matériaux est complexe et énergivore (5). On peut distinguer six étapes.

  1. Il faut réduire le sable (silice) par le carbone selon SiO2 + C = Si + CO2. Pour cela on utilise du coke à haute température, 1500 – 2000°C dans un four à arc.
  2. Le silicium est fondu à 1500 °C et par balayage de gaz on élimine la calcium et l’aluminium initialement présents dans le sable, pour obtenir le silicium métallurgique pur à 98%.
  3. Par attaque à l’acide chlorhydrique, HCl, on obtient le composé de formule SiHCl3 qui, une fois purifié par distillation à 300°C, est décomposé par le dihydrogène, H2, pour obtenir le silicium suivant la réaction SiHCl3 + H2 = Si + 3 HCl. Fondu sous vide on obtient du silicium pur à « cinq neuf » soit 99,999%
  4. Les lingots sont alors purifiés par zone fondue pour obtenir du « 7 neuf » (99,99999 %), par le procédé Czochralski). On amorce le bain fondu avec un germe et on étire un cylindre monocristallin (6).
  5. On découpe ensuite les « wafers (iv) » qui ont 0,2 mm d’épaisseur sur 20 cm et on opère les opérations de dopage dans des fours à atmosphère contrôlée.
  6. Viennent les opérations de surfaçage puis de montage avec les circuits de cuivre et insertion dans les cadres en aluminium et les protections en verre.

Toutes ces opérations exigent pas mal d’énergie, des réactifs chimiques, acide et bases, des quantités d’eau souvent pure de qualité électronique et inévitablement génèrent des effluents qui demandent à être traités.

La situation en France et en Europe

La France dispose de 17 GW de puissance photovoltaïque installée au premier trimestre 2023 et une production de l’ordre de 2,2% de l’électricité nationale. On est en retard sur le tableau de marche (20 GW en 2023 et 35 GW en 2028) ce qui imposerait d’installer au moins 3 GW par an (7).

Le problème est que si en 2022 les exportations de panneaux photovoltaïques (PV) représentaient 7% de l’excédent de la balance commerciale chinoise les importations de ces mêmes panneaux représentaient 2% du déficit commercial en France. Car la production de silicium de la silice aux wafers est à 95% aux mains de la Chine qui a investi des dizaines de milliards de dollars dans cette filière et qui investit encore dans les nouveaux produits hétérojonction et tandem. Le prix du Watt solaire s’est écroulé et le MWh est devenu compétitif dans les pays très ensoleillés, largement en dessous de 60 €. Cette redoutable machine chinoise a laminé l’industrie européenne du silicium. S’il reste un fondeur allemand Wacker et quelques fabricants de wafer notamment en Norvège, l’Europe n’est riche que de projets exigeants des milliards d’investissements pour espérer émerger sur ce marché en 2030. Et le pire c’est que ces modules PV sont fabriqués actuellement avec une énergie qui en Chine s’accompagne d’environ 600 g de CO2/ kWh, souvent issue de centrales thermique à charbon.

Des calculs très précis ont été faits sur les dépenses énergétiques des six stades de fabrication. La dépense énergétique la plus forte est paradoxalement le dernier stade, on n’est pas très loin de 3000 kWh par m² de modules. S’ils sont produits en Chine cela représente près de 1,8 tonnes de CO2 alors que s’ils étaient fabriqués en France cela ne représenterait plus que 180 kg, méritant mieux le label bas carbone. Sachant qu’un panneau PV produit en moyenne 300 kWh/m² par an on voit qu’il faut quelques années de production pour compenser l’énergie dépensée pour sa fabrication.

D’où l’intérêt en France et en Europe pour des solutions moins énergivores telles que les couches minces de CIGS développées par l’IPVF (l’Institut Photovoltaïque d'Île-de-France) à Saclay.

Les recommandations de l’Académie de technologie sont de dire que même si l’Europe est actuellement pieds et mains liés à un seul fournisseur, la Chine, comme le fut l’Allemagne au gaz russe, la situation est grave mais non catastrophique. Si au niveau européen on s’entend pour produire, du sable au wafer, des cellules de silicium européennes fabriquées avec une énergie plus propre, nous avons une carte à jouer en industrialisant au plus vite les technologies TOPcon (v) et Tandem à base de pérovskites pour avoir un avantage concurrentiel sur le rendement des cellules. Indépendamment, encourager l’industrialisation des panneaux couches minces qui peuvent s’avérer décisifs dans l’évolution du photovoltaïque et redonner une compétitivité européenne dans le PV bas carbone.

Enfin il faut, à l’instar du « Inflation Reduction Act » (IAR) des États-Unis, que l’Europe se donne les moyens d’un investissement colossal et des arrangements fiscaux pour une industrie capable de rivaliser avec les géants américains mais surtout chinois.

Jean-Claude Bernier
Juin 2023


(i) Le comportement électrique des semi-conducteurs peut être expliqué par le modèle de la théorie des bandes d’énergie. Dans ce modèle, les électrons dans l’état fondamental (état stable, non conducteur), sont répartis dans une bande d’énergie appelée bande de valence. Si un apport extérieur d’énergie est apporté au matériau, certains électrons peuvent absorber cette énergie et sauter dans une bande dite de conduction. Le matériau conduit alors le courant. L’écart d’énergie entre ces deux bandes est appelé bande interdite ou « gap ». Il faut donc que l’apport d’énergie extérieure soit supérieur à ce gap.

(ii) Pour en savoir plus sur les jonctions P/N : L’essentiel sur les cellules photovoltaïques sur le site du CEA

(iii) CIGS pour les éléments chimiques cuivre, indium gallium, et sélénium.

(iv) On appelle Wafer une « tranche » ou une plaque très fine de matériau semi-conducteur monocristallin.

(v) « Nous avons choisi la technologie TOPCon pour notre future gigafactory française de production de cellules solaires », L'Usine nouvelle, 23 mai 2022

 

Pour en savoir plus
(1) La solution photovoltaïque, D. Lincot, vidéo CNRS
Énergie solaire photovoltaïque et transition énergétique,  D. Lincot, leçon inaugurale au Collège de France - D. Lincot
Académie des technologies : pour le développement de productions industrielles de panneaux photovoltaïques en France et en Europe sur le site de l'IPVF
(2) La conversion photovoltaïque de l’énergie solaire, D Lincot, Revue du Palais de la découverte n° 344-345 (janvier-février 2007)
(3) Les nouvelles filières photovoltaïques, D. Lincot, vidéo CNRS
(4) Les filières photovoltaïques en couches minces et leurs perspectives d’application à l’habitat, D. Lincot, in La chimie et l’habitat (EDP Sciences, 2011)
(5) L’électronique, c’est de la chimie, P. Bray, O. Garreau et J.C. Bernier, fiche Chimie et en fiches… cycle 4, Mediachimie.org
(6) De la chimie au radar du rafale, Bertrand Demotes-Mainard, Colloque chimie et technologie de l’information (2013)
(7) La R&D au service de la décarbonation de l’industrie, J. Ph. Laurent, Colloque Chimie et énergie nouvelles (2021)
 

Crédit illustration : andreas160578/ Pixabay

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Contre la sécheresse faut-il ensemencer les nuages ?

Dès avril les média alertent les Français sur le faible niveau des nappes phréatiques et anticipent sur une crise de l’eau qui peut se produire en 2023 si la sécheresse due au manque de pluie s’installe à nouveau comme en
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Dès avril les média alertent les Français sur le faible niveau des nappes phréatiques et anticipent sur une crise de l’eau qui peut se produire en 2023 si la sécheresse due au manque de pluie s’installe à nouveau comme en 2022. L’an passé, 93 départements avaient pris des mesures de restriction d’usage de l’eau. En ce printemps, quelques communes font face à l’asséchement de leur réseau de distribution d’eau potable, d’autres mettent fin aux projets de nouveaux lotissements qui risqueraient de n’être pas alimentés. Les incidents violents dans les Deux-Sèvres entre les opposants aux réserves d’eau « les bassines » pour l’irrigation agricole et les forces de l’ordre montrent que les variations de la météo (1) peuvent enflammer nos concitoyens.

Comment faire pleuvoir ?

Et si nous nous intéressions aux nuages, sources d’eau, et pluies qui nous ont cruellement manquées en 2022. Les nuages sont composés d’une multitude de gouttelettes d’eau en surfusion qui ne demandent qu’à se transformer en glace, qui, en perdant de l’altitude, engendrent la pluie. Parlons un peu de ce phénomène physique qu’est la surfusion. En haute altitude, à des températures en dessous de zéro pour un liquide pur comme l’eau, sans impuretés, l’énergie libérée par la chaleur latente de solidification (2) ne compense pas l’énergie nécessaire pour créer l’interface solide–liquide. Cet état méta stable est perturbé par des germes comme des poussières, des aérosols, ou un abaissement brutal de la température, causes qui permettent à des micro-cristaux de glace (3) de se former et de croître en capturant l’eau des gouttelettes voisines ou en agglutinant d’autres cristaux.

Pour favoriser ces phénomènes, il y a deux types d’ensemencements ; le premier pour éviter la grêle on disperse de grandes quantités de particules d’iodure d’argent (AgI) qui est insoluble dans l’eau mais qui a une structure cristalline proche de celle de la glace. Ces milliards de petites particules vont multiplier les noyaux de croissance de cristaux de glace, empêcher qu’ils grossissent et favoriser leur fonte. Le second est d’ensemencer avec des sels solubles dans l’eau comme le chlorure de sodium, ils vont alors dissoudre la glace formée (4) et transformer les cristaux ou grêlons en gouttes de pluie. Il y a une troisième variante celle où est déversée de la glace sèche (de la neige carbonique) ou même de l’azote liquide, l’abaissement brutal de la température va former une myriade de cristaux de petite taille qui vont fondre rapidement en pluie dans les couches atmosphériques plus chaudes.

Une technique généralisée

Historiquement l’ensemencement des nuages pour provoquer la pluie a été utilisé en 1946 dans la région de New-York où sévissait une sécheresse durable. Elle s’est ensuite généralisée dans plusieurs pays du monde. En France c’est l’Anelfa (Association Nationale d’Études et de Lutte contre les Fléaux Atmosphériques) qui dès 1951 a mis en étude cette pratique en liaison avec des universités, notamment dans les régions vinicoles sujettes aux orages de grêles. Elle a mis au point un générateur de noyaux de congélation. À partir du sol les nuages vont pomper par courant ascendant l’humidité et les milliards de particules d’iodures d’argent dispersés à partir de quelques grammes d’AgI. Pour être efficace il faut intervenir le plus vite possible sur le nuage orageux, car lorsque la grêle s’est déclenchée on ne peut la stopper. D’autres moyens sont utilisés avec des mortiers qui lancent des fusées dispersant l’iodure dans le nuage ou des ballons qui supportent la charge d’iodure et commandés à distance lorsque le ballon est au-dessus du nuage. De nombreux pays ont recourt à ces techniques ; plus d’une dizaine de pays africains devant faire face aux pénuries d’eau les utilisent pour faire pleuvoir. Aux Émirats arabes unis de grosses quantités d’iodure semées par avion ont même réussi à faire tomber de la neige. La Chine a un ambitieux programme d’ici 2025 sur la moitié de son territoire soit plus de 5 millions de km2 de « géo-ingénierie » qui n’est pas sans inquiéter ses voisins. Car il n’y a pas de murs aux frontières entre les pays. On a ainsi vu l’Iran protester contre les programmes d’ensemencement d’Israël et des Émirats, les accusant de voler les nuages et donc la pluie à leurs profits. En réalité s’il est possible de faire pleuvoir un nuage plus vite que prévu, sous un ciel clair bien bleu il est impossible de créer un nuage qui va précipiter.

Une efficacité discutée

La communauté scientifique reste très mesurée sur l’efficacité des ensemencements. L’Anelfa, qui a un très bon réseau en France soutenue par les régions, a mis en place des « grêlomètres » et affirme qu’il y a une réelle diminution de 50% de l’intensité de la grêle lorsque les générateurs sont mis en action suffisamment tôt. Les experts de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) restent prudents sur la modification du temps (5) et soulignent que même s’il reste difficile de faire pleuvoir là où on veut, la recherche et les techniques se sont intensifiées et ont bien progressé avec le changement climatique. Reste un dernier point polémique la toxicité possible de l’iodure d’argent dans l’environnement qui sous les rayons UV du soleil se transforme en argent et en dérivés de l’iode. D’après l’Anelfa les quantités libérées sont 1000 fois inférieures au seuil de toxicité.

Un nouveau plan sur l’eau en France

Le président E. Macron a présenté le 30 mars un certain nombre de mesures pour planifier la gestion de l’eau en France ; bien sûr l’ensemencement des nuages n’en fait pas partie, mais quantité d’objectifs concernant l’anti-gaspi et la sobriété sont sous-tendus de budgets chiffrés. Quoique l’opinion publique puisse penser, la France n’est pas trop mal dotée (6) avec une moyenne de précipitations de 935 mm/an (avec bien sûr de grandes disparités régionales) c’est environ 500 milliards de m3 d’eau qui nous tombent dessus. Les prélèvements sont de l’ordre de 32 milliards dont une grande partie est restituée, la consommation en eau potable représente une faible partie de l’eau consommée, sa production est de l’ordre de 5 mrds m3. Or on sait que le réseau de distribution de 850 000 km qui commence à dater devrait être mieux entretenu car plus de 20% du débit est perdu et gaspillé par des fuites permanentes ou occasionnelles soit presque 1 mrd m3, on est évidemment loin des quelques millions de m3 obtenus par ensemencement et l’urgence est bien de mettre tout en œuvre pour réparer et moderniser le réseau d’ici 2030.

Jean-Claude Bernier
avril 2023


Pour en savoir plus
(1) Fluctuations climatiques extrêmes et sociétés au cours du dernier millénaire, E. Garnier, colloque Chimie et changement climatique (novembre 2015)
(2) Changement d’état, vidéo Palais de la Découverte
(3) Comment est la neige cet hiver ?, Question du mois, site Mediachimie.org
(4) Pourquoi met-on du sel sur les routes lorsqu’il gèle ?, Question du mois, site Mediachimie.org
(5) Faut-il fertiliser l’océan pour contrôler le climat ?, S. Blain, Colloque La chimie et la mer (2009)
(6) L’eau, une ressource indispensable pour la ville, A. Charles, A. Harari, et J. C. Bernier, fiche Chimie et… en fiches, Mediachimie.org

 

Crédit illustration : Łukasz Cwojdziński / Pixabay

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Un Salon de l’Agriculture sous tension

En cette fin de février et début de mars se tient à Paris le Salon de l’Agriculture qui après près de trois ans de pandémie renoue avec une tradition bien établie et avec probablement autant sinon plus de visiteurs
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En cette fin de février et début de mars se tient à Paris le Salon de l’Agriculture qui après près de trois ans de pandémie renoue avec une tradition bien établie et avec probablement autant sinon plus de visiteurs qu’en 2019. Cette fête du monde agricole ne doit cependant pas cacher les fortes préoccupations des agriculteurs sur la pérennisation de leur métier et de leurs exploitations (1).

Comme nombre de PME ils sont frappés par le coût de l’énergie, gaz, électricité et fuel ; s’y ajoute l’augmentation du prix des engrais et intrants, les diverses réglementations concernant les phytosanitaires et enfin la sécheresse qui semble s’installer durablement, indice du changement climatique.

1. L’énergie

Comme nombre d’entreprises qui ne bénéficient pas du bouclier tarifaire les agriculteurs doivent faire face à une augmentation plus ou moins forte des tarifs de l’électricité, du gaz et du fuel pour les engins agricoles. Ils peuvent cependant bénéficier de subventions du ministère et de l’ADEME dans le cadre de l’accélération des énergies renouvelables. Pour les installations de biométhane (2), on sait qu’il est possible par fermentation bactérienne anaérobie de traiter les déchets végétaux et déjections animales par hydrolyse acidogénèse puis acétogénèse donnant un acide acétique qui se transforme en gaz CH4 + CO2 en laissant un digestat riche en azote et ammoniaque. Il y a maintenant en France 1600 unités dont 966 produisant de l’électricité et 442 qui après purification injectent le méthane dans le réseau. GDF rachète le biométhane entre 95 € et 45 € le m3 et EDF 140 à 190 € le MWh ce qui peut faire un complément de revenu agricole.

Se met en place aussi l’agrivoltaïque, qui consiste à mettre au-dessus d’une culture habituelle des nouveaux panneaux solaires semi transparents qui fournissent de l’électricité en fonction de l’ensoleillement qui profite aussi aux cultures sous-jacentes. Les nouveaux panneaux (3) avec des rendements de l’ordre de 20% vont bientôt être concurrencés par les panneaux PV tandems qui mêlent silicium et pérovskites avec un rendement amélioré. L’IPV de Saclay que nous connaissons bien s’apprête à lancer une fabrication industrielle de tels panneaux en Alsace avec VOLTEC Solar.

2. Les intrants

Après la crise du gaz en Europe dont les prix avaient atteint des sommets en mars 2022, la pénurie d’ammoniac (4) avait aussi atteint les engrais azotés qui avaient dépassés les 1000 €/t en avril 2022 semant la panique notamment dans les exploitations familiales. Depuis, le cours du gaz est retombé à un niveau de l’ordre de 50 € le MWh, l’ammonitrate est aussi retombé à environ 500 €/t et l’urée à 400 €/t, niveaux qui cependant sont le double de ceux de 2020. Cela entraine une « sobriété » dans l’épandage de ces engrais qui, sans aller vers une agriculture « bio » qui représente en France environ 7 à 10 % des exploitations, va tout de même modifier le rendement des sols et probablement une baisse de revenus.

3. Les insecticides et l’Europe

Sans revenir sur « le glyphosate » interdit en Europe mais toujours pas sur d’autres continents, en janvier une directive de Bruxelles met fin aux dérogations nationales sur les néonicotinoïdes (5) enrobés autour de la graine de betterave. La France avait interdit dès 2018 plusieurs insecticides qui agissent sur le système nerveux des insectes dont l’imidaclopride et l’acétamipride. Huit États européens avaient profité de cette dérogation pour autoriser leurs agriculteurs à utiliser les semences déjà enrobées pour la campagne betteravière 2023. En France le ministre de l’Agriculture a l’interprétation la plus stricte, celle où le directive de Bruxelles s’applique immédiatement. Les betteraviers français protestent devant cette concurrence qui s’installe entre productions européennes en rappelant qu’en 2020 leur récolte avait été amputée de 30% suite aux attaques de pucerons ravageurs. Ils sont d’autant plus remontés qu’en Allemagne l’acétamipride est autorisé en pulvérisations.

   

Même si on voit dans la structure des deux molécules une assez forte différence dans la chaine azotée (6) il est probable que leur mode d’action sur les insectes ravageurs est de même type. Une fois de plus on constate que le principe de précaution vis-à-vis de l’environnement et de la biodiversité se heurte à des considérations de concurrence entre États.

4. L’eau recyclée

L’impact du changement climatique se fait ressentir, l’augmentation des températures et la baisse des précipitations se traduisent par une baisse des rendements et de la qualité des produits agricoles (7). Dès lors, la réutilisation des eaux usées (REUT) est une alternative qui devrait permettre la pérennisation de l’agriculture et la préservation des ressources en eau. Déjà pratiquée en Italie et en Espagne (8 et 14% respectivement), peu développée en France où sur le gisement de 8,4 Mrds de m3 seuls 8 à 10 millions de m3 sont utilisés chaque année, alors que le gisement exploitable est 1,6 Mrds.

Et pourtant ces eaux usées présentent de multiples avantages pour l’agriculture – elles pallient un problème temporaire d’accès à l’eau d’irrigation – leur volume n’est pas soumis aux arrêtés préfectoraux de restriction d’usage de l’eau - si aucun traitement de dénitrification et de déphosphorisation n’est réalisé par la station d’épuration leurs teneurs en éléments fertilisants organiques n’est pas négligeable (8).

Bien sûr elles doivent obéir à une réglementation stricte et à des prescriptions sanitaires pour ne pas mettre en danger la santé publique. Suivant leurs qualités elles sont classées en quatre classes en fonction de l’usage :

  • pour les cultures maraîchères, fruitières et légumières non transformées par un traitement thermique - qualité A
  • pour les cultures maraichères, fruitières et légumières transformées par un traitement thermique – qualité A ou B
  • pour les cultures céréalières et fourragères – qualité A ou B ou C*

 

Selon l’arrêté du 18 juillet 2015 relatif aux systèmes d’assainissement collectifs et non collectifs (legifrance.gouv.fr),
figure provenant du site Bonnes pratiques pour l’eau du Grand Sud-Ouest

Il ne faut pas se cacher que la procédure pour en arriver à l’irrigation est complexe, il faut avoir accès aux eaux usées par une collectivité ou une société locale d’eau et d’assainissement. Il faut ensuite confier le stockage et la distribution à une société prestataire agrée et financer ces opérations par le groupe d’agriculteurs concernés. Si dans les régions littorales le REUT est plus adapté car il vise à la réutilisation de l’eau douce avant son rejet à la mer dans les régions continentales il pose plus de problèmes. D’autant que les prescriptions européennes en matière de classement semblent se durcir en 2023. 

Jean-Claude Bernier
février 2023

Pour en savoir plus
(1) Série chimie et agriculture durable pour tous (vidéos), Mediachimie.org
(2) Les déchets valent de l’or ! (fiche Chimie et... en fiches, Mediachimie.org)
(3) Les nouvelles filières photovoltaïques (vidéo, CNRS)
(4) Comment fabriquer des engrais avec de l’air : la synthèse de l’ammoniac (série Une réaction en un clin d'oeil, Mediachimie.org)
(5) Chimie de synthèse et agriculture durable peuvent-elles faire bon ménage ? (fiche Chimie et... en fiches lycée, Mediachimie.org)
(6) Les chimistes dans : L’industrie des phytosanitaires (série Les Chimistes dans, Mediachimie.org)
(7) H2O, la molécule vedette de l’été (éditorial, Mediachimie.org)
(8) Fiche orientation : secteur du traitement de l’eau (Mediachimie.org)
 

 

Crédit illustration : Les Haines, licence CC BY 2.0, PxHere

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La chimie vous aide à économiser l’énergie

En cet hiver 2023 les prix de l’énergie jouent avec nos nerfs, plus de 15% pour l’électricité pour les particuliers, 400% pour certaines industries ou PME. Le prix du gaz durablement élevé autour de 140 €/MWh, sans
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En cet hiver 2023 les prix de l’énergie jouent avec nos nerfs, plus de 15% pour l’électricité pour les particuliers, 400% pour certaines industries ou PME. Le prix du gaz durablement élevé autour de 140 €/MWh, sans oublier l’essence et le gasoil qui ne bénéficient plus des remises de 2022.

Les entreprises et industries adoptent des solutions radicales afin de diminuer leurs consommations, baisse de production, fermeture partielle, baisse de la température et de l’éclairage dans les halls ou les bureaux, etc. Mais que peuvent faire les particuliers chez eux dans la vie de tous les jours ?

L’isolation pour une meilleure efficacité thermique des bâtiments

Comment empêcher les calories de courir d’une source chaude vers une source froide ?

Il faut interposer une barrière avec des matériaux qui ont une faible conduction thermique (1).

Les maisons sont des passoires thermiques, les calories sont perdues par le toit (30%), les murs (15%), les fenêtres (15%) et la ventilation (20%).

Plutôt que construire avec de bêtes parpaing en béton, on peut :

  • utiliser des briques céramiques avec des alvéoles et des ponts thermiques labyrinthes ;
  • isoler les combles et doubler les murs avec des isolants de fibres de verre ou de laines de roches obtenus par filages à 1500°C ;
  • utiliser des plaques de plâtres doublées de polystyrène expansé ou de mousses phénoliques pour les murs intérieurs, des polyuréthanes expansés pour l’isolation des sols et plafonds ou de nouveaux isolants tels que les aérogels de silice obtenus par élimination de l’eau des polymères Si-O-Si-O-SiOH-
  • utiliser de nouveaux venus avec des nanoparticules comportant des pores inférieures au libre parcours moyen des molécules de l’air O2 et N2.

Pour les fenêtres : pourquoi chauffer le jardin ? (2)

Utiliser les vitrages super isolants qui entre deux lames de verres emprisonnent de l’argon deux fois moins conducteur que l’air et où sur l’une des faces intérieures du verre sont déposés de micro-cristaux métalliques qui réfléchissent le rayonnement infrarouge vers l’intérieur de la maison.

La moyenne des constructions et maisons a une dépense énergétique annuelle de l’ordre de 250 kWh/m2 (classement efficacité énergétique D). Les nouvelles constructions avec le règlement thermique 2020 doivent obtenir le label A (moins de 50 kWh/m2 ou 0 pour la maison passive) (3). Dans la nouvelle réglementation du ministère de l’Écologie les logements avec la classification F et G (300 à 450 kWh/m2) ne pourront plus être loués après 2025, ce qui rien qu’en région Île-de-France représente plusieurs centaines de milliers de logements.

La rénovation du parc existant est essentielle car la consommation énergétique du tertiaire et résidentiel représente plus de 48% de l’énergie totale en France. Pour les propriétaires et bailleurs sociaux cela représente parfois un vrai casse-tête. Dans Paris les immeubles haussmanniens ne peuvent être rénovés que par l’intérieur, la mise en place d’isolants thermiques diminue la surface des appartements de 2 à 5% ce qui au prix au m² à Paris représente des fortunes. Dans les immeubles collectifs la décision par assemblée des copropriétaires n’est pas facile et les travaux prennent plusieurs années de retard. Enfin nombre de propriétaires se plaignent de faibles résultats sur leur consommation après travaux, nombre d’entreprises n’étant pas vraiment qualifiées ou formées.

Et la chaleur latente ?

La physicochimie et la thermodynamique vous permettent de faire des économies, vous pouvez utiliser la chaleur de condensation lorsque qu’un gaz devient liquide, ou de solidification quand un liquide devient solide (4).

Prenons l’exemple de l’eau : pour élever la température de 0° à 100°C, il faut dépenser 418 kJ, alors que la chaleur latente de condensation est de 2250 kJ à 100°C soit 5 fois plus. Pour en profiter il faut essayer de récupérer la vapeur d’eau pour la condenser. C’est ce qui arrive dans les chaudières à gaz à condensation, la vapeur d’eau présente dans les fumées se condense pour réchauffer le circuit d’eau chaude et booste le rendement de la chaudière à 95%.

Plus simple encore, il vaut mieux couvrir avec un couvercle la casserole où vous cuisinez, les vapeurs se condensent sur le couvercle et vous récupérez les calories de la chaleur latente ce qui permet d’économiser de 15 à 20% d’énergie.

C’est aussi le principe du chauffage par pompe à chaleur comme son nom l’indique on va chercher les calories à l’extérieur dans l’air ou le sol avec un gaz généralement fluoré (les HCFC ou hydrochlorofluorocarbone qui ont remplacé les CFC) (5) et on le condense sous pression dans un échangeur qui chauffe la maison grâce à sa chaleur de condensation.

Si vous êtes riches !, vous pouvez aussi doubler vos murs par des cloisons d’un type placoplâtre particulier qui comportent des alvéoles avec des cires ou paraffines dont le point de fusion est compris entre 20°c et 26°C. Lorsque le mur est ensoleillé le jour, les paraffines fondent et la nuit lors du refroidissement les paraffines se solidifient en redonnant à la paroi la chaleur latente de solidification.

Dans la vie de tous les jours

Pour bouger, pour travailler, pour respirer, nous avons besoin d’énergie, dans notre corps la réserve est fournie par l’ATP, l’adénosine triphosphate, qui est le relais moléculaire pour toutes nos cellules. Par la nourriture nous consommons environ 2000 kcal/24 h contenues surtout dans les glucides et lipides (6). Leur conversion en ATP a un rendement d’environ 50%, l’autre moitié sert à dégager de la chaleur pour maintenir notre corps à 37°C. Pour absorber cette nourriture il faut la rendre agréable et souvent la cuire ou la réchauffer. Pour économiser l’énergie, utiliser à cet effet l’électromagnétisme avec les plaques à induction (7) : le courant haute fréquence généré à 25 kHz par des bobines à induction en cuivre placées sous la plaque vitrocéramique, entraîne des courants de Foucault dans le métal de votre récipient qui se renversent 25 000 fois par seconde et chauffent par effet Joule. Le gros avantage de l’induction est que l’on chauffe seulement le récipient et pas les bruleurs ou la plaque chauffante, l’économie d’énergie se chiffre à 30%.

De même avec le four à micro-ondes, on fait vibrer les molécules d’eau à environ 2450 MHz. Les dipôles constitués par les molécules d’eau (H2O) entrent en résonnance et le liquide chauffe très vite. Ici encore on ne chauffe que le contenu et pas le contenant d’où une économie d’énergie de 20 à 40% par rapport à un four classique.

Mais pour maintenir le bien être en hiver, en plus de l’isolation de nos maisons, des chauffages plus ou moins sophistiqués pour maintenir 19°C, nous avons aussi toute une panoplie de vêtements avec de nouvelles fibres agréables en hiver : les microfibres en polyéthylène recyclé, des pulls polaires à base de bouteilles en polyester (PET) recyclés, les fibres acryliques creuses légères donnant une bonne isolation thermique « Froid moi ? Jamais, j’ai mon…. !!!». Sans aller aux textiles imper-respirants et même thermo-régulants, les nouvelles fibres nous offrent un large panel qui nous permet de lutter contre une éventuelle panne d’énergie.

Jean-Claude Bernier
janvier 2023

 

Pour en savoir plus
(1) Quelles solutions pour améliorer la performance énergétique de l’habitat ?, S. Steydli, Chimie et... en fiches (lycée), Mediachimie.org
(2) La discrète révolution dans la performance énergétique des bâtiments, F. Michel, colloque Chimie et grandes villes, 9 novembre 2016 (Maison de la Chimie)
(3) Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories, J.-C. Bernier, colloque La chimie et l’habitat (2011)
(4) Changements d’état, vidéo Palais de la découverte / SFRS / Université Pierre et Marie Curie 1997
(5) Chimie, atmosphère, santé et climat, une histoire partagée, E. Durocher, N. Baffier et J.-C. Bernier, Chimie et... en fiches (collège), Mediachimie.org
(6) La chimie dans la vie quotidienne : les apports de l’alimentation C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, in La chimie dans la vie quotdienne, collection Chimie et... Junior, EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie (2018)
(7) Les objets du quotidien : dans la maison et la cuisine C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, in La chimie dans la vie quotdienne, collection Chimie et... Junior, EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie (2018)
 

Crédit illustration : sumit kumar/Pixabay

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Les jeunes et la science

La parution à la même période de l’interview d’Alain Aspect prix Nobel de physique 2022 (1) et de l’enquête sur la désinformation scientifique des jeunes à l’heure des réseaux sociaux (2) m’interpelle sur notre rôle, nous
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La parution à la même période de l’interview d’Alain Aspect prix Nobel de physique 2022 (1) et de l’enquête sur la désinformation scientifique des jeunes à l’heure des réseaux sociaux (2) m’interpelle sur notre rôle, nous chercheurs et enseignants en science.

Le premier message d’Alain Aspect est destiné aux jeunes, montrant que l’on ne va pas régler les problèmes de la planète et de la société contre la science. Au contraire, l’amélioration des modèles complexes insuffisants pour le climat et la résolution des pandémies est le résultat d’encore plus de recherches en informatique et en biochimie. Il rappelle aussi combien à l’école et au lycée il a été marqué par les expériences simples des leçons de choses et par ses enseignants qui lui ont transmis les méthodes de base qui lui ont bien servi jusqu’à maintenant.

Alain Aspect insiste aussi sur la nécessité de donner des moyens financiers et humains à la recherche exploratoire sans laquelle par exemple son sujet l’intrication quantique n’aurait pu déboucher sur ce qu’on appelle « la seconde révolution quantique ». Pour lui un meilleur financement des start-ups et surtout une diminution des délais administratifs des financements parait aussi essentiel. Car le plan quantique peut déboucher sur d’importantes applications comme les ordinateurs quantiques et la cryptographie quantique susceptibles de développements remarquables. En conclusion il revient sur un message aux jeunes en leur rappelant que la sobriété en énergie du calcul quantique devrait leur parler.

Ce message et ces rappels de l’importance de la science sous tous ses aspects, santé, énergie, climat, pollution, environnement, est d’autant bienvenu qu’il télescope de front l’enquête IFOP sur la désinformation des jeunes (11 à 24 ans) sur la science. Qu’y apprend-on en effet ?

  • Que seuls 33 % perçoivent positivement les bienfaits de la science (55% en 1972) et que 17% en pensent plus de mal que de bien (6% en 72).
  • Qu’ils adhèrent de plus en plus aux vérités alternatives.
  • 27% nient la longue évolution des êtres humains.
  • 32% assurent que les vaccins anti-covid à ARN génèrent des protéines toxiques et des dommages irréversibles.
  • 20% pensent que les Américains ne sont jamais allés sur la lune et 31 % que l’élection américaine a été faussée au détriment de D. Trump.
  • Au total plus des 2/3 croient au moins à l’une de ces contre-vérités scientifiques y compris que la terre est plate (16%).

L’analyse sociologique montre que les populations les plus « désinformées » font partie des plus démunies, que leur religion a une influence mais surtout qu’ils sont très « addicts » aux réseaux sociaux YouTube et surtout TikTok et son moteur de recherche chinois, qu’ils consultent plusieurs fois par jour. On s’aperçoit que cette génération (11-24 ans) s’informe essentiellement sur internet (64%) en délaissant les journaux télévisés (23%) et qu’ils accordent la crédibilité de préférence aux influenceurs qui ont le maximum de « followers ».

Alors comment remonter la pente ? Alain Aspect nous en trace quelques chemins :

  • illustrer des phénomènes physiques et chimiques de base par les professeurs des écoles ;
  • donner les bases de l’esprit critique au sein de l’enseignement au lycée.

La Fondation de la Maison de la Chimie contribue à ces deux chemins. Elle soutient la Fondation de la Main à la Pâte qui met à disposition des enseignants des écoles et du collège, des ressources et des aides variées pour mener à bien des activités de sciences et de technologie, dont la chimie (3).

La Fondation de la Maison de la Chimie a également créé le site Mediachimie.org sur lequel sont disponibles de nombreuses données en chimie, vérifiées et scientifiquement sûres (4). En effet, cela fait maintenant plus de 10 ans qu’une bonne vingtaine d’enseignants et chercheurs bénévoles œuvrent pour mettre à disposition des jeunes, de leurs enseignants et du grand public, des documents, des fiches, des vidéos, des colloques sur la chimie et la science et aussi donner l’occasion de rencontrer ou de voir les témoignages d’hommes et de femmes de science ou de l’industrie leur parler d’expériences, de vécus et de métiers d’avenir. Il faudrait encore plus de sites dévolus à la science, si possible agréables et vivants.

Continuons à apporter notre pierre pour aider nos collègues enseignants du primaire et secondaire au service de l’information scientifique vraie. Ensemble nos efforts conduiront peut-être à de nouveaux prix Nobel pour cette tranche d’âge.

Jean-Claude Bernier et Françoise Brenon

 

Pour en savoir plus :
(1) On ne réglera pas les problèmes de la planète contre la science mais avec elle, interview d’Alain Aspect, Les Echos (13 janvier 2023)
(2) La mésinformation scientifique des jeunes à l’heure des réseaux sociaux Enquête IFOP pour la Fondation Jean Jaurès et la Fondation Reboot (12 janvier 2023)
(3) Partenariat LAMAP-Fondation de la Maison de la chimieSéquences La main à la pâte – Mediachimie, site Mediachimie.org
(4) Site Mediachimie.org, Espace enseignants Mediachimie.org

 

Crédits : image d'illustration, Fox@Pexels , licence

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Plus de gaz… Plus d’engrais ?

La crise européenne sur le gaz naturel (le méthane) et sur l’énergie a ses plus vives répercussions sur l’industrie et notamment sur l’industrie chimique qui est énergivore. En effet, outre les besoins en électricité et
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La crise européenne sur le gaz naturel (le méthane) et sur l’énergie a ses plus vives répercussions sur l’industrie et notamment sur l’industrie chimique qui est énergivore. En effet, outre les besoins en électricité et en chaleur pour les réactions chimiques industrielles, le gaz n’est pas seulement un carburant énergétique mais aussi une matière première pour des produits essentiels.

Prenons comme exemple la chaine des engrais azotés passant par le dihydrogène, l’ammoniac, l’acide nitrique et enfin les nitrates. En effet depuis la découverte du procédé industriel de synthèse de l’ammoniac dit Haber-Bosch en 1913, les engrais azotés ont permis à l’agriculture de multiplier les rendements agricoles notamment sur le blé et le maïs et aussi d’autres cultures vivrières, par un facteur 5 qui n’a pas été l’un des moindres à contribuer à l’augmentation de la population mondiale après 1920.

La synthèse de l’ammoniac, dont la réaction N2 + 3 H2 = 2 NH3, parait simple, exige hautes pression et température (300 bars ; 500°C), donc consomme de l’énergie électrique pour les compresseurs et de la chaleur pour le réacteur.

Mais il faut aussi préalablement produire le dihydrogène et le diazote ce qui s’accompagne de consommation de méthane et de formation de CO2. En effet le dihydrogène H2 est majoritairement issu de la réaction du méthane sur l’eau à haute température et le diazote N2 est obtenu en éliminant le dioxygène de l’air par combustion du méthane (réaction dont la chaleur est récupérée pour la réaction précédente). Le détail de ces réactions est consultable sur le site Mediachimie (1).

On peut aussi obtenir du dihydrogène par combustion partielle de charbon qui conduit à 1200°C au « syngas » (2) dont on peut séparer l’hydrogène. Ce procédé est notamment utilisé en Chine.

Dans le monde on fabrique près de 100 millions de tonnes de dihydrogène s’accompagnant hélas de l’émission de près de 1 milliard de tonnes de CO2 (3).

La fabrication des engrais azotés nécessite préalablement de transformer une partie de l’ammoniac en acide nitrique puis de faire réagir l’ammoniac avec une solution d’acide nitrique. On obtient du nitrate d’ammonium NH4NO3 pouvant être utilisé en solution ou en granulés (4). Un autre engrais utilisé largement est l’urée CO(NH2)2. On le fabrique industriellement par réaction de l’ammoniac sur CO2 à 180°C et sous pression de 150 bars en 2 étapes :

CO2 + 2 NH3 = NH2COONH4

suivie de NH2COONH4 = CO(NH2)2 + H2O   (5)

La consommation d’engrais dans le monde s’élève à près de 180 millions de tonnes dont environ 120 Mt azotés qui exigent, rien qu’en matière première, 72 Mt de gaz naturel. On estime que rien que la production de 170 Mt d’ammoniac est responsable de 2% des émissions de CO2 mondiales.

Des procédés plus propres ?

C’est alors qu’intervient la recherche de procédés alternatifs « plus propres ». On trouve alors plusieurs couleurs pour NH3 comme pour le dihydrogène (6) :

  • l’ammoniac « gris » par le procédé traditionnel Haber-Bosch issu du méthane ou d’hydrocarbures,
  • l’ammoniac « bleu » avec encore Haber-Bosch mais avec la capture du CO2,
  • l’ammoniac « vert » toujours Haber-Bosch mais avec de l’hydrogène obtenu par électrolyse de l’eau.

Pour l’instant seule une installation en Arabie Saoudite et un projet au Canada sont ou seront capables de fournir et commercialiser de l’ammoniac bleu qui, à cause du transport vers l’Europe, devient un peu gris-bleu !

Les deux plus importants producteurs d’ammoniac européens YARA et BASF penchent vers une solution de décarbonation en utilisant de l’hydrogène produit par des électrolyseurs proches des réacteurs d’ammoniac. Si l’électricité utilisée vient d’éoliennes alors il sera vert, si c’est de l’électricité issue du nucléaire il tendra vers le jaune. En fait techniquement on peut se passer de sources de méthane mais le problème est économique car l’ammoniac « vert » a un prix de revient lié au prix du MWh et est bien plus élevé que le « gris » sauf si le prix du gaz reste anormalement élevé.

La recherche pour des procédés « durables »

Y a-t-il des méthodes « douces » pour obtenir l’ammoniac ? Le principal problème chimique est de casser la molécule de diazote dont la liaison N≡N est particulièrement forte. Plusieurs recherches sont menées pour y parvenir, une équipe américaine a réussi à hydrogéner l’azote de l’air en solution grâce à un complexe hydrocarboné de zirconium. Des chercheurs de Rice University ont réussi par électro catalyse à produire environ 10 g d’ammoniac par heure à partir d’un catalyseur constitué de microcouches 2D de sulfure de molybdène où les atomes de soufre sont partiellement remplacés par du cobalt. Une autre équipe coréenne a simulé la même réaction d’un enzyme nitrogénase que certaines bactéries utilisent pour fabriquer l’ammoniac à partir de l’azote de l’air avec des feuillets de nitrure de Bore BN. C’est la même stratégie qu’a suivi une équipe de Montpellier en s’attaquant aux nitrates dispersés dans l’environnement pour les transformer par électro catalyse en NH3.

Ces réactions ont en commun de ne pas dégager de gaz à effet de serre (CO2) et aussi d’être à l’échelle du laboratoire capable de générer quelques grammes par heure. Il faudra encore des années avant qu’un procédé industriel robuste puisse concurrencer le procédé classique.

L’industrie européenne

Oui l’industrie de l’ammoniac en Europe est vitale. Le cours du gaz qui inférieur à 50 € le MWh en 2020 a dépassé les 300 € au plus fort de la crise en août 2022 pour revenir à des valeurs proches de 100 € pénalise fortement la production d’ammoniac et celle d’engrais azotés. Le nitrate et l’urée ont vu leurs prix multipliés par 3 entre 2021 et 2022 ce qui contraint les agriculteurs à diminuer drastiquement les intrants et même à les supprimer pour les petites exploitations avec des répercussions sur les rendements (7).

Même la chaine des constructeurs automobile est atteinte. Devant le prix du gaz et de l’énergie les chimistes européens ont partiellement arrêtés les unités d’ammoniac et réduit les fabrications d’au moins 30% d’où un manque d’urée pour la dépollution automobile (AdBlue) et industrielle. D’un point de vue plus général, la chimie européenne suivant la déclaration du président de BASF en Allemagne se pose la question de sa survie ou de ses délocalisations si la situation tendue sur l’énergie et le gaz perdure.

Jean-Claude Bernier et Françoise Brénon

 

Pour en savoir plus :
(1) Comment fabriquer des engrais avec de l’air ? La synthèse de l'ammoniac, Françoise Brénon (Réaction en un clin d’œil, Mediachimie.org)
(2) Comment fabriquer de l’essence avec du charbon ? La réaction de Fischer-Tropsch, Jean-Claude Bernier (Réaction en un clin d’œil , Mediachimie.org)
(3) Vision de l’hydrogène pour une énergie décarbonée, conférence et article de Xavier Vigor Colloque Chimie et énergies nouvelles, 10 février 2021
(4) Le nitrate d’ammonium, un engrais dangereux ?, Jean-Claude Bernier (éditorial, Mediachimie.org)
(5) La première synthèse organique, Marika Blondel-Mégrelis (Mediachimie.org)
(6) Qu’est-ce que l’hydrogène « vert » ?, Françoise Brénon (Question du mois, Mediachimie.org)
(7) Agriculture du futur : s’appuyer sur les savoirs et non sur les croyances, Jean-Yves Le Deaut, Colloque Chimie et Agriculture durable, un partenariat en constante évolution scientifique, 10 novembre 2021

 

Crédits : image d'illustration, licence CC0, PxHere

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Des Nobels de chimie pour la chimie click !

L’américain Barry Sharpless (pour la seconde fois après ses travaux sur la catalyse en particulier de réactions stéréospécifiques d’époxydation, couronnés par le Prix Nobel en 2001 !), le danois Morten Meldal et
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L’américain Barry Sharpless (pour la seconde fois après ses travaux sur la catalyse en particulier de réactions stéréospécifiques d’époxydation, couronnés par le Prix Nobel en 2001 !), le danois Morten Meldal et l’américaine Carolyn Bertozzi ont reçu le Prix Nobel de Chimie le 5 octobre 2022 pour « le développement de la chimie click et de la chimie bio-orthogonale » selon le communiqué de l’Académie Royale de Suède.

Qu’entend-on par chimie click ?

Il s’agit d’un concept simple envisagé par B. Sharpless au début des années 2000 : faire réagir deux molécules pour créer une liaison robuste, comme une ceinture de sécurité fait avec un « clic », pour reprendre la formulation du comité Nobel ; par exemple des réactions de cycloaddition mettant en jeu des molécules dipolaires 1-3 (les charges positives et négatives sont réparties sur trois atomes adjacents).

Parallèlement M. Meldal découvrait par hasard une réaction de cyclisation entre un alcyne (molécule à triple liaison carbone-carbone) avec une molécule dipolaire spécifique l’azoture (molécule à trois atomes d’azote) (i).Il généralisa alors en fonctionnalisant deux molécules l’une avez une extrémité azoture et l’autre avec une extrémité alcyne conduisant à des produits de cycloadditions variés. La réaction nécessite l’emploi d’un catalyseur à base de cuivre. Le rendement est quantitatif si on rigidifie l’alcyne dans une structure cyclique (cyclo-octyne) (ii).

Mais l’élément cuivre n’est pas très compatible avec des réactions dans les milieux biologiques in vivo et c’est là que C. Berzotti proposa en 2003 de fixer sur une molécule polymère de polysaccharide la partie azoture ce qui conduit à la réaction de cyclisation sans nécessité d’employer le catalyseur au cuivre !

Ce sont des réactions quantitatives (100% de rendement), rapides, très sélectives et surtout sans sous-produit ce qui correspond bien aux douze commandements de la chimie verte ! Elles sont souvent réalisées dans l’eau (donc pas de problème de toxicité ici !) et à température ambiante ou jusqu’à 37°C (température des êtres humains bien sûr !).

Qu’entend-on par chimie bio-orthogonale ?

C’est Carolyn Berzotti qui a introduit ce concept en 2003 et il faut comprendre par là qu’il s’agit de l’ensemble des réactions conduisant à la formation ou la rupture de liaisons au sein des milieux biologiques sans interagir (c’est le sens particulier du mot orthogonal ici !) avec les fonctions chimiques présentes dans des milieux complexes : intracellulaire, le sang ou même jusqu’à l’organisme tout entier. C. Bertozzi avec son équipe a généralisé la réaction entre des azotures et des alcynes greffés sur toutes les molécules type sucres d’un organisme vivant tels que les modèles du poisson-zèbre ou la souris en ajoutant sur les molécules des groupes fluorescents permettant de suivre l’évolution réactionnelle.

Cependant peu de réactions synthétiques sont vraiment bio-orthogonales et peuvent être réalisées dans un animal. Les réactions les plus courantes sont justement les cycloadditions entre les azotures et les cyclo-octynes !

La chimie bio-orthogonale peut alors conduire par ces réactions click à i) fonctionnaliser des matériaux tels que les NTC (nanotubes de carbone) ou des polymères pour créer des propriétés adhésives par exemple ii) des nouvelles stratégies thérapeutiques en construisant des médicaments in vivo et en contrôlant leur vitesse de libération dans des organes malades bien ciblés telles que des cellules cancéreuses.

Jean-Pierre Foulon
8 octobre 2022

 

(i) L’azoture a pour formule globale N3- et pour représentation

   (Wikimedia, domain public)

(ii) Cyclo-octyne

    (Wikimedia, domain public)
 

Illustrations et schémas disponibles sur http://nobelprize.org/
© Johan Jarnestad/The Royal Swedish Academy of Sciences

 

 

 

Pour en savoir plus
(1) Deux articles du numéro spécial de chemiobiologie de l’Actualité Chimique n° 468 de décembre 2021 :

(2) Reprogrammation de la réactivité du fer dans le cancer,  R. Rodriguez, article et conférence, colloque Chimie et Nouvelles thérapies du (13 novembre 2019)

 

Illustrations :

Portraits Carolyn R. Bertozzi, Morten Meldal, K. Barry Marshall © Nobel Prize Outreach. Ill. Niklas Elmehed. 

Autres illustrations © Johan Jarnestad/The Royal Swedish Academy of Sciences

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H₂O, la molécule vedette de l’été

La sécheresse qui a sévi en 2022 et les vagues de chaleur estivales ont entrainé cet été des évènements extrêmes et des manifestations « hypohydriques » que nous n’avions pas souvent connus. La plus spectaculaire a été
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La sécheresse qui a sévi en 2022 et les vagues de chaleur estivales ont entrainé cet été des évènements extrêmes et des manifestations « hypohydriques » que nous n’avions pas souvent connus. La plus spectaculaire a été les nombreux départs de feux de forêts ou de broussailles facilités par une végétation asséchée mais aussi la faible croissance des cultures vivrières et le jaunissement des prairies que broutent les animaux, les coupures d’eau potables dans certains villages ruraux et les fissures apparues dans de nombreuses maisons individuelles bâties sur terrain argileux.

Tout ceci montre une fois de plus l’importance d’une molécule ; l’eau H2O indispensable à la vie quotidienne et à la vie tout court.

H2O l’indispensable

Notre corps est composé en moyenne à 65% d’eau (pour un adulte) (1). En cas de canicule il est indispensable de boire car si la teneur baisse de quelques % des troubles apparaissent. On peut être privé de nourriture pendant plusieurs jours mais pas d’eau. Toute activité physique nécessite une énergie chimique stockée dans notre corps sous forme d’une précieuse molécule l’ATP (2) qui se transforme en ADP en libérant de l’énergie PI utilisée par nos muscles. L’équation simplifiée dans un effort d’endurance (3) qui consomme du dioxygène est :

Glucose + O2 + ATP = PI +ADP + CO2 + H2O.

Lors d’un effort sportif on libère donc du CO2 mais aussi de l’eau. C’est pourquoi lors par exemple du tour de France les coureurs doivent boire beaucoup de litres d’eau car ils en perdent beaucoup sous forme de vapeur ou de sueur.

Cette eau essentielle à la vie combien en dispose-t-on ? Sur notre planète Terre, l’eau est essentiellement sous forme d’eau salée (97,5 %) et 70% de l’eau douce est sous forme de glace ou de neige. Pour l’humanité c’est bien sûr la ressource en eau douce qui est importante elle est de l’ordre de 35 millions de km3 dont la moitié est normalement accessible (4).

     

Peut-on craindre une pénurie ? Les experts de la FAO estiment les besoins à 14 000 km3/an soit moins de la moitié des ressources en eaux souterraines qui paraissent suffisantes surtout si on y ajoute une bonne fraction récupérable des 70 000 km3 eaux pluviales annuelles. Encore faut-il différencier la consommation de l’eau et son prélèvement. Pour faire tourner une turbine produisant de l’électricité l’eau prélevée à la rivière y retourne instantanément. En agriculture l’eau nécessaire à l’irrigation est consommée car elle passe dans la plante ou est évaporée.

Une végétation sans H2O

La photosynthèse utilisée par les plantes est une réaction d’oxydo-réduction utilisant l’eau et le dioxyde de carbone CO2 de l’atmosphère qui, sous l’action des photons venant du soleil, fabrique les réserves de la plante sous forme de molécules hydrocarbonées (ici le glucose).

La réaction globale peut s’écrire : 6 CO2 + 6 H2O + photons = C6H12O6 + 6 O2

La chlorophylle est le pigment de couleur verte des feuilles qui permet l’absorption des photons.

Lorsque l’eau vient à manquer les arbres avertis par leurs capteurs sécrètent de l’éthylène à partir d’un de leur acide aminé la méthionine et ne synthétisent plus la chlorophylle responsable de la couleur verte (5). D’où en cette période de sécheresse les couleurs jaunes des prairies et l’amoncellement de feuilles rouges ou marrons dans nos rues en pleine été plutôt qu’en automne.

Le manque d’eau limite également le rendement de la photosynthèse en diminuant les réserves de la biomasse en molécules hydrocarbonées sucres ou amidons d’où la maigreur des épis de blé et de maïs appauvrissant les récoltes de 2022.

H2O au secours des feux de forêts

Les végétaux asséchés sont des cibles choisies pour s’enflammer le plus souvent accidentellement. L’augmentation de la température et la pyrolyse des végétations entrainent l’émission de nombreux composés volatils. Sont présents des composés benzéniques et phénoliques et beaucoup de terpènes pour les pins sans compter l’émission forte d’éthylène en situation de stress hydrique et thermique qui transforme l’arbre en une torche enflammée (6).

Une fois de plus l’eau vient au secours de ces incendies. Lorsqu’on arrose les flammes avec de l’eau, celle-ci se vaporise en puisant des calories au foyer et grâce à sa chaleur latente de vaporisation élevée fait baisser la température de 750°C à 400°C. De plus la vapeur d’eau prive la combustion des composés carbonés de l’oxygène de l’air. Les célèbres Canadair© larguent sur le front de flammes 7 m3 d’eau avec des agents retardateurs tels que les polyphosphates ou argiles, des agents mouillants ou moussants comme l’hexylène glycol (ou 2-méthyl-2,4-pentanediol) qui isolent le végétal de l’air brulant environnant. La couleur rouge des largages est apportée par l’oxyde de fer (Fe2O3) en suspension pour que les avions suivants voient la trace de l’intervention précédente. Notons bien qu’une bonne pluie de 10 mm venue du ciel a bien plus d’efficacité car à elle seule elle représente 100 m3 d’eau par hectare.

Des conséquences du manque de H2O

Plus insidieux sont les effets de la sécheresse sur les réserves souterraines et les bâtiments. Lorsque les terrains souvent argileux sont très secs, ils deviennent durs et peu perméables car leur porosité diminue. En cas de pluie l’eau ruisselle et ne pénètre pas en profondeur pour rejoindre les nappes phréatiques et réserves souterraines qui s’épuisent ce qui entraine des coupures d’eau potable (7). Et comme souvent après les vagues de chaleurs surviennent des orages libérant des volumes de pluie importants en quelques heures qui provoquent par ruissellement des inondations en milieu rural comparables à celles des zones urbaines cimentées et bitumées. Plus grave aussi est la fissuration des habitations dont on dit que potentiellement 10 millions de foyers pourraient être touchés. Ceci est dû aux variations de volume de roches naturelles les argiles ou phyllosilicates lamellaires (8). L’exemple type est la montmorillonite Si4Al2O10(OH)2 où Al peut être partiellement substitué par Mg. La structure en feuillets s’équilibre électriquement alors avec des cations séparant les feuillets. Ces cations plus ou moins hydratés peuvent en fonction de l’hydratation faire varier les inter-distances entre 10 nm et 1000 nm. D’où une aptitude au gonflement et inversement au retrait lors d’une déshydratation qui peut provoquer des déplacements de terrain importants au gré des variations d’humidité. C’est ce qui arrive à nombre de maisons individuelles bâties sur des terres argileuses majoritaires en France.

Ces inconvénients et tracas ne sont rien comparés à ceux que subissent un milliard d’individus qui sur terre manquent d’eau potable et les 2 milliards qui en plus ne disposent pas d’installations de traitement des eaux usées… La chimie a encore beaucoup à faire !

Jean-Claude Bernier
Août 2022

Pour en savoir plus :
(1) Chez un nourrisson, l’eau représente 75 % de son poids total, chez l’adulte, elle descend à 65 % (soit par exemple 45 litres d’eau pour un homme de 70 kg).
(2) Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites, in La chimie et le sport, collection Chimie et… junior (EDP Sciences) 2015
(3) Quelle chimie dans le sport ? Épisode 1 : le métabolisme énergétique aérobie , vidéo Blareaureau au labo - Mediachimie
(4) L’eau, un nouvel « or bleu », de J.-C. Bernier, L’actualité chimique n° 381 (janvier 2014) p. 4-5
(5) Pourquoi et comment les feuilles se colorent en automne et tombent en hiver ? de C. Agouridas et F. Brénon, Question du mois, Mediachimie.org
(6) La chimie des feux de forêts, de J.-C. Bernier, éditorial, Mediachimie.org
(7) L’eau, une ressource indispensable pour la ville, de A. Charles, A. Harari et J.-C. Bernier, série « Chimie et… en fiches », Mediachimie.org
(8) Cristaux, cristallographie et cristallochimie. Des symétries aux propriétés : fiche 4 - les systèmes monoclinique et triclinique, de A.Harari et N. Baffier, année de la cristallographie (2014), Mediachimie.org
 

Crédits :
Figures : DR Mediachimie.org
Illustration : Pxhere / licence CC0 Domaine public Lien

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Connaissez-vous le verre vert ?

À cette question je sens que nombreux vous répondrez : « mais oui bien sûr j’ai plusieurs bouteilles de bière qui sont de couleur verte ». Et vous aurez raison. Car en effet, du point de vue chimique, il se trouve que
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À cette question je sens que nombreux vous répondrez : « mais oui bien sûr j’ai plusieurs bouteilles de bière qui sont de couleur verte ». Et vous aurez raison. Car en effet, du point de vue chimique, il se trouve que dans les sables utilisés pour faire ces bouteilles en verre, il y a des impuretés de fer et notamment l’oxyde FeO qui contient du fer à l’état d’oxydation Fe2+. C’est lui qui donne cette coloration verte car il absorbe les rayonnements rouges. Par contre si on oxyde le fer en Fe3+ on obtient alors une coloration brune due à l’absorption des rayonnements bleus (1). La plupart des verres utilisés pour l’agroalimentaire, notamment les boissons, sont de ces couleurs et ils méritent en plus le « label vert » car ils sont majoritairement recyclés.

Fabrication

Revenons un peu sur la fabrication du verre (2). Il s’agit d’une réaction à haute température entre 3 composants : la silice SiO2 (sable), le carbonate de sodium Na2CO3 et le carbonate de calcium ou calcaire CaCO3. On forme alors à 1600°C un verre composé de SiO2, Na2O et CaO) à l’état liquide. Il y a simultanément un avec dégagement de CO2 issu de la décomposition des carbonates. Cette fabrication initiale dans des fours verriers exige une forte énergie fournie majoritairement par des carburants fossiles gaz ou fioul et des matières premières minérales . En France, on fabrique environ 5 millions de tonnes de verre par an sur 60 sites verriers qui consomment 3% de l’énergie totale et émettent aussi 3% du CO2 (3) émis par l’industrie.

Comment alors « décarboner » l’industrie verrière et « verdir » notre verre ?

Recyclage

Depuis les années 70, l’habitude de recycler le verre a été prise et de nombreux points de collectes des bouteilles, flacons et bocaux en verre ont été établis, ce qui permet de recycler près de 80% des verres creux. Sur le territoire plus de 3 bouteilles sur quatre sont recyclées, plus de 2 Mt sont collectées et sont à 100% recyclées.

Pour être efficace et renouvelable à l’infini, le recyclage (4) doit commencer par un tri très strict, et tout d’abord pour les particuliers, lorsqu’on dépose les bouteilles dans les containers. Après les collectes s’opère un tri mécanique qui permet d’éliminer les papiers et objets métalliques puis un tri optique automatique permettant d’éliminer les objets céramiques non fusibles et enfin un tri infra rouge qui permet de séparer les verres colorés des verres blancs transparents. Après ce tri sévère, les verres sont broyés et transformés en calcin, poudre qui peut alors être refondue à environ 1500°C puis à nouveau moulé et façonné en de nouvelles bouteilles.

Cette re-fusion est économique, peut se faire à température plus basse et économise de l’énergie ; elle évite aussi l’émission du CO2 issu de la décomposition des carbonates observé lors de la première fabrication. On estime que la fusion d’une tonne de calcin évite entre 400 kg et 700 kg de CO2 et permet l’économie de 1,300 t de matière première dont plus de 800 kg de sable.

Certaines verreries expérimentent l’oxycombustion qui consiste à remplacer l’air d’alimentation des brûleurs qui chauffent le four par de l’oxygène pur ce qui évite de réchauffer l’azote de l’air, et ainsi d’économiser 25% de gaz, et de réduire d’environ 15% les émissions de CO2 et surtout de diviser par 10 celles des oxydes d’azote (NOx.).

Le verre plat

Le recyclage du verre creux est plutôt bon. Il n’en est pas de même pour le verre plat et la laine de verre qui sont des déchets issus du BTP. La modernisation d’une ligne de production de verre feuilleté à Aniche dans le Nord a permis l’expérience d’une production bas carbone.

Dans le cas général, après la fusion, le verre fondu passe sur un bain d’étain fondu selon le procédé float, et se refroidit de 1100°C à 600°C. Après refroidissement les plaques sont découpées puis après stockage passent dans une ligne où elles sont lavées puis chauffées en salle blanche dans une machine hermétique où elles sont collées deux par deux avec une couche interne de polybutyral de vinyle (PBV)(i) qui améliore les performances acoustiques, d’isolation et anti-effraction des vitrages.

Une expérience en mai 2022 a constitué à produire 2000 t de verre plat zéro carbone avec une alimentation exclusive en électricité verte et biogaz et en recourant au calcin seul, évitant ainsi l’émission de 1000 t de CO2 et le recours à 2300 t de matières premières (sable et carbonates).

Cette expérience préfigure une évolution de la production du verre plat où l’introduction de calcin de verres plats doit progressivement augmenter. Le gisement en France de vitrages issus de la déconstruction ou du remplacement des fenêtres est de 200 000 t et seulement 5% sont utilisés. Cela tient aux difficultés de collectes lors des chantiers et de la qualité nécessaire à obtenir un calcin avec moins de 0,5% d’impuretés.

Il en est de même pour la laine de verre (5). Seule une usine à Orange pour l’instant collecte et recycle les panneaux et rouleaux fibreux qui souvent trainent sur les chantiers de déconstruction ou de rénovation avant d’être enfouis. Seules moins de 1000 t sont recyclées après tris et dissolution du polymère d’imprégnation sur un gisement national estimé 120 000 t. Ici encore la constitution d’un réseau regroupant les sociétés du BTP et les nombreuses entreprises artisanales de la construction parait nécessaire.

Ne soyons pas trop pessimistes ; même si les productions de verre ne sont pas encore « décarbonées », les vitrages isolants et intelligents (6) permettent d’économiser de l’énergie puisqu’ils sont 5 à 8 fois plus efficaces qu’une simple vitre et de nous préserver aussi des températures externes. De même les panneaux en laine de verre avec un coefficient de conduction de la chaleur λ très faible permettent de supprimer les passoires énergétiques et donc d’économiser des kWh et d’éviter l’émission de millions de tonnes de CO2.

Voilà des productions verrières « vertes » ?

 

Recyclage du verre 

 

Jean-Claude Bernier
Juillet 2022

 

(i) PBV : le motif répétitif de ce polymère synthétique a pour formule :

avec R = C3H7

 

Pour en savoir plus
(1) La couleur des verres, de Jacques Livage, colloque Chimie et lumière (20 février 2020)
(2) Comment faire des vitrages avec du sable ? La réaction de fusion du verre, de Jean-Claude Bernier, série Une Réaction en un clin d’œil, Mediachimie.org
(3) Le CO2, matière première de la vie, in La chimie, l’énergie et le climat, collection Chimie et… junior (EDP Sciences) 2017
(4) Recyclage et valorisation des déchets, Revue Chimie Paris (2013)
(5) Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !, de Jean-Claude Bernier, in La chimie et l’habitat (EDP Sciences) 2011
(6) Vers des vitrages intelligents et connectés pour des bâtiments durables et confortables, de Stéphane Auvray, colloque Chimie et lumière (20 février 2020)
 

Crédits :
Recyclage du verre : DR Mediachimie.org
Molécule PVB :CC BY-SA 4.0, Lien
Illustration : Nordseher /Pixabay Lien

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Un Chimiste du solide, médaille d’or du CNRS

La médaille d’or du CNRS est l’une des plus prestigieuses distinctions scientifiques françaises. Elle est attribuée cette année au professeur Jean-Marie Tarascon, aujourd’hui professeur au collège de France, mais sa
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La médaille d’or du CNRS est l’une des plus prestigieuses distinctions scientifiques françaises. Elle est attribuée cette année au professeur Jean-Marie Tarascon, aujourd’hui professeur au collège de France, mais sa carrière s’est déroulée dans plusieurs lieux scientifiques et pas exclusivement dans l’hexagone.

Jeune diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Bordeaux il fait sa thèse au laboratoire de Chimie du solide de P. Hagenmuller avec J. Etourneau sur la synthèse et l’étude des borures de terres rares. Après sa thèse il part à l’université de Cornell aux États-Unis pour un stage post doc, mais il est repéré par la Bell Telephone Company qui l’engage dans son laboratoire de recherche où il continue à travailler sur les chalcogénures et siliciures aux propriétés supraconductrices. C’est après 1985 qu’il est rattrapé par la folie des supra YBaCuO et à la Bell, nuit et jour il enchaine les synthèses et substituants dans la pérovskite pour élever la température de transition au-delà de 91K.

C’est le tremblement de terre en Californie qui coupe le courant au labo et montre la faiblesse des batteries au plomb de secours qui l’oriente vers l’électrochimie.

Il travaille d’abord sur un spinelle qu’il connait bien LiMn2O4 qui par substitutions l’amène progressivement aux LiMnCoO4 puis au LiCoO2. Les bases cathodiques des batteries lithium–ion étaient posées et il réalise avec l’équipe de la Bell la première batterie tout plastique largement brevetée.

C’est en 1995 à la suite du décès du professeur M. Figlarz qu’à la demande de plusieurs scientifiques il revient en France à l’université d’Amiens et prend la direction du Laboratoire de réactivité et chimie du solide. Il lui donne une orientation marquée vers les matériaux pour le stockage de l’énergie. Il développe une plateforme d’essais et de tests de batteries « boutons » prototypes en mettant à profit ses connaissances cristallographiques et l’apport d’équipements de diffraction RX et de microscopie électronique avec l’association au CNRS. Très vite le laboratoire picard devient un centre d’attractivité. Il réussit dans les années 2000 à fédérer un bon nombre de laboratoires sous le nom d’ALISTORE (i), qui réunit avec des crédits européens les meilleurs laboratoires d’électrochimie en Europe, académiques et industriels. En 2010 il obtient la création du réseau français RS2E (ii) qui permet à plusieurs unités du CNRS, des universités, du CEA et des industriels de mettre en commun leurs réflexions et leurs innovations sur le plan national. Il continue les innovations et avec son complice de la première heure Mathieu Morcrette, conscient que les quantités de lithium, de cobalt ou de nickel ne sont pas éternelles, il imagine la batterie au sodium qui est bien moins couteuses et plus respectueuse des ressources naturelles. Progressivement il augmente avec son équipe sa capacité de stockage et crée la société picarde TIAMAT energy (iii) qui produit et commercialise les nouvelles batteries ion–sodium. Nommé professeur au Collège de France en 2014, il se préoccupe maintenant plus particulièrement de la fiabilité des batteries en imaginant d’y mettre des capteurs et des éléments autoréparables pour prolonger leur durée de vie et améliorer leur longévité.

Jean-Marie Tarascon avec encore son bon accent du Sud-Ouest chère aux rugbymen est non seulement un chercheur remarquable et un entraineur d’hommes et de femmes innovants, c’est aussi un bon pédagogue qui a la passion de convaincre son auditoire ; voir par exemple les conférences sur les batteries et le stockage de l’énergie (iv) au collège de France. Il sait aussi avec des mots simples expliciter la chimie à l’intérieur d’une batterie pour les jeunes lycéens.

Lors d’une dernière conférence qu’il donnait sur une vision du stockage de l’énergie pour un développement durable, il jetait un regard lucide sur le développement des batteries et leur conditions d’usage : utiliser de l’énergie renouvelable pour charger les batteries, développer des matériaux d’électrodes à plus haute capacité et avec des métaux abondants, développer des batteries plus éco-compatibles, injecter de l’intelligence artificielle dans les batteries pour autoriser une longue voire une seconde vie, lancer une politique de recyclage massive incluant des circuits courts et des procédés de récupération avec des normes strictes.

Cela ressemble furieusement à une feuille de route R&D pour le futur du stockage électrochimique.

Merci Jean-Marie !

Jean-Claude Bernier
Juillet 2022

 

(i) https://alistore.eu/
(ii) https://www.energie-rs2e.com/fr
(iii) http://www.tiamat-energy.com/
(iv) Sélection de conférences et cours de M. Tarascon au Collège de de France

 

Illustration : capture Entretien avec Jean-Marie Tarascon, Collège de France, 2015, licence CC by-nc-sa 3.0

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L’hélium, l’autre gaz indispensable

Depuis plusieurs semaines on entend parler de la crise du gaz, le conflit avec la Russie mettant les nations européennes dans une situation énergétique délicate du fait d’une dépendance non maîtrisée aux importations du
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Depuis plusieurs semaines on entend parler de la crise du gaz, le conflit avec la Russie mettant les nations européennes dans une situation énergétique délicate du fait d’une dépendance non maîtrisée aux importations du gaz russe. Il s’agit bien évidemment du méthane CH4 (1) utilisé comme combustible et aussi matière première pour l’industrie chimique. Il y a un autre gaz dont on parle peu mais qui est tout aussi indispensable, non dans le domaine de l’énergie, mais dans celui de la santé, de la soudure, de l’électronique, de la recherche et de la défense, c’est l’hélium.

Un gaz rare très curieux

L’hélium (symbole He) de numéro atomique 2 et de masse molaire 4 g/mol est un gaz plus léger que l’air (0,138 g/L), très bon conducteur de la chaleur. Il a une température de liquéfaction très basse – 269°C (4K). C’est, après l’hydrogène, l’élément le plus répandu dans la croute terrestre provenant des particules α (He2+) issues de la désintégration d’éléments radioactifs (2). L’hélium liquide est incolore et subit un changement de phase à son point lambda à – 271°C où il devient « superfluide » c’est-à-dire qu’il n’a pas de viscosité mesurable, qu’il passe à travers des capillaires quasi nanométriques et rampe le long des surfaces. 1000 fois plus conducteur thermique que le cuivre, ses propriétés sont expliquées en le classant comme un fluide quantique. Curiosité de laboratoire, il est très utile pour l’exploration du domaine proche du zéro absolu, des propriétés des « atomes froids » et bientôt des nouveaux calculateurs quantiques.

Un gaz industriel

L’hélium est un sous-produit de l’extraction du gaz naturel qui peut en contenir de 0,3% à 7%. C’est en 1927 que l’un des premiers gisements d’Hugoton Basin fut exploité aux États-Unis. D’autres réserves gazières naturelles comme celui du CO2 dans le Wyoming sont exploités depuis 1986.

Toute une série d’opérations est effectuée pour obtenir un gaz pur. On le débarrasse d’abord des impuretés comme l’eau, le mercure et le sulfure d’hydrogène (H2S) par adsorption sur du charbon actif puis on sépare le méthane par cryogénie. On refroidit ensuite à – 196°C pour éliminer l’azote et les restes de méthane. Enfin on brûle le gaz avec de l’oxygène sur catalyseur pour éliminer l’hydrogène (3). Enfin on brûle l’hydrogène restant en présence de l’hélium avec de l’oxygène sur catalyseur (4).

Une dernière purification donne un gaz hélium pur à 99,99% qui peut être stocké.

Les États-Unis sont les principaux producteurs, viennent ensuite le Qatar, l’Algérie, l’Australie, la Russie et la Pologne. La production mondiale est de l’ordre de 160 millions de m3 dont 50% aux États-Unis.

La saga de la production d’hélium est assez intéressante. Dans les années 1970 les États-Unis sont en situation de quasi-monopole. Le gouvernement fédéral a financé avec un partenariat privé un pipe-line de 600 km reliant les installations de production aux cavités de stockage texanes. Les volumes extraits de l’ordre de 4000 tonnes sont multipliés par 5 pour atteindre 20 000 t en 1970. Le gouvernement juge que les stocks sont suffisamment importants et la production diminue largement.

Le processus est accéléré avec la fin de la guerre froide dans les années 90 et compte tenu de la dette des sociétés fédérales de maintenance des infrastructures et de stockage, la loi de privatisation de l’hélium en 1996 précipite l’écoulement du milliard de m3 stockés mais fait baisser les prix qui n’encouragent pas les nouveaux investissements US. La forte demande internationale qui s’accélère pour l’électronique et la fibre optique en Europe et en Asie va multiplier le prix au m3 qui passe de 2 $ à plus de 6 $, l’hélium devenant un produit critique. La production va alors s’internationaliser d’abord en Algérie où une alliance Air Products – Air liquide – Sonatrach va mieux exploiter l’extraction à partir des ressources gazières. Puis c’est le Qatar, avec les entreprises allemande Linde et française Air liquide, qui voit sa production sera multipliée par trois. Le tableau indique la production mondiale internationalisée actuelle maintenant en millions de m3 :

paysUSQatarAlgérieRussieAustraliePologne
M m3835114541

Un gaz très utile

Sa faible température d’ébullition (4K) le fait abondamment utiliser en cryogénie. Les bobines des aimants en NbTi (nobium, titane) ou NbSn (nobium, étain) des supraconducteurs des IRM en contiennent chacun plusieurs dizaines de litres, le grand collisionneur de Hadrons (LHC, Large Hadron Collider) du CERN en contient 120 t et les bobines des aimants du projet ITER en contiendront des milliers de litres (5); dans nos laboratoires les spectromètres RMN sont également refroidis à l’hélium liquide (6).

Gaz inerte et ininflammable il est utilisé pour purger les réservoirs d’hydrogène liquide et aussi pour pressuriser les réservoirs d’oxygène liquide utilisé comme propergol (7) pour les moteurs Vulcain des fusées Ariane. La NASA pour sa part utilise plusieurs millions de m3 par an. Son inertie le fait utiliser dans la soudure à l’arc pour l’inox, le cuivre et l’aluminium ; il protège les métaux de l’oxydation et il est moins couteux que l’argon. Il protège sous pression le tirage des monocristaux de silicium ou germanium et celui des fibres optiques. Plus léger que l’air il sert à gonfler les ballons et dirigeables, à la place de l’hydrogène ; rien que pour les ballons sondes la météo en utilise près de 4 millions de m3 annuellement.

Du fait de sa moindre solubilité dans les solutions aqueuses et notamment dans le sang il remplace l’azote dans les bouteilles servant à la respiration des plongeurs et évite ainsi les embolies gazeuses par dégagement d’azote dans les artères lors de la décompression.

Bien plus fluide que l’air il est utilisé dans les disques durs scellés des serveurs du « cloud » : on peut ainsi empiler plus de disques durs et l’hélium favorise la vitesse de lecture des données. Il peut les garder en température à 4 ou 5°C améliorant leur longévité.

Enfin il permet de faire la fête : on gonfle facilement les ballons multicolores (8) des anniversaires et en inspirant l’hélium à la place de l’air sa faible densité change la voix vers les aigus pour amuser l’assistance.

Plus sérieusement, l’Europe avait déclaré en 1994 l’hélium produit critique et stratégique compte tenu de sa production géographiquement centrée et de son utilisation indispensable pour certaines industries. En 2020 sa criticité a été annulée. En France il y a une capacité faible de production au Blanc-Mesnil et une société 48-Energy a déposé un permis de recherche dans la Nièvre.

Jean-Claude Bernier
Juin 2022



Pour en savoir plus
(1) Le biogaz, une énergie d’avenir ? de Jean-Claude Bernier, éditorial Mediachimie.org
(2) Les réactions nucléaires dans les étoiles, par Lucien Ransinangue, dossier pédagogique Nathan / Mediachimie.org
(3) Gaz de schistes : pour aujourd’hui ou pour demain ? de Julien Lefebvre, Noël Baffier et Jean-Claude Bernier, une fiche Chimie et…en fiches, cycle 4, Mediachimie.org
(4) Zoom sur les derniers résultats de la production d’hydrogène « décarboné » de Jean-Pierre Foulon et Françoise Brénon, Zoom sur, Mediachimie.org
(5) Quelle échéance dans la disponibilité pour l’option « fusion de l’hydrogène » ?, de Bernard Bigot, Colloque Chimie et énergies nouvelles (10 février 2021)
(6) La résonance magnétique nucléaire au service de la biologie structurale, de Nicolas Birlirakis et al.,  L’Actualité Chimique n°353-354 (juin-juillet-août 2011) p. 100-109
(7) La propulsion des fusées et des futurs avions chez Air Liquide, de Pierre Crespi, Colloque Chimie, aéronautique et espace (8 novembre 2017)
(8) Pourquoi mon ballon s’envole ? Question du mois, Mediachimie.org

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Bernard Bigot un chimiste manager

Bernard Bigot, directeur général du programme ITER, est décédé la semaine dernière. Les milliers de chercheurs, d’ingénieurs, d’ouvriers des centaines d’entreprises qui travaillaient sur ce projet mondial « le réacteur
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Bernard Bigot, directeur général du programme ITER, est décédé la semaine dernière. Les milliers de chercheurs, d’ingénieurs, d’ouvriers des centaines d’entreprises qui travaillaient sur ce projet mondial « le réacteur thermonucléaire expérimental international » de Saint-Paul-lez-Durance sont bouleversés. Bernard Bigot avait pris la direction d’ITER en 2015 alors en pleine crise existentielle et en avait relevé le défi en lui donnant un nouvel élan.

Mais Bernard n’était pas qu’un super manager, c’était aussi un vrai chimiste, élève de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud et agrégé de sciences physiques option chimie. Il prépare une thèse en chimie théorique à l’Université d’Orsay dans l’équipe brillante dirigée par Lionel Salem au milieu des années 70. Docteur d’État ès sciences physiques, c’est en 1985 qu’il participe à la création de l’École normale supérieure de Lyon où il occupera diverses fonctions de directeur des études (1986-1993) tout en dirigeant un laboratoire de recherche en chimie théorique. Lyon et l’École Normale Supérieure resteront toujours privilégiés dans son cœur. On se rappelle avec quelle fierté et amour il conduisait un soir d’été en 1998 une délégation scientifique venue de Chine sur les hauteurs de Fourvière.

Hélas pour Lyon ses qualités le font remarquer à Paris et il est nommé en 1993 au Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche à la Mission scientifique et technique (MST) puis directeur général de la recherche et de la technologie (DGRST) jusqu’en 1997. Il montre là sa vision de la recherche internationale et active l’évolution des équipements et des laboratoires des grands organismes de recherche pour faire face à la concurrence internationale. C’est lui qui impulse notamment la dotation en spectromètres de RMN à haut champ en biochimie, à Grenoble et Gif-sur-Yvette, équipements dont la France était sous-dotée. Il montre aussi sa puissance étonnante de travail. Il n’était pas rare de le rencontrer lors d’une réunion à 22 h rue Descartes et d’en trouver ses conclusions dans la boite mail à 7 h du matin.

En 1998 il accepte la direction de l’Institut de recherche sur la catalyse du CNRS à Lyon où il avait déjà plusieurs années auparavant encouragé l’implantation d’une équipe de théoriciens brillants, puis en 2000 la direction de l’ENS de Lyon qui lui était restée chère. Il y montre encore là ses capacités d’organisation aidé par un travail remarquable des enseignants et aussi sa préoccupation constante d’attirer vers la science les jeunes collégiens et lycéens en favorisant les contacts des chercheurs avec les lycées et collèges.

Il doit à nouveau quitter Lyon en 2002 comme directeur du cabinet du ministre Claudie Haigneré jusqu’en 2003, date où il est nommé Haut-commissaire à l’énergie atomique puis en 2009 administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique jusqu’en 2013. Sous sa direction le CEA change de nom en y ajoutant à l’énergie nucléaire les énergies alternatives. Il y imprime sa marque en mettant l’accent sur la chimie nucléaire, les procédés bas carbone et les futures bases de l’énergie nucléaire. Cette préoccupation de l’énergie future va le conduire à prendre en 2015 la direction générale du projet international de « fusion nucléaire » alors en plein doute. Comment gérer et animer cette entreprise de coopération internationale sans équivalent au monde. Dans les conseils siège l’Europe mais aussi la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée, la fédération de Russie, le Japon et les Ėtats-Unis. Il réforme les processus de décisions, les chaines de fabrication, le management. Sept ans après, plus de 75% du génie civil est réalisé et en ordre de marche. Des pièces de très haute technologie acheminées par voie maritime ou terrestre venant des partenaires du bout du monde sont montées en Provence. Il fallait voir son enthousiasme lorsque dernièrement les super aimants de plusieurs centaines de tonnes avaient rejoint leur logement au 1/10 de mm près. Il avançait avec optimisme sûr que le premier plasma serait produit en 2025 !

Pour nous à la Maison de la chimie il a accepté en 2006 d’être président du conseil d’administration de la Fondation (internationale). C’est sous son impulsion que se sont développées les actions en direction des jeunes et du grand public visant à mieux faire connaître la chimie. Citons les colloques « Chimie et … » qui ont connu à presque chaque fois (hors pandémie) plus de 1000 à 1200 participants dont 1/3 de lycéens et dont il a présidé le 18e « Chimie et Notre-Dame » en février dernier.

Citons aussi le site « Mediachimie.org » qui contient plus de 1800 références sur la chimie à destination des professeurs de lycées et de collèges mais aussi des élèves, des étudiants et de tout public s’intéressant à la science et à la chimie. C’est avec l’approbation de Bernard Bigot que des coopérations avec Nathan et la Fondation La main à la pâte, création de l’Académie des sciences, ont été réalisées élargissant le champ visé à un nombre encore plus grand d’internautes et d’élèves.

Oui nous sommes tristes, nous avons perdu un collègue chimiste, un professeur, un président internationalement respecté, un entraineur d’hommes et de femmes, mettant toute son énergie au service de la nation et à œuvrer pour un monde meilleur en participant activement au sein d’ITER, à la réalisation d’une source d’énergie propre et inépuisable telle que la fusion nucléaire comparable à celle qui alimente le Soleil et les étoiles.
Sa grande préoccupation des générations futures nous a tous poussé à diffuser largement la science et la technique, nous lui devons tous de nous avoir entrainés dans cette belle aventure collective… Merci Bernard.

Nos pensées vont à sa famille et les équipes de Mediachimie s’associent à leur profond chagrin.

Mai 2022
les équipes de Mediachimie.org

 

Voir aussi la page d'hommage à Bernard Bigot sur le site de la Fondation de la Maison de la chimie

Crédit photo : ITER Organisation iter.org.

- Éditorial
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Le méthanier au secours de l’Europe

Les contraintes géopolitiques et le conflit ukrainien ont mis en lumière la dépendance de l’Europe vis-à-vis du gaz russe importé via des gazoducs traversant plusieurs pays à partir des champs d’extraction de la Russie.
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Les contraintes géopolitiques et le conflit ukrainien ont mis en lumière la dépendance de l’Europe vis-à-vis du gaz russe importé via des gazoducs traversant plusieurs pays à partir des champs d’extraction de la Russie. Plusieurs pays sont directement impactés dont la Hongrie, la Bulgarie et l’Allemagne. La France qui n’a plus de gisement national (1) et a diversifié ses sources est moins concernée. Sa consommation en baisse depuis plusieurs années est cependant de l’ordre de 390 tWh/an dont 37% pour le résidentiel, 25% pour le tertiaire et 33 % pour l’industrie dont l’industrie chimique qui est « gazo-intensive » puisque le gaz dont le méthane est non seulement une source d’énergie mais une matière première, comme le pétrole (2). Les importations hexagonales de gaz se font pour 60% par gazoducs et pour 40% sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par des méthaniers.

Qu’est -ce qu’un méthanier ?

C’est un navire de conception et de structure adaptées à la matière transportée, soit ici un gaz comportant de 70 à 95% de méthane (CH4) mais liquéfié à basse température – 162°C (3). Six cents fois moins volumineux qu’à l’état gazeux, son transport maritime permet une souplesse d’approvisionnement sur de très grandes distances en variant les sources : Qatar, Algérie, Nigéria, États Unis. Plus souple qu’un gazoduc dont les infrastructures traversent plusieurs pays avec des risques géopolitiques et des blocages comme vécus pour gaz Stream 2, le méthanier peut se fournir dans n’importe quel pays qui dispose de terminaux cryogéniques de liquéfaction et l’acheminer en quelques jours à la vitesse moyenne de 19 nœuds vers les terminaux de gazéification. La France dispose de 4 terminaux : Fos Tonkin et Fos Cavaou (13), Dunkerque (59) et Montoir de Bretagne (44). Un cinquième est en projet au Havre. Ces terminaux permettent d’accueillir chacun de 8 à 13 milliards de m3 annuels.

Quels sont les types de méthaniers ?

De façon générale ils comportent de 4 à 5 cuves isolées thermiquement avec des dispositifs très perfectionnés de détection de fuites. Ils disposent d’une double coque pour qu’en cas d’échouage ou de collision les cuves ne soient pas fissurées et sont prioritaires sur les voies maritimes compte tenu de leur dangerosité.

On en distingue trois types :

  • les méthaniers à membrane - soit d’inox (acier inoxydable Fe, Ni, Cr) enveloppant des blocs de mousse de polyuréthanne dont l’enveloppe de 1,2 mm d’épaisseur gaufrée permet d’encaisser les variations de dilatation lors du refroidissement – soit d’invar (Fe64Ni36) ayant un très faible coefficient de dilatation recouvrant en 2 couches de 0,8 mm des caissons isolants en contreplaqué comportant de la perlite ou de la laine de verre (4)
  • les méthaniers à sphères – les cuves sont sphériques au nombre de 4 ou 5 en aluminium enfermant un isolant de type polystyrène en double couche. Ils sont reconnaissables grâce à une partie des sphères visibles sur le pont. Ces navires sont moins soumis au ballotage lorsque les cuves ne sont pas remplies et que la mer ou le vent rend la navigation plus difficile.
  • les méthaniers prismatiques – les cuves sont directement posées sur la coque intérieure du navire. Elles sont en aluminium avec une seule couche d’isolant. Ils exigent cependant une forte couche d’isolant entre la cuve et la quille pour éviter les fuites à – 162°C qui gèleraient la coque du navire.

Il y a plus de 550 méthaniers en service dans le monde avec en moyenne des capacités de 160 000 m3 de gaz liquéfié. Le plus grand le Rasheeda peut transporter 266 000 m3 de gaz liquéfié (soit 160 millions de Nm3 gaz ou 1,76 tWh). Les méthaniers sont peu polluants car souvent de propulsion diésel aménagé, comme les fuites de gaz sont de l’ordre de 0,15% par jour, le méthane est réinjecté dans les moteurs pour améliorer le rendement énergétique.

Quel chemin pour le GNL ?

Sur les plateformes d’extraction il faut d’abord le désulfurer puis le gaz purifié est liquéfié par cryogénie, stocké dans des réservoirs refroidis puis ensuite chargé dans les cuves du méthanier. Sur les terminaux gaziers le GNL du méthanier est transféré dans des cuves de stockages et peut prendre plusieurs directions ; le transport vers des stations de carburants au moyen de camions citernes réfrigérés, le « regazéifieur »où il est réchauffé puis mis sous pression pour rejoindre le réseau de distribution après avoir été odorisé.

Face à la décision pour les pays européens de diminuer drastiquement leur dépendance au gaz russe, les commandes d’approvisionnement au Moyen-Orient, en Afrique et aux États-Unis (5) se développent. Ce ne sont pas les méthaniers qui feront défaut ce sont plutôt les terminaux gaziers pour accueillir, stocker et gazéifier le GNL qui manqueront. L’investissement pour un port d’accueil et les infrastructures de traitement dépasse le milliard d’euros et prend un à deux ans de construction. Il faut donc s’attendre à une augmentation du prix de l’énergie. Déjà en juin 2021 le prix du GNL en Asie avait eu un coup de chaud et en Europe depuis janvier 2022 l’augmentation en avril approche les  80%.

Oui la politique d’indépendance énergétique coute cher et les économistes montrent que s’y ajoute le prix de la transition écologique c’est la « Greenflation » qui nous atteint durablement.

Jean-Claude Bernier
Mai 2022

Pour en savoir plus
(1) Une stratégie industrielle payante, deJean-Claude Bernier, L’Actualité chimique (2014)
(2) L’extraction du pétrole et du gaz, une animation issue de la série "Les incollables" (CEA)
(3) L’encyclopédie du gaz, un site proposé par la société Air Liquide
(4) Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories, de Jean-Claude Bernier, in La chimie et l’habitat (EDP Sciences 2011)
(5) Gaz de schistes : pour aujourd’hui ou pour demain ?, de Julien Lefebvre, Noël Baffier et Jean-Claude Bernier, une fiche Chimie et…en fiches, cycle 4, Mediachimie.org
 

Crédit illustration : LNG Tanker Energy Progress at Wickham Point in March 2016 - Ken Hodge – Flickr - Licence CC BY-NC-N 2.0

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Alerte à la pénurie de métaux

Des fabricants automobiles qui doivent s’arrêter de produire, des constructeurs immobiliers en panne de châssis de fenêtres, des électriciens avec des délais de conducteurs en cuivre impossibles, des pots catalytiques en
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Des fabricants automobiles qui doivent s’arrêter de produire, des constructeurs immobiliers en panne de châssis de fenêtres, des électriciens avec des délais de conducteurs en cuivre impossibles, des pots catalytiques en panne faute de catalyseurs… la liste des incidents de production dans l’industrie s’allonge et le conflit russo-ukrainien ne va pas arranger les choses.

Les métaux de la transition énergétique

L’objectif de « zéro carbone » en 2050 en Europe accélère le recours aux énergies renouvelables comme l’éolien, ou le photovoltaïque et pour les transports la vente de véhicules électriques.

Si cette stratégie va réduire la dépendance de l’Europe au pétrole elle va sans doute en créer une nouvelle aux matériaux critiques (1). En effet une éolienne offshore utilise près de 20 000 kg/MW de métaux, le cuivre en majorité, mais aussi l’aluminium, l’acier et des métaux plus rares comme le néodyme mêlé au fer et au bore avec des ajouts de dysprosium et de praséodyme pour ses aimants permanents (2). L’éolienne terrestre en contient deux fois moins par MW mais tout de même huit fois plus qu’une centrale thermique au gaz. Les panneaux solaires sont à peu près tous basés sur le silicium qui reste abondant mais contiennent aussi des dopants comme le gallium, le germanium, l’indium et pas mal de kilogrammes de cuivre et d’aluminium. La voiture électrique contient cinq fois plus de métaux critiques que la voiture thermique, dont le cuivre mais aussi des alliages de terres rares (Nd, Dy, Pr) pour ses nombreux moteurs électriques. Il faut aussi compter les batteries lithium-ion qui contiennent du lithium mais aussi du cobalt, du nickel du manganèse (3). S’y ajoutent les circuits électroniques dont les transistors de puissance (LDMOS) ont des circuits imprimés riches en cuivre étain et argent et quelques contacts en or (1%). Sachant que rien qu’en France l’objectif de l’énergie éolienne de 34 GW se traduit en 50 000 t de métaux dont plus de 20 000 t de cuivre /molybdène et 1 500 t de terres rares ! En multipliant par la puissance à installer en Europe, on arrive à des valeurs astronomiques.

Les prévisions des experts

Suivant un scénario visant à rester en dessous des 2°C de réchauffement global en 2100, les projections sont instructives. Le tableau des besoins en 2050 montre qu’il faudrait annuellement multiplier par 4 à 30 les productions annuelles de 2021 !

Métalaluminiumcuivrenickellithium
Besoins en Mt20080243
Production annuelle en Mt64212,50,1

 

On découvre que pour atteindre les objectifs de neutralité carbone au cours de la seconde moitié de ce siècle de grandes infrastructures de production, de stockage et de transport de l’énergie doivent être construites or elles affichent une « intensité matière » bien supérieure à celles des technologies conventionnelles utilisant les combustibles fossiles (4). Une étude portant sur les véhicules légers (actuellement 1,2 milliard en circulation) prévoie un doublement d’ici 2050 et majoritairement électriques. Sachant que nos véhicules contiennent déjà 10 à 20 kg de cuivre, les véhicules électriques en contiennent quatre fois plus. Selon les extrapolations il faudra 200 à 400 Mt de cuivre soit 10 à 20 années de production annuelle pour le seul domaine du transport.

C’est pourquoi dans le dernier rapport de Philippe Varin (5) plusieurs métaux stratégiques sont cités comme devenus critiques : le cuivre, le cobalt, le lithium. S’y ajoutent le nickel, l’étain, le tungstène, les trois lanthanides déjà citées (Nd, Dy, Pr) dont la criticité avaient déjà fait l’objet d’alertes de la part des métallurgistes et du BRGM (6).

Un aspect économique et géopolitique

Pour faire face au nouveau business des véhicules électriques, de nombreuses « gigafactories » se créent partout en Europe pour s’affranchir de la concurrence asiatique. Elles engendrent une forte tension sur les marchés des matériaux. Le cuivre atteint 10 000 $ /t, le nickel 43 000 $/t, l’aluminium a battu son record à 3 000 $/t et le lithium a augmenté de 500% en deux ans à 60 000 €/t. En ces domaines la dimension géopolitique intervient et l’accès aux contrats de marchés à moyen ou long terme est très difficile avec des pays dominant le marché. Le cobalt par exemple est fourni à 66% par la République démocratique du Congo, les terres rares par un consortium chinois qui a 90% de la production mondiale, le Chili et le Pérou fournissent 40% du cuivre, l’Australie et le Chili couvrent 60% du marché du lithium. L’Indonésie et les Philippines vendent l’équivalent de 30% du nickel. C’est dire que l’Europe est particulièrement pauvre en ressources minières exploitées. Ceci se retrouve notamment pour la fabrication des packs de batteries pour l’automobile ; l’Europe ne produit que 1% des métaux bruts nécessaires et à peine 8% des matériaux raffinés et graphite pour électrodes et donc est obligée de les acheter en Chine (66%) ou à d’autres pays en Asie (13%).

Quelles solutions pour l’Europe et la France ?

Investir dans les productions minières existantes et rentables au Portugal pour le lithium, en Pologne en Espagne et en Bulgarie pour le cuivre, en Nouvelle Calédonie (France) pour le nickel, relancer la production minière en France et en Europe, le tungstène dans les Pyrénées où la France fut jusqu’en 1988 le 3e producteur mondial, le plomb dans le Massif Central, l’antimoine en Bretagne, où toutes ces mines furent fermées dans les années 1990 faute de rentabilité (7), la fièvre haussière des métaux qui risque de durer devrait permettre de trouver de nouveaux investissements, à condition que l’acceptabilité minière soit meilleure que le rejet des éoliennes ! L’exploitation des ressources géothermales profondes qui peuvent fournir de l’énergie et du lithium séparé des eaux thermales en Alsace et en Allemagne est devenue très rentable (8). Une autre solution est de prendre des parts dans les entreprises minières dans les pays qui disposent de réserves importantes en Afrique, en Australie, en Amérique latine comme l’a fait depuis longtemps la Chine. Encore une autre solution est le recyclage (9), car contrairement aux combustibles fossiles, les métaux primaires ne sont pas perdus et peuvent être réutilisés après usage. C’est largement le cas pour le fer, l’aluminium et le cuivre. Pour les autres métaux présents dans les nouvelles et hautes technologies le potentiel de recyclage est limité par leur concentration dans les produits en fin de vie et le cout en énergie et en procédé pour que les métaux récupérés restent compétitifs par rapport au cout de la production primaire. Les exemples des déchets et équipements électriques et électroniques (DEEE) et des batteries lithium-ion sont illustratifs. On opère souvent par tri puis broyage et pyrométallurgie qui détruit les plastiques et ensuite hydrométallurgie qui sépare les métaux. Pour les premiers, il faut que la concentration des métaux comme l’argent, le cuivre et l’or soit du même ordre que celle des ressources minières pour être rentable. Pour les seconds (les batteries), si le traitement des batteries des smartphones et ordinateurs est économiquement rentable grâce à leur teneur en cobalt, pour celles de l’automobile les teneurs plus faibles en cobalt, où il est souvent remplacé partiellement par le nickel et le manganèse voire par le phosphate de fer, rendent difficile un traitement industriel d’ensemble et sa rentabilité.

Le rapport Varin remis en janvier aux Ministères de la Transition énergétique et de l’Industrie a permis à l’État de prendre des mesures. Un observatoire des métaux critiques va être créé avec le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM), un nouveau délégué interministériel pour la sécurisation des approvisionnements sera nommé et plus de 500 M€ seront consacrés à des appels à projets. Deux plateformes consacrées aux recyclages sont d’ores et déjà décidées, l’une à Dunkerque pour les batteries lithium et l’autre à Lacq pour le recyclage des terres rares des aimants permanents (on se rappellera avec douleur qu’en 2016 Solvay avait fermé à la Rochelle l’unité de séparation des terres rares où un savoir-faire plus que cinquantenaire existait !) les temps changent, les industries s’adaptent, les métaux critiques seraient-ils une nouvelle richesse ? La chimie est en première ligne (10).

Jean-Claude Bernier
Mars 2022

Pour en savoir plus :
(1) Ces matériaux si rares pour la transition énergétique, J. Lefebvre, J.-C. Bernier et N. Baffier, série Chimie et… en fiches, Mediachimie.org
(2) Les terres rares, un enjeu global, Y. Dubosc, revue Chimie Paris
(3) Stocker l’énergie pour communiquer in La chimie dans les Technologies de l'Information et de la Communication, collection Chimie et... Junior, EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie
(4) Les matériaux stratégiques pour l’énergie, B. Goffé, Colloque chimie et enjeux énergétiques
(5) France 2030 : Le rapport "Varin" sur la sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales remis au Gouvernement, Site Minéral Info, République Française
(6) Le nouveau tableau de Mendeleïev du World Metal Forum
(7) La France, nouvel Eldorado ? J.-C. Bernier, revue Actualité chimique
(8) Géothermie et batteries : quel rapport ? J.-C. Bernier , éditorial, Mediachimie.org
(9) Imitons la nature pour recycler les métaux,, J. Lefebvre, J.-C. Bernier et N. Baffier, série Chimie et… en fiches, Mediachimie.org
(10) Les chimistes dans les énergies nouvelles face au développement durable F. Brénon et G. Roussel, série Les chimistes dans..., Mediachimie.org

 

Crédit illustration : Cerro Colorado - Gabri Solera – Flickr - Licence CC BY-NC-ND 2.0

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Comment verdir les métaux ?

Nous consommons sans vraiment nous en apercevoir des kilogrammes de métaux. Nos automobiles sont lourdes d’acier et d’aluminium, la structure de nos ponts est riche en acier, nos canettes de coca ou de bière sont des
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Nous consommons sans vraiment nous en apercevoir des kilogrammes de métaux. Nos automobiles sont lourdes d’acier et d’aluminium, la structure de nos ponts est riche en acier, nos canettes de coca ou de bière sont des enveloppes fines d’aluminium ou d’acier.

Avec le rebond de l’activité industrielle après la pandémie, les productions des deux principaux métaux sont reparties à la hausse en 2021. 1,95 milliard de tonnes pour l’acier (dont 1 milliard pour la Chine) et 64 millions de tonnes pour l’aluminium (dont 26 pour la Chine). Ces productions s’accompagnent d’émissions de gigatonnes de gaz carbonique (1). Les experts calculent que ces deux industries métallurgiques représentent entre 7 et 9 % des émissions planétaires.

Un peu de chimie

On peut comprendre facilement que la réduction des oxydes, que sont les minerais, par le carbone produit du CO2.

Pour l’acier (2a et 2b) et donc le fer, la réduction se fait dans des hauts fourneaux. Le minerai mélangé au coke dans le haut du fourneau, rencontre en descendant le gaz réducteur CO qui résulte de la réaction entre l’air chaud insufflé par le bas de la cuve à haute température suivant la réaction
2C + O2 → 2CO. Les réductions observées sont :

En dessous de 620°C : 3 Fe2O3 + CO → 2 Fe3O4 + CO2
Entre 620° et 950°C, on observe Fe3O4 + CO → 3 FeO + CO2
Puis au-dessus de 950°C : FeO + CO → Fe + CO2

Au sein du haut fourneau, à haute température, le monoxyde de carbone est régénéré à chaque fois que CO2, produit par les réactions précédentes, rencontre une couche de coke selon l’équilibre, dit de Boudouard, C + CO2 →2 CO.

La fonte, fer liquide ayant dissout un peu de carbone, coule dans le bas de la cuve vers 1800 °C. Les gaz ressortent en haut du haut fourneau et contiennent entre autres du dioxyde de carbone. Finalement, pour une tonne d’acier se dégagent 2,2 tonnes de CO2.

Pour l’aluminium, après traitement préalable du minerai (la bauxite) afin obtenir l’oxyde Al2O3, la réduction finale se passe en milieu fondu. Al2O3 est dissout dans un bain fluoré contenant la cryolithe AlNa3F6 et du fluorure de calcium CaF2. L’électrolyse à 960°C conduit au dépôt d’aluminium sur l’électrode de graphite et la réaction s’écrit 2 Al2O3 + 3 C → 4 Al + 3 CO2.

Le procédé conduit à l’émission d’environ 4 tonnes de CO2 par tonne d’aluminium auxquelles il faut ajouter l’empreinte carbone des 12 à 14 MWh nécessaires à l’électrolyse. On comprend donc dans la perspective de la neutralité carbone en 2050 que la recherche et le développement de procédés émettant moins de CO2 soient d’actualité.

L’acier vert

Plusieurs voies sont ouvertes pour diminuer les rejets de CO2 :

  • La réduction directe du minerai (DRI ou Direct Reduction Iron) par des gaz chauds à 900°C, gaz naturel (méthane, CH4) ou hydrogène H2 (3) selon :
    Fe2O3 + 3 H2 → 2 Fe + 3 H2O ou Fe2O3 + CH4 → 4 Fe + 2 H2O + CO
  • Si l’hydrogène est vert (4) ou peu carboné (5) la réduction d’émission est supérieure à 80% et pour le gaz naturel à plus de 50%. Les éponges de DRI sont ensuite fondues et purifiées au four à arc électrique.
  • L’injection de gaz ou d’hydrogène dans le haut fourneau ou la réinjection d’un mélange CO + H2 permet de réduire de 20 à 30% les émissions.
  • La capture et le stockage du CO2 à la sortie du haut fourneau (CCUS ou Carbon Capture Utilization and Storage) permet un gain de 63% sur les émissions.
  • Ou mieux encore convertir les gaz sidérurgiques CO et CO2 en éthanol par bio transformation.

De nombreux projets voient le jour en Europe, ArcelorMittal compte investir 10 Mrds € d’ici 2035 pour réduire d’au moins 30% son empreinte carbone. Déjà le consortium Hybrit a fourni au constructeur Volvo en Suède 25 tonnes d’acier vert par réduction directe (DRI) de minerai fourni par le minier LKAB et de l’hydrogène fourni par hydroélectricité de Vattenfall. La France n’est pas mal placée avec l’association Arcelor-Air liquide et le nucléaire pour produire l’hydrogène bas carbone. Il n’en reste pas moins que les volets énergétique et financier sont de vrais casse-têtes. On estime que la décarbonatation du secteur exigera plus de 50 Mrds€ d’investissement et près de 400 TWh d’électricité renouvelable dont 250 pour produire 6,5 millions de tonnes d’hydrogène. Devant cette énorme défi les sidérurgistes rappellent qu’ils sont déjà les champions de l’acier vert puisque plus de 45 % des ferrailles sont recyclées dans les fours à arc électrique, qui certes consomment du carbone, mais n’émettent que 0,3 à 0,6 tonne de CO2 au lieu de 2,2 tonnes pour l’acier brut.

L’aluminium vert

Pour la France Péchiney a été historiquement le berceau de la production (6a et 6b) et (7) avec des cuves d’électrolyse dont il a été le leader pendant longtemps et une production d’aluminium dans les vallées alpines et pyrénéennes profitant de l’électricité issue des barrages hydrauliques de montagne ce qui « verdissait » sa production avant l’heure. Le procédé Hall-Héroult, malgré les progrès sur le rendement électrique atteignant près de 95% sur les dernières cuves C 60, arrive dans ses ultimes années car même avec un mix électrique français favorable on émet 3,5 t de CO2, par tonne d’aluminium, auquel il faut ajouter l’énergie du procédé Bayer pour obtenir l’alumine à partir de la bauxite (7). Dès la fin des années 90, le centre de recherches de Voreppe près de Grenoble se lançait dans l’étude d’électrodes inertes pour remplacer celles en carbone, d’abord métalliques puis céramiques non attaquables dans les bains fluorés (8). Après le rachat de Pechiney par Alcan puis Rio Tinto ces études se sont poursuivies et viennent d’aboutir avec une coentreprise ELYSIS entre Alcoa et Rio Tinto à la construction de cuves prototypes avec des cathodes en cermet comportant une ferrite de nickel substituée capable sous une tension de quelques volts et une intensité de 450 kA, de fournir un aluminium sans carbone. En effet, en l’absence d’électrode en graphite, au sein de l’électrolyseur et en milieu cryolithique fluoré, la réaction est alors Al2O3 → 2 Al + 3/2 O2. De plus, le courant électrique provient des centrales hydrauliques canadiennes, ce qui est une véritable révolution technologique.

Ici encore n’oublions pas que le recyclage de l’aluminium (9) est très important puisque l’aluminium de deuxième fusion représente près de 60% de la production en France en émettant 3 à 10 fois moins de CO2 que l’aluminium primaire et mérite le label « vert ».

Ce recyclage est d’autant plus nécessaire que le coup d’État en Guinée (2e producteur mondial de bauxite après l’Australie) menace l’approvisionnement en bauxite et que la Chine a également nettement diminué sa production en arrêtant un certain nombre de centrales électriques au charbon et en confinant, cause pandémie, une partie de la province chinoise produisant 20 % du métal. Le cours de l’aluminium a ainsi dépassé les 3000 $ /t, son record.

Vite à vos poubelles de couleur pour le tri des canettes et capsules…

Jean-Claude Bernier et Françoise Brénon
Février 2022

Pour en savoir plus
(1) Le dioxyde de carbone, matière première de la vie (dossier pédagogique Nathan / Mediachimie)
(2) (a) La recherche de la composition de l’acier à la fin du XVIIIe siècle ; (b) Aciers sur le site L’Élémentarium
(3) L’hydrogène, une source d’énergie pour le futur (Chimie et… en fiches, Mediachimie.org)
(4) Qu’est-ce que l’hydrogène vert ? (question du mois, Mediachimie.org)
(5) Zoom sur les derniers résultats de la production d’hydrogène « décarboné » (Mediachimie.org)
(6) (a) Les débuts de l’industrie de l’aluminium et (b) Aluminium sur le site L’Élémentarium
(7) Comment faire des casseroles avec la bauxite : l’électrolyse (Réaction en un clin d’œil, Mediachimie.org)
(8) L’électrolyse et les applications industrielles (dossier pédagogique Nathan / Mediachimie)
(9) Recyclage et valorisation des déchets Revue Chimie Paris n°340
 

Source illustration : PxHere, licence CC0

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Le nucléaire devenu « vert » ?

Dans quelques semaines, l’Europe devra confirmer la proposition de la Commission européenne d’ajouter à titre transitoire le nucléaire et le gaz naturel sur la liste des énergies « vertes » (1) en raison de « leur
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Dans quelques semaines, l’Europe devra confirmer la proposition de la Commission européenne d’ajouter à titre transitoire le nucléaire et le gaz naturel sur la liste des énergies « vertes » (1) en raison de « leur potentiel à la décarbonisation de l’économie ». Cette prise de position d’introduire ces deux sources d’énergie dans la taxinomie verte comme apportant une contribution substantielle à l’atténuation du changement climatique leur ouvre l’accès à des subventions et de meilleures conditions de financements grâce à des aides publiques et européennes.

Cette annonce, qui en a surpris plus d’un, est due à une réflexion réaliste d’experts sur la difficulté d’atteindre l’objectif européen de zéro émission de CO2 en 2050 (2). En effet, même si le nucléaire est un peu moins vertueux que l’hydraulique, les émissions de CO2 par l’énergie nucléaire et par les renouvelables sont très comparables (voir tableau).

SourceCharbonFioulGazPhotvoltaïqueGéothermieÉolienNucléaireHydraulique
masse / g de CO2, par KWh10607304185545765,7

Tableau : Émissions de CO2 en grammes par KWh suivant les filières de production*
*source : base carbone ADEME –émissions directes et indirectes à la production

Les raisons d’une évolution

On voit donc que le lobby français, bien appuyé par les laboratoires des climatologues du CEA et soutenu par au moins 8 pays riches en centrales à charbon a réussi à vaincre les réserves émises par 3 ou 4 pays opposés au nucléaire. Le paradoxe est cependant l’accord de l’Allemagne qui en 2022 met fin à ses derniers réacteurs nucléaires, accord obtenu à la condition d’introduire, à côté du nucléaire, le gaz naturel puisqu’outre-Rhin la cinquantaine de centrales au charbon (3) doivent être remplacées par des centrales au gaz et encore plus de centrales éoliennes ou solaires d’ici 2050.

Réfléchissons aux facteurs divers, technologiques, physiques et économiques qui ont pu peser sur cette décision :

  • La promesse ou même la nécessité de ne plus avoir recours au charbon pour plusieurs pays notamment dans l’Est de l’Europe et donc l’obligation de remplacer les centrales thermiques au charbon par des réacteurs nucléaires ou des centrales au gaz, même si ces dernières accentuent leur dépendance d’approvisionnement à leur grand voisin russe.
  • La baisse de la production d’électricité d’origine renouvelable en Allemagne en 2021 malgré les nouvelles installations d’éoliennes et de parc photovoltaïques. En effet on observe une baisse de près de 10% de part du renouvelable dans le mix électrique passant de 45,3% en 2020 à 42% en 2021. Cette baisse est attribuée aux conditions météorologiques faisant douter les partisans du tout renouvelable (4).
  • Une évidence physique, la concentration énergétique de l’uranium. Quand 1 gramme d’uranium enrichi à 4% en 235U libère par fission une énergie de 2,9 109 joules soit 70 fois plus que 1 kg de fioul il est clair que la réserve d’énergie de la matière première du nucléaire (5) est super intéressante. Prenons quelques exemples comparatifs. Une éolienne de 3MW (les plus courantes) avec un taux de charge de 25% fournit par an 6,6 106 KWh, alors qu’il suffit d’environ 8 kg d’uranium pour la même production. Un réacteur nucléaire de 900 MW peut fournir 12 TWh/an, pour cette production il faudrait alors 1800 éoliennes. Quand on sait qu’en France leur acceptabilité est de plus en plus contestée, on conçoit qu’une réflexion réaliste sur la concentration d’énergie comparée aux sources diffuses soit en cours (6).


La situation en France

La France a toutes les raisons pour relancer un programme nucléaire. Bien que disposant de 54 réacteurs la situation d’EDF n’est pas très brillante plusieurs sont en arrêt pour grand carénage et près du quart d’entre eux vont devoir être soumis à examen des circuits secondaires pour suspicions de corrosion. La production nucléaire a représenté environ 318 TWh soit 67% des 475 TWh de l’électricité en 2021. La prévision de construire plusieurs EPR 2 est évoquée ainsi que la prolongation possible de la durée d’utilisation de certains réacteurs (jusqu’à 60 ans de service). RTE après plusieurs années de larges concertations a remis au gouvernement un « rapport sur les futurs énergétiques 2050 ». Plusieurs scénarios sont évoqués. Car la demande d’électricité va augmenter si on limite ou supprime le recours aux ressources fossiles pour la neutralité carbone. En 2050 si la réindustrialisation nationale grâce au plan de relance se poursuit, le nombre de véhicules électriques se chiffrera à plusieurs dizaines de millions (7) et la conversion à l’hydrogène exigera de nombreux électrolyseurs (8), les experts extrapolent en 2050 des consommations entre 645 et 750 TWh. En prenant en compte un scenario dit de sobriété avec la multiplication du télétravail, l’isolation renforcée des bâtiments, moins de voyages et déplacements, etc…, ce qui n’est pas un retour à la bougie mais un changement profond de nos habitudes, on aboutit à un bilan médian tout de même de l’ordre de 600 TWh. C’est donc que la neutralité carbone passe par un recours à un mix renouvelable – nucléaire d’autant que parmi les solutions modélisées le recours à un mix où le nucléaire est de l’ordre de 50% de la production électrique coûte 18 milliards de moins que le tout renouvelable.

La recherche et le développement technologique

Cela implique cependant que la France renoue avec son leadership des années 70 en la matière en améliorant la technologie des EPR2 à la lueur des défauts constatés à Flamanville et Hinkley Point et la standardisation des éléments et en accélérant  les investissements pour le SMR (Small Modular Reactor) français Nuward, de 2 fois 170 MW, dérivé des réacteurs navals embarqués, avec une technologie d’eau pressurisée que l’on maîtrise bien et la possibilité de le proposer en remplacement des centrales thermiques européennes en utilisant le même réseau de distribution électrique. N’est-il pas trop tard pour « réinventer notre industrie nucléaire » prônent certains Cassandre ? Chinois, Américains et Russes ont déjà des modèles commercialisables et aussi des réacteurs à neutrons rapides prêts à se connecter au réseau alors que des errements politiques depuis les années 80 ont réduit à néant notre avance acquise sur « Phénix » et plus récemment sur « Astrid ». Une nouvelle prise de conscience de nos qualités en recherche et en technologie et « l’urgence climatique » divine surprise, peuvent relancer la filière.


Jean-Claude Bernier
Janvier 2022

Pour en savoir plus
(1) Le challenge de l'électricité verte La chimie, l'énergie et le climat (collection Chimie et junior)
(2) Énergie du futur et préservation des ressources Fiche Chimie et… en fiches (Mediachimie.org)
(3) Faudra-t-il retourner au charbon ? Jean-Claude Bernier, L'Actualité chimique (avril 2010)
(4) Électricité 100% renouvelable : une utopie ?  Fiche Chimie et… en fiches (Mediachimie.org)
(5) De l’uranium à l’énergie nucléaire Les incollables (vidéo CEA)
(6) Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies de Grégory De Temmerman, Colloque Chimie et énergie nouvelles, février 2021
(7) Nouveaux véhicules thermiques et électriques : quel impact sur l’environnement ? de Jean-Claude Bernier, Colloque Chimie et énergie nouvelles, février 2021
(8) Qu’est-ce que l’hydrogène vert ? de Françoise Brénon, Question du mois (Mediachimie.org)

 


Crédit illustration : Jeanne Menjoulet – Flickr - Licence CC BY 2.0

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Que faire des pales d’éoliennes ?

Alors que la stratégie gouvernementale de la transition énergétique se base en partie sur l’énergie éolienne, nombre d’experts pointent la difficulté d’atteindre les objectifs fixés pour 2028. En effet il existe en France
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Alors que la stratégie gouvernementale de la transition énergétique se base en partie sur l’énergie éolienne, nombre d’experts pointent la difficulté d’atteindre les objectifs fixés pour 2028. En effet il existe en France en 2021 8000 éoliennes sur 1400 parcs, qui ont fourni 8% de la production électrique en 2020 pour une puissance installée de 18 GW (1). Les objectifs de la feuille de route sont d’arriver à 34 GW pour l’éolien terrestre soit donc de doubler le nombre d’éoliennes, et de 5 GW pour l’offshore. Les puissances individuelles de chaque éolienne sont passées en plus de 20 ans de 1,5 MW à 5 MW voire 7 MW pour l’éolien en mer. Comme la puissance est proportionnelle à la surface du cercle décrit par les pales, celles-ci sont passées de 20 m à près de 160 m de longueur grâce au progrès de la chimie des matériaux composites (2).

Une note du ministère de la Transition écologique rappelle que pour atteindre les objectifs il sera nécessaire de s’assurer de la rentabilité des installations, de leur maintenance, de leur intégration paysagiste et enfin de leur recyclage. Au moment où de plus en plus de Français s’inquiètent ou s’opposent à de nouveaux champs terrestres d’éoliennes et les pêcheurs aux implantations en mer, il importe de se pencher sur le démontage et recyclage des installations (3).

La durée de vie d’une éolienne est de 20 à 30 ans et c’est depuis les années 80 à 90 que l’implantation des parcs s’est faite en Europe. Après plus de 20 ans de bons et loyaux services les machines peuvent être démantelées ou remplacées par d’autres plus modernes. On estime en France à 1500 le nombre d’installations à démonter d’ici 2025 et la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Énergie) précise que le recyclage des principaux composants sera obligatoire dès 2023. En fait près de 75 à 80% de la masse de l’installation peut être recyclée, le béton du socle et l’acier des mâts, la cellule et même le cuivre et les terres rares du rotor sont valorisables. Sur le site lui-même, les excavations des fondations, la remise en état du terrain sont prévues dans la convention privée.

Mais que faire des pales ?

Les premières générations d’éoliennes arrivent en fin de vie et le président de WindEurope estime que d’ici 2023 14000 pales d’éoliennes seront mises hors service et leur recyclage devient une priorité absolue. Ce n’est pas facile car elles sont constituées de matériaux composites comportant des fibres de verre ou plus récemment de fibres de carbone assemblées avec des résines époxy ou de polyester (4). Et jusqu’à présent notamment aux États-Unis elles terminent en enfouissement.

Plusieurs voies sont explorées :

Mécaniques, pour les pales renforcées en fibres de verre

  • le broyage : la pale est découpée en morceau puis dans un broyeur à couteau transformée en poudre ou granulés et brulés en cimenterie par exemple ou enfouis.
  • les fibres de verre courtes peuvent être utilisées comme renfort dans le béton dans le mobilier urbain ou enrobés routiers. Mais une fois séparées les fibres perdent une partie de leurs propriétés mécaniques.

Chimiques, pour les pales renforcées en fibres de carbone

La fibre de carbone (5) change les données économiques, car bien que de plus en plus utilisée elle reste cependant coûteuse et sa récupération même complexe a un coût élevé. Cela justifie une opération de recyclage. On peut alors trouver plusieurs procédés :

  • la solvolyse à haute pression et à 200°-300°c par l’eau supercritique (6), celle-ci devient un solvant qui dissous les composés organiques comme les résines thermodurcissables des pales et permet de séparer les fibres de carbone de la matrice qui peuvent être récupérées.
  • la pyrolyse entre 400° et 700°C en milieu semi confiné on « distille » la résine en oléfines, huiles et goudrons et on récupère la fibre de carbone qui n’a pas été oxydée.
  • l’écoconception par l’utilisation d’une résine thermoplastique de type polyacrylate comme Elium℗ d’Arkema (7). Lors de la fabrication de la pale la résine liquide est déposée dans le moule sur les tissus et fibres de carbone, on y ajoute le catalyseur de polymérisation qui se fait à température ambiante et en quelques dizaines de minutes. L’avantage est d’utiliser les mêmes outils de conception que pour le thermodurcissable mais sans dépense d’énergie et la réparabilité à froid en cas de dommage est assurée. En fin de vie deux solutions : un procédé de broyage et d’ajouts aux granulés de polymères compatibles comme le PMMA ou l’ABS mené par la plateforme Canoe et l’ICMCB conduit à des nouveaux objets composites ; seconde solution, par chauffage des fragments du composite broyé, on peut aussi dépolymériser le thermoplastique et récupérer le monomère séparé des fibres, des colles et peintures (8).

Si d’ici 2030 on estime à plus de 35000 tonnes de pales issues du démantèlement en Europe et en France à un flux de 1500 t en 2029 nous avons en innovation chimique du pain sur la planche ! D’autant qu’il n’y a pas encore de vraies filières d’économie circulaire (9) pour les matériaux composites non seulement pour les pales d’éoliennes mais aussi pour l’industrie nautique - les coques de bateaux -, aérienne - les corps des avions - et automobile où ils envahissent le marché.

Jean-Claude Bernier
Novembre 2021

Pour en savoir plus
(1) Les énergies renouvelables (vidéo du CEA série « Les Incollables »)
(2) Les chimistes dans l’aventure des nouveaux matériaux (série Les chimistes dans…, mediachimie.org)
(3) Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies, Grégory De Temmerman, Colloque Chimie et énergies nouvelles (février 2021)
(4) Matériaux composites à matrice polymères, d'après la conférence de Patrice Hamelin, La chimie et l’habitat, EDP Sciences (2011)
(5) Les matériaux dans le sport (r)évolutionnaires ! Patrice Bray, Odile Garreau et Jean-Claude Bernier (série Chimie et … en fiches, Médiachimie.org), d’après l’article de Y. Rémond et J.-F . Caron, in La chimie et le sport, EDP Sciences (2011)
(6) Les fluides supercritiques à votre service, S. Sarrade et K. Benaissi, L'Actualité Chimique n°371-372 (2013) p. 72
(7) Les matériaux de la transition énergétique : les attentes et les défis, J.-P. Moulin, Colloque Chimie et énergies nouvelles (février 2021)
(8) Le prix Pierre Potier des lycéens 2020 (Vidéo YouTube)
(9) Les chimistes dans l’économie circulaire (série Les chimistes dans…, mediachimie.org)

Crédits : image d'illustration, licence CC0, PxHere

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Un prix Nobel de chimie «asymétrique»

Le prix Nobel de chimie 2021 vient d’être attribué à deux chimistes un allemand Benjamin List et à un américain David MacMillan, pour « avoir développé un outil de construction de molécules : l’organocatalyse
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Le prix Nobel de chimie 2021 vient d’être attribué à deux chimistes un allemand Benjamin List et à un américain David MacMillan, pour « avoir développé un outil de construction de molécules : l’organocatalyse asymétrique ». L’Académie Nobel couronne ainsi deux secteurs très actifs de la chimie : la catalyse et la chimie asymétrique.

Pour fabriquer des molécules, qui nécessitent souvent un enchaînement de plusieurs réactions, que ce soit au laboratoire ou dans un procédé chimique industriel, on cherche à diminuer le nombre d’étapes et à les accélérer sans pour autant augmenter la température du milieu réactionnel. Pour cela on fait appel à des catalyseurs (1). Ces catalyseurs étaient souvent des métaux ou des complexes de métaux de transition, par exemple le platine pour les piles à hydrogène ou le rhodium pour les pots catalytiques. Or dans la nature il existe des enzymes capables de synthétiser des molécules complexes asymétriques comme le cholestérol ou la chlorophylle et tout à fait exemptes de métaux.

Avant d’aller plus loin, parlons de molécules asymétriques (2) (3). Ce sont des molécules présentant les mêmes atomes et les mêmes enchainements de liaisons mais qui dans les 3 dimensions ne sont pas superposables à leur image obtenue par symétrie par rapport à un miroir plan. Il en est ainsi de nos mains droite et gauche. Ces molécules sont dites chirales et les deux images ou molécules « miroir » sont des isomères appelés énantiomères. Or souvent ces deux molécules n’ont pas la même propriété. L’exemple le plus connu est celui du limonène. La configuration atomique R a un parfum d’orange et S de citron. En pharmacie ou en parfumerie il est essentiel de synthétiser l’isomère qui possède la propriété et pas l’autre d’où les applications de la catalyse asymétrique.

Les deux chercheurs ont essayé de résoudre cette énigme en utilisant des catalyseurs organiques simples et sans métaux. Benjamin List en observant les propriétés des enzymes doués de chiralité s’est aperçu que seuls quelques-uns de leurs acides aminés avaient une action. Il a essayé alors la proline un acide aminé simple comme catalyseur dans une réaction d’aldolisation (4), et chic ! Dans le produit de réaction un isomère présentant la même chiralité que son catalyseur était largement dominant.

À des milliers de kilomètres de là, David MacMillan était un spécialiste des catalyseurs métalliques asymétriques, coûteux et difficiles à appliquer industriellement. Il a alors testé des molécules organiques comportant un atome d’azote au sein d’une structure de type ion iminium attracteur d’électrons. Sur plusieurs essais il a constaté que certaines d’entre elles favorisaient l’une des molécules miroir à plus de 90%. Il venait aussi indépendamment de son collègue allemand d’inventer « l’organocatalyse organique ».

À leur suite se sont développées de nombreuses applications de molécules chirales aux propriétés essentielles en pharmacologie pour de nouveaux médicaments, en chimie des parfums pour la cosmétique, avec des procédés plus respectueux de l’environnement.

Un petit point d’histoire, c’est en 2001 que le prix Nobel de chimie avait été attribué pour la catalyse asymétrique à Knowles, Noyori et Sharpless via des complexes organométalliques.

Jean-Claude Bernier
7/10/2021

Pour en savoir plus
(1) Chimie et symétrie : chiralité, Dmitri Savostianoff, Chimie Paris n°337 (2012) p. 3-5 (lien vers http://www.mediachimie.org/ressource/chimie-et-sym%C3%A9trie-chiralit%C3%A9), les autres liens marchent)
(2) Polymères supramoléculaires et catalyse asymétrique, M. Raynal et L. Bouteiller, L’Actualité chimique n°430-431 (juin-juillet-août 2018) pp. 37-41
(3) Zoom sur la chiralité et la synthèse asymétrique (J.-P. Foulon, site Mediachimie.org)
(4) Comment passer de la musique à la chimie ? La réaction d’aldolisation (J.-P. Foulon, site Mediachimie.org)
 

Crédit illustration : Benjamin List and David W.C. MacMillan. Prix Nobel de Chimie 2021. Ill. Niklas Elmehed © Nobel Prize Outreach.

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Le Plomb 212 pour une nouvelle radiothérapie ciblée

Lorsqu’une tumeur cancéreuse est détectée dans l’organisme il y a plusieurs stratégies pour l’éliminer : la chirurgie d’abord mais souvent associée à deux autres traitements, la chimiothérapie et la radiothérapie. Car
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Lorsqu’une tumeur cancéreuse est détectée dans l’organisme il y a plusieurs stratégies pour l’éliminer : la chirurgie d’abord mais souvent associée à deux autres traitements, la chimiothérapie et la radiothérapie. Car même si l’essentiel de la tumeur a été retiré, l’amas de cellules cancéreuses peut être éliminé par la prise de médicaments qui réduisent ou stoppent la division cellulaire, c’est la chimiothérapie (1), ou bien localement par irradiation des cellules à l’aide de rayonnements énergétiques fournis par des isotopes radioactifs, c’est la radiothérapie (2).

Les inconvénients de ces méthodes sont connus. Les molécules toxiques utilisées en chimiothérapie atteignent non seulement les cellules cancéreuses mais également toutes les cellules du corps d’où des effets secondaires. Les rayonnements issus des sources radioactives sont soit des électrons (rayons β) ou des rayons X ou des rayons γ (3) qui provoquent des lésions sur les brins d’ADN dans les noyaux des cellules cancéreuses plus ou moins bien ciblées.

Les traitements peuvent être externes mais pour ne pas irradier la peau du patient on peut injecter un produit radioactif qui va attaquer les cellules cancéreuses, par exemple l’iode 131 pour la thyroïde, ou le phosphore 32 en cas de leucémie.

La particularité du traitement qui fait appel au plomb 212 vient du fait que le rayonnement énergétique est apporté par des particules α constituées de 2 protons et de 2 neutrons, bien plus grosses que les électrons et bien plus énergétiques mais que leur propagation se limite à quelques centaines de microns dans le corps.

 Particules βParticules α
compositionélectrons2 neutrons + 2 protons
énergie0,1 KeV.µm-1100 KeV.µm-1
parcours dans le corpsQuelquesmmquelques microns

Tableau comparatif des rayonnements

On voit alors vite les avantages des particules α très ionisantes. Elles peuvent plus facilement dégrader l’ADN d’une cellule cancéreuse, et comme leur distance de propagation est mille fois plus petite que celle des électrons, la zone irradiée est comparable à la taille de la cellule que l’on veut ioniser sans que les cellules saines à côté ne soient touchées.

Les émetteurs de particules α semblent donc idéales pour le traitement de certains cancers à condition d’en trouver suffisamment de sources et de pouvoir les guider jusqu’aux cellules cancéreuses.

C’est ici qu’intervient la découverte d’un chercheur d’Areva (maintenant Orano) qui cherchait à valoriser des tonnes de minerai de thorium (4) qui leur restaient après extraction de l’uranium. L’idée de l’alphathérapie a ainsi germé dans les années 2006 et elle s’est précisée en 2012 et 2014 par des partenariats en oncologie avec des laboratoires pharmaceutiques européen et américain de la filiale Orano Med (5) en charge du développement industriel.

La chaine de désintégration du thorium (6) est un peu complexe et conduit à de nombreux intermédiaires.

232Th→ 228Ra + α        228Ra → 228Ac + β         228Ac →228Th + β        228Th → 224Ra + α
224Ra → 220Rn + α         220Rn →216Po + α    Pour aboutir ensuite au Plomb 212 216Po → 212Pb + α --

Cet isotope est assez bien placé pour une utilisation radiopharmaceutique puisqu’il a une demi-vie de 11 h et se désintègre au bout d’une semaine donnant d’abord le bismuth 212 et enfin le plomb 208 en libérant des particules α.

Les séparations et extractions sont complexes et un fût de 350 kg de thorium 232 ne donne in fine que quelques dizaines de milligrammes de plomb 212.

Il faut ensuite guider ce « radio-émetteur » vers les cellules cancéreuses. Or celles-ci génèrent à leur surface des antigènes contre lesquels il faut apporter des anticorps capables de les reconnaitre.

La stratégie est d’abord de trouver un ligand du 212Pb qui puisse le chélater (*) pour éviter tout relargage du plomb dans le corps. C’est le TCMC (**) qui a été choisi car il a, de plus, la propriété de se coupler assez facilement avec des anticorps monoclonaux (***) qui vont reconnaître les antigènes produits uniquement à la surface des cellules cancéreuses (7) (8). Une fois les anticorps synthétisés on greffe à leur surface le complexe (TCMC-212Pb) et le vecteur ainsi formé va voyager dans le corps jusqu’à reconnaitre les cellules cancéreuses, et celles-là seulement, et les éliminer par le rayonnement α en préservant les cellules saines (9).

 
Schématisation de l'interaction antigène/anticorps dans une immunothérapie avec rayonnement α produit par le 212Pb

Les essais cliniques sont en cours aux États-Unis et bientôt en Europe. La filiale Orano Med investit en France plus de 100 M€ en Haute Vienne pour une plateforme industrielle dénommée ATEF (Advanced Thorium Extraction Facility) avec salle blanche répondant aux règlements de l’ANSM pour obtenir la qualification d’Établissement Pharmaceutique. L’ambition est de mettre sur le marché des traitements dès 2025. Les capacités de production pour plusieurs milliers de radiomédicaments sont prévues et même s’il n’y a que quelques dizaines de milligrammes de 212Pb par fût traité, Orano dispose de plusieurs milliers de fûts de thorium à valoriser où d’ailleurs la chaine des isotopes se reconstitue par radioactivité et désintégration naturelle.

Jean-Claude Bernier et Françoise Brénon
Septembre 2021

 

(*) Le cation central, ici Pb++,  entre en interaction avec une molécule appelée ligand en formant une molécule stable. Le processus est appelé chélation et le composé formé un chélate ou complexe.

 (**)

TCMC pour 2-(4-isothiocyanatobenzyl)-1,4,7,10-tetraaza-1,4,7,10-tetra-(2-carbamoylmethyl)cyclododecane 

(***) Un anticorps monoclonal est anticorps synthétisé par des cellules (bactérie, levure…) sélectionnées et cultivées pour leur capacité à produire un anticorps particulier capable de traiter une maladie (Source : site Vidal).

 

Pour en savoir plus
(1) Petites et grosses molécules innovantes pour le traitement du cancer, conférence et article de Jean-Pierre Armand, Colloque Chimie et nouvelles thérapies, 13 novembre 2019
(2) La radioactivité, document du CEA
(3) Quelle dose moyenne de radioactivité reçoit-on en France, Jean-Claude Bernier (question du mois, Mediachimie.org)
(4) La découverte du thorium, J.-J. Berzelius
(5) Site de la société Orano Med
(6) La chimie pour la séparation et la gestion des déchets nucléaires, conférence et article de Bernard Boullis, Colloque Chimie et enjeux énergétiques, 14 novembre 2012
(7) Le plomb radioactif : arme de destruction ciblée des cellules cancéreuses, de Pauline Junquet et Solène Batut (site Culture Sciences Chimie)
(8) Développement d’un immunoconjugué cytotoxique ciblant le récepteur de l’IGF-1, conférence et article de Jean-François Haeuw, Colloque Chimie et nouvelles thérapies, 13 novembre 2019
(9) Les nanomédicaments : une approche intelligente pour le traitement des maladies sévères, conférence et article de Patrick Couvreur, La chimie et la santé, EDP Sciences ( 2010)

 

Crédits : Image d'illustration : Cellules cancéreuses par Sam Levin, licence CC BY 2.0 ; molécule TCMC site CultureSciencesChimie

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Chimie et pluie des records aux jeux de Tokyo

Les champions olympiques ont fait fort en athlétisme à Tokyo ! Des temps canons au 400 m haies, des records féminins battus au 100 m et 200 m, des records olympiques en demi-fond et aux 5 000 et 10 000 m, des sauts en
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Les champions olympiques ont fait fort en athlétisme à Tokyo ! Des temps canons au 400 m haies, des records féminins battus au 100 m et 200 m, des records olympiques en demi-fond et aux 5 000 et 10 000 m, des sauts en longueur remarquables… De quoi faire mentir les spécialistes de la physiologie sportive (1) qui prévoyaient une limite humaine aux efforts et résultats sportifs.

En réalité ces progrès viennent bien sûr d’entrainements scientifiquement programmés, mais aussi d’avancées technologiques où la chimie a un grand rôle.

Prenons tout d’abord les « chaussures miracles » lancées par un grand nom de l’équipement sportif en 2020 baptisées « alphafly » ou « vaporfly » et copiées bien évidement par tous les grandes marques concurrentes. Elles ont plusieurs couches :

  • une semelle externe élastique dotée de crampons très légers disposés en forme de pentagone
  • une deuxième semelle interne rigide en composite carbone-carbone riche en fibres de carbone (2)
  • des couches de mousse en polyéther à blocs de polyamide (PEBA) (3)
  • une tige et un tissu qui maintiennent le pied en fibres imper-respirantes en PTFE (de type Gore-Tex®) (4)

Ces multicouches ont toutes une utilité : les crampons permettent d’accrocher la piste comme points d’appui pour l’élan, la mousse expansée souvent issue de polymères à blocs avec des polyamides donne l’élasticité et la légèreté à la chaussure et surtout restitue bien l’énergie aux pieds de l’athlète. De plus la semelle en carbone rigide apporte de la rigidité à la voûte plantaire et redonne aussi de l’énergie à la chaussure qui renvoie mieux et permet de mieux avancer.
Les chaussures sont un élément d’explication mais le sol et son revêtement participent aussi à l’avancée technologique. On se rappelle l’arrivée dans les années 70 des pistes en tartan, couplant un revêtement en caoutchouc et polyuréthane avec des agglomérats de gravier en sous-couches, qui ont déjà changé les performances des courses précédentes courues sur pistes cendrées. La piste à Tokyo en 2021 fabriquée sur mesure par l’entreprise italienne Mondo ne fait que 14 mm d’épaisseur. Au-dessous du polyuréthane sont disposés des granulés de caoutchouc en design hexagonal qui ménagent de petites poches d’air. La piste absorbe l’énergie des coureurs et la renvoie avec un effet « trampolino » dans le sens de la marche. Plusieurs coureurs ont dit qu’ils avaient l’impression de « courir sur de l’air » ou de « marcher sur des nuages » sur cette piste très rapide.

De plus les fabricants ont fait un réel effort de développement durable et par souci de l’environnement : les mousses de polyamides viennent d’un bioprocédé rendu célèbre par Arkema utilisant des graines de ricin (5) et leur expansion est faite par insufflation d’azote qui les garantit exempt de CFC, HCFC ou COV (*) (6). Par ailleurs le principal fabricant a mis en place une chaine de recyclage.

La conjonction des chaussures et de la piste apporte un progrès sur les temps de course en sprint et en fond de l’ordre de 2 à 4 % ce qui fait dire au roi du sprint Usain Bolt « avec ces chaussures je serais passé au 100 m sous les 9"50 ! »

Certains cependant critiquent ces records et les assimilent à du « dopage technologique » pour les privilégiés qui disposent de ces équipements. Ce n’est pas sans rappeler la polémique qui a accompagné les performances des nageurs qui étaient revêtus d’une combinaison en polyuréthane et élasthanne sur laquelle l’eau glissait comme sur les écailles de poisson (7). Elles furent ensuite interdites par les autorités des fédérations sportives internationales. Il n’en est pas de même pour ces chaussures innovantes qui avant d’être employées ont reçu l’agrément des comités sportifs et olympiques.

Il n’en reste pas moins que la discipline d’entrainement physique et psychologique des champions est très dure et pas à la portée de n’importe quel amateur. En cette fin août alors que se déroulent les jeux paralympiques que dire alors de la force morale qui anime ces athlètes handicapés qui concourent. Même si diverses prothèses de haute technologie peuvent parfois les aider (8), ce sont des années de souffrance et d’effort durant les entrainements qui leur permettent l’accès au podium.

Jean-Claude Bernier
Août 2021

(*) CFC chlorofluorocarbures, HCFC hydrochlorofluorocarbures, COV composés organiques volatils

 

Pour en savoir plus :
(1) Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites, Jean-François Toussaint, in La Chimie et le sport, EDP Sciences (2011)
(2) Les composites carbone/carbone, J. Thébault et P. Olry, L’Actualité Chimique, n° 295-296 (mars-avril 2006)
(3) Comment faire des polyamides à partir de l'huile de ricin ? Du ricin au Rilsan® : une réaction de polymérisation à la française, Jean-Pierre Foulon, Réactions en un clin d’œil, Mediachimie.org
(4) Les textiles et les vêtements pour le sport, C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, in La chimie dans le sport, collection collection Chimie et... Junior (2014)
(5) La grande aventure des polyamides, J.-C .Bernier et R.-A. Jacquesy, L’Actualité Chimique n° 360-361 (février-mars 2012)
(6) Chimie atmosphérique et climat, conférence et article de Guy P. Brasseur, colloque Chimie et changement climatique, novembre 2015
(7) Des textiles pour sportifs. Apport de la chimie pour améliorer confort et performances, Fabien Roland, in La Chimie et le sport, EDP Sciences (2011)
(8) Nouvelles prothèses, Serge Lécolier, Chimie Paris n°338-339 (2012)
 

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Allons-nous voler à l’hydrogène ? L’évolution du transport aérien

Le plan de relance avec les milliards d’euros consacrés aux carburants propres, dont l’hydrogène, enflamme les médias mais aussi la recherche et l’industrie (1). Confrontée aux critiques l’accusant de pollution,
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Le plan de relance avec les milliards d’euros consacrés aux carburants propres, dont l’hydrogène, enflamme les médias mais aussi la recherche et l’industrie (1).

Confrontée aux critiques l’accusant de pollution, l’aviation commerciale devant la menace de boycott scandinave et de suppression de lignes intérieures françaises se devait de réagir. En fait, dès 2017, bien avant les recommandations de la CCC (Convention Citoyenne pour le Climat), un engagement de remplacement progressif du kérosène par des carburants bas carbone avait été signé entre le ministère de la Transition écologique, de l’Économie et le secrétaire d’État aux transports avec cinq groupes : Air France, Airbus, Safran, Total et Suez environnement. Il prévoyait une substitution programmée d’ici 2050 du kérosène par des biocarburants pour les transports aériens. Airbus vient aussi de lancer son projet de lancement de l’avion ZEROe (pour zéro émission) avec ADP et Air Liquide et d’autres partenaires européens et envisage très sérieusement pour 2035 un avion propulsé à l’hydrogène.

Pourtant dans le transport aérien, l’hydrogène avait mauvaise réputation depuis qu’en mai 1937 le zeppelin LZ 129 Hindenburg, après une traversée atlantique, s’était embrasé sur la base de Lakehurst près de New York faisant 34 morts et 20 blessés. Cette catastrophe mit fin à l’aventure aéronautique des dirigeables géants gonflés à l’hydrogène gaz léger mais très inflammable.

Les biocarburants pour l’aviation

La feuille de route pour le transport aérien implique une augmentation des biocarburants (2) mélangés au kérosène d’ici 2030 pour atteindre une réduction des émissions de 50% en 2050. Cette marche « pré-hydrogène » a déjà profité des recherches de l’IFPEN (IFP Énergies nouvelles) et de Total. Pour la France on se rappelle la reconversion de la raffinerie de La Mède condamnée à la fermeture et transformée en bioraffinerie avec un investissement de plus de 275 millions d’euros devant produire des agrocarburants avec le procédé HVO (Hydrotreated Vegetable Oil), un procédé français. Il avait en 2019 provoqué quelques remous de la part d’écologistes avec le projet de traiter de forts tonnages d’huile de palme (3). Cela n’a pas découragé le pétrochimiste qui a annoncé en 2020 la transformation de la raffinerie de Grandpuits (77) en investissant 500 millions d’euros dans une plateforme « zéro pétrole » afin de fournir 400 000 t/an de biocarburants majoritairement destinés au secteur aérien, à partir de graisses animales, huiles de cuisson usagées et végétales recueillies régionalement.

En juin 2021 un champion de la voltige aérienne a effectué entre Sarrebruck et Reims un vol acrobatique avec son avion à hélice et moteur thermique fonctionnant avec une essence renouvelable à 97% produite par le français Global Bioenergies et l’allemand Swift Fuel. Ce carburant utilise une méthode bien éprouvée par la PME française : on convertit par fermentation à l’aide d’une bactérie modifiée des résidus de betterave, d’amidon, de paille et de bois en isobutène qui par réaction avec l’hydrogène donne l’iso-octane. Il est l’un des constituants majeurs de « l’avgas », diminutif de « aviation gasoline », utilisé par les appareils à hélice. Pour Global Bioenergies ce débouché du bio-isobutène (4) vers les carburants d’aviation pourrait être un marché porteur comme l’est celui du cosmétique avec L’Oréal qui vient de lancer une gamme de maquillage à 90% d’origine naturelle.

L’hydrogène pour l’aviation

Pour l’hydrogène la copie à remplir est plus dure. On se rappellera utilement les contenus énergétiques des carburants : 1 kg de kérosène équivaut à 12 kWh et 1 kg d’hydrogène à 33 kWh, c’est donc à première vue un excellent vecteur énergétique. Mais, il y a un mais, comme il est très léger il ne fait que 3,5 Wh par litre et il faut le liquéfier à -250°C pour obtenir 2,8 kWh/litre, soit 4 fois moins qu’un litre de kérosène. Il faut donc des réservoirs quatre fois plus volumineux de type cryogénique si on l’utilise liquide ou composite haute pression si on l’utilise comprimé à 700 bars. D’ores et déjà Airbus annonce dès 2023 la création de deux centres de développement Zéro émission à Nantes en France et à Brême en Allemagne. Pourquoi Nantes ? Parce que l’usine nantaise a déjà la maitrise des caissons métalliques centraux de voilure des Airbus qui contiennent le carburant, depuis l’A320. Le technocentre de Nantes, lié à l’IRT (Institut de recherche technologique) Jules Verne pourra apporter ses compétences dans le domaine d’intégration des structures métalliques dans l’appareil et les essais cryogéniques sur les réservoirs d’hydrogène liquide. C’est un verrou complexe, car ces composants doivent être capables de résister aux cycles thermiques et de pression que subissent les avions en vol tout en conservant le carburant à -250°C. Ce défi est aussi celui de la distribution du précieux fluide auquel se sont attaqués Air Liquide et ADP avec Airbus (5).

Quelles sont les infrastructures nécessaires sur les deux aéroports français Roissy et Orly ? Pour ravitailler les avions soit on construit des unités d’électrolyse dans l’enceinte ou un lieu proche de l’enceinte soit on l’amène par pipeline en liaison directe avec un site industriel voisin. Le problème en 2021 c’est qu’il existe peu, de par le monde, d’électrolyseurs d’eau de puissance capables de délivrer plusieurs milliers de tonnes d’hydrogène par jour. Sachant qu’il faut environ 50 kWh pour produire 1 kg H2 il faudrait des électrolyseurs de 100 MW capables de délivrer environ 40 000 kg d’hydrogène par jour, sachant qu’un Airbus A350 consomme environ 48 t de kérosène pour la traversée transatlantique de 7000 km. Pour ce vol il faudrait environ 200 t d’hydrogène même avec de nouveaux moteurs Safran économisant plus de 10% de carburants, il faut donc multiplier les ressources d’hydrogène. On voit bien à ces chiffres que ce vecteur énergétique pourra être réservé aux courts et moyens courriers, compte tenu des dimensions possibles des réservoirs.

Autre défi que se posent les partenaires : hydrogène vert (6) ou hydrogène bas carbone ?

Il y a actuellement deux solutions bas carbone opérationnelles. Air liquide dispose de la technologie Cryocap™ (7) qui permet de capter le CO2 issu du steam-reforming (reformage à la vapeur d’eau du gaz méthane). C’est un « hydrogène dit bleu » ! Par ailleurs l’électrolyse de l’eau avec de l’électricité nucléaire est aussi un procédé bas carbone. On appelle « jaune » cet hydrogène !

Les verrous technologiques sont importants ; il faut pouvoir faire le plein en quelques dizaines de minutes compte tenu des rotations des avions, dans des conditions de sécurité et des conditions économiques qui permettront à l’aviation commerciale de survivre.

La feuille de route est rude mais l’objectif de voler en n’émettant que de l’eau et de l’azote est excitant non ?

Jean-Claude Bernier et Françoise Brénon

Pour en savoir plus :
(1) L’hydrogène au secours de l’économie européenne, Jean-Claude Bernier (editorial, Mediachimie.org)
(2) La chimie une solution pour l’avion de demain, Arnaud Charles, Noël Baffier et Jean-Claude Bernier (Chimie et ... en fiches - cycle 4, Mediachimie.org)
(3) La pétrochimie se met au vert, Jean-Claude Bernier et Françoise Brénon (éditorial, Mediachimie.org)
(4) Vers les biocarburants de 2e génération : l'exemple de l'isobutène biosourcé, Pierre Labarbe (Chimie et ...en fiches - Lycée, Mediachimmie.org).
(5) La propulsion des fusées et des futurs avions chez Air Liquide !, conférence et article de Pierre Crespi, Colloque Chimie, aéronautique et espace, 8 novembre 2017
(6) Qu’est-ce que l’hydrogène vert ? Françoise Brénon (Question du mois, Mediachimie.org)
(7) Ce procédé de fabrication de l’hydrogène consomme toutefois un hydrocarbure tel que le méthane selon le bilan CH4 + 2 H2O →4 H2 + CO2 mais le captage du dioxyde de carbone empêche son relargage dans l’atmosphère. Cryocap™ H2: solution cryogénique de captage de CO₂ (site Air Liquide).

 

Illustration : Airbus A320-271N, Wikimedia par Pedro Aragão, Licence CC BY-SA 3.0, Lien

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Un aveugle récupère la vue grâce à une algue

Les chercheurs de l’Institut de la vision (1) avec le professeur Jean Alain Sahel, l’Institut d’ophtalmologie de Bâle et le concours d’une start-up GenSight Biologics viennent de réussir récemment une performance clinique
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Les chercheurs de l’Institut de la vision (1) avec le professeur Jean Alain Sahel, l’Institut d’ophtalmologie de Bâle et le concours d’une start-up GenSight Biologics viennent de réussir récemment une performance clinique sur un patient aveugle. Depuis plusieurs années ils ont développé la thérapie « optogénétique » afin de redonner la vue à des patients devenus aveugles.

Cette approche thérapeutique nous avait déjà été signalée et décrite en 2017 lors du colloque « La chimie et les sens » à la Maison de la Chimie par le docteur Serge Picaud de l’INSERM (2). Cette incroyable innovation repose sur l’utilisation du système photosensible d’une algue unicellulaire qui est capable de se déplacer vers une source de lumière. Le principe de base est dû à une protéine qui sous la perception de la lumière ouvre un canal ionique dans la cellule et produit donc un courant qui agit sur le déplacement de l’algue (3). Les chercheurs, par biochimie, ont réussi à extraire le code génétique de cette protéine de la membrane des algues, à l’aide d’un vecteur viral de type virus adéno-associé (AAV) classiquement utilisé en thérapie génique. Ce vecteur est injecté dans l’œil, il diffuse dans la rétine et pénètre les neurones résiduels. Il a été montré que cette protéine photosensible est alors exprimée dans les cellules ganglionnaires de la rétine qui peuvent ainsi envoyer des signaux aux neurones du cerveau en fonction de l’intensité lumineuse reçue. Après des essais menés sur des souris puis sur des primates, les premiers essais cliniques de phases I et II en concentration progressive et essais de toxicologie et de rejets possibles immunitaires sont assez positifs. Ils ont cependant montré qu’il fallait des intensités lumineuses très élevées afin d’obtenir un stimulus conséquent chez les patients. D’où la nécessité de recourir à des lunettes spéciales qu’ont mises au point deux start-up spécialisées. Ces lunettes sont dotées de micro-caméras qui captent les changements d’intensité lumineuse et les retransmettent à l’œil au moyen d’une sorte de vidéoprojecteur, en images virtuelles monochromes, projetées à forte intensité sur les cellules ganglionnaires de la rétine qui peuvent ainsi envoyer un stimulus correct au cerveau.

C’est donc tout récemment en 2021 qu’un patient ayant perdu la vue par la mort des cellules photoréceptrices de la rétine, conséquence d’une rétinopathie pigmentaire, a retrouvé partiellement la vue au cours de cet essai clinique. Cette maladie génétique dégénérative de l’œil se caractérise par une perte progressive de la vision. Les chercheurs pensent aussi que cette approche par protéines photosensibles peut s’appliquer à d’autres pathologies de la rétine dont la dégénérescence maculaire qui se lie à l’âge de plus en plus élevé de nos concitoyens.

Il est remarquable que ce qui avait été annoncé en 2017 par une conférence en guise d’interrogation à la Maison de la chimie : « Faire revoir un aveugle avec le système photosensible d’une algue : bientôt une réalité ? » (2) soit vraiment devenu une réalité, 4 ans après, à partir d’une source naturelle (4) grâce aux biochimistes, ophtalmologues et star-up français et suisses.

Jean-Claude Bernier
Mai 2021

Pour en savoir plus
(1) La rétine en silicium (vidéo Les idées Plein la Tech)
(2) Faire revoir un aveugle avec le système photosensible d’une algue : bientôt une réalité ? conférence et article de Serge Picaud, Colloque La chimie et les sens, 22 février 2017
(3) Zoom sur la valorisation des algues Jean-Pierre Foulon
(4) Nature et chimie : des alliées pour accéder à de nouveaux médicaments conférence et article de Janine Cossy, Colloque Chimie et nouvelles thérapies, 13 novembre 2019
 

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Les chimistes de Napoléon

En mai 2021 la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon 1er a suscité de nombreux articles et livres qui ont parfois créé la polémique sur les qualités et défauts de l’empereur français. Peu ont rappelé
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En mai 2021 la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon 1er a suscité de nombreux articles et livres qui ont parfois créé la polémique sur les qualités et défauts de l’empereur français. Peu ont rappelé combien la science et ses applications avaient été l’objet d’attention particulière de la part du souverain. Car dès sa formation il montre un penchant marqué pour les mathématiques et les sciences physiques qu’il gardera au cours de sa carrière.

Général commandant de la campagne d’Italie il écrit : « Le peuple français ajoute plus de prix à l’acquisition d’un savant mathématicien qu’à celle de la ville la plus riche ou la plus populaire ». Surprenante déclaration d’un général en chef de l’armée d’Italie qui de plus s’est fait accompagner par Monge et Berthollet pour aussi séduire à sa table des savants italiens comme Volta spécialiste des courants électriques et de l’électrochimie (1).

À son retour il veut aussi connaître la communauté scientifique et avec l’aide de ces deux mêmes mathématicien et chimiste se fait élire à l’Institut en décembre 1797. Il s’y comporte comme un membre ordinaire mais suscite un intérêt croissant qu’il s’empresse de communiquer à la nation par les journaux.

C’est ainsi que se bâtit la curieuse expédition d’Égypte qui fait s’embarquer 32000 hommes en mai 1798 à Toulon mais aussi la Commission des sciences et des arts avec plus d’une centaine de scientifiques issus de l’Institut et de l’École polytechnique créés respectivement en 1795 et 1794. C’est encore Monge et Berthollet aidés par Joseph Fourier qui animeront les recherches et explorations jusqu’au retour de Bonaparte et le rapatriement de la Commission en 1803. La rédaction d’un ouvrage monumental se poursuivra jusqu’en 1809 avec une masse incroyable de résultats historiques, géographiques et scientifiques.

Après le 18 brumaire le premier consul crée en 1801 la Société d’encouragement à l’industrie nationale qui rassemble les élites savantes autour de projets industriels. Il confiera ainsi à des scientifiques de hautes fonctions politiques. C’est ainsi que le chimiste Antoine François Fourcroy sera directeur de l’Instruction publique et le chimiste Jean Antoine Chaptal sera ministre de l’Intérieur.

Mais qui sont donc ces chimistes qui doivent en partie à Bonaparte puis à Napoléon leur réussite ?

C’est tout d’abord Claude Louis Berthollet (2), fils de notaire, né à Talloires (duché de Savoie appartenant alors au royaume de Sardaigne), qui effectue des études de médecine à Turin. À Paris il devient médecin du Régent, le duc d’Orléans, qui met à sa disposition son laboratoire du Palais Royal. En 1780 il polémique avec Lavoisier sur le rôle de l’oxygène mais reconnait vite son erreur et publie avec lui la célèbre Méthode de nomenclature chimique en 1787 qui marque les débuts de la chimie moderne. Sa grande découverte en 1789 est le blanchiment des fibres de lin par des solvants chlorés qui donne un grand essor à la culture et au textile du lin en supprimant le long blanchiment (2) sur pré. Il est nommé professeur de chimie à l’École polytechnique et participe avec plusieurs collègues à l’expédition d’Égypte où il se lie d’amitié avec Bonaparte. En 1801 il publie son ouvrage Recherche sur les lois de l’affinité où l’on trouve l’analyse de nombreux corps de compositions jusqu’alors inconnues. Chargé d’honneurs et sénateur comblé il fonde la Société d’Arcueil et le laboratoire où se retrouveront de nombreux chimistes pour y mener de nouvelles expériences jusqu’en 1822.

Antoine François Fourcroy (3) s’est vu confier la chaire de chimie au « Jardin du Roi » en 1784. Fin politicien et bon orateur il siège à la Convention et survivra aux diverses vagues de la Révolution en se chargeant déjà de la réforme de l’instruction publique. Il intègre l’Institut et en sera le président de la section chimie en 1797. Après le 18 brumaire Bonaparte le nomme conseiller d’Etat. Préoccupé par l’état sanitaire déplorable, il crée les écoles de santé et rédigera les textes fondateurs, souvent retravaillés par Napoléon, de l’Université impériale chargée de gérer et contrôler l’ensemble des établissements d’enseignements de l’Empire et créée par décret en 1806.

Louis Nicolas Vauquelin (4) venu d’une famille pauvre normande monte à Paris où il tombe malade et erre dans les rues jusqu’à ce qu’un pharmacien Cheradame le recueille et l’instruit. Celui-ci, émerveillé par son intelligence le présente à un ami de la famille, A.F. Fourcroy. Celui-ci le prend dans son laboratoire et le fait connaître dans le milieu scientifique. Nommé professeur en frimaire an IV, admis à l’Institut il participe à la rédaction des Annales de chimie, puis avec ses collègues chimistes part chercher les tonneaux de salpêtre par toute la France pour fournir des explosifs aux armées de la patrie en danger. Pour obtenir le poste de professeur à la faculté de médecine il passe vite le doctorat en médecine. Par ses travaux il découvre la strychnine avec Pelletier et Caventou et dans ses travaux sur les plantes isole plusieurs acides aminés l’asparagine, des pectines, la nicotine, l’urée urinaire. En chimie minérale il découvre l’élément chrome et un nouvel élément, le glucinium qui sera prendra plus tard le nom de béryllium.

Joseph Louis Gay-Lussac (5), fils d’un juge à Pont-de-Noblat en Haute Vienne. Ce n’est qu’après la mort de Robespierre qu’il vient à Paris où il apprend l’anglais et les mathématiques. Admis à l’École polytechnique en 1797 à 19 ans, il suit les cours de chimie de Fourcroy, Vauquelin, Chaptal et Berthollet. Rien d’étonnant à ce qu’il devienne l’assistant de Berthollet et participe aux travaux sur le traitement des fibres de lin par les composés chlorés (6) dans le laboratoire d’Arcueil. Accueilli à l’Institut en 1806 il devient professeur de chimie à Polytechnique puis au Muséum d’histoire naturelle et à la faculté des sciences de Paris. Ses travaux sur la chimie et la thermodynamique des gaz font autorité comme ses travaux sur le magnétisme qui lui donnent l’occasion de battre des records d’altitude en ballon. C’est avec Thenard qu’il isole le potassium et découvre le bore. Mais il a aussi beaucoup de collaborations avec l’industrie de l’acide sulfurique et du verre puisqu’il présidera le conseil d’administration des glaces de Saint-Gobain (7).

Jean Antoine Chaptal (8). Voilà encore un chimiste qui a débuté par des études de médecine à Montpellier en 1777. Mais, passionné il se rend à Paris pour étudier la chimie. Son oncle l’aide à construire des ateliers où il améliore la production d’acide chlorhydrique. Sa fabrique se diversifie et prend de l’essor, ses produits sont connus dans toute l’Europe. C’est revenu à Montpellier dans la chaire de chimie qu’il se penche sur la formule de Lavoisier de transformation du sucre en alcool. Il publie sa doctrine en 1799 sur la vinification du vin. Son traité sur « la chaptalisation » du vin en 1807 révolutionne l’œnologie (9). À Paris, professeur de chimie végétale à Polytechnique, membre de l’Académie des sciences il poursuit ses activités industrielles et politiques puisqu’en janvier 1801 il est nommé ministre de l’Intérieur et ce sera lui qui élaborera la loi qui institue préfets, sous-préfets et arrondissements. Il démissionnera en 1804 pour être nommé sénateur. Outre ses écrits sur la vinification on lui doit la fabrication artificielle de l’alun, du salpêtre et d’un type de ciment.

Armand Jean François Seguin. Collaborateur de Lavoisier et cobaye humain pour ses essais sur la respiration, très bon expérimentateur, il fit fortune en inventant une méthode rapide de tannage des cuirs à base d’acide sulfurique et de tannins divers. Fournisseur de cuir pour les armées de l’Empire il installa une grande manufacture sur l’île de Sèvres sur la Seine qui traitait plus de 100 000 peaux par an. Sa fortune lui permit d’acheter plusieurs châteaux, mais les affaires périclitant, des spéculations aventureuses l’obligent à vendre une bonne partie de ses immeubles et à transformer sa manufacture en un haras pour chevaux de course. Il réservait ses communications scientifiques sur l’opium ou le quinquina à l’Académie dont il était correspondant. Son île sera industrialisée bien plus tard en 1925 par Renault et s’appellera bien sûr l’île Seguin.

Curieux destins pour ces chimistes qui surent survivre aux changements radicaux de régimes, de la royauté à la Restauration en passant par la Révolution, le Consulat et l’Empire. Au cours de ces changements sociétaux, ils ont cependant jeté les bases de la chimie moderne et initié les débuts d’une industrie nationale. Faut-il y voir le sens de l’investigation, de la patience, de l’observation et du pragmatisme des chimistes, pour surnager aux vagues parfois sanguinaires des révolutionnaires et se glisser dans un ordre nouveau qui fera leur fortune, mais dictatorial ?

Jean-Claude Bernier et Françoise Brénon
Mai 2021

Pour en savoir plus
(1) La pile électrique : tout a commencé avec des grenouilles
(2) Berthollet (1748-1822) et ses œuvres
(3) Antoine François de Fourcroy (1755-1808), promoteur de la loi de germinal an XI
(4) Conférence de M. le Professeur Delépine : les œuvres chimiques de Vauquelin
(5) Louis Joseph Gay-Lussac (1778–1850)
(6) Berthollet, le pharmacien Curaudau et l’identification du chlore
(7) Comment faire des vitrages avec du sable ? La réaction de fusion du verre
(8) Chaptal (1758–1822)
(9) De la vigne au verre : tout un art ?
 

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Des bioraffineries durables et rentables ?

Deux programmes pour verdir l’Europe Connaissez-vous le CBE ou Circular Bio-based Europe qui succède depuis février au BBI JU ou Bio-based Industries Joint Undertaking ? Non pas vraiment ? Eh bien ce sont deux programmes
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Deux programmes pour verdir l’Europe 

Connaissez-vous le CBE ou Circular Bio-based Europe qui succède depuis février au BBI JU ou Bio-based Industries Joint Undertaking ? Non pas vraiment ? Eh bien ce sont deux programmes européens.

Le premier, créé en 2014, a été basé sur une collaboration public–privé entre la commission et le consortium des bioindustries composé de plus de 100 entreprises dont plusieurs dizaines de la chimie. Sous la forme d’un « Public Private Partnership »il a été doté de 2,7 Mrd€ dont 1 Mrd issu de Bruxelles et 1,7 Mrd venant des industriels.

Son successeur jusqu’en 2027 devrait aussi mobiliser 2 Mrd€. Les réponses aux appels d’offres sont sélectionnées par un groupe mêlant les représentants des États et le comité scientifique. Ces dispositions ont permis de créer onze bioraffineries (1) en Europe dont trois en France, en réduisant les risques des investissements dans ces industries biologiques et en les connectant avec le marché pour créer une bioéconomie durable et compétitive en Europe. Elles sont dénommées « flagships » ou « bioraffineries phares ».

Voyons les résultats pour la France qui prend la première place de ce programme puisque trois projets y sont aboutis.

RESOLUTE – Un biosolvant non toxique à partir des déchets ligno-cellulosiques

C’est un projet mené par la société Circa spécialisée dans la fabrication des solvants organiques biosourcés (2). C’est la production à grande échelle d’un nouveau solvant non toxique à partir de résidus forestiers pour répondre à la demande de l’industrie des pâtes et papiers de valoriser ses déchets et de diversifier ses activités.

Circa avec l’université de York et d’autres partenaires dont AgroParisTech a mis au point depuis plusieurs années un procédé de fabrication de la levoglucosénone (LGO) intermédiaire pour les polymères spéciaux, des parfums et des actifs pharmaceutiques.

Mais le principal débouché commercial est le cyrène obtenu par hydrogénation du LGO (voir figure) solvant aprotique dipolaire et chiral qui va remplacer avantageusement le NMP (N-méthyl-2-pyrrolidone) et le DMF (N,N-dimethylformamide) qui sont sous pression réglementaire à cause de leur toxicité. Après avoir reçu l’approbation de l’ECHA (3) pour son biosolvant et investi plusieurs millions d’euros pour des pilotes produisant 100 tonnes de cyrène par an, une unité industrielle est en cours de construction sur le site chimique de Carling Saint-Avold pour produire environ 1000 tonnes fin 2022.

Suite à des travaux universitaires du CSIC de Madrid, le cyrène s’est révélé avoir les propriétés chimiques et physiques idéales pour l’exfoliation du graphite et les dispersions du graphène. C’est un nouveau débouché high-tech qui s’ouvre alors pour la commercialisation des encres pour l’électronique et les revêtements conducteurs.

AFTERBIOCHEM – Comment fabriquer des acides à partir des pulpes de betterave

C’est un deuxième « flagship » porté par la société Afyren spécialisée dans l’ingénierie en biologie. Elle a investi depuis 2016 dans un procédé qui convertit les déchets agroindustriels de betterave issus de l’industrie sucrière (4) en « building blocks » par fermentation anaérobie, puis dans une deuxième étape à les transformer en acides carboxyliques R-COOH. Grâce au programme européen BBI JU et la contribution de Bpifrance le projet industriel s’implante lui aussi sur la plateforme attractive Chemesis de Saint-Avold qui dispose de services partagés entre les entreprises chimiques du site. C’est un investissement de plus de 60 millions d’euros et la création de 60 emplois qui permettront à Afyren de produire dès 2022 16.000 tonnes d’acides acétique (5), propanoïque, butanoïque (butyrique) et pentanoïque (valérique)… aux applications multiples en agroalimentaire, lubrifiants, cosmétiques, plastifiants et pharmaceutique.

FARMŸING – synthétiser des protéines à partir de déchets organiques

Le troisième « flagship » français est porté par la société Ÿnsect spécialisée dans la production de protéines pour l’alimentation animale (6). C’est sans doute le plus original bien que le terme de bioraffinerie ne soit pas adéquat. C’est probablement la plus grande ferme horizontale d’Europe qui s’implante à Poulainville près d’Amiens. Sa production bien maitrisée par Ynsect et protégée par une trentaine de brevets consiste à « industrialiser » la larve de Tenebrio molitor connue sous la dénomination du ver de farine qui consomme pour grossir toutes sortes de matières organiques, graisses, végétaux, déchets ménagers… et qui est une source de nutriments naturels pour de nombreux animaux, poissons, volailles, porcins, chiens et chats…

Cofinancée par BBI JU, la région Hauts-de-France et divers fonds d’investissement, cette ferme qui va s’élever sur 40 000 m2 et 35 mètres de hauteur sera économe en eau et en énergie et devrait dès 2022 produire 1500 tonnes de protéines par mois. Cette unité, écoresponsable et durable économiquement, peut éviter une pêche supplémentaire de poissons sauvages, l’importation de soja et la diminution d’entrants azotés pour les produits et plantations destinées à l’alimentation animale.

Pour sourire, signalons un autre débouché : déjà plusieurs firmes commercialisent aussi pour l’apéro (7) ces vers Tenebrio molitor cuisinés et à croquer, d’une saveur comté-pointe de muscade rappelant l’amande et la noix de cajou riches en protéines et oméga 3 et 6 ! À votre santé !

Une nécessaire adaptation des bioraffineries au marché concurrentiel

Pour rester sérieux, il est clair que ces « bioraffineries » vont commercialiser des produits à forte valeur ajoutée dont les prix à la tonne vont permettre une rentabilité qui assurera leur durabilité sur le marché.
Cela contraste avec les difficultés que rencontrent les bioraffineries de la Mède ou de Grandpuits d’une part pour assurer un approvisionnement en graisse animale, huile de palme ou de cuisson usagée et d’autre part pour commercialiser des carburants que l’on peut directement incorporer dans le kérosène. En effet, le prix à la tonne, trois à quatre fois celui du kérosène classique, et les récentes fermetures de vols intérieurs vont rendre difficile l’essor commercial sans mesures d’assistance, preuve à l’appui que la bioingénierie en chimie a son créneau dans les produits et intermédiaires chimiques de valeur.

Jean-Claude Bernier
Avril 2021

Pour en savoir plus
(1) Introduction aux bioraffineries et La bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle, L'Actualité chimique n° 375-376 (2013) pp. 46-48 et. 49-55
(2) Les solvants biosourcés : opportunités et limitations, P. Marion et F. Jérôme, L’Actualité chimique n° 427-428 (2018) pp. 91-94
(3) L’évaluation des substances chimiques dans le cadre de la mise en œuvre de REACH, conférence et article de C. Gourlay-Francé, Colloque Chimie et expertise - santé et environnement (2015)
(4) Zoom sur le saccharose : de la betterave au sucre, L. Amann, Mediachimie
(5) La chimie du vinaigre,  R. Guelin, dossier pédagogique Mediachimie /Nathan
(6) La science et la technologie de l’alimentation vues par la chimie du bouillon, H. This, Colloque La chimie et l’alimentation (2010)
(7) Au menu de nos cousins : diversité, perception gustative et chimie des aliments des primates, S.Krief et Cl.-M. Hladik, Colloque La chimie et l’alimentation (2010)


 

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Enfin un masque invisible

La chimie n’arrête pas d’innover pour le bien de nos concitoyens en cette période de pandémie où les gestes barrières et le port du masque sont essentiels. Le manque de visibilité des visages apporté par les masques
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La chimie n’arrête pas d’innover pour le bien de nos concitoyens en cette période de pandémie où les gestes barrières et le port du masque sont essentiels. Le manque de visibilité des visages apporté par les masques classiques en polyéthylène (1) est sur le point d’être contourné. Le professeur Vandensoep et son équipe de l’institut de Gand–Wevelgem, après plus de 12 mois de recherche, viennent enfin de publier des résultats sur un masque totalement transparent quasi invisible.

Après plusieurs essais sur des masques en polyéthylène multicouches directement issus de l’emballage alimentaire (2) on s’est aperçu que les couches filtraient bien l’oxygène mais pas l’azote et le gaz carbonique rejetés par les voies respiratoires, ce qui a failli entraîner des accidents heureusement sans grande gravité chez les volontaires testés. Ces essais malheureux ont cependant été très instructifs et ont conduit à l’élaboration de plusieurs prototypes.

Le masque est composé d’une mince feuille de polycarbonate percée de milliers de nano-trous et revêtue à l’extérieur d’une couche de polymères possédant une chaine perfluorée qui assure la « déperlance » (3) du masque. Ainsi l’air inspiré et les gaz expirés peuvent circuler mais les micro-gouttes des aérosols extérieurs, véhicules du virus, sont arrêtées et regroupées en macro-gouttes, tout en conservant la transparence du masque. Sa dénomination commerciale se ferait sous la marque Carat.

Le débit d’inspiration et d’expiration doit cependant faire face à une perte de charge due aux dimensions de nano-trous, c’est alors que l’équipe du professeur Vandensoep a eu l’idée de collaborer avec celle du professeur Trugludu de l’Université libre de Roubaix, spécialisée dans l’optique et notamment dans les micro-lasers. Ils ont alors augmenté les diamètres de micro-trous afin de diminuer la perte de charge et placé au-dessus des oreilles des micro-lasers (4) alimentés par des cellules photoélectriques disposées sur un serre-tête du porteur du masque qui balayent la partie avant du masque et font éclater toutes les gouttes des aérosols meurtriers. Sa dénomination commerciale est prévue sous le nom de Carré, compte tenu de sa forme plus anguleuse.

C’est alors, vu la complexité et surtout le coût de ce dernier masque, que l’idée de faire appel à des polymères autoréparables est venue à l’équipe, en utilisant des polymères à liaisons covalentes réversibles associant un réseau de type silicone et un autre réseau supramoléculaire (5). La mince feuille de polycarbonate est alors revêtue de cette couche autocicatrisante. Les trous de cette dernière pouvant être obturée par la simple chaleur de l’air expirée. L’équipe a alors donné à ce prototype le nom de « dArpone d» qui rappelle la base silicone, il demande encore à être testée pour la réversibilité des cycles.

Nul doute que d’ici peu les masques chirurgicaux difficiles à porter seront remplacés par ces masques qui permettront de mieux visualiser les visages et contribuer à la vie sociale. Souhaitons rapidement la fabrication des masques Carat, Carré et Arpone pour le bien-être et la sécurité de nos concitoyens.

Jean-Claude Bernier
1er avril 2021

Pour en savoir plus
(1) Oui la chimie avance masquée
(2) Chimie et maîtrise de la lumière
(3) Les textiles et les vêtements pour le sport
(4) La chimie à la lumière du laser : un intérêt réciproque
(5) Matériaux et chimie supramoléculaire (vidéo)
 

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De la fragilité des réseaux électriques

Les vagues de froidFévrier 2021 a vu une météo très changeante et des vagues de froid vif en Europe du Nord et sur le continent américain. Des chutes importantes de température, accompagnées de chutes de neige abondantes,
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Les vagues de froid

Février 2021 a vu une météo très changeante et des vagues de froid vif en Europe du Nord et sur le continent américain. Des chutes importantes de température, accompagnées de chutes de neige abondantes, ont sévi en Scandinavie, au Canada et sur la côte Est des États-Unis. Plus surprenant un anticyclone arctique est descendu en Amérique au-delà de la Nouvelle-Angleterre et jusqu’au Texas. Des températures polaires de -19°C à -9°C et même -41°C dans le Minnesota ont été relevées alors même que neige et verglas paralysaient la circulation. Six états US ont déclaré l’état d’urgence grand froid et plus de 3 millions de foyers au Texas ont été privés d’électricité durant plus de 48 h (1) ainsi que d’eau courante pour plusieurs semaines, l’eau ayant gelé dans les canalisations.

En Europe, la Scandinavie a aussi été frappée d’une vague de froid qui a un peu débordé sur la France et le nord-est de l’Allemagne. La vertueuse Suède qui a remplacé ses centrales thermiques et nucléaires par des filières renouvelables (2) a vu tomber leur production électrique de 25% à 9%, les éoliennes étant gelées et les panneaux photovoltaïques enneigés. Pour échapper au black-out elle a remis en route la centrale au fioul et a eu recours à de l’électricité venue d’Allemagne, de Pologne et de Lituanie, las issue de centrales à charbon ! Les Suédois et Suédoises ont été invités par le gouvernement à réduire leur consommation, ce à quoi ils et elles ont répliqué par « #dammsugarupproret », soit « la révolte des aspirateurs ».

Les causes

On peut s’étonner que dans un État aussi riche en sources d’énergie qu’est le Texas, un black-out généralisé puisse arriver. Les hommes politiques ont été très interpellés à la suite de ces incidents qui ont tout de même fait plus d’une dizaine de morts. Certains ont pointé le pourcentage trop élevé de sources d’énergie intermittentes. La société privée de distribution ERCOT a fait l’objet de nombreuses critiques soulignant ses faibles investissements sur les lignes et le grand défaut du manque d’interconnexions avec les sources d’énergies d’autres États et au réseau national (3).

C’est là la grande différence avec l’Europe. Pour la France, une vague de froid fin 1978 avait provoqué une panne d’électricité générale le 19 décembre où les trois quarts du pays avaient été privés de courant durant une dizaine d’heures, alors que commençaient à produire les premières centrales nucléaires et que l’interconnexion des boucles de distribution était encore incomplète.

La leçon à cette date fut bien comprise. Il fut décidé d’accélérer le programme nucléaire et de parfaire une interconnexion européenne qui autorise les échanges de puissance électrique entre pays permettant de pallier des incidents locaux ou des conditions climatiques géographiques particulières. Il y a donc en Europe un marché d’échange du MWh qui, lors de la vague de février, est brutalement monté à 200 € au lieu de 30 €.

Les solutions

Au-delà de la toile d’araignée des interconnexions de grandes lignes de courant, il y a une réflexion sur notre avenir énergétique dans la perspective de la transition écologique. L’intermittent éolien et solaire n’est viable que s’il est soutenu par une source d’énergie constante (4) et modulable facilement suivant la demande et si possible non polluante. À ce sujet connaître la valeur en émission CO2 du KWh est cruciale (voir tableau ci-dessous).

Filièrenucléairehydrauliquegazfioulcharbon
G CO2/kWh664187301060

 

Pour les producteurs et régulateurs de réseau c’est un vrai casse-tête car comment ajuster en temps réel demande et production et comment faire face à des conditions extrêmes - froid intense, neige et glace et anticyclone permanent - sans vent durant plusieurs jours (5) ? Les centrales thermiques à gaz ou fioul peuvent répondre assez vite mais comme elles ne fonctionnent que quelques jours par an, leur kWh est cher et peu d‘investisseurs sont enclins à s’y intéresser. De plus leur bilan carbone n’est pas bon. En France l’hydraulique peut répondre assez vite à ces hausses de demande. Pour le nucléaire, actuellement le CEA et EDF planchent sur un procédé de variation rapide de 20% à 80% de la puissance d’un réacteur en moins d’une heure (6). Par ailleurs la recherche et quelques réalisations de SMR (petits réacteurs modulaires) vont permettre de diversifier les applications nucléaires de puissance comprises entre 100 et 300 MW et répondre à ces types de demandes (7). Le projet français « Nuward » vient de bénéficier financièrement du plan de relance. Il regroupe le CEA, EDF, TechnicAtome et Naval Group. Avec deux ilots de 170 MW et une seule salle de commande, il sera le plus compact du marché dans une cuve de 4 m de diamètre et de 13,5 m de hauteur dans un bâtiment semi enterré associé à un système de refroidissement passif (sans pompes) garantissant une sureté et une protection de qualité. Modèle le plus compact issu de notre expérience de la propulsion navale, il pourrait être commercialisé en 2035 avec une chaine de fabrication modulaire et standardisée permettant des coûts réduits. Il ne faut pas tarder, car selon l’OCDE/AEN le marché des SMR à cet horizon peut être de 20 GW. Déjà la Russie a installé un SMR sur barge flottante en Sibérie et aux États-Unis la société NuScale prévoit d’installer un premier module en Utah en 2023.

Sur le papier nos gouvernants et l’opinion publique pensent qu’il est simple d’élaborer une transformation énergétique radicale de la société, sur le terrain c’est une autre affaire… (8)

Jean-Claude Bernier
Mars 2021

Pour en savoir plus :
(1) Noël aux tisons ? editorial Jean-Claude Bernier
(2) Une électricité 100% renouvelable : rêve ou réalité ? fiche Chimie et… en fiches
(3) Réseaux de transport de l’électricité et transition énergétique, article et conférence de S. Henry (colloque Chimie et enjeux énergétiques, 2012)
(4) Le challenge de l’électricité verte, collection Chimie et Junior
(5) La complexité du réseau et l’électricité verte, article et conférence de Y. Bréchet (colloque Chimie et enjeux climatiques, 2015)
(6) Équipe de recherche (vidéo du CEA)
(7) Le nucléaire de fission dans le futur. Complémentarité avec les renouvelables, conférence de C. Behar (colloque Chimie et énergies nouvelles, 2021)
(8) Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies, conférence de G. de Temmerman (colloque Chimie et énergies nouvelles, 2021)

 

Image d'illustration :  K. et B. Emerson - Flickr
licence Creative Commons Attribution 2.0 Générique.