| H₂O, la molécule vedette de l’été
Rubrique(s) : Éditorial
La sécheresse qui a sévi en 2022 et les vagues de chaleur estivales ont entrainé cet été des évènements extrêmes et des manifestations « hypohydriques » que nous n’avions pas souvent connus. La plus spectaculaire a été les nombreux départs de feux de forêts ou de broussailles facilités par une végétation asséchée mais aussi la faible croissance des cultures vivrières et le jaunissement des prairies que broutent les animaux, les coupures d’eau potables dans certains villages ruraux et les fissures apparues dans de nombreuses maisons individuelles bâties sur terrain argileux.
Tout ceci montre une fois de plus l’importance d’une molécule ; l’eau H2O indispensable à la vie quotidienne et à la vie tout court.
H2O l’indispensable
Notre corps est composé en moyenne à 65% d’eau (pour un adulte) (1). En cas de canicule il est indispensable de boire car si la teneur baisse de quelques % des troubles apparaissent. On peut être privé de nourriture pendant plusieurs jours mais pas d’eau. Toute activité physique nécessite une énergie chimique stockée dans notre corps sous forme d’une précieuse molécule l’ATP (2) qui se transforme en ADP en libérant de l’énergie PI utilisée par nos muscles. L’équation simplifiée dans un effort d’endurance (3) qui consomme du dioxygène est :
Glucose + O2 + ATP = PI +ADP + CO2 + H2O.
Lors d’un effort sportif on libère donc du CO2 mais aussi de l’eau. C’est pourquoi lors par exemple du tour de France les coureurs doivent boire beaucoup de litres d’eau car ils en perdent beaucoup sous forme de vapeur ou de sueur.
Cette eau essentielle à la vie combien en dispose-t-on ? Sur notre planète Terre, l’eau est essentiellement sous forme d’eau salée (97,5 %) et 70% de l’eau douce est sous forme de glace ou de neige. Pour l’humanité c’est bien sûr la ressource en eau douce qui est importante elle est de l’ordre de 35 millions de km3 dont la moitié est normalement accessible (4).
Peut-on craindre une pénurie ? Les experts de la FAO estiment les besoins à 14 000 km3/an soit moins de la moitié des ressources en eaux souterraines qui paraissent suffisantes surtout si on y ajoute une bonne fraction récupérable des 70 000 km3 eaux pluviales annuelles. Encore faut-il différencier la consommation de l’eau et son prélèvement. Pour faire tourner une turbine produisant de l’électricité l’eau prélevée à la rivière y retourne instantanément. En agriculture l’eau nécessaire à l’irrigation est consommée car elle passe dans la plante ou est évaporée.
Une végétation sans H2O
La photosynthèse utilisée par les plantes est une réaction d’oxydo-réduction utilisant l’eau et le dioxyde de carbone CO2 de l’atmosphère qui, sous l’action des photons venant du soleil, fabrique les réserves de la plante sous forme de molécules hydrocarbonées (ici le glucose).
La réaction globale peut s’écrire : 6 CO2 + 6 H2O + photons = C6H12O6 + 6 O2
La chlorophylle est le pigment de couleur verte des feuilles qui permet l’absorption des photons.
Lorsque l’eau vient à manquer les arbres avertis par leurs capteurs sécrètent de l’éthylène à partir d’un de leur acide aminé la méthionine et ne synthétisent plus la chlorophylle responsable de la couleur verte (5). D’où en cette période de sécheresse les couleurs jaunes des prairies et l’amoncellement de feuilles rouges ou marrons dans nos rues en pleine été plutôt qu’en automne.
Le manque d’eau limite également le rendement de la photosynthèse en diminuant les réserves de la biomasse en molécules hydrocarbonées sucres ou amidons d’où la maigreur des épis de blé et de maïs appauvrissant les récoltes de 2022.
H2O au secours des feux de forêts
Les végétaux asséchés sont des cibles choisies pour s’enflammer le plus souvent accidentellement. L’augmentation de la température et la pyrolyse des végétations entrainent l’émission de nombreux composés volatils. Sont présents des composés benzéniques et phénoliques et beaucoup de terpènes pour les pins sans compter l’émission forte d’éthylène en situation de stress hydrique et thermique qui transforme l’arbre en une torche enflammée (6).
Une fois de plus l’eau vient au secours de ces incendies. Lorsqu’on arrose les flammes avec de l’eau, celle-ci se vaporise en puisant des calories au foyer et grâce à sa chaleur latente de vaporisation élevée fait baisser la température de 750°C à 400°C. De plus la vapeur d’eau prive la combustion des composés carbonés de l’oxygène de l’air. Les célèbres Canadair© larguent sur le front de flammes 7 m3 d’eau avec des agents retardateurs tels que les polyphosphates ou argiles, des agents mouillants ou moussants comme l’hexylène glycol (ou 2-méthyl-2,4-pentanediol) qui isolent le végétal de l’air brulant environnant. La couleur rouge des largages est apportée par l’oxyde de fer (Fe2O3) en suspension pour que les avions suivants voient la trace de l’intervention précédente. Notons bien qu’une bonne pluie de 10 mm venue du ciel a bien plus d’efficacité car à elle seule elle représente 100 m3 d’eau par hectare.
Des conséquences du manque de H2O
Plus insidieux sont les effets de la sécheresse sur les réserves souterraines et les bâtiments. Lorsque les terrains souvent argileux sont très secs, ils deviennent durs et peu perméables car leur porosité diminue. En cas de pluie l’eau ruisselle et ne pénètre pas en profondeur pour rejoindre les nappes phréatiques et réserves souterraines qui s’épuisent ce qui entraine des coupures d’eau potable (7). Et comme souvent après les vagues de chaleurs surviennent des orages libérant des volumes de pluie importants en quelques heures qui provoquent par ruissellement des inondations en milieu rural comparables à celles des zones urbaines cimentées et bitumées. Plus grave aussi est la fissuration des habitations dont on dit que potentiellement 10 millions de foyers pourraient être touchés. Ceci est dû aux variations de volume de roches naturelles les argiles ou phyllosilicates lamellaires (8). L’exemple type est la montmorillonite Si4Al2O10(OH)2 où Al peut être partiellement substitué par Mg. La structure en feuillets s’équilibre électriquement alors avec des cations séparant les feuillets. Ces cations plus ou moins hydratés peuvent en fonction de l’hydratation faire varier les inter-distances entre 10 nm et 1000 nm. D’où une aptitude au gonflement et inversement au retrait lors d’une déshydratation qui peut provoquer des déplacements de terrain importants au gré des variations d’humidité. C’est ce qui arrive à nombre de maisons individuelles bâties sur des terres argileuses majoritaires en France.
Ces inconvénients et tracas ne sont rien comparés à ceux que subissent un milliard d’individus qui sur terre manquent d’eau potable et les 2 milliards qui en plus ne disposent pas d’installations de traitement des eaux usées… La chimie a encore beaucoup à faire !
Jean-Claude Bernier
Août 2022
Pour en savoir plus :
(1) Chez un nourrisson, l’eau représente 75 % de son poids total, chez l’adulte, elle descend à 65 % (soit par exemple 45 litres d’eau pour un homme de 70 kg).
(2) Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites, in La chimie et le sport, collection Chimie et… junior (EDP Sciences) 2015
(3) Quelle chimie dans le sport ? Épisode 1 : le métabolisme énergétique aérobie , vidéo Blareaureau au labo - Mediachimie
(4) L’eau, un nouvel « or bleu », de J.-C. Bernier, L’actualité chimique n° 381 (janvier 2014) p. 4-5
(5) Pourquoi et comment les feuilles se colorent en automne et tombent en hiver ? de C. Agouridas et F. Brénon, Question du mois, Mediachimie.org
(6) La chimie des feux de forêts, de J.-C. Bernier, éditorial, Mediachimie.org
(7) L’eau, une ressource indispensable pour la ville, de A. Charles, A. Harari et J.-C. Bernier, série « Chimie et… en fiches », Mediachimie.org
(8) Cristaux, cristallographie et cristallochimie. Des symétries aux propriétés : fiche 4 - les systèmes monoclinique et triclinique, de A.Harari et N. Baffier, année de la cristallographie (2014), Mediachimie.org
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Figures : DR Mediachimie.org
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