Mediachimie | L’étiquette « zéro émission CO2e » est-elle usurpée pour les « wattures » ?

Date de publication : Mercredi 16 Octobre 2024
Rubrique(s) : Éditorial

Si on reconnait l’évident avantage des voitures électriques à ne pas polluer les grandes villes (1) par l’émission de gaz à effet de serre (GES) par comparaison avec les voitures à moteur thermique, tout n’est pas aussi vert que ce que les constructeurs nous disent pour séduire nos élans de sauveurs de la planète.

Les constructeurs (et nous aussi !) ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête !

  • Obligation de ne produire que des véhicules électriques et d’arrêter les véhicules thermiques en 2035 (2)
  • Obligation assortie par Bruxelles de menaces de sanction financière à partir de 2025 pour tout gramme de CO2e par km excédentaire sortant de leur production, ce qui d’après les directeurs des grandes marques européennes se chiffrerait à plusieurs dizaines de milliards d’euros ! On comprend mieux la publicité pour ces véhicules (wattures) affichant « zéro CO2e/km » (i) pour convaincre ainsi Bruxelles de leur vert(u).

Une voiture électrique est-elle écologique ?

Réfléchissons un peu : prenons l’exemple d’une citadine moderne dotée d’une batterie lithium (3) NMC de 45 kWh.

Elle consomme environ 15 à 20 kWh/100 km si elle roule en France et si la recharge y a été faite. Comme notre mix électrique (à majorité nucléaire 75%, et hydroélectrique 15%) correspond à une émission de 50 g  CO2e/kWh, elle émet de façon indirecte entre 7,5 et 10 g  CO2e/km (ville, route, autoroute) et non zéro.

Si elle roule en Allemagne avec un mix électrique (à majorité gaz, pétrole et charbon, 61%…) correspondant à 350g CO2e/kWh, elle va émettre entre 50 et 70 g CO2e/km.  Je n’ose pas rouler en Hongrie ni en Chine où ma petite citadine dégagera entre 80 et 120 gCO2e/km, quasiment plus que son modèle thermique.

La publicité nous ment donc et j’approuve les associations de consommateurs à réclamer une meilleure information des acheteurs. D’autant que si nous nous penchons sur le cycle de vie (4) nous appuyons là où ça fait mal !

Imaginons que l’on conserve notre petite watture 16 ans (soit 2 fois 8 ans pour une durée raisonnable de la batterie) et que nous parcourions 10 000 km/an : en fin de vie, en France nous aurions émis entre 1,3 et 1,6 t CO2e. Comparons à l’émission de la même citadine thermique à la limite du malus (100 g/km) qui va émettre après 160 000 km 16 t de CO2e soit 10 fois plus. Il y a donc là un très large avantage à la voiture électrique.

Oui mais imaginons que la dépense énergétique pour fabriquer la caisse et les moteurs des deux exemplaires soit à peu près la même. Il faut y ajouter pour la « watture » la fabrication du pack de batteries. On estime qu’il faut pour sa fabrication de l’ordre de 12 000 à 15 000 kWh. Hélas la plupart des batteries sont fabriquées en Chine ce qui représente avec un mix de 550 g CO2e/kWh, 8,25 t CO2e qu’il faut ajouter aux 1,6 t soit 9,85 t à comparer aux 16 t de la citadine thermique. Ceci montre qu’en France on a intérêt à rouler en voiture électrique et, mieux encore si la batterie est issue d’une gigafactory qui se monte sur notre territoire car les 8,25 t chinoises maigriraient à 0,75 t. Cocorico vive le made in France.

Je vous laisse faire le calcul pour rouler et fabriquer en Allemagne ou en Tchéquie ou Hongrie, l’avantage s’amenuise beaucoup trop.

Quoi qu’il en soit en ajoutant la dépense de fabrication de la batterie notre « watture » est justiciable maintenant d’environ 60 g CO2e/km et non 0 g et on n’a pas pris en compte le remplacement possible du pack après 8 ans. Il est vraiment urgent que l’Etat et les constructeurs réforment l’étiquette énergie.

L’aspect économique et industriel

Á l’ouverture du Salon de l’Auto, l’industrie automobile Européenne est morose. La chute des ventes des voitures électriques en Allemagne suite à la suppression de la prime d’achat entraine une fermeture d’usines VW (une première depuis 1945). En France les ventes se tassent. Les grands PDG de Renault, Peugeot Stellantis, Volkswagen se demandent comment survivre. Car dans les ports européens arrive la déferlante chinoise, les marques BYD, MG Motor, Aiways, Leapmotor envahissent le marché européen avec des voitures électriques performantes et moins couteuses que nos modèles malgré le transport de plusieurs milliers de kilomètres. Les experts qui visitent les nouvelles usines autour de Shenzhen sont bluffés par l’armée de robots faisant virevolter les pièces et les plaçant avec précision avec quelques points de soudure. Ils sont aussi impressionnés par les presses de « gigacasting » moulant les carrosseries aluminium à haute pression. Si en 1970 les Chinois ont bien appris de l’expertise européenne des voitures et moteurs thermiques, depuis 2000 ce sont les européens qui doivent acquérir le savoir-faire chinois dans les voitures électriques et aussi dans la fabrication des packs de batteries. Car là aussi si les Européens et les Américains ont été les inventeurs des batteries lithium-ion, ce sont les Chinois qui sont devenus les maitres de la chimie des batteries NMC (Nickel, Manganèse, Cobalt) et maintenant des LFP (lithium, fer, phosphate) (5) comme CATL qui détient 38% du marché mondial. La firme chinoise consacre près de 5% de son budget à la R&D, les batteries au sodium et tout solide sont en préparation, d’où l’incertitude et l’attentisme qui gagnent les investisseurs des gigafactories européennes.

Votre mobilité personnelle

Adopterez-vous la mobilité électrique ? Une très intéressante étude de l’UFC Que Choisir (6) montre les avantages et désavantages des modèles électriques. Un prix 30% plus élevé que les modèles thermiques, mais une rentabilité économique championne si on dispose d’une prise « wall box » dans son garage avec un carburant EDF kWh Heures Creuses, à environ 0,20 €, ce qui met les 100 km à 3 € au lieu de 9 € pour la petite citadine-diesel. Malheureusement en ville, et dans les immeubles collectifs, rares sont les prises individuelles et là, comme sur autoroute les bornes affichent une moyenne de 0,60 €/kWh ce qui donne une dépense équivalente au thermique (9 € pour 100 km). De plus, pour les modèles d’autres segments - compacte, berline, SUV -  le poids intervient sur la consommation et des études comparatives mettent en évidence divers points de bascule de rentabilité de 60 000 à 100 000 km entre l’électrique et le thermique. L’entretien pour un véhicule électrique est plus simple car il y a moins de pièces en mouvement comme dans un moteur thermique. Il n’est pas moins couteux car on manque d’ouvriers qualifiés en électricité et électronique en ce domaine. Le fonctionnement complexe des batteries peut aussi donner lieu à quelques « bugs » et les spécialistes de dépannage manquent encore. Tesla a ses propres spécialistes, un réseau « Revolte » a formé plus de 200 spécialistes en France chez les concessionnaires, capables de tout réparer, chargeurs, logiciels, cartes électroniques, composants des batteries… Même après un accident.

Les prix élevés des modèles électriques la diminution ou la suppression des aides à l’achat expliquent la crise actuelle qui frappe l’automobile. Heureusement le Salon de l’Auto va montrer l’émergence de nouveaux modèles Renault R5 e-tech, Citroën ë-C3 à moins de 25 000 €. Le nombre de points de recharge a aussi atteint le chiffre de 140 000 en septembre 2024, avec une répartition très variable suivant les régions, mais on en programme un million pour 2035.

Avant tout achat, prenez le temps de la réflexion. Suis-je un petit ou un gros rouleur ? Ville, autoroute ? Quelle autonomie ? Quel segment d’automobile ? Quelle consommation moyenne en kWh ? Quelle émission de CO2e ? Puis je disposer d’une borne personnelle ?

Les associations de consommateurs appellent à une meilleure information, mais soulignent que la voiture électrique n’est pas la panacée. Elles pensent que les primes à la conversion seraient mieux utilisées par les pouvoirs publics à investir dans les transports collectifs. Elles citent l’effet de rebond en Norvège où les utilisateurs de véhicules électriques prennent de moins en moins les transports en commun.

Alors ? Achetez de bonnes chaussures, graissez votre bon vieux vélo, sachez que l’exercice physique est aussi bon pour vous comme pour la planète !

Jean-Claude Bernier
Octobre 2024

 

(i) (CO2e) pour CO2 équivalent, unité créée par le GIEC pour mesurer et comparer les effets climatiques d’un gaz à effet de serre, sachant que les différents gaz n’ont pas le même impact sur l’effet de serre et ont une durée de vie dans l’atmosphère différente.

Pour en savoir plus
(1) La mobilité urbaine, S. Delalande, Colloque Chimie et grandes villes, 9 novembre 2016
(2) La voiture intelligente (vidéo), F. Demerliac, collection Des idées plein la tech'
(3) Le lithium, un élément chimique indispensable pour notre mobilité actuelle, É. Bausson, fiche Chimie et... en fiche lycée (Mediachimie.org)
(4) Chimie pour un développement durable, Fédération française pour les sciences de la chimie (FFC)
(5) Un Nobel de chimie populaire, J.-C. Bernier, éditorial Mediachimie.org et Accumulateur « Lithium –Ion » : une révolution technologique portable ! (vidéo), R. Blareau et F. Brénon
(6) Véhicule électrique d’indispensables révisions sur l’information et le signal prix, UFC Que choisir

 

Crédit illustration : © Adobe Stock Patrick J.