| Alerte à la pénurie de métaux
Rubrique(s) : Éditorial
Des fabricants automobiles qui doivent s’arrêter de produire, des constructeurs immobiliers en panne de châssis de fenêtres, des électriciens avec des délais de conducteurs en cuivre impossibles, des pots catalytiques en panne faute de catalyseurs… la liste des incidents de production dans l’industrie s’allonge et le conflit russo-ukrainien ne va pas arranger les choses.
Les métaux de la transition énergétique
L’objectif de « zéro carbone » en 2050 en Europe accélère le recours aux énergies renouvelables comme l’éolien, ou le photovoltaïque et pour les transports la vente de véhicules électriques.
Si cette stratégie va réduire la dépendance de l’Europe au pétrole elle va sans doute en créer une nouvelle aux matériaux critiques (1). En effet une éolienne offshore utilise près de 20 000 kg/MW de métaux, le cuivre en majorité, mais aussi l’aluminium, l’acier et des métaux plus rares comme le néodyme mêlé au fer et au bore avec des ajouts de dysprosium et de praséodyme pour ses aimants permanents (2). L’éolienne terrestre en contient deux fois moins par MW mais tout de même huit fois plus qu’une centrale thermique au gaz. Les panneaux solaires sont à peu près tous basés sur le silicium qui reste abondant mais contiennent aussi des dopants comme le gallium, le germanium, l’indium et pas mal de kilogrammes de cuivre et d’aluminium. La voiture électrique contient cinq fois plus de métaux critiques que la voiture thermique, dont le cuivre mais aussi des alliages de terres rares (Nd, Dy, Pr) pour ses nombreux moteurs électriques. Il faut aussi compter les batteries lithium-ion qui contiennent du lithium mais aussi du cobalt, du nickel du manganèse (3). S’y ajoutent les circuits électroniques dont les transistors de puissance (LDMOS) ont des circuits imprimés riches en cuivre étain et argent et quelques contacts en or (1%). Sachant que rien qu’en France l’objectif de l’énergie éolienne de 34 GW se traduit en 50 000 t de métaux dont plus de 20 000 t de cuivre /molybdène et 1 500 t de terres rares ! En multipliant par la puissance à installer en Europe, on arrive à des valeurs astronomiques.
Les prévisions des experts
Suivant un scénario visant à rester en dessous des 2°C de réchauffement global en 2100, les projections sont instructives. Le tableau des besoins en 2050 montre qu’il faudrait annuellement multiplier par 4 à 30 les productions annuelles de 2021 !
Métal | aluminium | cuivre | nickel | lithium |
Besoins en Mt | 200 | 80 | 24 | 3 |
Production annuelle en Mt | 64 | 21 | 2,5 | 0,1 |
On découvre que pour atteindre les objectifs de neutralité carbone au cours de la seconde moitié de ce siècle de grandes infrastructures de production, de stockage et de transport de l’énergie doivent être construites or elles affichent une « intensité matière » bien supérieure à celles des technologies conventionnelles utilisant les combustibles fossiles (4). Une étude portant sur les véhicules légers (actuellement 1,2 milliard en circulation) prévoie un doublement d’ici 2050 et majoritairement électriques. Sachant que nos véhicules contiennent déjà 10 à 20 kg de cuivre, les véhicules électriques en contiennent quatre fois plus. Selon les extrapolations il faudra 200 à 400 Mt de cuivre soit 10 à 20 années de production annuelle pour le seul domaine du transport.
C’est pourquoi dans le dernier rapport de Philippe Varin (5) plusieurs métaux stratégiques sont cités comme devenus critiques : le cuivre, le cobalt, le lithium. S’y ajoutent le nickel, l’étain, le tungstène, les trois lanthanides déjà citées (Nd, Dy, Pr) dont la criticité avaient déjà fait l’objet d’alertes de la part des métallurgistes et du BRGM (6).
Un aspect économique et géopolitique
Pour faire face au nouveau business des véhicules électriques, de nombreuses « gigafactories » se créent partout en Europe pour s’affranchir de la concurrence asiatique. Elles engendrent une forte tension sur les marchés des matériaux. Le cuivre atteint 10 000 $ /t, le nickel 43 000 $/t, l’aluminium a battu son record à 3 000 $/t et le lithium a augmenté de 500% en deux ans à 60 000 €/t. En ces domaines la dimension géopolitique intervient et l’accès aux contrats de marchés à moyen ou long terme est très difficile avec des pays dominant le marché. Le cobalt par exemple est fourni à 66% par la République démocratique du Congo, les terres rares par un consortium chinois qui a 90% de la production mondiale, le Chili et le Pérou fournissent 40% du cuivre, l’Australie et le Chili couvrent 60% du marché du lithium. L’Indonésie et les Philippines vendent l’équivalent de 30% du nickel. C’est dire que l’Europe est particulièrement pauvre en ressources minières exploitées. Ceci se retrouve notamment pour la fabrication des packs de batteries pour l’automobile ; l’Europe ne produit que 1% des métaux bruts nécessaires et à peine 8% des matériaux raffinés et graphite pour électrodes et donc est obligée de les acheter en Chine (66%) ou à d’autres pays en Asie (13%).
Quelles solutions pour l’Europe et la France ?
Investir dans les productions minières existantes et rentables au Portugal pour le lithium, en Pologne en Espagne et en Bulgarie pour le cuivre, en Nouvelle Calédonie (France) pour le nickel, relancer la production minière en France et en Europe, le tungstène dans les Pyrénées où la France fut jusqu’en 1988 le 3e producteur mondial, le plomb dans le Massif Central, l’antimoine en Bretagne, où toutes ces mines furent fermées dans les années 1990 faute de rentabilité (7), la fièvre haussière des métaux qui risque de durer devrait permettre de trouver de nouveaux investissements, à condition que l’acceptabilité minière soit meilleure que le rejet des éoliennes ! L’exploitation des ressources géothermales profondes qui peuvent fournir de l’énergie et du lithium séparé des eaux thermales en Alsace et en Allemagne est devenue très rentable (8). Une autre solution est de prendre des parts dans les entreprises minières dans les pays qui disposent de réserves importantes en Afrique, en Australie, en Amérique latine comme l’a fait depuis longtemps la Chine. Encore une autre solution est le recyclage (9), car contrairement aux combustibles fossiles, les métaux primaires ne sont pas perdus et peuvent être réutilisés après usage. C’est largement le cas pour le fer, l’aluminium et le cuivre. Pour les autres métaux présents dans les nouvelles et hautes technologies le potentiel de recyclage est limité par leur concentration dans les produits en fin de vie et le cout en énergie et en procédé pour que les métaux récupérés restent compétitifs par rapport au cout de la production primaire. Les exemples des déchets et équipements électriques et électroniques (DEEE) et des batteries lithium-ion sont illustratifs. On opère souvent par tri puis broyage et pyrométallurgie qui détruit les plastiques et ensuite hydrométallurgie qui sépare les métaux. Pour les premiers, il faut que la concentration des métaux comme l’argent, le cuivre et l’or soit du même ordre que celle des ressources minières pour être rentable. Pour les seconds (les batteries), si le traitement des batteries des smartphones et ordinateurs est économiquement rentable grâce à leur teneur en cobalt, pour celles de l’automobile les teneurs plus faibles en cobalt, où il est souvent remplacé partiellement par le nickel et le manganèse voire par le phosphate de fer, rendent difficile un traitement industriel d’ensemble et sa rentabilité.
Le rapport Varin remis en janvier aux Ministères de la Transition énergétique et de l’Industrie a permis à l’État de prendre des mesures. Un observatoire des métaux critiques va être créé avec le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM), un nouveau délégué interministériel pour la sécurisation des approvisionnements sera nommé et plus de 500 M€ seront consacrés à des appels à projets. Deux plateformes consacrées aux recyclages sont d’ores et déjà décidées, l’une à Dunkerque pour les batteries lithium et l’autre à Lacq pour le recyclage des terres rares des aimants permanents (on se rappellera avec douleur qu’en 2016 Solvay avait fermé à la Rochelle l’unité de séparation des terres rares où un savoir-faire plus que cinquantenaire existait !) les temps changent, les industries s’adaptent, les métaux critiques seraient-ils une nouvelle richesse ? La chimie est en première ligne (10).
Jean-Claude Bernier
Mars 2022
Pour en savoir plus :
(1) Ces matériaux si rares pour la transition énergétique, J. Lefebvre, J.-C. Bernier et N. Baffier, série Chimie et… en fiches, Mediachimie.org
(2) Les terres rares, un enjeu global, Y. Dubosc, revue Chimie Paris
(3) Stocker l’énergie pour communiquer in La chimie dans les Technologies de l'Information et de la Communication, collection Chimie et... Junior, EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie
(4) Les matériaux stratégiques pour l’énergie, B. Goffé, Colloque chimie et enjeux énergétiques
(5) France 2030 : Le rapport "Varin" sur la sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales remis au Gouvernement, Site Minéral Info, République Française
(6) Le nouveau tableau de Mendeleïev du World Metal Forum
(7) La France, nouvel Eldorado ? J.-C. Bernier, revue Actualité chimique
(8) Géothermie et batteries : quel rapport ? J.-C. Bernier , éditorial, Mediachimie.org
(9) Imitons la nature pour recycler les métaux,, J. Lefebvre, J.-C. Bernier et N. Baffier, série Chimie et… en fiches, Mediachimie.org
(10) Les chimistes dans les énergies nouvelles face au développement durable F. Brénon et G. Roussel, série Les chimistes dans..., Mediachimie.org
Crédit illustration : Cerro Colorado - Gabri Solera – Flickr - Licence CC BY-NC-ND 2.0