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De la conception à l’injection des vaccins : un vrai défi logistique

Les bonnes nouvelles de novembre annonçant le début de la fin de l’épidémie du Covid-19 ont rempli d’espoir nos concitoyens qui lors du deuxième confinement ont plutôt le moral dans les chaussettes. Ce fut d’abord les
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Les bonnes nouvelles de novembre annonçant le début de la fin de l’épidémie du Covid-19 ont rempli d’espoir nos concitoyens qui lors du deuxième confinement ont plutôt le moral dans les chaussettes. Ce fut d’abord les laboratoires germano-américain Pfizer-BioNTech puis l’américain Moderna qui ont annoncé l’efficacité de leur vaccin respectivement à 90% et 94,5% à l’issue de données intermédiaires des essais de la phase 3. Il faut bien sûr attendre les rapports scientifiques complets des dossiers d’autorisation qui seront déposés à la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis et à l’autorité sanitaire européenne qui doivent donner leur avis fin décembre. Ces deux vaccins sont composés de fragments d’ARN messager qui provoquent la synthèse de la protéine Spike qui induira une réponse immunitaire protégeant contre le Covid-19 (1). C’est apparemment la méthode d’approche scientifique (ARNm) la plus rapide mais à côté de ces deux laboratoires il y en a encore 9 dont on sait qu’ils ont déjà des résultats des essais de la phase 3 engagés sur plusieurs dizaines de milliers de volontaires : Johnson&Johnson – Janssen (vecteur viral), CanSino Biologics (Chine, vecteur viral), Sinopharm (Chine, virus inactivé), Gamaleya Research Institut (Russie, vecteur viral), Astra Zeneca (vecteur viral), Novavax (fragment d'antigène), Sinovac (Chine, virus inactivé), Bahrat Biotech (Inde, virus inactivé) (2).

Tous ont des essais cliniques importants dans de nombreux pays en particulier sur les soignants et les militaires dans les pays peu démocratiques. Par ailleurs Sanofi Pasteur avec GSK développe son vaccin en phase 3 (protéine recombinante) et Pasteur avec Themis (une autre protéine recombinante) serait en phase 2. La course au vaccin, avant même les autorisations de mise sur le marché, entraine des investissements énormes sur les chaines de fabrication et la logistique de l’acheminement des vaccins, car on parle ici non pas de millions de doses mais de milliards.

Prenons l’exemple des deux vaccins ARNm de Pfizer et Moderna, l’ARN est très instable et se dégrade rapidement à température ordinaire. C’est pourquoi on entrepose les molécules d’ARNm à basse température -80°C, elles baignent dans une solution aqueuse ionique enfermée dans des nanoparticules de lipides (capsules de gras) elles aussi sensibles à la chaleur. Pour éviter toute dégradation de l’efficacité du vaccin, Pfizer les conserve à -80°C et Moderna a su trouver une astuce pour ne les conserver qu’à -20°C.

Il faut donc de la fabrication à l’entrepôt du transport à la distribution aux hôpitaux ou pharmacies conserver la chaîne du froid. Si à -20°C les containers frigorifiques et les congélateurs dévolus à la conservation des matières alimentaires sont bien connus, à -80°C les ennuis commencent.

Les supercongélateurs (-80°C) sont pour l’instant des équipements de laboratoire avec des groupes frigorifiques qui fonctionnent avec le nouveau F-Gaz agréé en Europe. Plusieurs fabricants allemands dont Binder et un français Froilabo à Meyzieu près de Lyon peuvent livrer des armoires de 300 à 700 litres à des prix avoisinant 10 000 €, difficile cependant à équiper tous les hôpitaux et pharmacies d’ici le printemps 2021.

Il faut donc penser à des containers ou coffres isothermes qui pourront conserver à basse température durant plusieurs jours les doses de vaccins. Une entreprise spécialisée Olivo en France fabrique des armoires et conteneurs isothermes transportables fonctionnant avec deux types de réfrigérants :

  • les cartouches en polyéthylène avec un gel eutectique. Ce sont, suivant les températures visées entre -21°C et -50°C, des solutions salines (3) avec NaCl (-21°) ou CaCl2 (-51°) pouvant contenir plusieurs centaine ou milliers de doses.
  • à glace sèche. Les conteneurs comportent une certaine quantité de CO2 solide en neige ou en bâtonnets, on sait qu’à la pression atmosphérique il se sublime sans fondre à -78°C en absorbant pas mal de calories.

Ces containers sont isolés par plusieurs couches de polystyrène expansé avec des coefficients de qualité isotherme de 0,40W/(m2.K) qui permettent de maintenir plusieurs jours des températures aussi basses et pouvant aussi se recharger en CO2 solide. C’est une des solutions qui est retenue pour transporter par avion les millions de doses avec cependant une contrainte de sécurité pour la manipulation en zone de stockage et dans les avions, la ventilation nécessaire pour ne pas accumuler le gaz carbonique au-delà de 8% dans l’air pour les employés et pilotes.

Un aspect qui est aussi important est la mise sous flacon car il semble que l’on ne pourra distribuer les vaccins que sous forme multi-doses. C’est pourquoi les usines du verrier allemand Schott et de la filiale SGD Pharma de Saint-Gobain tournent à bloc pour l’intense fabrication de tubes et flacons en verres borosilicatés (type Pyrex bien connu des chimistes) (4) pouvant bien tenir aux variations de température. Encore faudra-t-il les remplir c’est ce que fera Delpharm en Eure-et-Loir qui vient d’investir plusieurs millions d’euros pour une chaine de remplissage stérile spécifique pour les paramètres de froid, capable de traiter plusieurs dizaines de millions de doses fournies par les deux sites de BioNTech en Allemagne.

Espérons que les autres vaccins en développement permettront d’être conservés entre -5°C et 0°C, ce qui simplifierait la fabrication, le transport et la distribution. Les chiffres annoncés par les laboratoires et les états qui frisent au total de 5 à 10 milliards de doses en flux tendus pour la population mondiale avec la mobilisation de plusieurs milliers de Boeing 747 et des centaines de millions d’emballages donnent le vertige. Pour Sanofi la production de l’antigène a déjà démarré à Vitry sur Seine en R&D. Les usines dans le Rhône, en Allemagne en Italie et aux États-Unis sont prêtes à démarrer sitôt la phase 3 terminée et les autorisations délivrées, les capacités seraient de l’ordre du milliard par an.

Alors qu’en France la campagne de vaccination dès 2021 est programmée, penchez-vous sur les coulisses du chemin abrupt du labo à l’aiguille sur votre bras. C’est assez fantastique, non ?

Jean-Claude Bernier
Décembre 2020

 

 

 

Pour en savoir plus :
(1) Zoom sur les vaccins
(2) Un vaccin, oui, mais quel vaccin ?
(3) Pourquoi met-on du sel sur les routes lorsqu’il gèle en hiver ?
(4) Comment faire des vitres avec du sable ? La réaction de fusion du verre

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Vendée Globe 2020 : un peu de chimie, un peu de folie

C’est le dimanche 8 novembre que sont partis des Sables d’Olonne les 33 voiliers du Vendée Globe 2020. Comme précédemment on s’attend à ce que le record de 2016 (1) soit battu compte tenu des innovations et nouveaux
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C’est le dimanche 8 novembre que sont partis des Sables d’Olonne les 33 voiliers du Vendée Globe 2020. Comme précédemment on s’attend à ce que le record de 2016 (1) soit battu compte tenu des innovations et nouveaux matériaux appliqués à ces voiliers IMOCA de 18 mètres préparés pour la course autour du monde depuis plusieurs années. Ce sont en effet des vitrines de technologie : mâts et coques en fibres de carbone, accastillages en titane, voiles en Kevlar ou fibres de carbone tissées, informatique et caméras embarquées du dernier cri. Mais cette année l’innovation la plus importante est sans doute la quasi-généralisation des « foils » (2).

Alors que dans la précédente édition 7 bateaux étaient pourvus de foils, cette année c’est plus de la moitié de la flottille, 19 navires sur 33, qui portent ces impressionnantes moustaches. De plus elles ont grandi. En 2016 les foils mesuraient 2 à 3 mètres, en 2020 ils font de 5 à 6 mètres. Conçus sur le même principe que les ailes d’avion, leur profil permet, lorsque plongés dans l’eau avec une certaine vitesse, de soulever la coque et donc de réduire les frottements et la prise au vent et ainsi gagner 20 à 30% en vitesse pure. Ces foils sont maintenant fabriqués par plusieurs entreprises du Morbihan. Ils sont en fibres de carbone entremêlées en 3D imprégnées de polyester (3). Un moule spécial en mousse reçoit les différentes couches de drapages sur plusieurs centimètres d’épaisseur. Après démoulage la cuisson permet de polymériser la résine (4) et donne la forme rigide du foil. Bien que légers les foils doivent cependant être très résistants car en plus des forces aérodynamiques ils supportent le poids du voilier qui se soulève et qui fait en tout 7 à 8 tonnes. Les cabinets d’études et les entreprises bretonnes ont dû repenser l’architecture des bateaux en fonction de ces foils et de leurs puits qui vont donner des allures inédites à ces « Imoca » de folie. Parallèlement c’est toute une industrie de R&D et de PME innovantes qui font de la Bretagne une vitrine des matériaux composites (5) de hautes performances qui est maintenant sollicitée pour des projets de navires de haute mer (6).

Il y a aussi cette année des originalités marquantes. Le skipper Sébastien Destremau sur son bateau « Merci » dans un souci écologique s’est équipé d’une « casquette » en carton. Dans le jargon nautique la « casquette » n’a rien d’un couvre-chef, c’est une pièce à l’arrière du bateau qui sert à protéger le barreur des embruns et du vent glacial. C’est la société DS Smith de Loire-Atlantique spécialisée dans les emballages recyclés qui a fourni 100 m2 de carton ondulé. Et c’est Stéphane Munoz « sculpteur cartonniste », créateur de meubles en papier rigide, qui a fabriqué la pièce de 3,6 m de longueur jusqu’à la veille du départ et qui a reçu un glaçage avec une résine époxy sans solvant. La casquette gardera-t-elle son imperméabilité lors du voyage ? Le skipper est engagé dans une démarche de réduction de son empreinte carbone (7) et il ne vise pas une place parmi les premiers de cette édition 2020.

Un autre bateau, l’Imoca « Newrest – Arts & Fenêtres » avec son skipper Fabrice Amedeo, mène aussi une démarche écologique. Il veut, avec trois laboratoires de l’IFREMER, de l’université de Bordeaux et de l’IRD, profiter de son périple dans des zones océaniques peu explorées pour recueillir et analyser les microplastiques. On sait qu’avec la dispersion des matières plastiques, on trouve dans les océans des milliards de billes de plastique de tailles comprises entre 300 et 50 microns qui suscitent des inquiétudes pour l’équilibre marin et des menaces pour la vie des poissons. Le bateau est équipé d’un capteur disposant de trois filtres de calibres différents. Le skipper devra changer les filtres toutes les 24 heures en notant sa position et recueillir les boites à filtres pour les analyses chimiques (8) ultérieures (polystyrène, polyéthylène, polyamide…) qui doivent permettre d’établir une cartographie de ces microplastiques dans les océans. Fabrice Amedeo ne vise pas le record de 74 jours : il emporte avec lui 85 jeux de filtres pour 85 jours en mer.

Cela rappelle l’aventure et le projet « Plastic Odyssey » lancés en 2018 par deux jeunes ingénieurs dont l’ambition est de faire marcher un navire avec les déchets plastiques trouvés sur les plages les plus polluées d’Afrique et d’Asie. Après une maquette de démonstration, ils ont acquis avec l’aide de nombreux sponsors et ONG un vieux navire océanographique le « Victor Hansen » qu’ils sont en train d’aménager avec un réacteur de pyrolyse à 400°C qui va dépolymériser ces déchets et les recycler sous forme d’une huile lourde récupérée par distillation, pouvant alimenter les moteurs de leur navire. Après avoir été bloqué plusieurs mois à Boulogne pour cause de désamiantage, le rétrofit est en cours. Ils pensent partir en 2021 pour un tour du monde avec multi-escales pédagogiques pour démontrer les possibilités du recyclage chimique des plastiques dont l’Europe et le monde auraient bien besoin.

Jean-Claude Bernier
Novembre 2020

Pour en savoir plus :
(1) Moins de 80 jours grâce à la chimie ?
(2) La chimie, une histoire de foils
(3) Les chimistes dans l’aventure des nouveaux matériaux
(4) Les polymères, ce qu’il faut savoir ! (vidéo)
(5) Les matériaux composites dans le sport
(6) Chimie et construction navale
(7) Papiers/cartons : les bons élèves du recyclage et du bilan carbone
(8) Techniques analytiques et chimie de l’environnement
 

Crédit photo : IMOCA Merci © Sébastien Destremau

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Le couteau suisse de la génétique Nobélisé

Le prix Nobel de chimie 2020 vient d’être attribué à la française Emmanuelle Charpentier et à l’américaine Jennifer Doudna. Elles sont récompensées pour la découverte d’un outil génétique formidable, le CRISP-Cas9. On
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Le prix Nobel de chimie 2020 vient d’être attribué à la française Emmanuelle Charpentier et à l’américaine Jennifer Doudna. Elles sont récompensées pour la découverte d’un outil génétique formidable, le CRISP-Cas9. On connait tous l’ADN molécule charpente de nos génomes (1) et caractéristique de toutes les cellules, dont les nôtres. Pour modifier ou éditer le génome il faut pouvoir modifier les séquences de cette molécule. Jusqu’en 2012 on utilisait d’abord des nucléases dites à doigt de zinc, des méganucléases puis des nucléases de type activateur de transcription (2). Ces méthodes nécessitaient des opérations de biologie moléculaire et étaient longues et exigeantes en instruments et équipements spéciaux donc onéreuses.

Or, dans la nature, de nombreuses bactéries possèdent dans leurs génomes de longues séquences qui se répètent régulièrement appelées CRISPR (Clustered Regurarly Interspaced Short Palindromic Repeats). Ces séquences permettent aux bactéries de conserver la mémoire d’une infection par un virus pour s’en débarrasser lors d’une prochaine attaque.

En effet lors de l’infection par un virus, des séquences de celui-ci sont intégrées au sein des propres séquences CRISPR du génome de la bactérie. Lors d’une nouvelle infection, l’ADN viral au sein du CRISPR est recopié en ARN associée à la protéine Cas9 qui alors se fixe sur l’ADN du virus et l’inactive en le coupant (3).

Toute l’intelligence d’Emmanuelle Charpentier et de Jennifer Doudna a été de s’inspirer de ce mécanisme mis en jeu par des bactéries pour couper des brins d’ADN à un endroit précis du génome pour n’importe quelle cellule, comme un ciseau moléculaire. L’outil biologique est alors constitué d’une ARN guide associée à l’enzyme Cas9. Une fois l’ADN coupée on peut intervenir dans le système de réparation qui va recoller les deux extrémités du brin d’ADN soit :

  • en ajoutant ou en enlevant des nucléides à chaque extrémité des morceaux du brin. On provoque alors une anomalie de la séquence cible, le gène devient alors inactif ou réparé.
  • en ajoutant une séquence d’ADN synthétique (4) sur l’anomalie génétique repérée sur la séquence. Le système de réparation l’intègre au niveau de la coupure et le gène est corrigé et réparé.

Le schéma suivant résume assez bien l’opération. Cette méthode découverte par les deux chercheuses est précise, peu coûteuse et facile à mettre en œuvre,  ce qui a permis à des milliers de laboratoires de l’utiliser dans le monde entier après 2015 car les applications sont nombreuses.

Sur les animaux, des chercheurs après identification des gènes responsables ont pu grâce à cette méthode augmenter la masse musculaire de chiens, créer des vaches laitières sans cornes.

Sur les végétaux par CRISPR on a créé des champignons de Paris qui ne brunissent pas lorsqu’on les coupe. On a aussi imaginé des plantes vivrières résistantes mieux à la sécheresse pour les pays chauds…

L’INSERM a ainsi travaillé sur les gènes d’anophèles pour donner une race de moustiques résistante au paludisme et qui en se multipliant ne peuvent plus transmettre ce fléau (5).

 

De nombreux chercheurs dont Jennifer Doudna ont attiré l’attention sur les problèmes éthiques posés par cette découverte qui peut multiplier à l’échelle de la planète les modifications génétiques. Déjà en Europe il y a une retenue générale sur les applications aux plantes « génétiquement modifiées ». Dans le monde il semble aussi y avoir un consensus sur les applications à l’homme et la recherche sur les fœtus. Plusieurs biologistes éminents se sont prononcés sur les dangers de modifier le patrimoine génétique germinal qui peut le transmettre à la descendance et toucher ainsi au patrimoine génétique de l’humanité. Pour l’instant, en 2020 Jennifer Doudna poursuit ses recherches à l’université de Californie à Berkeley et Emmanuelle Charpentier est directrice de l’Institut Max Planck « sur la science des pathogènes » à Berlin où elle continue ses recherches en biologie commencées à l’Institut Pasteur de Paris (1992-1995).

Jean-Claude Bernier
Octobre 2020

Pour en savoir plus
(1) La chimie dans les empreintes génétiques
(2) L’édition du génome : une révolution en marche
(3) Outils CRISPR pour étudier et combattre les bactéries pathogènes
(4) De la chimie de synthèse à la biologie de synthèse
(5) Les maladies tropicales négligées. Un modèle coopératif au service de l’innovation scientifique et médicale
Ciblage des défauts de réparation de l’ADN : nouvelles molécules et approches thérapeutiques utilisant la létalité synthétique
Manipulation génétique : des ciseaux moléculaires à double tranchant

 

Crédits : infographie © Ask Media pour le Parisien ; portraits © Nobel Media. III. Niklas Elmehed

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Un vaccin, oui, mais quel vaccin ?

Les annonces se sont multipliées cet été sur « les vaccins » contre la Covid-19 (1). Un vaccin américain promis en juin par Donald Trump avant octobre, l’homologation d’un vaccin russe annoncée en août par Vladimir
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Les annonces se sont multipliées cet été sur « les vaccins » contre la Covid-19 (1). Un vaccin américain promis en juin par Donald Trump avant octobre, l’homologation d’un vaccin russe annoncée en août par Vladimir Poutine… Sont sur les rangs 167 projets dont 30 sont en phase préclinique et 8 qui seraient dans les dernières phases de tests en Chine, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Russie. Ces annonces plus politiques que scientifiques montrent s’il en était besoin l’importance du challenge à la fois nationaliste et financier de cette course au vaccin.

Qu’est-ce donc qu’un vaccin ?

Un vaccin peut être une macromolécule chimique ou un produit d’origine biologique composé de plusieurs entités moléculaires.

Son objectif est de protéger d’une maladie les populations auxquelles il est administré. Ils font tous appel au même principe : stimuler les défenses immunitaires contre un agent infectieux en introduisant dans l’organisme cet agent ou une fraction de cet agent (un antigène) rendu inoffensif pour l’homme. C’est ce même principe qui permit à Edward Jenner en 1796 d’expérimenter sur un jeune garçon l’inoculation du pus d’une maladie de la vache « la vaccine » qui l’a protégé d’une maladie qui faisait des ravages depuis l’Antiquité « la variole » : la vaccine contenait un antigène bénin de la maladie qui tuait l’homme. Puis Louis Pasteur en 1880 fit un pas de plus en proposant « l’atténuation de la virulence » en laboratoire et l’a appliquée contre le charbon et la rage (2).

La mise au point et la fabrication d’un vaccin sont souvent longues et complexes avec un chemin marqué à chaque étape par les contrôles de qualité et de sécurité.

La substance active

Il faut produire un antigène (3) provenant du germe qui provoque la maladie, virus, bactérie ou parasite. Cet antigène va par la suite déclencher une réponse immunitaire par la synthèse de nouvelles molécules dirigées contre lui. Ces molécules, dites anticorps, sont produites par des cellules immuno-compétentes qui vont renseigner les caractéristiques de l’ennemi et mémoriser l’ensemble de ses caractéristiques. Ainsi en cas de nouvelle attaque l’ennemi est vite repéré, reconnu et neutralisé.

L’antigène peut être un germe vivant atténué (cas des vaccins contre les oreillons, la rougeole, la tuberculose) ou un germe ou une fraction de germe inactivé. Maintenant certains vaccins sont produits par génie génétique, ils sont appelés vaccins vivants recombinants (vaccin contre l’hépatite). Les gènes responsables du pouvoir pathogène sont inactivés ou éliminés. Les bactéries ou les virus sont alors inoffensifs mais reconnus comme identiques aux souches naturelles par le système immunitaire.

La fabrication du vaccin et la mise en forme pharmaceutique

La fabrication se fait selon les étapes suivantes. Il faut :

  • caractériser le germe au sein d’une banque regroupant des virus ou des bactéries avec des propriétés constantes ;
  • maitriser la culture et multiplier les germes grâce au contrôle des différents paramètres : durée, température, pression… ;
  • récolter par extraction du milieu de la culture l’antigène ou tout facteur antigénique identifié ;
  • purifier et concentrer en enlevant les impuretés à travers des procédés chimiques (extraction, centrifugation) ;
  • inactiver la substance, en fonction des cas par la chaleur ou un agent chimique (par exemple le formaldéhyde – méthanal - qui supprime le pouvoir pathogène, en gardant la capacité à déclencher la réponse immunitaire ;
  • utiliser des techniques de recombinaisons génétiques qui permettent aussi de susciter par le virus ou la bactérie des antigènes d’autres organismes. Le rassemblement des valences antigéniques dans un seul composé permet alors de vacciner contre plusieurs bactéries ou virus (cas du vaccin antipoliomyélite contre 3 types de poliovirus).

La mise en forme pharmaceutique passe par les étapes suivantes :

  • assemblage des valences pour les vaccins combinés, comme le TABDT (typhoïde, paratyphoïde A et B, diphtérie et tétanos) ou le DT-Polio (diphtérie, tétanos, poliomyélite)
  • formulation par ajout d’adjuvants pour améliorer l’efficacité et augmenter la réponse immunitaire (sels d’aluminium) et stabilisants (4). Cette étape est très critique dans l’ensemble du processus, car le vaccin préparé n’est pas forcément très immunogène, il doit être accompagné de substances capables de l’aider à déclencher une réponse immunitaire parfaitement maitrisée. Il faut savoir que la réponse immunitaire implique une coopération cellulaire. Elle est très dépendante des caractéristiques de chaque individu, d’où la difficulté de trouver un vaccin universel sans effets secondaires majeurs pour l’ensemble de la population ;
  • répartition aseptique en flacon ou en seringue en milieu stérile ;
  • lyophilisation pour enlever l’eau si nécessaire et obtenir une poudre ;
  • conditionnement, étiquetage et mise en boite des lots qui peuvent représenter des millions de doses ;
  • contrôle par l’industriel et une autorité indépendante et libération des lots ;
  • livraison des lots en pharmacie, hôpitaux, centres de vaccinations.

Et pour la Covid-19 ?

il faut se rappeler ici que nous avons affaire à un virus et comprendre comment se font aussi les vaccins contre la grippe (5) causée par des virus de même genre, dits mixovirus. Chaque année des experts sélectionnent une collection d’agents infectieux qui varient d’une campagne à l’autre par mutations et constituent une banque de virus pathogènes. Les industriels cultivent alors ces virus sur des œufs de poules puis en extraient l’antigène ou des substances antigéniques, et les concentrent suivant les étapes de fabrication déjà décrites. La stratégie pour le coronavirus peut être la même en s’assurant que l’inactivation du virus sera stable.

L’autre stratégie consiste à se focaliser sur la protéine Spike cette fameuse « clé » qui se dresse autour de la sphère du coronavirus et qui se fixe sur les cellules nasales. Cette protéine peut être aussi synthétisée et produite par génie génétique (injection de l’ARN correspondante et production en masse de cette protéine d’intérêt) (6).

On dispose donc plusieurs stratégies : celle de la protéine recombinante (génie génétique) ou celle de l’extraction du virus de base.

Le groupe Sanofi Pasteur, un des leaders des vaccins contre la grippe et vaccins pédiatriques, mise comme pour la grippe sur ces deux aspects en association avec la société GSK (GlaxoSmithKline). Le vaccin semble être en phase de développement clinique, ce qui permettrait si tout se passe bien une mise sur le marché de plusieurs milliards de doses courant 2021. Il en est de même avec l’américain Translate Bio.

Il n’en reste pas moins vrai que la route avant la commercialisation est longue (7). Après les essais précliniques sur animaux, intervient la phase 1 où l’administration de doses est faite sur 10 à 100 personnes, puis l’administration concerne 50 à 500 personnes en phase 2 et lors de la troisième phase plusieurs milliers de personnes dans une zone où le virus circule activement. Déjà AstraZeneca a suspendu ses essais le 8 septembre à la suite de troubles graves sur certains patients au Royaume-Uni puis a pu reprendre les essais après quelques jours.

Le vaccin russe n’a pas encore entamé la phase 3, de même aux États-Unis. On ne sait pas grand-chose pour les vaccins chinois. C’est lors de la phase 3 que se manifestent les problèmes de sécurité et d’efficacité avec un lot de surprises. Les premiers à entrer dans la dernière phase ne seront pas forcément les premiers sur le marché et c’est encore là que se testeront les vaccins avec des efficacités plus ou moins bonnes.

Jean-Claude Bernier, Danièle Olivier et Constantin Agouridas
Octobre 2020

Pour en savoir plus
(1) Le coronavirus, un défi pour la chimie du vivant
(2) Pasteur et le vaccin contre la rage (vidéo)
(3) Immunoconjugués cytotoxiques, anticorps « armés » contre le cancer
(4) Les adjuvants aluminiques dans les vaccins
(5) Frimas, rhumes et grippes…
(6) L’innovation diagnostique au service des défis de la médecine personnalisée pour la prise en charge du sepsis et des maladies infectieuses
(7) La chimie dans la vie quotidienne : au service de la santé (Chimie et… junior)

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L’hydrogène au secours de l’économie européenne ?

Le 23 juillet 2020, la Commission européenne a présenté à Bruxelles les plans pour le système énergétique de l’avenir et pour l’hydrogène propre. Ces plans doivent ouvrir la voie à un secteur de l’énergie plus efficace et
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Le 23 juillet 2020, la Commission européenne a présenté à Bruxelles les plans pour le système énergétique de l’avenir et pour l’hydrogène propre. Ces plans doivent ouvrir la voie à un secteur de l’énergie plus efficace et plus interconnecté. Les stratégies prévoient un nouveau programme d’investissements dans les énergies propres dans le cadre du plan de relance, pour stimuler la reprise économique suite à la crise du coronavirus. Parmi ces programmes s’inscrit « la stratégie de l’Union européenne pour l’hydrogène » et dans la foulée se crée « l’alliance européenne pour un hydrogène propre » avec les industriels du secteur, la société civile, les ministères nationaux et la Banque européenne d’investissement.

À cet effet et concrètement, la feuille de route de la transition est la suivante :

Emboitant le pas à la marche politique triomphale vers le verdissement de ce gaz léger cher aux chimistes, l’Allemagne a annoncée fin juin vouloir devenir le numéro 1 du secteur avec 9 milliards € d’investissement suivi par la France qui en ce début septembre annonce y consacrer 2 milliards € dans le plan de relance.

L’hydrogène serait-il devenu comme le protoxyde d’azote un gaz hypnotique pour nos politiques ? Nos lecteurs de mediachimie.org connaissent bien l’hydrogène comme vecteur énergétique et ses applications.

C’est un gaz industriel important, 75 millions de tonnes sont fournis annuellement à l’industrie pour la désulfuration en pétrochimie (2), la synthèse de l’ammoniac et des engrais azotés (3), mais aussi pour l’alimentaire, l’électronique, la métallurgie sans oublier le spatial. En France la production est de 1 million de tonnes et à 96% cet hydrogène vient du vaporeformage (4) qui correspond à la réaction suivante 2 H2O + CH4 = CO2 + 4 H2 . Une réaction similaire est possible avec les hydrocarbures, et la production d’une tonne d’hydrogène s’accompagne donc de 6 à 10 tonnes de gaz carbonique d’où le nom d’ « d’hydrogène gris », dont le prix de revient est de l’ordre de 1 € /kg.

Actuellement, pour moins de 4%, l’hydrogène est produit par l’électrolyse de l’eau. Le procédé le plus mature est l’électrolyse alcaline avec une solution de potasse comme électrolyte. Les procédés modernes utilisent des électrodes bipolaires et travaillent sous une pression de 30 bars pour un rendement électrochimique supérieur à 70%. À l’anode on dégage de l’oxygène

2 OH- → ½ O2 + H2O + 2e-

et à la cathode se dégage l’hydrogène

2 H2O + 2e- → H2 + 2 OH-

Une autre méthode est l’échange sur membrane polymère avec catalyseur platine dite PEM pratiquement l’inverse de la pile à hydrogène, qui a un bon rendement mais moins mature du point de vue industriel.

Cet hydrogène issu de l’eau revient de 3 à 6 €/kg en fonction du coût de l’électricité. Si celle-ci est produite par procédé renouvelable, éolien, photovoltaïque ou l’hydraulique alors il est dit «  hydrogène vert ». On comprend bien que la politique de décarbonisation de l’énergie (5) conduit à condamner le vapo reformage et à fixer comme objectif la croissance des couples électricité renouvelable-électrolyseur.

Voyons si la stratégie européenne est compatible avec les contraintes électrochimiques, thermodynamiques et économiques.

De nombreux industriels maitrisent assez bien l’électrolyse. Plusieurs français dont McPhy commercialisent des installations de plusieurs MW. L’exemple d’Apex Energy ,qui dispose d’électrolyseur des 2 MW, produit environ 1000 m3/h soit environ 700 t /an. Si elle fonctionne avec une énergie renouvelable dont le taux de charge est au mieux de 25% on peut compter par MW de 100 à 120 t/an. Une installation de 1 GW produira alors 120.000 tonnes et les 6 GW prévus en Europe en 2024, 720.000 tonnes soit 7% de la consommation européenne de 10 millions de tonnes.

À quel prix ?

Une très belle étude de l’APHYPAC * donne pour 2020 un coût de l’ordre de 1000 € à 800 € /kW pour un électrolyseur couplé à un réseau d’électricité renouvelable soit donc 1 milliard € à 800 millions € par GW. On comprend alors le prix du ticket d’entrée pour cette transition.

Sur quelle surface ?

Avec les derniers progrès des électrodes bipolaires et la pressurisation pour l’électrolyseur on compte 45 m2 d’emprise au sol /MW soit donc 4,5 hectares pour 1 GW, auquel il faudrait ajouter l’emprise au sol du champ d’éoliennes ou de panneaux photovoltaïques, soit 200 éoliennes de 5 MW sur 100 hectares ou 1 GW de photovoltaïque sur 2000 hectares, à moins de produire en off-shore. On voit que les contraintes financières et physiques à l’échéance 2050 ou même 2030 ne sont pas aussi simples que l’on pense.

Alors, pourquoi cet emballement politique, financier et médiatique ?

C’est que les promesses de l’industrie de l’hydrogène sont importantes. Passons sur l’opportunité de l’hydrogène décarboné pour l’industrie chimique et métallurgique si son prix arrive à concurrencer celui du vaporéformage.

Le secteur du transport est lui bien concerné par un carburant non polluant ne laissant comme gaz d’échappement que de l’eau et de l’azote grâce à la pile à hydrogène (6) (7) fournissant l’électricité aux moteurs. Grâce à des champions européens Alstom, Air liquide et Linde les trains Coradia iLint (8) roulent déjà en Allemagne et vont bientôt remplacer nos vieux TER régionaux. Le secteur des poids lourds qui peuvent eux aussi supporter le poids du « pack » de la pile à hydrogène est en attente. L’exemple de la jeune société américaine Nikola Corporation spécialiste des camions à hydrogène valorisée à 30 milliards de dollars à son entrée en bourse est tout simplement fou. Pour l’automobile des particuliers, la bataille sera rude entre le véhicule électrique et celui à hydrogène (9). Le poids et le prix du « pack » et du réservoir composite tenant à la pression de 700 bars représentent près de 50% du prix de l’automobile (32.000 € sur 70.000 €). Le prix à la pompe du kg d’hydrogène, le manque de station haute pression, le mauvais rendement thermodynamique, handicapent pour l’instant son développement.

En sachant qu’un électrolyseur de nouvelle génération fournit environ 1 Nm3 d’hydrogène par 3,5 kWh, et si on suppose que l’hydrogène vert est issu d’une source électrique ne dégageant pas de CO2 alors l’électricité nucléaire à 4 centimes du kWh mettra le kg d’hydrogène à 1,30 € concurrent de l’hydrogène gris. Serait-ce l’hydrogène « vert clair » ?


* Production d’hydrogène par électrolyse de l’eau (fiche 3.2.1)-Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible

Septembre 2020
Jean-Claude Bernier

Pour en savoir plus
(1) Qu’est-ce que l’hydrogène vert ? (Question du mois)
(2) Comment assainir l’atmosphère des villes ? L’hydrotraitement (Fiche Réaction en un clin d’oeil)
(3) Comment fabriquer des engrais avec de l’air ? La synthèse de l’ammoniac (Fiche Réaction en un clin d’oeil)
(4) Et revoilà l’hydrogène
(5)L’hydrogène, une source d’énergie pour le futur
(6) H2O ou comment la synthèse de l’eau conduit à la pile à hydrogène ? (Fiche Réaction en un clin d’oeil)
(7) Hydrogène, la roue libre (vidéo)
(8) Vive le Coradia iLint
(9) De nouveaux véhicules automobiles pas très verts !
 

- Éditorial
mediachimie

Le nitrate d'ammonium, un engrais dangereux ?

La récente explosion à Beyrouth au Liban qui a entrainé une véritable catastrophe humaine et matérielle est, semble-t-il en attendant les conclusions d’une commission d’enquête, due à l’explosion de 2700 tonnes de nitrate
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La récente explosion à Beyrouth au Liban qui a entrainé une véritable catastrophe humaine et matérielle est, semble-t-il en attendant les conclusions d’une commission d’enquête, due à l’explosion de 2700 tonnes de nitrate d’ammonium (NH4NO3) stockés depuis plusieurs années dans un entrepôt sur le port avec d’autres produits inflammables.

On peut rappeler que pour augmenter la production des cultures depuis l’Antiquité les hommes ont cherché à amender leurs terres. Les plantes pour croître ont besoin de soleil, de CO2 et d’eau pour la photosynthèse (1), mais aussi d’éléments minéraux comme l’azote, qu’ils ne peuvent fixer dans l’air. On ajoute alors des engrais azotés pour améliorer les rendements, l’ammonitrate a permis depuis deux siècles de multiplier par 10 les rendements des plantes vivrières et de faire face à l’augmentation de la population de la planète. Ce fut d’abord l’importation du « guano », excréments marins riches en azote des îles proche du Pérou, puis les nitrates de soude du Chili jusqu’au début des années 1900. Après 1909 deux chimistes allemands Fritz Haber et Carl Bosch (2) mettent au point la synthèse de l’ammoniac à partir de l’azote de l’air et d’hydrogène (N2 + 3H2 = 2 NH3), puis, par barbotage de l’ammoniac dans l’acide nitrique ou oxydation catalytique, on produit le nitrate d’ammonium NH4NO3. Cet engrais sous forme de granulés est très employé en agriculture. La production mondiale est proche de 120 millions de tonnes (en tonnes d’azote).

Le problème est que durant la Grande Guerre de 14-18 l’industrie allemande a utilisé le nitrate mélangé avec environ 6% d’hydrocarbure pour en faire des explosifs qui ont servi à faire des milliards d’obus et de munitions. Lors du traité de paix de Versailles en 1919 les brevets allemands furentl’objet de tractations sévères pour que la France puisse à son tour produire le nitrate qui a conduit à l’usine ONIA (Office national industriel de l’azote) à Toulouse devenue plus tard AZF, usine qui a explosée en septembre 2001. en effet,  mélangé à certains produits réducteurs (cellulose, huile, fuel) ou à des catalyseurs, le nitrate peut être déstabilisé. De même, avec la température, il peut se décomposer, fondre, puis au bout d’un certain temps, pris dans un incendie, exploser après l’apparition de vapeurs rousses qui sont de l’oxyde d’azote NO2 car NH4NO3 fait partie des « groupements explosophores » (3). NO3 est une réserve d’oxygène qui peut se combiner avec le carbone, l’hydrogène ou le soufre en dégageant des quantités phénoménales de gaz qui vont provoquer une onde de choc s’ils sont confinés dans une enceinte fermée, bâtiment ou navire. Regardons en effet la décomposition thermique :

NH4NO3 → NO + N + 2 H2O

La réaction stœchiométrique montre que 80 grammes de nitrate vont donner environ 80 litres de gaz. Comme la densité du nitrate est proche de 2 on a donc une expansion volumique d’un facteur 2000 cela veut dire que 8 tonnes de nitrates occupant approximativement un volume de 4 m3 vont exploser en donnant 8000 m3 de gaz dans une enceinte fermée de 100 m3 cela entraîne une pression de plus de 80 atmosphères qui fait tout voler en éclat. Imaginez alors que les 2700 tonnes de Beyrouth prises dans l’incendie vont dégager d ‘abord une fumée rousse de NO2 (NO oxydé avec l’oxygène de l’atmosphère) puis un mélange blanc d’azote et de vapeur d’eau d’un volume total de l’ordre de 3 millions de m3. Si le bâtiment de stockage faisait 3000 m3 la pression de l’onde de choc est de plus de 1000 atmosphères détruisant tout dans des kilomètres à la ronde. Décomposition et confinement sont les deux artisans de l’explosion destructrice.

Au cours du temps les accidents n’ont pas manqué :

  • en 1921 à Oppau sur le grand complexe chimique de BASF près de Ludwigshafen. Pour éviter de gratter à la pioche les tas de nitrates une équipe utilise des cartouches de dynamite. L’une d’elle, trop forte, provoque l’explosion de tout le stockage entrainant 586 morts, des milliers de blessés et la destruction du complexe chimique.
  • en 1947 à Brest un Liberty Ship norvégien avec 300 tonnes de nitrates prend feu. Le navire est éloigné du quai mais pour étouffer l’incendie on ferme les cales, entrainant confinement et explosion et causant 26 morts et plusieurs milliers de blessés.
  • en 1947 encore, à Texas City sur le port, un Liberty Ship français explose avec 2000 tonnes de nitrates. Presque tous les pompiers qui étaient mobilisés sur l’incendie sont tués.
  • en 2001 à Toulouse le dépôt de 300 tonnes de nitrate d’AZF explose : 31 personnes tuées, 2500 blessés et des dégâts considérables sur Toulouse.
  • en 2013, au Texas l’usine de la West Fertilizer Company explose lors un incendie : plusieurs centaines de morts.
  • en 2015, au nord de la Chine à Tianjin, l’incendie de plusieurs tonnes de produits chimiques dont 800 tonnes de nitrates provoque une explosion et plusieurs centaines de morts.

Ce sont les accidents les plus connus et les plus récentes catastrophes, cela n’empêche cependant pas que des millions de sacs de granulés sont chaque année utilisés par l’agriculture mondiale dans des conditions de sécurité exemplaires et respectées.

Jean-Claude Bernier
Août 2020

Pour en savoir plus
(1) Le CO2, matière première de la vie
(2) Comment fabriquer des engrais avec de l'air ? La synthèse de l'ammoniac
(3) Les nouvelles techniques d’investigation des explosifs

- Éditorial
mediachimie

Des métaux qui guérissent ?

On sait que pour être en bonne santé, les oligoéléments jouent un rôle majeur dans notre organisme ce sont des composés du zinc, du fer, du manganèse, du magnésium… En revanche on connait moins les vertus antibactériennes
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On sait que pour être en bonne santé, les oligoéléments jouent un rôle majeur dans notre organisme ce sont des composés du zinc, du fer, du manganèse, du magnésium… En revanche on connait moins les vertus antibactériennes (antivirales ?) des métaux purs. En cette période de pandémie de la covid-19, il n’est pas étonnant qu’un renouveau des recherches sur des applications sanitaires se manifeste et notamment sur l’or, l’argent et le cuivre dans l’ordre décroissant des prix !

L’or (1) par sa couleur jaune a des reflets complexes dus au plasma de surface fluctuant qu’engendrent ses électrons de valence faiblement liés. Les plasmons de surface font actuellement l’objet d’études en particulier pour les nanoparticules (2) sans cependant que ces propriétés de surface fassent l’objet d’applications autres qu’en catalyse. L‘or métal est toutefois utilisé en chrysothérapie et en homéopathie.

L’argent est un métal qui a des propriétés germicide et bactéricide. Dans l’Antiquité (3) on se servait de plaques d’argent pour purifier l’eau. Couverts et plats revêtus d’argent eurent une réelle utilité tant qu’on ne pouvait pas disposer d’eau potable. De là vient l’usage d’offrir en cadeau de baptême aux enfants une timbale en argent. Cette propriété est maintenant redécouverte et utilisée avec les nanoparticules d’argent issues de solutions colloïdales (4). Elles sont utilisées comme germicides dans les textiles sportifs et pour les chaussettes afin d’éliminer les odeurs de transpiration. Dans les dispositifs médicaux, bandages et pansements, ce sont leurs propriétés bactéricides qui sont recherchées, de même dans les emballages alimentaires et les revêtements de parois de réfrigérateur. Avec la pandémie, des tissus imprégnés de particules d’argent et résistant plus de 20 fois au lavage ont été utilisés pour la fabrication de masques de protection.

Le cuivre (5). Parmi les nombreuses études sur le coronavirus, celles des universités de Californie (Los Angeles et Princeton) publiées dans le New England Journal of Medicine ont montré que le coronavirus SARS-CoV-2 (6) peut subsister entre 2 et 3 jours sur du plastique ou de l’acier inoxydable mais disparaît en moins de quatre heures sur le cuivre. Ces observations rejoignent les travaux du professeur Bill Keevil de l’université de Southampton qui depuis plusieurs années étudie la diminution drastique de colonies bactériennes sur le cuivre : Legionella, Escherichia coli par exemple, sont éliminées en quelques heures sur les surfaces, voire quelques minutes sur une poignée de porte en cuivre. Il semblerait d’après l’auteur que les ions Cu(I) et Cu(II) pénètrent dans la cellule des bactéries, y empêchent le transfert d’oxygène et cassent son ADN. Les vertus sanitaires du cuivre sont bien reconnues, ne serait-ce que par l’utilisation massive du cuivre dans nos habitations pour les canalisations et la distribution de l’eau sanitaire. En cette période, les fabricants innovent : une société américaine a sorti un masque en tissu imprégné de cuivre CuTEC antibactérien et le teste contre la Covid-19, une société chilienne a multiplié sa production par 25 en trois semaines avec un masque réutilisable contenant de fins fils de cuivre incrustés dans le tissu. Le Chili, qui est le premier producteur mondial de cuivre, espère profiter de ce marché nouveau. Dans les hôpitaux de ce pays le cuivre est largement utilisé pour les plans de travail, les ustensiles médicaux, les poignées de portes… Un industriel français Lebronze alloys (alloys signifiant alliages en anglais) précise ainsi que ses poignées de portes et ses mains courantes en alliage de cuivre sont aussi une barrière à l’infection, notamment dans les EHPAD.

La lutte contre la pandémie (7) est ainsi devenue métallurgique et variée, des autocollants en cuivre des universitaires américains aux masques à nanoparticules de cuivre (moins chers que l’argent) au Chili jusqu’aux équipements d’hôpitaux. On est loin des bassines en cuivre pour les confitures (8) qui nous paraissent d’un autre temps... Le temps d’avant ?

Jean-Claude Bernier et Catherine Vialle
Juin 2020

Pour en savoir plus
(1) L’or, élément chimique ou magique ?
(2) Nanomatériaux et nanotechnologie : quel nanomonde pour le futur ?
(3) Les métaux au fil de l’histoire (dossier pédagogique) (1266)
(4) Caractérisation des nanoparticules inorganiques dans les produits du quotidien : les méthodes d’analyse et les applications (2548)
(5) Comparaison de quelques alliages de cuivre et de zinc (956)
(6) Le coronavirus, un défi pour la chimie du vivant (2919)
(7) Covid-19 : la chimie médicinale à l’assaut des mécanismes de propagation virale (3032)
(8) Peut-on faire de bonnes confitures sans bassine en cuivre ? (1261)
 

Illustration : casque de cavalerie de Nimègue, masque de fer gainé de bronze et d'argent, seconde moitié du premier siècle, Museum het Valkhof, Nimègue (Pays-Bas)
Following Hadrian/ Flickr - Licence CC by-nc-sa 2.0

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Pollution à Paris : une expérience grandeur nature

On a lu et entendu des arguments contradictoires sur l’influence du confinement imposé après le 15 mars sur la pollution à Paris. Une polémique avec sans doute quelques intentions électorales opposait les partisans d’une
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On a lu et entendu des arguments contradictoires sur l’influence du confinement imposé après le 15 mars sur la pollution à Paris. Une polémique avec sans doute quelques intentions électorales opposait les partisans d’une réduction drastique de la circulation automobile aux automobilistes convaincus que la pollution n’était pas seulement imputable à leurs engins. La réduction de la circulation automobile de plus de 80% en mars et avril était bien sûr une façon de vérifier les deux options et dire si la pollution à Paris avait vraiment diminué.

Notons en passant que le discours dominant repris par tous les media véhicule souvent des approximations. Il ne faut que se pencher sur les résultats d’un sondage Ipsos de 2018, qui posait la question : la pollution dans vos villes augmente-t-elle ou diminue-t-elle ? Les réponses étaient : elle augmente beaucoup pour 63%, un peu pour 25%, elle ne diminuait que pour 1% des sondés. En réalité depuis 20 ans grâce au sans plomb, à la désulfuration des carburants, aux pots catalytiques et au AdBlue, la chimie et les progrès en catalyse (1) ont réussi à faire diminuer nettement l’émission des polluants : -87% pour le CO, -80% pour C6H6, -44% pour NOx, -70% pour les particules fines, -80% pour SO2, et -100% pour le plomb (*).

Il était donc très intéressant de se faire une opinion basée sur des chiffres de mesures officielles d’Airparif et non sur des impressions vagues ou tendancieuses (2).

En effet l’île-de-France est particulièrement bien fournie en capteurs spécialisés par polluant et dispersés de façon très intelligente pour gommer tous aléas climatiques ou accidentels. C’est près de 110 stations qui traquent et mesurent SO2, CO, O3, NOx, PM2,5, PM10 24 heures par jour et 365 jours par an (3).

Airparif donne chaque jour l’indice Atmo et l’indice européen Citeair noté de 0 à 100 et il a été possible de consulter les graphiques mensuels (0 à 50 vert, 50 à 70 orange, plus de 70 rouge).

Pour février 2020 les indices sont tous verts avec une moyenne de 30 sauf 2 jours orange à 50. Jusqu’au 15 mars on est aussi dans une moyenne de 30 après le 15 apparaissent 6 jours consécutifs orange avec des indices supérieurs à 50-60 puis deux jours, le 27 orange et le 28 rouge avec un indice à 80. Pour le mois d’avril : 7 jours orange au-dessus de 50 jusqu’au 21 avril, ce qui est assez comparable à avril 2019 avec 14 jours orange au-dessus de 50.

On aurait vite fait pour certains de dire que les moyennes des indices de pollution pendant le confinement sont plus élevées qu’en période normale alors que le trafic automobile a diminué de plus de 80% et l’activité économique de plus de 30% et donc que la pollution a été plus importante durant le confinement à Paris. En réalité les choses sont bien plus complexes. Pour les 6 polluants mesurés l’indice Citeair est « l’indice du pire », il ne fait pas une moyenne pondérée des sous-indices. Si par exemple pour SO2, NOx, O3, PM10 les mesures donnent respectivement 50, 30, 70, 40 l’indice Citeair prendra le plus élevé (70) sans tenir compte des autres même s’il y a amélioration pour l’un.

On peut alors faire des moyennes en teneur réelles à partir des chiffres Airparif. De février jusqu’au 15 mars et du 16 mars au 20 avril sur le tableau suivant (**) :

 stationssans confinementavec confinementdifférence
trafic 831483%
PM102317,624,4+39%
PM 2,5137,914,7+87%
NOx405736-37%
O32256,667,5+19%
CO50,1240,006-71%
SO260,660,58-12%

 

On peut alors voir que la baisse de la circulation a fait nettement baisser la teneur en oxydes d’azote mais pas dans les mêmes proportions que la baisse de la circulation (40% comparée à 80%), ainsi que la teneur en oxyde de carbone et oxyde de soufre (4). On pourrait aussi y ajouter que les émissions de CO2 ont aussi baissées. Par contre, et c’est un peu paradoxal, on constate une augmentation des particules fines dont on sait qu’elles sont encore plus nocives que les oxydes d’azote ainsi que la teneur en ozone qui tendrait à dire que la qualité de l’air s’est détériorée au cours du confinement.

Plusieurs explications sont proposées par les spécialistes. Tout d’abord les particules notamment les PM2,5 les plus petites peuvent provenir de l’agriculture avec une saison printanière marquée en Île- de-France et aussi du chauffage au bois lors des soirées plus fraiches (5). Pour l’ozone on sait que les réactions entre les oxydes d’azote et les composés organiques volatils conduisent à sa production, on peut soupçonner les émissions volatiles des arbres et parcs reverdis et non taillés durant la période, plus importantes qu’en hiver (6).

La conclusion est que si le confinement et la baisse drastique de la circulation automobile a montré une diminution des oxydes d’azote et de carbone, elle n’a pas mis en évidence une remontée spectaculaire de la qualité de l’air dans Paris. D’autres sources de pollutions, le chauffage au fuel ou au bois, les vents apportant les poussières et aérosols de l’agriculture y contribuent. C’est donc, malgré les contraintes sanitaires de la distanciation, les recours aux transports en commun et pour les plus riches au véhicule électrique qui devraient être encouragés, en sachant cependant que cela ne résoudra pas l’équation complexe de la pollution des grandes villes.

Jean-Claude Bernier
Mai 2020

(*) Ch Gerondeau, L’air est pur à Paris… mais personne ne le sait ! (éd. L’artilleur, 2018)
(**) Rémi Prud’homme, Confinement : moins de voitures, plus de pollution

Pour en savoir plus
(1) Un exemple de matériau spécifique : pots catalytiques et dépollution automobile
(2) Démocratiser l’information environnementale pour mieux respirer en ville
(3) Les défis de la santé et du bien-être en ville : pollution atmosphérique, nuisance thermique, odeurs
(4) Comment assainir l’atmosphère des villes ? L’hydrotraitement
(5) Ah, un bon feu de bois dans la cheminée !
(6) Chimie atmosphérique et climat

Illustration : Avenue de la Grande Armée, Paris 26 mars 2020, Eric Salard/FlickR, Licence CC BY-SA 2.0

- Éditorial
mediachimie

Oui la chimie avance masquée

Avec la crise sanitaire occasionnée par le Covid-19 et avec le déconfinement qui s’annonce, la France veut devenir auto-suffisante en masques sanitaires, chirurgicaux mais aussi FFP2 et FFP3 (1). Il existe déjà plusieurs
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Avec la crise sanitaire occasionnée par le Covid-19 et avec le déconfinement qui s’annonce, la France veut devenir auto-suffisante en masques sanitaires, chirurgicaux mais aussi FFP2 et FFP3 (1). Il existe déjà plusieurs producteurs français Kolmi-Hopen, près d’Angers, qui a reçu récemment la visite du président Macron, Paul Boyé Technologies en Haute-Garonne, Valmy dans la Loire, Macopharma à Mouvaux dans le Nord. Depuis le début de la crise et devant la demande en masques, ils ont accéléré leurs productions, ce qui a permis d’arriver progressivement à 10 millions par semaine fin avril, avec pour objectif 20 millions fin mai puis 40 millions en octobre. Devant la demande importante sur ce marché et avec l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) par le ministère de l’Économie, de nouveaux acteurs se lancent aussi dans cette fabrication.

Ce sont à nouveau la chimie, et notamment la chimie des matériaux, qui est alors sollicitée. En effet pour que la France soit indépendante elle doit assurer son approvisionnement en matières premières, en particulier celles qui permettent d’obtenir la composition des 3 couches du masque standard SMS (spunbond-meltblown-spunbond) de tissus non tissés. Or il n’existe qu’une seule unité de production de textile non tissé par extrusion-soufflage (meltblown), Fiberweb, une filiale d’une société américaine située dans le Haut-Rhin, qui annonce investir dans une nouvelle ligne pour tripler sa production, mais qui ne couvrira pas sans doute les besoins des producteurs de masque de l’hexagone.

Deux techniques de production des non-tissés (2) sont possibles :

  • l’extrusion-soufflage ou meltblown qui consiste à extruder rapidement un polymère fondu et à le souffler sous forme de fibres, un peu comme on couvre nos greniers de laine de verre en soufflant les fibres pour l’isolation thermique. On utilise des thermoplastiques comme le polypropylène (3) ou le polyester (4).
  • l’electrospinning ou électrofilage qui permet l’obtention de micro et même nanofibres par extrusion fine assistée par électrostatique, également à partir de polymères fondus ou en suspension dans un solvant.

Ces techniques sont matures et connues dans l’ingénierie des polymères, la seconde permet l’élaboration de membranes non tissées (5). La maîtrise de la structure des fibres, le contrôle de l’organisation des nanofibres dans la micro-structuration du matériau et la composition chimique à l’échelle de quelques dizaines de microns permettent aussi les applications pour la santé (6). On peut aussi jouer sur les mélanges de polymères hydrophobes ou hydrophiles ; polypropylène, polyimide, sur les électrostatiques ; polyester, acrylique. Selon les combinaisons et leurs tailles, les microfibres ou nanofibres piègent par liaisons de van der Waals ou par électrostatique les gouttes des aérosols et/ou les bactéries ou les virus (7).

Espérons que de nouveaux candidats plasturgistes se déclarent intéressés par ces nouvelles activités, le ministère de l’Économie est prêt à subventionner à hauteur de 30% les investissements encore faut-il assurer l’émergence d’un marché pérenne.

Jean-Claude Bernier et Catherine Vialle
Mai 2020
 

Illustration : Fibres polymères vues au microscope électronique à balayage (Daltster - travail personnel, CC BY-SA 3.0, Wikimedia)

Pour en savoir plus
(1) Comment fonctionnent les masques de protection respiratoire (sur le site de Pour la Science)
(2) Le textile, un matériau multifonctionnel
(3) Polypropylène (produit du jour de la SCF)
(4) Les chimistes dans l’aventure des nouveaux matériaux
(5) L’intelligence textile (vidéo)
(6) Chimie du et pour le vivant : objectif santé
(7) Electrospinning et nanofabrication pour la santé et l’énergie – ICPEES (CNRS - Université de Strasbourg)

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Géothermie et batteries : quel rapport ?

Parmi les objectifs de la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) figure l’objectif en 2030 de 30 % de production électrique par les énergies renouvelables (1). Si près de la moitié est déjà fournie par
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Parmi les objectifs de la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) figure l’objectif en 2030 de 30 % de production électrique par les énergies renouvelables (1). Si près de la moitié est déjà fournie par l’hydraulique, on se base alors sur le développement de l’éolien et du photovoltaïque (2) qui ne représentent respectivement que 5,2 % et 2 % de la production nationale. Un volet encore modeste est celui de la géothermie qui peut apporter sa contribution non seulement à l’électrique mais aussi aux réseaux de chaleur.

La production d’électricité géothermique (3) est une technologie mature avec de nombreux exemples aux États-Unis avec 19 TWh de production, suivis par les Philippines et l’Indonésie autour de 10 TWh. On sait aussi que l’Islande avec 5 TWh et ses réseaux de chaleur est quasi autonome. La France avec seulement 1,5 TWh, soit moins de 0,3 % de la production, révèle un potentiel croissant.

Le site principal utilisant une nappe d’eau chaude est situé à Bouillante en Guadeloupe qui va porter sa puissance à 25 MW en 2020. Le second site, alsacien, à Soultz-sous-Forêts, utilise une autre méthode de géothermie profonde en récupérant la chaleur des roches granitiques poreuses à 5000 m de profondeur, profitant du gradient thermique exceptionnel du sol près de l’arc de la fosse géologique rhénane. La plateforme expérimentale de Soultz, créée en 1987 par une poignée d’ingénieurs et de chercheurs soutenus par Électricité de Strasbourg (ÉS) et le BRGM, a permis jusqu’en 2007 d’accroître les connaissances sur la fluidité des roches et la récupération de la chaleur (4). Depuis 2008 elle est exploitée industriellement par une société franco-allemande (ÉS et EnBW) et fournit 1,5 MW de puissance. Elle a essaimé à 7 km de là, à Rittershoffen, avec un nouveau forage qui fournit, depuis 2016, 24 MW thermique au circuit de vapeur de l’usine Roquette grâce à un réseau de chaleur de 15 km. Depuis, les projets de forage dans le Bas-Rhin se sont multipliés surtout depuis que les analyses des eaux de forage sur la plateforme de Vendenheim-Reichstett ont montré qu’elles contenaient de 0,15 g à 0,2 g/L de chlorure de lithium. Rappelons que le lithium est actuellement un métal très demandé, dont le prix à la tonne augmente fortement à cause de son utilisation croissante dans les batteries ion–lithium (5). Dans ce cadre un consortium international de recherche EuGeLi (European Geothermal Lithium Brine) s’est formé pour exploiter le procédé propre d’Eramet qui consiste par procédé membranaire à retenir le chlorure puis le transformer en carbonate et à réinjecter les eaux après échange de chaleur et production d’électricité. Les promoteurs du projet veulent implanter un démonstrateur en 2021 et tablent prudemment sur une production annuelle de l’ordre de 1500 tonnes de carbonate de lithium vers 2025.

Restent encore quelques obstacles : les acteurs de la géothermie profonde conditionnent ce développement prometteur à un soutien public pour un complément rémunérateur, situé à 246 € le MWh, voire 200 € si la commercialisation du lithium vient abaisser le prix de revient (6) (notons qu’il y a quelques années le rachat du solaire photovoltaïque était à 600 €/MWh). Il faudra ensuite faire une étude sérieuse du coût de carbonate de lithium au niveau européen sachant cependant qu’une production nationale serait favorable à « l’Airbus européen des batteries ».

Enfin et ce n’est pas le moindre, la mise en place et le fonctionnement de ces forages à proximité du domaine de l’Europole de Strasbourg » a provoqué de micro-secousses sismiques (7) certes inférieures à 2 sur l’échelle de Richter mais qui inquiètent les riverains à tel point que le préfet a demandé un rapport des universitaires et chercheurs du centre de surveillance de l’Institut du globe de Strasbourg.

Souhaitons que ces problèmes économiques et géophysiques ne stoppent pas ces développements que les initiateurs des années 80 que j’ai bien connus n’avaient jamais imaginés même dans leurs rêves.

Jean-Claude Bernier *
Avril 2020

 

* Remerciements à Andrée Harari pour avoir initié cet éditorial.

Pour en savoir plus :
(1) Une électricité 100% renouvelable : rêve ou réalité ?
(2) Stocker l’énergie du Soleil (vidéo)
(3) La géothermie (vidéo)
(4) La maison écologique
(5) Les batteries sodium–ion
(6) Le lithium, nouvel or blanc ?

(7) Gaz de schistes : quels problèmes pour l’environnement et le développement durable ?