Mediachimie | De la conception à l’injection des vaccins : un vrai défi logistique

Date de publication : Vendredi 04 Décembre 2020
Rubrique(s) : Éditorial

Les bonnes nouvelles de novembre annonçant le début de la fin de l’épidémie du Covid-19 ont rempli d’espoir nos concitoyens qui lors du deuxième confinement ont plutôt le moral dans les chaussettes. Ce fut d’abord les laboratoires germano-américain Pfizer-BioNTech puis l’américain Moderna qui ont annoncé l’efficacité de leur vaccin respectivement à 90% et 94,5% à l’issue de données intermédiaires des essais de la phase 3. Il faut bien sûr attendre les rapports scientifiques complets des dossiers d’autorisation qui seront déposés à la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis et à l’autorité sanitaire européenne qui doivent donner leur avis fin décembre. Ces deux vaccins sont composés de fragments d’ARN messager qui provoquent la synthèse de la protéine Spike qui induira une réponse immunitaire protégeant contre le Covid-19 (1). C’est apparemment la méthode d’approche scientifique (ARNm) la plus rapide mais à côté de ces deux laboratoires il y en a encore 9 dont on sait qu’ils ont déjà des résultats des essais de la phase 3 engagés sur plusieurs dizaines de milliers de volontaires : Johnson&Johnson – Janssen (vecteur viral), CanSino Biologics (Chine, vecteur viral), Sinopharm (Chine, virus inactivé), Gamaleya Research Institut (Russie, vecteur viral), Astra Zeneca (vecteur viral), Novavax (fragment d'antigène), Sinovac (Chine, virus inactivé), Bahrat Biotech (Inde, virus inactivé) (2).

Tous ont des essais cliniques importants dans de nombreux pays en particulier sur les soignants et les militaires dans les pays peu démocratiques. Par ailleurs Sanofi Pasteur avec GSK développe son vaccin en phase 3 (protéine recombinante) et Pasteur avec Themis (une autre protéine recombinante) serait en phase 2. La course au vaccin, avant même les autorisations de mise sur le marché, entraine des investissements énormes sur les chaines de fabrication et la logistique de l’acheminement des vaccins, car on parle ici non pas de millions de doses mais de milliards.

Prenons l’exemple des deux vaccins ARNm de Pfizer et Moderna, l’ARN est très instable et se dégrade rapidement à température ordinaire. C’est pourquoi on entrepose les molécules d’ARNm à basse température -80°C, elles baignent dans une solution aqueuse ionique enfermée dans des nanoparticules de lipides (capsules de gras) elles aussi sensibles à la chaleur. Pour éviter toute dégradation de l’efficacité du vaccin, Pfizer les conserve à -80°C et Moderna a su trouver une astuce pour ne les conserver qu’à -20°C.

Il faut donc de la fabrication à l’entrepôt du transport à la distribution aux hôpitaux ou pharmacies conserver la chaîne du froid. Si à -20°C les containers frigorifiques et les congélateurs dévolus à la conservation des matières alimentaires sont bien connus, à -80°C les ennuis commencent.

Les supercongélateurs (-80°C) sont pour l’instant des équipements de laboratoire avec des groupes frigorifiques qui fonctionnent avec le nouveau F-Gaz agréé en Europe. Plusieurs fabricants allemands dont Binder et un français Froilabo à Meyzieu près de Lyon peuvent livrer des armoires de 300 à 700 litres à des prix avoisinant 10 000 €, difficile cependant à équiper tous les hôpitaux et pharmacies d’ici le printemps 2021.

Il faut donc penser à des containers ou coffres isothermes qui pourront conserver à basse température durant plusieurs jours les doses de vaccins. Une entreprise spécialisée Olivo en France fabrique des armoires et conteneurs isothermes transportables fonctionnant avec deux types de réfrigérants :

  • les cartouches en polyéthylène avec un gel eutectique. Ce sont, suivant les températures visées entre -21°C et -50°C, des solutions salines (3) avec NaCl (-21°) ou CaCl2 (-51°) pouvant contenir plusieurs centaine ou milliers de doses.
  • à glace sèche. Les conteneurs comportent une certaine quantité de CO2 solide en neige ou en bâtonnets, on sait qu’à la pression atmosphérique il se sublime sans fondre à -78°C en absorbant pas mal de calories.

Ces containers sont isolés par plusieurs couches de polystyrène expansé avec des coefficients de qualité isotherme de 0,40W/(m2.K) qui permettent de maintenir plusieurs jours des températures aussi basses et pouvant aussi se recharger en CO2 solide. C’est une des solutions qui est retenue pour transporter par avion les millions de doses avec cependant une contrainte de sécurité pour la manipulation en zone de stockage et dans les avions, la ventilation nécessaire pour ne pas accumuler le gaz carbonique au-delà de 8% dans l’air pour les employés et pilotes.

Un aspect qui est aussi important est la mise sous flacon car il semble que l’on ne pourra distribuer les vaccins que sous forme multi-doses. C’est pourquoi les usines du verrier allemand Schott et de la filiale SGD Pharma de Saint-Gobain tournent à bloc pour l’intense fabrication de tubes et flacons en verres borosilicatés (type Pyrex bien connu des chimistes) (4) pouvant bien tenir aux variations de température. Encore faudra-t-il les remplir c’est ce que fera Delpharm en Eure-et-Loir qui vient d’investir plusieurs millions d’euros pour une chaine de remplissage stérile spécifique pour les paramètres de froid, capable de traiter plusieurs dizaines de millions de doses fournies par les deux sites de BioNTech en Allemagne.

Espérons que les autres vaccins en développement permettront d’être conservés entre -5°C et 0°C, ce qui simplifierait la fabrication, le transport et la distribution. Les chiffres annoncés par les laboratoires et les états qui frisent au total de 5 à 10 milliards de doses en flux tendus pour la population mondiale avec la mobilisation de plusieurs milliers de Boeing 747 et des centaines de millions d’emballages donnent le vertige. Pour Sanofi la production de l’antigène a déjà démarré à Vitry sur Seine en R&D. Les usines dans le Rhône, en Allemagne en Italie et aux États-Unis sont prêtes à démarrer sitôt la phase 3 terminée et les autorisations délivrées, les capacités seraient de l’ordre du milliard par an.

Alors qu’en France la campagne de vaccination dès 2021 est programmée, penchez-vous sur les coulisses du chemin abrupt du labo à l’aiguille sur votre bras. C’est assez fantastique, non ?

Jean-Claude Bernier
Décembre 2020

 

 

 

Pour en savoir plus :
(1) Zoom sur les vaccins
(2) Un vaccin, oui, mais quel vaccin ?
(3) Pourquoi met-on du sel sur les routes lorsqu’il gèle en hiver ?
(4) Comment faire des vitres avec du sable ? La réaction de fusion du verre