Pour oser se faire chimiste, à une époque où on ignorait certaines propriétés explosives ou toxiques des matières manipulées, il fallait avoir le goût du risque, voire se montrer téméraire, intellectuellement et physiquement audacieux. Les risques ont été pour la plupart maîtrisés, l’audace demeure.Autour de chaque savant chimiste, il s’est constitué souvent une légende qui contient des faits exacts noyés parfois dans un amas de fausses anecdotes. L’histoire nous montre qu’ils étaient des hommes de chair qui pensaient et raisonnaient comme nous. Beaucoup ont été des humanistes qui ont inspiré la littérature, qui prenaient le temps de contempler des œuvres d’art et d’aimer la musique, des chimistes passionnés par leur travail de chimistes.À cet égard rien n’est précieux comme les correspondances qu’ils échangeaient et que nous tâcherons autant que possible de rendre accessibles. Certains se sont affrontés comme nos gloires sportives sur des questions de priorité et de notoriété, voire de propriété nationale. Ces épisodes méritent d’être médités.
Au début du XXe siècle, deux pays ont construit un institut du radium, l’Autriche-Hongrie et la France. Celui de Vienne et celui de Paris ont eu de nombreux contacts. Dans les deux instituts, les femmes ont joué un grand rôle et ont été considérées. Elles ont quelquefois, à un moment donné, travaillé aussi bien à Vienne qu’à Paris.
À Vienne, Berta Karlik, née le 14 janvier 1904, soutient une thèse en physique nucléaire en 1927 sous la direction de Stefan Meyer (1872-1949) et de Hans Thirring (1888-1976). Puis elle enseigne les mathématiques et la physique dans le lycée où elle a fait ses études. Elle bénéficie d’une bourse en 1930 et peut se rendre à Londres afin de se perfectionner en cristallographie auprès de Sir William Bragg (1890-1971). Elle vient aussi à Paris et rencontre Marie Curie (1867-1934). À son retour à Vienne, elle entre à l’Institut du radium en 1931. Les femmes représentent 38% de l’effectif, Berta Karlik y fera toute sa carrière.
Avec Karl Przibram (1878-1973) et le suédois Hans Pettersson (1888-1966), elle travaille sur la synthèse de la fluorescence bleue de la fluorine, la bande bleue de la fluorescence est due à l’europium, élément chimique classé dans la famille des terres rares. Ce travail, comme d’autres sont indiqués, en France, dans la Revue générale des sciences pures et appliquées.
En 1933, elle reçoit avec Elisabeth Rona (1890-1981) le prix Haitinger de l’Académie autrichienne des sciences pour des recherches dans le domaine de la luminescence. Lorsque Pettersson quitte Vienne et retourne à Uppsala pour diriger l’institut océanographique ainsi que la station hydrographique de Bornö située dans le sud de la Suède près du Gullmarfjord, Berta Karlik comme Elisabeth Rona se rendront en Suède afin d’étudier la radioactivité de l’eau de mer et sa teneur maximale en éléments radioactifs.
Le 12 mars 1938, l’Allemagne annexe l’Autriche, les chercheurs juifs sont chassés de l’Institut. Berta Karlik peut continuer ses recherches car elle n’est pas juive.
Berta Karlik et Traude Cless-Bernert (1915-1998) mettent en évidence l’existence de l’astate naturel en 1944 alors qu’Emilio Segrè (1905-1989), Date R. Corson (1914-2012) et K.R. Mac Kenzie l’avaient obtenu, en 1940, au laboratoire en bombardant du bismuth avec des particules alpha (α) accélérées. Cet élément naturel existe en très faible quantité dans la nature, il est radioactif et instable, c’est un des produits de la désintégration de l’uranium, du thorium et du francium, dont un de ses isotopes est utilisé en radiothérapie. Pour cette nouvelle découverte, elle recevra un second prix Haitinger seule cette fois-ci en 1947.
Suite à la découverte de l’astate, elle devient directrice provisoire de l’Institut en 1945 à la place de Stefan Meyer qui est destitué comme juif et en 1947, lorsqu’il prend sa retraite, elle lui succède et conservera le poste jusqu’à sa propre retraite en 1974. À l’université de Vienne, elle est professeur associé en 1950 et en 1956, elle est la première femme professeur titulaire. Elle devient membre correspondant de l’Académie autrichienne des sciences dès 1954 et la première femme membre de cette institution en 1973.
Berta Karlik est nommée à la commission du bureau du chancelier fédéral comme conseiller sur les questions concernant l’énergie nucléaire. Les Nations-Unies organisent deux conférences à Genève du 8 au 20 août 1955 puis du 1er au 13 septembre 1958 sur les applications pacifiques de l’énergie nucléaire et elle est le représentant officiel de l’Autriche. En 1958, le congrès international porte le nom « L’atome pour la paix ».
Berta Karlik participe aussi à la commission pour la mesure des rayonnements ionisants du bureau international des poids et mesures à Sèvres. En 1958, il est décidé de créer un comité consultatif pour les étalons de mesure des radiations ionisantes. Elle est experte auprès du comité consultatif et chargée du groupe de travail qui doit faire des propositions sur l’étalon de radioactivité. C’est l’étalon international conservé à l’Institut du radium à Paris qui sera déplacé vers le bureau international des poids et mesures.
En 1974 elle prend sa retraite mais continue à travailler à l’institut. Elle meurt le 4 février 1990.
Retracer les recherches et la vie de Berta Karlik permet de décrire les premiers temps de la radioactivité et le rôle que les femmes y ont joué.
Monument à la physicienne Berta Karlik (1904-1990) dans la cour de l'Université de Vienne (artiste : Thomas Baumann).
Source : Sandra Folie, travail personnel, Wikimedia Commons, licence CC BY-SA 4.0
Pour en savoir plus
- Synthèse de la fluorescence bleue de la fluorine, H. Haberlandt, K. Przibram, Karlik, Revue générale des sciences pures et appliquées, Paris (février 1934) n°4, T45, p.127
- Sur la clarté relative des scintillations des rayons H de différents parcours, E. Kara-Michailova, B. Karlik, Revue générale des sciences pures et appliquées, Paris (1930) t.41, p.93
- La radioactivité de l’eau de mer, S. Veil, Revue scientifique, Paris (janvier 1939) A77, N1, p.329
- Académie des sciences de Vienne 1 janvier 1933 p. 382 et 1er janvier 1934 p. 127
- Les femmes et l’Institut du radium de Vienne, C. Paquot-Marchal, BUP, n° 1036 (juil. aout sept. 2021), p. 767-777
Maurice Goldhaber meurt le 11 mai 2011 à Setanket-East Setauket dans le comté de Suffolk situé dans l’état de New York à plus de cent ans puisqu’il était né le 18 avril 1911 à Lemberg dans l’Empire austro-hongrois. Cette ville est, de nos jours, en Ukraine et porte le nom de Lviv.
Après la première guerre mondiale, la famille s’installe à Chemnitz dans l'est de l'Allemagne. À Chemnitz, Maurice Goldhaber fréquente le lycée. Il apprend le latin, le français et l’anglais en plus des matières scientifiques. Il obtient l’abitur, équivalent du baccalauréat, en 1930 et décide d’entreprendre des études de physique à Berlin.
À cette époque, de nombreux physiciens de renom enseignent à Berlin comme Max Planck (1858-1947), Albert Einstein (1879-1955), Max von Laue (1879-1960), Walther Nernst (1864-1941), Erwin Schrödinger (1887-1961), Otto Hahn (1879-1968) et Lise Meitner (1878-1968). Il reste trois ans à l’université à Berlin et trouve le cours de Lise Meitner sur la physique nucléaire très stimulant. C’est dans le cours de von Laue qu’il rencontre Gertrude Scharff (1911-1998) qui deviendra son épouse.
En 1933, avec les recommandations d'Erwin Schrödinger et de Max von Laue, il est accepté par Ernest Rutherford (1871-1937) comme étudiant au laboratoire Cavendish. Ce laboratoire est le département de physique de l’Université de Cambridge, il a été fondé en 1874 et porte le nom d’un physico-chimiste anglais talentueux Henry Cavendish (1731-1810). Rutherford le dirige de 1919 à sa mort en 1937.
Maurice Goldhaber a rapidement apporté sa première contribution majeure lorsqu'il a suggéré à James Chadwick (1891-1974), qui avait découvert le neutron en 1932 que le deutéron pourrait être désintégré par des photons à haute énergie. Ils travaillent ensemble et ils publient en 1934 la première mesure précise de la masse du neutron. Grâce à Chadwick la structure de l’atome a été complétée, le noyau est constitué de charges positives les protons et de charges neutres les neutrons autour sur des trajectoires elliptiques se déplacent des charges négatives les électrons ; l’atome est neutre électriquement, il possède autant de protons que d’électrons. Le deutéron encore appelé deuton est le noyau du deutérium, isotope naturel de l’hydrogène. Il contient un proton et un neutron. Les isotopes d’un même élément chimique possèdent le même nombre de protons et un nombre de neutrons différents.
Ces travaux lui permettent d’obtenir le doctorat en physique à l'Université de Cambridge en 1936. Dans le journal Le Temps du 15 septembre 1936, on peut lire dans la rubrique Causerie scientifique : « Or, tout dernièrement Chadwick et Goldhaber ont ouvert une nouvelle voie en montrant qu’un deuton frappé par les rayons gamma se dédouble en donnant un proton et un neutron. » Les rayons gamma sont un rayonnement électromagnétique d’un photon, ils ont une grande énergie et sont de nos jours utilisés en médecine nucléaire ainsi qu’en imagerie médicale.
N’obtenant pas de poste, il part aux États-Unis en 1938 et accepte un poste de professeur à l'Université de l'Illinois. Il est reconnu comme un expérimentateur créatif dans le domaine nucléaire. Mais Il va quitter l’Illinois car sa femme, Gertrude Scharff Goldhaber ne peut pas obtenir un poste rémunéré. Il part, en 1950, au laboratoire national de Brookhaven car sa femme est embauchée. Ce laboratoire a été créé en 1947 sur le site d’une ancienne base militaire américaine Camp Upton sur Long Island. Il dépend du département de l’énergie des États-Unis et son domaine est la physique nucléaire.
Il détermine en 1968, l’hélicité du neutrino avec Lee Grodzins (1926- ) et Andrew Sunyar (1920-1986). Ils montrent que le neutrino a une hélicité gauche car son spin est orienté dans le sens opposé à son mouvement. Le neutrino est une particule élémentaire électriquement neutre. Le spin est une des propriétés des particules en physique quantique. Il caractérise le moment angulaire intrinsèque. Un électron se déplace autour du noyau de l’atome, il a un moment angulaire orbital, il tourne aussi sur lui-même, c’est le moment angulaire intrinsèque ou spin. Si le spin est entier ou nul, les particules portent le nom de bosons. Si le spin est demi-entier, les particules sont nommées fermions. Les électrons et les neutrinos sont des fermions.
Au nom de la commission de l’énergie atomique des États-Unis, en 1968, il dépose un brevet pour l’invention d’un composé hélium-néon permettant l’étude des interactions du neutrino dans les chambres à bulles. Il dirige le département de physique à partir de 1960 et en 1961, il est nommé directeur, poste qu’il conservera jusqu’en 1973. Avec Edward Teller (1908-2003), il propose le modèle dit Goldhaber-Teller qui décrit la résonance géante dipolaire, celle-ci est due à la vibration groupée des neutrons en opposition à la vibration groupée des protons. La société américaine de physique l’élit président en 1982.
Bien que retraité en 1985, il continue de travailler jusqu’à plus de 90 ans. Sa dernière publication date de mai 2011, elle est écrite avec son fils Alfred. Il a obtenu de nombreux prix. En 1971, le prix Tom Wilkerson Bonner en physique nucléaire lui est attribué. Ce prix existe depuis 1964 en mémoire de Bonner (1910-1961). Il récompense des travaux en physique nucléaire et est décerné tous les ans.
Il reçoit le prix J. Robert Oppenheimer en 1982 attribué par le centre d’études théoriques de l’université de Miami depuis 1969. Robert Oppenheimer (1904-1967) est le père du projet Manhattan qui conduira à la fabrication de la bombe A qui a été utilisée à Hiroshima et à Nagasaki.
Puis en 1983, il reçoit la médaille nationale des sciences. Cette médaille est décernée par le président des États-Unis qui choisit les personnes à récompenser parmi une liste établie par la Fondation nationale scientifique. Elle récompense un travail important dans le domaine des sciences sociales, de la biologie, de la chimie, de l’ingénierie, des mathématiques et de la physique ainsi que des sciences du comportement.
Il obtient le prix Wolf en physique en 1991. Ricardo Wolf (1887-1981) est un inventeur d’origine allemande qui a été ambassadeur de Cuba en Israël et qui a créé une fondation. Depuis 1978, la Fondation Wolf attribue tous les ans en Israël six prix à des personnalités pour des réalisations dans l’intérêt de l’humanité et des relations pacifiques entre les peuples sans considération de nationalité, de religion, de couleur, de sexe ou d’opinion politique. Les prix Wolf récompensent des travaux en agriculture, mathématiques, médecine, chimie, physique et art, ils ne sont pas remis tous les ans. En physique et en chimie, les prix sont justes un peu moins prestigieux que le prix Nobel, souvent les lauréats du prix Wolf obtiennent le prix Nobel dans les années qui suivent.
Enfin, en 1999, le prix Enrico Fermi lui est attribué. Ce prix, décerné par les États-Unis à des scientifiques ayant œuvré dans le domaine de l’énergie, est administré par le département de l’énergie des États-Unis. Une médaille en or à l’effigie d’Enrico Fermi (1901-1954) est remise à celui qui reçoit ce prix.
En 2001, le laboratoire national de Brookhaven crée les bourses Gertrude et Maurice Goldhaber en leur honneur. Ces bourses sont décernées à de jeunes scientifiques qui ont déjà des titres et aussi du talent ainsi que des compétences exceptionnelles et dont les recherches montrent une indépendance d’esprit et une curiosité pour des domaines proches de leur sujet.
En 2008, le laboratoire célèbre le 50e anniversaire de la découverte de l'hélicité des neutrinos en donnant une conférence. Maurice Goldhaber, qui a 97 ans, est présent et monte sur l’estrade afin de présenter son point de vue sur l'avenir de la physique.
En août 2009, il déménage près de son fils, Alfred, un professeur de physique à l'Université Stony Brook. Son travail, bien que plus lent, continue. Avec son fils Alfred, il s'est mis à démontrer l'impraticabilité de remarquer l'hélicité inversée des neutrinos, l’article est publié dans Physics Today en mai 2011.
Maurice Goldhaber décède après une courte maladie le 11 mai 2011. Il a formé de nombreux chercheurs et plusieurs de ses élèves ont obtenu le prix Nobel.
Pour en savoir plus
Maurice Goldhaber, P. D. Bond et L. Grodzins, Physics Today (2011) 64 (10), 65
Maurice Goldhaber - A biographical memoir (PDF), R. P. Crease and A. S. Goldhaber, sur le site de National Academy of Sciences
Revue Scientifique 1/01/1939 p. 122 sur Gallica (BNF)
Illustration : Maurice Goldhaber probablement en 1937 GFHund — Travail personnel / Wikimedia, CC BY 3.0
Lorsqu’en 1774 paraît le premier tome des Voyages métallurgiques entre 1757 et 1769, son auteur Antoine Gabriel Jars, dit le Jeune, est mort depuis 1769. C’est son frère ainé Gabriel Jars (1729-1808) dit l’Ancien, qui fait imprimer l’ouvrage en trois tomes, les deux derniers tomes seront publiés jusqu‘en 1781. Le premier tome est consacré à la houille et au fer, les deux autres à la métallurgie non-ferreuse. L’ensemble est constitué de mémoires.
Gabriel Jars le Jeune est né en 1732 à Lyon. Son père est Directeur des mines et Jars le Jeune s’intéresse très tôt à la métallurgie. Remarqué par ses professeurs, il entre à l’École royale des Ponts et Chaussées à Paris en 1752 dans une classe spéciale réservée aux mines. Cette école fondée en 1747 par Daniel Charles Trudaine (1703-1769), a pour mission de former les techniciens et les ingénieurs. Trudaine comme Jean Hellot (1685-1766) veut faire avancer le bien-être de la société grâce au progrès technique par l’éducation, la formation et l’apprentissage. Le jeune Gabriel est envoyé en stage dans les mines de plomb argentifères de Poullaouen en Bretagne. Puis sur d’autres sites comme les mines d’argent de Sainte-Marie aux Mines en Alsace.
Ses études terminées, il revient dans l’exploitation familiale où il met en œuvre un four à réverbère où la chaleur du four est réfléchie par la voute du four, ainsi qu’un four à cuivre.
Grand ingénieur d’Etat, sa réputation lui vaut dans les années 1750-1760 de devenir membre correspondant de l’Académie royale des Sciences de Paris en 1761 puis d’être élu, simultanément à Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794), au fauteuil de chimie laissé vacant en 1768 par le Théodore Baron d’Hénouville (1715-1768). Gabriel Jars est ainsi récompensé pour son apport.
Gabriel Jars voyage dans une grande partie de l'Europe Centrale et en Grande-Bretagne, afin de rapporter en France le meilleur des pratiques techniques qu’il croise et relève en chemin. Trois années durant, de 1757 à 1760, accompagné de Jean-Pierre-François Guillot-Duhamel (1730-1816), il visite des mines et des fonderies dans de nombreuses régions : Saxe, Autriche, Bohême, Hongrie, Tyrol, Carinthie et Styrie. Puis, de nouveau à la demande du gouvernement, il part l’année 1765 complète en Angleterre. À peine revenu en France, il repart vers les pays du nord en compagnie de son frère. Ils commencent leur périple par la Hollande et ses manufactures, puis le Hanovre, séjournent quatre mois dans les montagnes du Harz, parcourent une partie de la Saxe puis se rendent à Hambourg, de là à Copenhague, puis aux mines d'argent de Kongsberg en Norvège et enfin en Suède.
Ensuite, il réalise des missions en France afin d’étudier les mines près de Langeac, actuellement en Haute-Loire. Mais la forte chaleur le rend malade et il est ramené à Clermont-Ferrand où il meurt d’insolation le 20 août 1769.
Il a passé l’essentiel de sa vie à voyager à travers l’Europe et à observer les techniques employées dans les forges, pour les introduire sur le territoire français, avec le souci permanent de lier théorie et pratique. Son journal de voyage permet de recueillir des informations au jour le jour et ce travail devient au XIXe siècle, l’exercice obligé de tous les élèves ingénieurs des Écoles des Mines de Paris comme de Saint-Étienne.
Gabriel Jars le Jeune est un métallurgiste, créateur de la sidérurgie française et aussi un innovateur en introduisant des nouveaux procédés. On lui doit la fonte au coke ; le procédé de fabrication du minium, qu’il présente à l’Académie des Sciences en avril 1768. Pour lui, le charbon et le fer sont les éléments essentiels du développement technique. Enfin, il installe au Creusot un grand centre industriel qui existe toujours.
Son ami, Jean-Pierre-François Guillot-Duhamel continuera l’œuvre de Gabriel Jars en introduisant des procédés nouveaux comme la cémentation de l’acier. Il collaborera à l’Encyclopédie méthodique d’Antoine-François Fourcroy (1755-1809) en rédigeant les articles concernant les mines et la métallurgie.
Pour en savoir plus
- La famille Jars et sa contribution à l'exploitation des mines lyonnaises au XVIIIe et au XIXe siècles, Alexis Chermette, Publications de la Société Linnéenne de Lyon (1981) Vol 50-5 pp. 1-11
- Jars Le voyageur innovant Anne-Françoise Garçon (2000) 〈halshs-00008092〉
- Les Voyages métallurgiques de Gabriel Jars (1774-1781), un imprimé au service de l’art de l’exploitation des Mines, Isabelle Laboulais, in Les circulations internationales en Europe (1680-1780), Presses Universitaires de Rennes (2010) pp.181-196
L’œuvre du grand chimiste Antoine Laurent de Lavoisier et sa réception sont indissociables du travail de son épouse : dessins minutieux des appareils de laboratoire et des expériences, tenue des cahiers de laboratoire, relation avec les chimistes étrangers, diffusion de son œuvre.
J.-B. Boussingault (1802-1887) est considéré par les agronomes comme le fondateur de la chimie agricole. Il a pratiqué de nombreuses analyses élémentaires quantitatives de sols, d’engrais et de végétaux dans son laboratoire d’été du Liebfrauenberg. J.-A. LeBel (1847-1930) nous a laissé la théorie du carbone asymétrique (1874) et la Société chimique de France a hérité de lui ses locaux à Paris ; il était le neveu de Boussingault.
Libres ils l’ont été par leurs parcours peu ordinaires. Le premier ne s’engage dans une carrière universitaire qu’après dix ans d’aventures (1822-1832) en Amérique du sud (Colombie, Vénézuéla, Bolivie…) sur lesquelles il nous a laissé de savoureux Mémoires. Le 6 juin 1862, Napoléon III avait souhaité l’interroger sur son expérience au moment où il entreprenait la guerre du Mexique. À sa liberté d’expression Boussingault ajoutait quelque maligne insolence à propos du passé de l’Empereur : « Vous avez été attaché à l’état-major du général Bolivar ? – Oui, Sire, en qualité d’ingénieur, mais il y a bien des années. Aux yeux du Gouvernement français et des monarchistes, j’étais un flibustier ; au reste, Votre Majesté n’ignore pas, qu’en politique, chacun dans sa jeunesse a été plus ou moins flibustier ».
Bien que lié à de nombreux chimistes universitaires qu’il avait fréquentés, notamment au laboratoire de Wurtz, LeBel ne fit pas carrière à l’université. Il exploitait une mine d’asphalte à Pechelbronn en Alsace. Passionné par la préhistoire, il achète en 1912 la grotte de Laugerie-Basse près des Eyzies-de-Tayac en Dordogne qu’il a léguée à la Société chimique de France. Il en avait confié l’exploitation à J. Maury, membre délégué de la Société préhistorique française, avec lequel il découvrit la grotte du Grand Roc.
Les Archives de l’Académie des sciences conservent une lettre de LeBel datée de 1924 dans laquelle il dépeint son oncle avec une aussi grande liberté d’expression. “L’idée de parler de Boussingault est très tentante mais le sujet est un peu vaste, car l’homme est encore plus intéressant que le chimiste et le plus amusant est difficile à insérer dans un laïus officiel”. Au moment de la nomination d’un chimiste qu’ils n’aimaient pas, voici le commentaire de Boussingault rapporté par son neveu : « Un imbécile de plus à la Sorbonne ou à l’Académie ne compromet aucunement la France, tandis qu’à la tête d’une armée il peut être très dangereux, la preuve c’est Mac Mahon qui a sacrifié son armée dans la plaine d’Alsace [en 1870] au lieu de défendre les Vosges ! |...].
Sa conversation fourmillait de traits d’esprit et de bons avis et quand il m’appelait imbécile je me réjouissais à l’avance sachant qu’il allait me dire quelque chose d’amusant ; une fois je lui racontai que j’avais accepté de faire quelques articles pour le Dictionnaire de chimie (de Wurtz). « Je ne te croyais pas aussi bête ; Wurtz aurait bien trouvé quelqu’autre faible d’esprit qui aurait fait cela aussi bien ! – Mais c’est un ouvrage fort utile ! – Sans doute mais les vidangeurs aussi sont fort utiles, tu ne vas pas pomper la m… à leur place. »Je me le suis tenu pour dit [...]”. C’est ce que confirme l’examen des articles du dictionnaire.
“Boussingault appelait notre chimie organique la science de la tralalamine, quand on a fait l’isomère α on fait le β et le γ, ensuite on les méthyle, éthyle etc tâchez de trouver une voie plus nouvelle ! [...] J’ai trouvé aux Eyzies une grotte ravissante avec des stalactites épatants ; si vous avez un quart d’heure, voyez-les chez moi, je vous autorise à prendre les plus beaux à la condition de les montrer au public.”
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Joseph-Achille LeBel (source WIkimedia) | Jean-Baptiste Boussingault (source Wikimedia) |
Pour en savoir plus
Mémoires de J.-B. Boussingault, tome deuxième (1822-1832), Chamerot et Renouard, Paris, 1896
Joseph-Achille Le Bel (1847-1930) de Claude Millot, in Itinéraires de chimistes 1857-2007, coord. L. Lestel (2008)
Jean-Claude Streicher, Joseph Achille Le Bel, Jérôme Do Bentzinger éd. (2015)
Boussingault, Jean-Baptiste (1802-1887), Professeur d’Agriculture (1845-1848), de Chimie agricole (1851-1887), de Jean Boulaine, in Les professeurs du Conservatoire national des arts et métiers, t. A-K, INRP, CNAM (1994) ; Histoire des pédologues et de la science des sols, INRA (1989)
Un aspect peu connu de l’œuvre de J.-B. Boussingault de M. Lenglen, Beauvais Imprimerie centrale administrative (1937)
J. Maury, Laugerie Basse, Les fouilles de M. J. A. Le Bel, Le Mans, Imprimerie Monnoyer (1934)
Boussingault, de F. W. J. McCosh, D. Reidel Publ. Co (1984)
Karl Josef Bayer (1847-1904) met au point l’obtention industrielle de l’alumine à partir de la bauxite et participe ainsi au développement ultérieur de l’industrie de l’aluminium. Il travaille, en France, à Gardanne avec Paul Héroult (1863-1914). Ce chimiste autrichien ne doit pas être confondu avec Friedrich Bayer (1825-1880), le fondateur de l’entreprise Bayer.
C’est à Bielitz, en Silésie que nait le 4 mars 1847, Karl Josef Bayer.
Il passe son enfance et son adolescence dans cette ville où il commence des études d’architecture pour faire plaisir à son père alors que ce sont les sciences et en particulier la chimie qui l’attirent. C’est pourquoi, en 1867, il est à Wiesbaben dans le laboratoire de Remigius Fresenius (1818-1897).
Puis, il va à Charleroi en Belgique travailler dans une usine sidérurgique avant de se rendre, en 1869, à Heidelberg, dans le laboratoire de Robert Wilhelm Bunsen (1811-1899). Il étudie le césium et le rubidium qui sont des éléments chimiques trouvés par Bunsen dans le minerai appelé lépidolite. Ils appartiennent tous deux à la famille des alcalins. C’est l’indium qui est l’objet de sa thèse soutenue en 1871. L’indium a été trouvé en quantité infime dans les minerais de zinc et isolé en 1867. De nos jours, il est utilisé sous forme d’oxyde d’indium dans l’affichage à cristaux liquides des écrans plats LCD ( liquid crystal display).
Il obtient un poste d’assistant en chimie à la Technische Hochschule de Brünn en Moravie, l’actuelle Brno en République tchèque. Il fonde, dans cette ville, en 1873, un laboratoire de recherches et de conseils en chimie.
En 1880, il quitte la Moravie pour la Russie où il restera 14 ans. Il travaille à Tentelev près de Saint-Petersbourg dans une usine de colorants pour tissus. Cette usine utilise l’alumine pour teindre les toiles et c’est ainsi qu’il va faire ses premières découvertes concernant l’alumine. Il dépose des brevets en Angleterre en 1888 et en Allemagne en 1889 et une usine est immédiatement construite à Tentelev.
En 1892, il met au point le procédé d’extraction de l’alumine à partir de la bauxite. La bauxite est une roche riche en oxyde d’aluminium. La bauxite doit son nom au minéralogiste et géologue français Pierre Berthier (1782-1861) qui la découvre en 1821 près des Baux-de-Provence. La bauxite broyée est attaquée par la soude à haute température et sous pression conduit après plusieurs étapes à un oxyde d’aluminium, l’alumine. Ce procédé est encore utilisé de nos jours et appelé procédé Bayer.
Puis il part à Ielabouga en Sibérie, actuellement au Tatarstan, où il construit une usine d’extraction de l’alumine.
Il se rend ensuite au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en France afin de réaliser des usines d’extraction de l’alumine. En France, il travaille à l’usine de Gardanne, c’est là qu’il rencontre Paul Héroult (1863-1914).
L’usine de Gardanne a été créée en 1893. Les rapports entre les deux hommes ne sont pas bons, le procédé mis au point par Bayer pose de nombreux problèmes liés aux contraintes industrielles et demande beaucoup d’améliorations.
Alors que Bayer s’intéresse à l’alumine, Héroult profite de la découverte de Bayer pour développer l’obtention de l’aluminium à partir de l’alumine. Ce métal a été obtenu par voie chimique en 1854 par Henri Sainte-Claire Deville (1818-1881) et à cette époque c’est un métal précieux car son prix de revient est élevé.
L’électricité ayant fait de très grands progrès, Héroult obtient de l’aluminium par électrolyse en 1886.
Ce procédé est mis au point la même année par un américain Charles Hall (1863-1914). Actuellement l’aluminium est obtenu par voie électrolytique par le procédé Héroult-Hall. L’aluminium est un métal léger, résistant à la corrosion, excellent conducteur thermique et électrique et recyclable. De nos jours, l’aluminium est utilisé dans les transports, le bâtiment et aussi dans les cuisines.
En 1894, Bayer rentre en Autriche et s’installe à Rietzdorf en Basse-Styrie. Il meurt le 22 octobre 1904.
La Société chimique autrichienne décerne tous les six ans depuis 1961, la médaille Bayer à un chercheur qui s’est illustré dans le domaine de l’aluminium.
Pour en savoir plus :
- Henri Sainte-Claire Deville Les débuts de l’industrie de l’aluminium, Rev. Hist. Sci. Appl., vol.2, n°4 (1949) pp. 352-357
- Produits du jour de la Société Chimique de France (sélectionner alumine et aluminium)
- Réaction en un clin d’œil Comment faire des casseroles avec de la bauxite ?
Karl Josef Bayer
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En 1798 Humphrey Davy (1778-1829) découvrait à Londres les propriétés euphorisantes de l’hémioxyde d’azote, appelé gaz hilarant et, à l’époque gaz nitreux. Il avait été obtenu en 1772 par Joseph Priestley (1732-1804) dans les produits gazeux de décomposition thermique du nitrate d’ammonium. Les informations circulaient vite entre savants, elles parviennent à Madrid où Joseph Louis Proust (1754-1826), avec d’autres chimistes expatriés français, décide de reproduire les expériences
Il en fait le compte rendu en 1802, à son ami Jean-Claude Delaméthrie (1743-1817), médecin encyclopédiste et directeur du Journal de physique à Paris. Sa lettre est publiée : “Je crois vous avoir écrit, docteur, que je me proposois de respirer l’oxyde d’azote pour prendre part à cette riante ivresse, que les chimistes anglais nous ont annoncée”. Il décrit son matériel, “de vastes vessies bien souples, avec des robinets” (ballons fabriqués avec des vessies d’animaux), il élimine une première partie du gaz, suffocante et comparable à l’impression d’une moutarde forte, “et enfin quand il se montre sucré”, il le recueille pour ses expériences. “Dispos, enfin, assis dans mon fauteuil, et plein de confiance, mais pourtant sous les yeux d’une personne qui pût me dire si les changemens qu’elle auroit aperçus s’annonçoient en moi par des signes d’extase ou des grimaces ; je me mis à respirer largement, après avoir évacué d’abord l’air de mes poumons ; mais, où suis-je ? Le trouble de ma vue, un étourdissement qui croissoit, l’anxiété, les objets doubles, la défaillance enfin termina l’expérience. C’en étoit assez. Je me sentois encore si éloigné de cette douce hilarité qui devoit en être la récompense, que la persévérance me manqua tout-à-fait. Moins confiant, cependant dans ma propre expérience, que dans le récit de personnes aussi recommandables que celles qui ont éprouvé les effets de cette inspiration, j’ai répété les épreuves ; mais comme les résultats en ont été les mêmes, avec plus ou moins d’intensité, j’y ai renoncé.”
Longtemps les chimistes ont identifié les produits par leurs propriétés organoleptiques : goût, odeurs, couleurs. Cependant c’est Proust qui a formulé le premier une définition de l’espèce chimique : les corps purs ont une composition élémentaire constante (loi des proportions définies).
La décomposition thermique du nitrate d’ammonium fondu donne l’hémioxyde N2O (+ 2 H2O). L’hémioxyde est souillé de produits d’oxydation, monoxyde NO et dioxyde NO2 monomère et dimère N2O4. De la première partie du gaz qu’il élimine au début de son expérience, Proust affirme : “Ce n’est pas du gaz nitreux ; il mérite d’être examiné”.
Aujourd’hui l’hémioxyde d’azote a des usages anesthésiants médicaux, mais hélas aussi certains s’en servent de drogue légale euphorisante, non sans danger.
Pour en savoir plus :
- lettre du Professeur Proust à J.-C. Delamétherie « Sur l’oxide d’azote respiré », Journal de Physique, de Chimie, d’Histoire naturelle et des Arts, t. LV, 1802, pp. 344-345
- La découverte des propriétés du gaz hilarant par Humphry Davy (1778-1829)
Louis Vicat (1786-1861), polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, chargé de construire un pont sur la Dordogne, découvre à cette occasion en 1817 grâce aux analyses qu’il a réalisées, les éléments chimiques qui composent le ciment hydraulique artificiel (à base de chaux et d’argile).
Vicat ne dépose pas de brevet mais publie ses travaux dans des revues scientifiques : les ingénieurs peuvent profiter librement de ses découvertes, et, à partir des années 1830, l’industrie cimentière se développe progressivement grâce à ses recherches.
La construction des quais, jetées, phares et autres ouvrages maritimes nécessite l’emploi de mortiers hydrauliques capables de résister à la fois aux effets mécaniques des tempêtes comme à l’attaque chimique de l’air et de l’eau de mer, des milieux chargés de sels particulièrement corrosifs.
Vicat étudie alors les mortiers utilisés par les Romains dans la construction de ports sur la Méditerranée, ouvrages dont la longévité fait l’admiration des ingénieurs, et en détermine les composants. Cela l’amène à chercher en France les matières premières nécessaires pour obtenir des ciments artificiels aussi performants. Les articles qu’il publie à ce sujet vont permettre l’essor des travaux maritimes dans les ports français.
Mais des installations portuaires récentes, notamment sur la façade Atlantique, présentent rapidement de graves dégât : un concours est lancé en 1854 par la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, à l’initiative de son président, le chimiste Jean-Baptiste Dumas (1800-1884), pour trouver la composition d’un ciment capable de durcir dans l’eau de mer et résistant à ses effets à long terme.
Vicat décide de relever le défi : il envoie un long mémoire intitulé « Recherche sur les matériaux connus dans l’art de bâtir sous les noms de Chaux, Ciments et Pouzzolanes, en tant que propres aux travaux à la mer », où il précise ses premières analyses, et définit la composition précise des ciments hydrauliques artificiels destinés aux travaux maritimes. Il est récompensé par la Société d’encouragement en 1857.
Pour en savoir plus :
- Leblanc F., Mortiers hydrauliques. Rapport fait par M. Félix Leblanc sur le concours relatif à l’étude des mortiers déjà employés ou destinés aux constructions à la mer, Bulletin de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale vol. 56, tome IV, 2ème série, 1857, p. 548-551
- Ciment, Produit du jour de la SCF, sur le site de la SCF
- Ciments courants, sur le site lelementarium.fr
Louis Vicat / Wikimedia
Léon Lefèvre, auteur d’un magistral Traité des matières colorantes organiques artificielles (1896), et fondateur de la Revue générale des matières colorantes, de la teinture, de l’impression et des apprêts, se forma à la recherche en chimie dans le laboratoire d’Édouard Grimaux (1835-1900).
C’est l’époque où le directeur de laboratoire, de savant admiré et lointain, se mue en « patron » se mêlant aux expérimentations de ses élèves et découvrant en même temps qu’eux les résultats : « il considérait ses élèves, dit Lefèvre, comme des amis, discutait avec eux et, chose rare, acceptait leurs avis et même leurs critiques ».
Au décès de Grimaux, Lefèvre le décrit « ardent à la besogne, il développait une activité prodigieuse partagée par ses collaborateurs. […] Je me rappelle encore sa préoccupation lors de son travail sur l’oxydation de la glycérine (glycérol ou propane-1,2,3-triol) qui lui fit découvrir le premier, un sucre synthétique fermentescible (le glycéraldéhyde, premier terme des aldoses). Le soir nous mettions en fermentation le précieux produit, et il fallait attendre le lendemain pour voir s’il y avait production de gaz carbonique. A sept heures du matin, le « patron » accourait au laboratoire : ô bonheur ! Il y avait plusieurs centimètres cubes de gaz. Toute la journée, ceux qui entrèrent au laboratoire furent salués de ces deux mots : « ça fermente ! » et chacun de rendre visite au tube à fermentation.
Le chimiste Édouard Grimaux (1835-1900) fut successivement pharmacien, médecin, professeur à l’Institut national agronomique et à l’École polytechnique, où, le premier, il introduisit dans ses cours la notation atomique. Sa thèse de médecine, préparée à Sainte-Hermine en Vendée dans sa pharmacie, portait sur le hachisch. Selon Georges Clemenceau (1841-1926), futur homme politique sous la IIIe république, qui était son ami et le voyait quotidiennement, pour mieux connaître son sujet il expérimentait sur lui et notait les effets de différents extraits : « Grimaux se « hachischait » en conscience et y gagnait de terribles maux d’estomac, sans cependant avoir les visions paradisiaques promises dans les livres ». Malgré son désespoir, Clemenceau s’est refusé à contribuer à l’expérimentation qu’il jugeait incompatible avec ses tâches de jeune médecin.
Grimaux est le premier biographe de Lavoisier.
En 1898 il fut l’un des chefs de file des intellectuels engagés en faveur du capitaine Dreyfus dans la crise politique majeure qui a affecté la France entre 1898 et 1900, et l’un des deux premiers vice-présidents de la Ligue des droits de l’homme avec Émile Duclaux (1840-1904), directeur de l’Institut Pasteur.
Pour en savoir plus :
- notice Grimaux, in Itinéraires de chimistes (SCF-EDP Sciences) 2007
- J. Fournier, Édouard Grimaux Un grand savant vendéen, édité par Les amis du temple protestant de Sainte-Hermine et Histoire et patrimoine du canton de sainte-Hermine, 2012, 46 p.
Édouard Grimaux
photo : A. Gerschel et fils, coll. École polytechnique
Pure découverte scientifique au départ, l’eau oxygénée ou peroxyde d’hydrogène a été un composé aux propriétés que le chimiste Louis-Jacques Thenard (1777-1857) a étudiées de manière systématique en 1818 tout en cherchant des applications possibles. Celles-ci devaient par la suite offrir de multiples débouchés industriels qui restent toujours d’actualité.
La découverte d’un nouveau composé chimique
Chimiste de renom, connu pour ses nombreuses contributions en chimie, Thenard s’est toujours préoccupé de mettre la science au service de l’industrie. Avant sa découverte, il avait été remarqué par la mise au point d’un bleu de cobalt (ou bleu Thenard) en 1803, utilisé dans la peinture à l’huile pour remplacer le lapis-lazuli. Il avait aussi contribué à la conception d’une nouvelle méthode de fabrication de la céruse (carbonate de plomb) et le procédé avait été industrialisé par le chimiste Roard à Clichy. Thenard était aussi connu pour avoir fait des recherches avec son collègue Joseph Gay-Lussac à l’École polytechnique entre 1808 et 1811 sur l’isolement du sodium et du potassium par électrolyse, ainsi que par des études sur plusieurs composés organiques dont ils avaient élucidé la composition. Formé par Vauquelin, Thenard était en effet un excellent analyste. Élu membre de l’Académie des sciences en 1810, Thenard, devint baron en 1825 en reconnaissance pour sa contribution à la préservation contre l’humidité des peintures sur la coupole du Panthéon. Il fut élu en 1832 président de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale.
De la découverte à l’invention
Dans les années 1810, lors de recherches sur les composés dérivés de métaux, Thenard observa qu’un oxyde de baryum en milieu acide donnait lieu à la formation d’une solution aqueuse qui montrait un dégagement gazeux inattendu. Sa curiosité fut satisfaite lorsqu’il constata qu’il s’agissait d’un dégagement de dioxygène de la solution. Et l’analyse de ce liquide révéla qu’il contenait une proportion inhabituelle d’oxygène par rapport à la composition de l’eau ordinaire. D’où le nom d’ « eau oxygénée » qu’il donna à ce nouveau composé. Ses recherches pour identifier et décrire le nouveau composé devaient donner lieu à une série de mémoires présentés à l’Académie des sciences.
Composé de formule H2O2, le peroxyde d'hydrogène, nom actuel de l’eau oxygénée, est un liquide clair, légèrement plus visqueux que l'eau, incolore en solution. Thenard s’intéressa aux puissantes propriétés oxydantes du composé et aux applications possibles.
Des applications multiples
Voulant trouver une première application pratique de l’« eau oxygénée », Thenard et son ami le peintre et chimiste Léonor Mérimée pensèrent qu’un essai pouvait être fait pour enlever des taches brunes sur une gravure ancienne. Au moyen d’un pinceau fin, le produit fut mis au contact avec les taches du papier. Celles-ci étant dues à du sulfure de plomb donc brunes, le traitement les transforma en sulfate de plomb blanc. Le résultat étant positif, c’était le premier succès de l’eau oxygénée dans le blanchiment d’un papier, un procédé qui sera industrialisé par la suite.
Toutefois à cette époque, les applications n’étaient pas encore nombreuses. À part les beaux-arts, c’est la médecine qui a employé le produit comme désinfectant. L’emploi à l’échelle industrielle sera réalisé par la suite au moment où des industries auront besoin d’un composé de blanchiment ou de désinfection en grandes quantités.
Si le procédé de préparation de Thenard a été poursuivi jusqu’au XXe siècle, toutefois le procédé électrolytique a supplanté le procédé chimique original. Le peroxyde d’hydrogène est alors produit par électrolyse de l’acide sulfurique ou de l’hydrogénosulfate d’ammonium avec oxydation anodique, puis hydrolyse de l’acide peroxodisulfurique H2S2O8 ou du peroxodisulfate d’ammonium formé. La distillation permet alors de produire des solutions plus concentrées et plus stables.
Le peroxyde d'hydrogène sert beaucoup pour le blanchiment de la pâte à papier et des textiles. C’est un procédé écologique sans chlore. Il est aussi utilisé pour le traitement des eaux, des sols et des gaz (désulfuration, deNox, etc.) ou comme désinfectant des piscines.
À basse concentration, environ 5%, il sert à décolorer les poils et cheveux, d’où l'expression de« blonde peroxydée », ou, comme fixateur, pour achever une permanente. Il peut servir aussi pour le blanchiment des dents. Désinfectant pour un traitement local il sert au nettoyage des plaies, réputé contre le tétanos et contre indiqué pour les bactéries aérobies (ex : staphylocoque). L'eau oxygénée a été utilisée pendant plusieurs années comme révélateur d'hémoglobine en police scientifique. Cette découverte a été faite par le chimiste allemand Christian Schönbein (1799-1868).
À haute concentration, il peut servir de comburant pour la propulsion de fusées. En se décomposant dans le réacteur il fournit le dioxygène nécessaire à la combustion des combustibles auxquels il est associé. Enfin, le peroxyde d'hydrogène est aussi utilisé lors de la fabrication d'explosifs peroxydés comme le peroxyde d'acétone ou TATP.
Pour en savoir plus :
- Louis-Jacques Thenard: un savant et un acteur de la première industrialisation.
- Produits du jour de la société chimique de France (peroxyde d’hydrogène)
- Découverte du peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée)
- Fabrication industrielle de l’eau oxygénée