L’activité endocrinienne c’est la vie, la perturbation endocrinienne pose un problème.
Qu’est ce que le système endocrinien ?
Le système endocrinien est l'ensemble des glandes (dites « endocrines ») qui libèrent des hormones dans le sang : ovaires chez les femmes, testicules chez les hommes et pour tous, thyroïde et parathyroïdes, hypophyse, hypothalamus, pancréas (ilôts), glandes surrénales (fig. 1).
Figure 1. Source (6)
Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien (PE) ?
D’après l’OMS (2012), un PE est défini comme « une substance ou un mélange de substances qui altère les fonctions du système endocrinien et, de ce fait, induit des effets nocifs sur la santé d’un organisme intact, de ses descendants ou de (sous-)populations ».
De nombreux sites internet sont consacrés à la description des enjeux liés aux PEs , INSERM, INRS, ANSES… (1) (2) (3) (4) (5).
Pour reprendre les principaux points sur le PE, il s’agit d’un produit chimique, naturel ou artificiel, qui peut bloquer, imiter ou perturber une fonction hormonale, ce système émetteur « des signaux hormonaux » qui orchestre les principales fonctions essentielles : métabolisme, immunité, reproduction, cognition, etc.
De nombreuses études ont confirmé que les PEs peuvent avoir une large batterie d’effets sur les humains et sur la faune, diminution des facultés reproductrices, malformations sexuelles, pubertés précoces, certains cancers (sein, ovaires, prostate, testicules), retard de développement cognitif, réponse altérée au stress, obésité, diabète… et aussi affecter la biodiversité.
C’est d’ailleurs dans ce domaine que les premières alertes ont été lancées : diminution de populations d’espèces aviaires, féminisation de poissons, altération de la reproduction des alligators, etc.
La notion de PE a été conceptualisée en 1991 par 21 scientifiques réunis à Wingspread (Wisconsin, USA) à l’initiative de Theo Colborn, zoologiste et épidémiologiste américaine. Il était déjà connu que des substances avaient telle ou telle action endocrine. Lors de la conférence ces phénomènes ont été regroupés et nommés. Il était alors surtout question de l’altération du développement sexuel par des produits chimiques et de l’interaction homme/vie sauvage. Depuis, le champ couvert s’est enrichi par l’identification d’un nombre croissant de dommages potentiels.
Quelle démarche pour qualifier qu’un produit est un PE ?
Dans sa rédaction, la définition du PE est simple mais elle demande en fait de caractériser trois éléments (fig. 2) :
- la substance doit agir sur le système endocrinien ;
- elle doit conduire à un effet nocif ;
- et l’effet doit être causé par l'action sur le système endocrinien (le "de ce fait" de la définition).
Cette triple caractérisation ajoute encore, en termes d'essais biologiques nécessaires, à la variété des mécanismes d'action qu’il faut prendre en compte.
Figure 2 : les 3 facteurs définissant un perturbateur endocrinien
Ainsi une substance chimique interférant avec l’équilibre hormonal de l’organisme vivant résultant et conduisant à un effet néfaste pourra être qualifié de « substance de perturbateur endocrinien » sous réserve d’établir que ce lien (causal) est plausible biologiquement à partir des connaissances existantes sur la substance et son mode d’action.
Par exemple, ce lien a été établi pour diverses substances provoquant une inhibition de l'aromatase (mode d’action), impliquées dans la différenciation des gonades et conduisant à un sex-ratio biaisé (effet adverse) en faveur des mâles. Diverses populations de poissons ont vu ainsi leur nombre diminuer. Ainsi, des substances telles que le propiconazole (fongicide) présentant ce type d’effet ont été identifiées formellement comme des perturbateurs endocriniens.
Comment est-on exposé aux PEs dans la vie quotidienne ?
Quand on voit la variété des glandes endocrines, on comprend que les produits susceptibles de les perturber peuvent être très nombreux. Et, du fait des faibles quantités d’hormones mises en jeu dans tant de fonctions vitales, l’exposition à des PEs, peut avoir un impact à des niveaux très faibles.
Nous pouvons respirer, manger, boire et être en contact avec des PEs chaque jour. Ils peuvent être présents à l’intérieur de nos habitations, écoles et lieux de travail dans ce que nous mangeons ou respirons dans ces lieux ou dans l’environnement au sens large. Les études de « biomonitoring » (mesure de substances chimiques présentes dans le corps humain) ont révélé la présence de nombreux PEs chez la plupart des personnes testées, y compris les nouveau-nés.
Et l’influence des hormones variant au cours des étapes de la vie, les PEs agiront de façon différente de la conception à la vieillesse.
Une démarche européenne
Beaucoup, au sein du public ou parmi les responsables d’entreprise, associent les Perturbateurs Endocriniens à quelques produits chimiques emblématiques et quelques activités. Or il n’en est rien.
La commission européenne développe une stratégie concernant les produits chimiques (« chemical strategy »), qui vise à interdire les produits chimiques les plus nocifs dans les produits de consommation, à n'autoriser ces produits chimiques que lorsque leur utilisation est essentielle et à tenir compte de l'effet cocktail des produits chimiques lors de l'évaluation des risques chimiques. En accompagnement la commission a réalisé un bilan de qualité (« Fitness Check ») de la législation européenne concernant les perturbateurs endocriniens. Il en est ressorti de nombreux textes règlementaires comme ceux sur les produits phytosanitaires, les dispositifs médicaux, la qualité de l’eau, de l’air, etc.
Ainsi par exemple le bisphénol A (BPA) est proscrit en France depuis le 1er janvier 2015 dans la composition des contenants alimentaires (biberons, bouteilles, conserves…). En juin 2017, l’Union européenne a classé le BPA parmi les substances « extrêmement préoccupantes » du règlement REACH, en tant que perturbateur endocrinien.
En avril 2023, dans le cadre de REACH, 20 substances avaient été identifiées comme Perturbateurs Endocriniens, et 6 après analyse, comme non perturbateurs.
La liste des substances étudiées à l’ECHA, (European Chemical Agency) est consultable ici https://echa.europa.eu/fr/ed-assessment, parmi lesquelles on trouvera de nombreuses substances PE et en nombre faible des non PE (exemple acide téréphtalique).
Mais les listes à investiguer sont nettement plus longues. Par ailleurs, L’ANSES a publié en avril 2021 un guide intitulé « Elaboration d’une liste de substances chimiques d’intérêt en raison de leur activité endocrinienne potentielle – méthode d’identification et stratégie de priorisation pour l’évaluation ». L’ANSES (i) avait ainsi identifié 906 « substances d’intérêt » et la méthodologie appliquée a abouti à une liste de 16 substances prioritaires comme par exemple l’éthylbenzène). D’autres « listes » sont encore plus longues.
Comment identifier les PEs et répondre au besoin de sortir de l’univers du doute
Une situation d’incertitude pour toutes les parties prenantes
Les incertitudes sur les perturbateurs endocriniens pèsent évidemment sur les questions de santé et d’environnement. Elles pèsent aussi sur tous les acteurs, qu’ils soient producteurs primaires, utilisateurs dans leurs produits, consommateurs ou responsables des règlementations. Et ce pour une raison simple : on ne sait pas comment seront classées beaucoup de substances.
Le nombre élevé de substances suspectées mais pas encore caractérisées, et la durée des controverses traduit le cœur de la problématique. En attendant, la confiance s’effrite envers les autorités et les industriels. Il n’y a pratiquement aucune activité qui ne soit pas concernée et il faut des outils crédibles.
Une catégorisation
Les catégories de PE du règlement CLP (classification, étiquetage) sont établies en fonction du poids des preuves :
- Substances de catégorie I : Perturbateurs endocriniens connus ou présumés pour la santé humaine lorsque des effets indésirables ont un lien plausible avec un ou des mode(s) d'action endocrinien disponibles ou, dans certains cas spécifiques, le schéma des effets indésirables peut être le diagnostic d'un mode d'action PE.
- Substances de catégorie II : Perturbateurs endocriniens suspectés pour la santé humaine, lorsque la preuve d’une activité endocrinienne ou d’un effet indésirable n’est pas suffisamment convaincante pour classer la substance dans la catégorie 1. Il reste nécessaire d’avoir une preuve d’un lien biologique plausible entre l’activité endocrinienne et l’effet néfaste.
Un besoin criant de méthodes d’essai validées
Un ensemble complet, efficace, démonstratif, comprenant des méthodes validées pour être universellement reconnues, fait cruellement défaut. Les méthodes disponibles sont encore peu nombreuses et celles-ci ne portent en général que sur l’un des trois aspects de l’action PE. De surcroit, celles-ci nécessitent des études lourdes, longues et coûteuses (par exemple, un essai qui fait référence pour les mammifères, la ligne directrice « OCDE 443 » (ii), peut impliquer, le sacrifice de plus de 1.000 rats, deux ans de travail et un budget de 1,3 M€).
C’est dans ce contexte que la Fondation de la Maison de la Chimie, en collaboration avec les fédérations de la chimie, de la cosmétique et du ministère de l’environnement, a investi un million d’euros sur quatre ans (2020 – 2024) dans la Plateforme Publique – privée sur la pré-validation des méthodes d’essai sur les Perturbateurs EndocRiniens, « PEPPER », pour contribuer à l’accélération des connaissances sur les PE en développant des méthodes de caractérisation robustes.
Source (6)
Pepper offre un cadre innovant pour financer la pré-validation, cette étape de fiabilisation des méthodes de laboratoire indispensable pour que les organismes internationaux puissent les inscrire dans un cadre réglementaire. Le travail consiste à identifier des nouvelles méthodes et à les faire vérifier par des laboratoires « naïfs » afin d’étoffer la boite à outils indispensables à la détection des PE. A l’issue de cette étape de pré validation, Pepper rédige les lignes directrices pour soumission à l’OCDE afin de valider ou non la méthode.
Ainsi, conçu par la France, le projet PEPPER, soutenu par un réseau international de partenaires et de laboratoires qualifiés, est donc un « accélérateur de validation » qui apporte le chaînon manquant et essentiel entre chercheurs et régulateurs et s’inscrit ainsi dans la logique européenne
Un autre article sera dédié à l’avancement des travaux de PEPPER.
Ce Zoom sur les perturbateurs endocriniens s’est très largement inspiré des textes de PEPPER (6) pour cet article.
(i) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
(ii) Ligne directrice de l’OCDE pour les essais de produits chimiques.
Pour en savoir plus
(1) Perturbateurs endocriniens. Des risques potentiels ou avérés pour la santé humaine sur le site de l’INSERM
(2) Perturbateurs endocriniens sur le site sante.gouv.fr
(3) Perturbateurs endocriniens et risques de cancer sur le site du Centre de lutte contre le cancer Leon Berard
(4) Travaux et implication de l'Anses pour mieux connaitre les perturbateurs endocriniens sur le site de ANSES.fr
(5) Perturbateurs endocriniens, ce qu’il faut retenir sur le site de l’INRS
(6) PEPPER site https://ed-pepper.eu/ et Pepper-Plaquette
Niveau de lecture : pour tous
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