Les industries de transformation de la matière telles que la chimie, la pharmacie, la métallurgie, les IAA (Industries Agro-Alimentaires)… et les industries de l’énergie mettent sur le marché des produits dont la fabrication nécessite un procédé, d’où leur nom générique d’industries de procédés (Process Industries).
1. Un exemple
Le cas de l’aspirine (acide acétylsalicylique), produit plus que centenaire, est intéressant. C’est en octobre 1897 que Félix Hoffmann fait la synthèse d’un produit pur et stable dont la société Bayer en 1899 prend le brevet et dépose la marque sous la dénomination d'Aspirin [1].
La dernière étape de la synthèse consiste en la réaction de l’anhydride acétique sur l’acide salicylique (figure 1).
Figure 1 : Synthèse de l’aspirine
La figure 2 schématise à titre purement indicatif le procédé industriel qui comprend les étapes suivantes : réaction, filtration, cristallisation, séparation des cristaux, séchage, suivies de la formulation pour la fabrication des tablettes par compression de l’acide acétylsalicylique avec des adjuvants (excipients).
Figure 2 : Schéma simplifié de la synthèse de l’aspirine (DR : L. Amann)
Un procédé est ainsi une succession d‘opérations physico-chimiques que des professeurs du MIT, au début du XXe siècle, ont dénommé Opérations Unitaires [2] (Unit Operations) et qui sont autant de briques technologiques. Les Opérations Unitaires mettent en œuvre du matériel et des équipements qui, tout en assurant la même fonction, peuvent être de nature différente. Par exemple, un filtre peut être rotatif sous vide, à bande, à plateaux, à manches…
2. La France et le Génie des Procédés (GP)
Le Génie Chimique, GC, ou Chemical Engineering, est né au MIT à la fin du XIXe siècle et a contribué à l’extraordinaire développement de l’industrie chimique et pétrolière. Les professeurs Joseph Cathala et Maurice Letort après des séjours aux États-Unis introduisent cette science en France à Toulouse (IGC devenue ENSIACET) et à Nancy (ENSIC) après la Deuxième Guerre mondiale. Le Professeur Jacques Villermaux de Nancy, un visionnaire, partant du constat que les Techniques du GC s’appliquent à toutes les industries de procédés proposera le terme « Génie des procédés (GP) » en vigueur en France à ce jour. Il est un des fondateurs en 1987 de La SFGP (Société Française du Génie des Procédés) qui en donne la définition suivante :
Le GP est une science d’intégration, une science à part entière qui regroupe les Sciences de l’Ingénieur, les pratiques et méthodes relatives à l’étude, la conception, l’optimisation et la mise en œuvre des procédés de transformation de la matière et de l’énergie par voie chimique, physique ou biologique.
3. LE GP et le processus d’industrialisation
L’Ingénieur de procédés est le chef d’orchestre du processus d’industrialisation qui consiste à définir, construire, démarrer et faire fonctionner l’outil industriel.
Figure 3 : Représentation du processus d’industrialisation. Source : « Chimie pour un développement durable » [3]
La figure 3 schématise le processus d’industrialisation : une suite de processus qui part des études en laboratoire pour aboutir à un atelier qui délivre un produit commercialisable.
Ce processus comprend deux phases distinctes : une phase d’étude et de développement qui, si les crédits d’investissement sont accordés, est suivie d’une phase d’ingénierie de réalisation qui voit la construction de l’atelier, son démarrage et la mise en production.
L’Ingénieur de Procédé est au cœur de ce processus. Il commence par dialoguer avec les chercheurs pour définir ce que l'on appelle les bases de l’industrialisation : choix des conditions de réaction (catalyseur, température, pression, sélection des matières premières et des solvants). Suit alors la sélection du schéma de procédé avec ses opérations unitaires tenant compte des données cinétiques et thermodynamiques. Il décide s’il faut passer par une phase de pilotage avant de passer à la phase Ingénierie de réalisation qui est une phase lourde. De tout ce travail de recherche et d’études en amont découlera la réalisation industrielle.
Son travail consiste alors à l’établissement des Schémas de procédés, PFD (Process Flow Diagram), des bilans matières et de chaleur (bilan enthalpique), à définir la nature des matériaux à mettre en œuvre, à identifier l’équipement principal (réacteur, colonnes à distiller, échangeurs de chaleur…) et à définir l’instrumentation (voir figure 4). Suivent les Schémas TI (Tuyauteries et Instruments), P&ID (Piping and Instrumentation Diagram) ainsi que la définition du matériel (Feuilles de spécifications) (*), et de tout ce qui sera nécessaire à l’INGÉNIERIE pour construire l’outil de production répondant à des critères de fiabilité, d’économie, de sécurité et d’environnement. Il contribue au calcul du prix de revient du produit fabriqué élément essentiel de détermination de la rentabilité d’un projet à partir du volume et du montant des ventes [4].
Figure 4 : Exemple de procédé d’un strippeur d’essence (schéma partiel). Source : Techniques de l’Ingénieur AG 3300 MC CHARRIER | Figure 5 : Vue en élévation 3D de l’installation dont la fig. 4 représente le procédé TI AG 3300 MC CHARRIER |
L’ensemble du processus de l’ingénierie de réalisation fait appel à une vingtaine de métiers (femmes et hommes) : techniciens et ingénieurs de procédés, de projet, planificateurs, estimateurs, acheteurs, chef de chantier, instrumentistes, automaticiens et à de nombreux corps de métiers (génie civil, chaudronnerie, tuyauteries, machine tournantes, électricité…).
Les industries de procédés mettent en jeu un grand nombre de procédés différents caractéristiques de chaque filière (chimie, pharmacie, agroalimentaire…). La voie d’accès, les volumes, ainsi que températures et pressions mises en jeu donnent à l’atelier sa caractéristique. Certains procédés chimiques sont remplacés par des procédés par voie biotechnologique tout particulièrement en pharmacie [3]. Donc autant de compétences de cœur (Core competencies) différentes.
4. Le GP à l’heure de la révolution numérique
Le GP, dès les années 60, a bénéficié de l’informatique industrielle. L’encre de Chine et les tables à dessin vont laisser la place aux ordinateurs ; fini les calculs fastidieux ! Une multitude de logiciels sont utilisés pour définir les nappes de tuyauteries, l’implantation du matériel, construire des maquettes virtuelles (jumeau numérique) qui serviront à vérifier l’ergonomie des postes de travail et les conditions de maintenance.
La puissance sans cesse accrue des ordinateurs permet de modéliser, simuler et optimiser les procédés ; c’est le domaine de la MSO (Modélisation, Simulation, Optimisation) [5] [6].
La révolution numérique amène des changements profonds dans la conception des usines et leurs opérations ; jumeau numérique, robotique, cobotique (robot soulageant le travail humain) et exosquelettes modifient le travail des opérateurs qui peuvent bénéficier de la réalité augmentée, de la réalité virtuelle via tablette ou smartphone. Tout peut être connecté à tout par l’Internet des Objets (IOT) qui génèrent des données (Big Data) que les ordinateurs peuvent traiter en temps réel. Toutes ces avancées numériques et ces outils font dorénavant partie de la Boite à outils (ToolBox) de l’ingénieur moderne ; ils sont en progrès constants.
5. Les nouvelles exigences de la société et des consommateurs
La société veut aujourd’hui des usines avec une « empreinte carbone » minimale respectueuse de l’environnement, apportant de la valeur ajoutée à la société aussi bien qu’aux clients. Le consommateur veut des produits éco-conçus, durables avec une analyse du cycle de vie (ACV) transparente [7], [3].
Figure 6 : Le cycle du produit
L’entreprise est née de la révolution industrielle ; elle risque ses capitaux pour faire du profit. Depuis des années elle doit tenir compte de la notion de RSE (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise). La RSE c’est l’application du concept de développement durable au fonctionnement de l’entreprise (voir figure 6).
Depuis quelques années s’impose la notion d’entreprise à mission ; notion légale par laquelle l’entreprise affiche son engagement social pour un « Bien commun », notion définie par Jean Tirole, prix Nobel d’Économie.
6. L’usine du futur à l’ère des évolutions écologique, énergétique et numérique
Depuis quelques années est apparue la notion d’usine du futur ou usine 4.0 suivant les pays ; une usine qui, à l’instar de l’éthique de l’entreprise qui la possède, répond au concept du développement durable que la figure 7 schématise.
L’impact de l’usine sur son environnement et en premier lieu sur ses opérateurs et les riverains va dépendre du procédé mis en œuvre et de sa gestion ; accidents, épanchements sont à éviter.
Cependant toute activité humaine a un impact sur l’environnement au sens le plus large ; l’impact Zéro comme le risque zéro n’existe pas. Le point de fonctionnement du triangle de la figure 7 représente le meilleur compromis entre les 3 P : People, Profit, Planet.
Figure 7 : le développement durable représenté par les « 3P »
Ce point de fonctionnement est défini à partir de métriques (Metrics) qui accordent des poids différents à l’énergie, à la main d’œuvre et aux rejets suivant les situations. Par exemple au Sahel la contrainte sur l’eau étant majeure, on privilégiera surtout un procédé à faible consommation d’eau, l’énergie pouvant d’être d’origine solaire.
7. Les procédés chimiques s’améliorent ou se transforment pour répondre aux principes de la « chimie verte » [3]
Les produits, « raison d’être » du système productif, doivent être éco-conçus en utilisant dans la mesure du possible des matières premières (MP) biosourcées [7] si l’économie le permet et favoriser une économie circulaire au lieu d’une économie linéaire (on produit, on utilise, on jette). L’économie circulaire [8] favorise la « frugalité en MP, la réutilisation des produits autant que de possible et l’utilisation de leurs composants en fin de vie. C’est la règle des 3R : Réduire, Réutiliser et Recycler.
8. Entreprise, outil industriel et produit forment un tout
À l’heure où notre société doit faire face à des défis vitaux, stress hydrique, urbanisation, migrations, changement climatique, l’Ingénieur de procédé contribue aux choix technologiques. Son rôle sociétal s’affirme de plus en plus. Il le fait dans un monde de compétition effrénée où la technologie est devenue une arme économique et où les demandes sociétales médiatisées se vivent dans l’immédiat.
Il ne faut pas perdre de vue qu’il est indispensable de tenir compte de l’ensemble des conditions économiques et techniques associées à une demande de produit. Par exemple l’utilisation de l’hydrogène n’apporte de réduction de CO2 que s’il est fabriqué par hydrolyse de l’eau avec une électricité elle-même décarbonée. En effet l’hydrogène obtenu par vaporéformage (action de la vapeur d’eau sur des hydrocarbures fossiles) produit du CO2.
L’ingénieur de procédés doit tenir compte de ces changements et des contraintes afférentes qui sont aussi des opportunités. Le génie des procédés a considérablement évolué au cours de la dernière décennie ; nul ne doute qu’il évoluera encore à l’instar de la révolution numérique dont on ne voit pas ni la fin ni les conséquences.
(*) Par exemple dans le cas d’une distillation il est nécessaire de déterminer les caractéristiques de la colonne qui sera la mieux adaptée (diamètre, nombre et type de plateaux ou hauteur de garnissage, vrac ou rangé) ou encore le choix de l’agitateur sera fondamental [2] pour répondre à la fois au mélange efficace des réactifs, au transfert de chaleur tout en respectant la morphologie des cristaux en cristallisation ou en minimisant le stress des bactéries en fermentation.
[1] Du saule à l’aspirine de Olivier Lafont, Revue d'histoire de la pharmacie, 94e année, n° 354 (2007) pp. 209-216
[2] Quelques vidéos illustrant les opérations unitaires : Fluidisation gaz-solide et Agitation
[3] Chimie pour un développement durable (SECF)
[4] Pour découvrir les métiers liés au génie chimique et au génie des procédés consulter sur Mediachimie dans l’espace Métiers le domaine d’activité Procédés
[5] La modélisation numérique et l’ingénierie de l’environnement, L'Actualité Chimique n° 450 (avril 2020) p. 19
[6] La modélisation moléculaire s’invite dans l’industrie, de Frédéric Biscay et al., L'Actualité Chimique n° 353-354 (juin-juillet-août 2012) p. 66-73
[7] Valorisation biologique des agro-ressources de Pierre Monsan, in La chimie et la Nature (EDP Sciences, 2012) p. 253
[8] Les chimistes dans : l'économie circulaire (Mediachimie)
Pour en savoir plus
1) Perry : Manuel des ingénieurs-chimistes (McGraw-Hill, 9e éd., 2018). La « Bible de l’Ingénieur de procédés ».
2) J.-P. Dal Pont et M. Debacq : Les Industries de procédés, Vol. 1, Vol. 2 (Éd. ISTE 2020)
3) C. Cogné, M. Debacq, H. Desmorieux, N. Fatah, N. Regnier, É. Schaer et M. Tourbin. SFGP : Ressources pédagogiques en ligne sur le portail du génie des procédés.
4) Techniques de L’Ingénieur. Procédés Chimie - Bio – Agro : description de toutes les Opérations Unitaires (970 articles).
Niveau de lecture : intermédiaire
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