J.-B. Boussingault (1802-1887) est considéré par les agronomes comme le fondateur de la chimie agricole. Il a pratiqué de nombreuses analyses élémentaires quantitatives de sols, d’engrais et de végétaux dans son laboratoire d’été du Liebfrauenberg. J.-A. LeBel (1847-1930) nous a laissé la théorie du carbone asymétrique (1874) et la Société chimique de France a hérité de lui ses locaux à Paris ; il était le neveu de Boussingault.
Libres ils l’ont été par leurs parcours peu ordinaires. Le premier ne s’engage dans une carrière universitaire qu’après dix ans d’aventures (1822-1832) en Amérique du sud (Colombie, Vénézuéla, Bolivie…) sur lesquelles il nous a laissé de savoureux Mémoires. Le 6 juin 1862, Napoléon III avait souhaité l’interroger sur son expérience au moment où il entreprenait la guerre du Mexique. À sa liberté d’expression Boussingault ajoutait quelque maligne insolence à propos du passé de l’Empereur : « Vous avez été attaché à l’état-major du général Bolivar ? – Oui, Sire, en qualité d’ingénieur, mais il y a bien des années. Aux yeux du Gouvernement français et des monarchistes, j’étais un flibustier ; au reste, Votre Majesté n’ignore pas, qu’en politique, chacun dans sa jeunesse a été plus ou moins flibustier ».
Bien que lié à de nombreux chimistes universitaires qu’il avait fréquentés, notamment au laboratoire de Wurtz, LeBel ne fit pas carrière à l’université. Il exploitait une mine d’asphalte à Pechelbronn en Alsace. Passionné par la préhistoire, il achète en 1912 la grotte de Laugerie-Basse près des Eyzies-de-Tayac en Dordogne qu’il a léguée à la Société chimique de France. Il en avait confié l’exploitation à J. Maury, membre délégué de la Société préhistorique française, avec lequel il découvrit la grotte du Grand Roc.
Les Archives de l’Académie des sciences conservent une lettre de LeBel datée de 1924 dans laquelle il dépeint son oncle avec une aussi grande liberté d’expression. “L’idée de parler de Boussingault est très tentante mais le sujet est un peu vaste, car l’homme est encore plus intéressant que le chimiste et le plus amusant est difficile à insérer dans un laïus officiel”. Au moment de la nomination d’un chimiste qu’ils n’aimaient pas, voici le commentaire de Boussingault rapporté par son neveu : « Un imbécile de plus à la Sorbonne ou à l’Académie ne compromet aucunement la France, tandis qu’à la tête d’une armée il peut être très dangereux, la preuve c’est Mac Mahon qui a sacrifié son armée dans la plaine d’Alsace [en 1870] au lieu de défendre les Vosges ! |...].
Sa conversation fourmillait de traits d’esprit et de bons avis et quand il m’appelait imbécile je me réjouissais à l’avance sachant qu’il allait me dire quelque chose d’amusant ; une fois je lui racontai que j’avais accepté de faire quelques articles pour le Dictionnaire de chimie (de Wurtz). « Je ne te croyais pas aussi bête ; Wurtz aurait bien trouvé quelqu’autre faible d’esprit qui aurait fait cela aussi bien ! – Mais c’est un ouvrage fort utile ! – Sans doute mais les vidangeurs aussi sont fort utiles, tu ne vas pas pomper la m… à leur place. »Je me le suis tenu pour dit [...]”. C’est ce que confirme l’examen des articles du dictionnaire.
“Boussingault appelait notre chimie organique la science de la tralalamine, quand on a fait l’isomère α on fait le β et le γ, ensuite on les méthyle, éthyle etc tâchez de trouver une voie plus nouvelle ! [...] J’ai trouvé aux Eyzies une grotte ravissante avec des stalactites épatants ; si vous avez un quart d’heure, voyez-les chez moi, je vous autorise à prendre les plus beaux à la condition de les montrer au public.”
Joseph-Achille LeBel (source WIkimedia) | Jean-Baptiste Boussingault (source Wikimedia) |
Pour en savoir plus
Mémoires de J.-B. Boussingault, tome deuxième (1822-1832), Chamerot et Renouard, Paris, 1896
Joseph-Achille Le Bel (1847-1930) de Claude Millot, in Itinéraires de chimistes 1857-2007, coord. L. Lestel (2008)
Jean-Claude Streicher, Joseph Achille Le Bel, Jérôme Do Bentzinger éd. (2015)
Boussingault, Jean-Baptiste (1802-1887), Professeur d’Agriculture (1845-1848), de Chimie agricole (1851-1887), de Jean Boulaine, in Les professeurs du Conservatoire national des arts et métiers, t. A-K, INRP, CNAM (1994) ; Histoire des pédologues et de la science des sols, INRA (1989)
Un aspect peu connu de l’œuvre de J.-B. Boussingault de M. Lenglen, Beauvais Imprimerie centrale administrative (1937)
J. Maury, Laugerie Basse, Les fouilles de M. J. A. Le Bel, Le Mans, Imprimerie Monnoyer (1934)
Boussingault, de F. W. J. McCosh, D. Reidel Publ. Co (1984)
Niveau de lecture : pour tous
Nature de la ressource : article