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L’agriculture française et son industrie agroalimentaire n’ont eu de cesse que de conquérir les marchés mondiaux, notamment dans les domaines des vins et spiritueux, des céréales, du sucre et des produits laitiers. Nos échanges n’ont cessé de croître et les deux courbes import-export sont parallèles : plus on importe et plus on exporte ! Dans ce petit jeu, il y a des gagnants et des perdants. Les gagnants sont les productions citées et, plus particulièrement, les vins et spiritueux qui, à eux seuls, en 2022, représentaient en valeur 25% de nos exportations. Les perdants sont les viandes (moutons, poulets) et les fruits et légumes. Difficile de rivaliser avec la Nouvelle-Zélande pour l’agneau, avec le Brésil pour le poulet standard, et avec le Maroc ou l’Espagne pour les fruits et légumes.

Le résultat est qu’environ un tiers de notre alimentation est aujourd’hui importée : bien sûr les produits tropicaux, que nous ne pouvons produire en dehors des territoires d’Outre-Mer, café, cacao, épices, huile de palme ou d’arachide, banane ou avocat, mais aussi les agrumes, soja, la moitié de nos fruits et légumes, du riz, de l’huile d’olive, de nombreuses viandes et beaucoup de poissons. Ces flux importants sont aujourd’hui perturbés par les guerres, le prix croissant de l’énergie qui augmente les coûts de transport et de plus en plus par le changement climatique. Le Maroc ou l’Espagne pourront-ils continuer à exporter des fruits et légumes alors que l’eau commence à manquer ?

Malgré une importante surface agricole utile rapportée à ses habitants (4 300 m² versus 1 320 m² pour l’Inde ou 440m² pour l’Egypte), et en dépit d’une balance agroalimentaire positive, 6,5 milliards d’euros en 2023, représentant 8 % de nos exportations, la France est donc bien loin d’être souveraine pour son alimentation. On l’a constaté lors de la crise du Covid, où il y a eu une pénurie d’huile de tournesol alors même que la France produit la quantité qu’elle consomme. La réalité est que la France ne nourrit pas bien sa population : d’après une récente étude du CREDOC, 16 % des Français ne mangent pas à leur faim, soit plus de 11 millions de personnes.

Et n’oublions pas non plus que la France mobilise de nombreuses terres pour satisfaire des besoins non alimentaires comme le coton pour nos vêtements ou l’hévéa pour fabriquer nos pneus, ou la biomasse utilisée comme carburant, le tout dans un contexte de croissance de notre population, de pertes de terres agricoles et de baisse de rendements liée au climat.

Le temps est venu de changer de direction et de produire, d’abord, pour nous nourrir et non d’abord pour alimenter les marchés internationaux. De nombreuses collectivités de toute taille, Montpellier, Bordeaux, Rennes, le département de la Dordogne, ou Mouans-Sartoux pour n’en citer que quelques-unes, se sont engagées dans des plans alimentaires territoriaux qui cherchent à satisfaire les besoins alimentaires sur des bases locales en utilisant notamment le levier de la restauration collective. La relocalisation et la diversification de notre agriculture doivent s’accompagner d’un changement des pratiques agricoles vers l’agroécologie pour restaurer la qualité de nos masses d’eau, la santé de nos sols, la biodiversité qui est l’auxiliaire gratuit de l’agriculture, nos paysages ruraux si chers aux touristes et aux habitants. L’agroécologie est un atout pour cette transition alors qu’elle constitue le plus souvent une contrainte sur les marchés globalisés.

Il nous faut aussi modifier notre assiette vers le fait-maison, le végétal et le biologique pour reconquérir la santé de nos populations. Réduire notre consommation de viande provenant d’élevages industriels élevés hors-sol et nourris avec des céréales et du soja économisera des terres arables. Cette marge nous aidera à conserver notre autosuffisance alimentaire tout en gardant la capacité d’exporter des céréales vers des pays qui en en besoin, comme l’Egypte.

 Si le consommateur a un rôle majeur à jouer dans ses choix alimentaires en privilégiant le local, les produits de qualité et les produits de saison, cette transition ne se fera pas sans une politique volontariste de résilience réelle de la part de l’Europe, de l’État et des collectivités. Le ministère de la Santé doit faire connaître et appliquer son programme national nutrition santé (PNNS). Les collectivités doivent sauvegarder des outils de transformation (abattoir, atelier de découpe, moulin, huilerie, légumerie). Le ministère de l’Agriculture doit renforcer son soutien aux produits de qualité et appliquer les différents volets de la loi EGalim. Il s’agit de sécuriser le revenu des agriculteurs au travers de contrats pluriannuels et de prix négociés, plutôt que de risquer la disparition de nombreuses productions menacées par des accords de libre-échange. Un pays dont l’agriculture est commandée par les marchés internationaux a perdu sa souveraineté alimentaire.

Vidéo de la conférence (durée : 1:04:03)
Retrouvez ici toutes les vidéos de ce colloque. Possibilité de les télécharger.

 

Références
1. Agreste. 2023. Commerce extérieur agro-alimentaire. Synthèses conjoncturelles. N°402 (PDF)
2. Pointereau P. 2022. La face cachée de nos consommations. Editions Solagro
3. Bléhaut M. et Gressier M. 2023. En forte hausse la précarité alimentaire s’ajoute à d’autres fragilités. Crédoc - Consommation et modes de vie N°329
4. Pointereau P. 2023. Le pouvoir de notre assiette. Editions Utopia

Auteur(s) : Philippe POINTEREAU | Agronome, Président de la Fondation Terre de Liens et Président du Conseil de l’Institut Agro Campus de Florac
Source : Colloque Chimie et Alimentation, Fondation de la Maison de la Chimie, 12 février 2025
Niveau de lecture : pour tous
Nature de la ressource : article + conférence