Guillaume François Rouelle, né en 1703 près de Caen d’une famille de cultivateurs, a entrepris des études de médecine qui l’ont rebuté à cause de la douleur des patients et il s’est alors pris d’une passion pour les manipulations chimiques et les expériences de laboratoire. Il s’est exercé auprès d’apothicaires avant de s’établir près de la place Maubert à Paris. Il avait acquis une telle réputation que Buffon l’a nommé démonstrateur de chimie au Jardin royal des Plantes médicinales en 1743. C’est lui qui a formé les chimistes de l’époque révolutionnaire (Lavoisier, Macquer, Venel, Sage…). Des philosophes (Diderot, Rousseau, Condorcet), des savants (Parmentier, Jussieu), des économistes (Turgot), des hommes d’état (Malesherbes) et des gens du monde venaient suivre ses cours de chimie qui attiraient alors une foule considérable d’auditeurs. Cuvier a dit de lui : « Rouelle était un de ces hommes qui, par une grande vivacité d'élocution, par des idées hardies, une méthode vaste et simple à la fois, savent communiquer même aux gens du monde, l'enthousiasme dont ils sont remplis pour leur art ».
De fait, Rouelle était une personnalité originale, enthousiaste, passionnée par la chimie et sachant communiquer sa passion. Avec pétulance et souvent distraction, il exprimait des vues neuves, hardies, profondes. Dans ses démonstrations, il décrivait des procédés dont il eût voulu dérober le secret à ses auditeurs, mais qui lui échappaient à son insu dans la chaleur du discours, puis il ajoutait : « Mais ceci est un de mes arcanes que je ne dis à personne » et c'était précisément ce qu'il venait de révéler à tout le monde. Brouillon, il exposait, longuement et avec véhémence, ses idées, parfois sans ordre ni précision. Lavoisier avait remarqué : « Il réunissait à beaucoup de méthode dans la manière de présenter ses idées, beaucoup d’obscurité dans la manière de les énoncer ».
C’est ainsi qu’eut lieu, lors d’une de ces démonstrations, l'incident qui faillit être tragique, rapporté d'une manière assez piquante par Friedrich Melchior baron von Grimm (1723-1807), diplomate et homme de lettres bavarois. Il s'agissait précisément de l’expérience de l'inflammation de l'huile essentielle de térébenthine par l'esprit de nitre. Rouelle disait que « pour le succès de l'opération, il suffisait d'un tour de main fort simple et si peu apparent, qu'on peut l'exécuter en présence d'un grand nombre de personnes sans qu'elles s'en aperçoivent ». Ce jour-là, Rouelle expliquait le procédé et la théorie de sa belle expérience. Tout en agitant, avec un tube de verre, le mélange d'acide nitrique et d'essence de térébenthine sur le point d'être converti en charbon, il commençait à ajouter sur le produit la dernière dose d’acide nitrique mise en réserve, puis, se tournant brusquement vers l'auditoire pour achever l'explication : « Vous voyez ce chaudron sur ce brasier ? Et bien si je cessais de remuer un seul instant, il s’en suivrait une explosion qui nous ferait tous sauter en l’air. Ce disant, il oublie de remuer le mélange et la prédiction s’accomplit ! L’explosion a lieu avec grand fracas, toutes les vitres sont brisées, l'amphithéâtre est rempli d'une fumée épaisse et suffocante et tous les auditeurs se retrouvent dans le Jardin. Heureusement, personne ne fut blessé et le démonstrateur en fut quitte pour une perruque et la perte de ses manchettes ».
L’expérience que Rouelle était en train de réaliser concernait un travail sur l'inflammation des huiles essentielles, au moyen de l'esprit de nitre (acide nitrique). Ce travail qu’il avait publié en 1747 fixa au plus haut degré l'attention des savants et du public, car il y avait là une expérience qui parlait aux yeux, qui faisait naître de grandes idées d'application à l'industrie et à l'art de la guerre. Rouelle se plaisait à la répéter dans ses leçons. Le succès de l'expérience dépendait en effet d'une sorte de tour de main que, avec sa sagacité ordinaire, il avait découvert. Il s'agissait uniquement d'amener l'huile essentielle à l'état de charbon par la plus faible quantité possible d'esprit de nitre, puis d'en ajouter subitement une nouvelle dose, qui aussitôt déterminait l'inflammation. Il alla jusqu'à enflammer ainsi des huiles grasses. Il ajoutait alors une petite quantité d'acide vitriolique (acide sulfurique), non point, comme on le croyait avant lui, pour ajouter son énergie propre à celle du premier acide, mais bien, pour lui enlever une certaine proportion d'eau. Puis, il déterminait l'inflammation par l'addition d'une petite quantité d'acide nitrique qu'il avait mise en réserve.
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