Dans la région provençale, la garance est cultivée pour donner la couleur garance utilisée en teinture. À Avignon, la chambre de commerce propose un concours en 1858 sur la garance : Trouver un procédé usuel propre à reconnaître d’une manière sûre et facile, dans la Garance et les divers produits qui en dérivent, toute espère d’altération ou de mélange ayant un caractère frauduleux. Jean-Henri Fabre (1823-1915), professeur de physique et de chimie au lycée impérial d’Avignon, entreprend des travaux sur la garancine qui est de la poudre de racine de garance. Ces derniers sont récompensés par la chambre de commerce car il obtient le premier prix.
Dès 1826, Pierre-Jean Robiquet (1780-1840) et Jean-Jacques Colin (1784-1865) étudient la racine de garance et isolent deux colorants l’alizarine et la purpurine.
De 1859 à 1861, Jean-Henri Fabre dépose quatre brevets d'invention touchant à l'analyse des fraudes, mais surtout à l'alizarine pure, qu'il a réussi à extraire. Le 30 juillet 1859, le brevet porte le titre de L’obtention d’une garance épurée, au pouvoir tinctorial accru : la paludine.
Mais, en 1868, alors qu’ils travaillent chez BASF, Carl Graebe (1841-1927) et Carl Liebermann (1842-1914) découvrent l’alizarine synthétique qu’ils obtiennent à partir de l’anthracène tiré du goudron de houille. Un brevet est déposé et l’alizarine est commercialisée dès 1871. À un jour près, William Henry Perkin (1838-1907) réalise la même synthèse. L’alizarine est la 1,2-dihydroxyanthraquinone de formule C14H8O4 et de formule développée :
Cette découverte est catastrophique économiquement pour les régions où la garance est cultivée comme la Provence, l’Alsace et la Hollande car l’alizarine synthétique est peu chère et les quantités obtenues sont très importantes. En 1885, l’Allemagne produit en 20 jours autant d’alizarine que le département du Vaucluse et ses environs en une année entière.
Pour Jean-Henri Fabre aussi, c’est une catastrophe car il vient de passer pratiquement dix années à trouver des procédés pour améliorer l’obtention de l’alizarine naturelle et tout ce travail n’aura servi à rien.
C’est ainsi que les soldats français sont partis au combat en août 1914 avec des képis et des pantalons rouges, colorés non plus par la garance issue des cultures françaises mais par l’alizarine produite par l’Allemagne !
Cette tenue historique, nécessaire à la visibilité du soldat sur le champ de bataille enfumé par la poudre noire, devenait un handicap après l’invention de la poudre sans fumée en 1884. Après des tergiversations politiques et idéologiques, il fut décidé qu’il s’agissait maintenant de combattre sans être vu. Ce n’est que fin 1915 que l’intégralité des soldats français a pu disposer de la tenue « bleu horizon » dont le colorant provenait de l’indigo synthétique produit par les Britanniques.
Pour en savoir plus
- Altérations frauduleuses de la garance et de ses dérivés : Mémoires récompensés au concours ouvert à Avignon sur cette question, Chambre de commerce et d'industrie (Avignon), sur le site Gallica (bnf.fr)
- Jean-Henri Fabre, Thèses, Brevets inédits et Mémoires, sur le site e-fabre.com
- L’œuvre de Jean-Henri Fabre, A. Lécaillon, Revue pédagogique (1916) 68-1, pp. 278-297
- L'uniforme du fantassin français en 1914 et 1916, PDF disponible sur le site du Musée de l'Armée-Invalides (rubrique Fiches objets > Dans les collections)
- Rouge garance : une couleur martiale, F. Deherly, Le Blog Gallica (2021)
Illustration : Soldat français de la Première Guerre mondiale en 1914 (in coll. Mémorial de Verdun) Image retouchée (Antonov14)/Wikimedia, licence CC BY-SA 3.0
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