On trouve toutes sortes de recettes dites « de grand-mère » sur Internet pour nettoyer son argenterie. Dans ces dites recettes il est même précisé « sans utiliser de produit chimique » !!! Est-ce vrai ?
D’où provient le noircissement de l’argent ?
Les aliments contiennent naturellement des sulfures comme l’albumine du blanc d’œuf, la cystéine présente dans les protéines, des sulfures organiques dans les choux, les oignons, certaines boissons…
Dans l’air il peut y avoir des traces de sulfure d’hydrogène (H2S, reconnaissable à son odeur « d’œuf pourri » !) et de sulfure de diméthyle (H3C-S-CH3) qui est le plus abondant des composés biologiques contenant du soufre émis dans l'atmosphère.
C’est ainsi la présence de ces sulfures qui sont majoritairement responsables de la formation de dépôts noirâtres à la surface d’un objet en argent. L’argent a été oxydé par le dioxygène de l’air et en présence de ces sulfures s’est recouvert de sulfure d’argent Ag2S, noir, très stable (1).
« Faire l’argenterie » consiste donc à éliminer ce sulfure d’argent.
Une recette : « Nettoyer son argenterie dans un bain de sel ».
Élucidons cette « recette de grand-mère » dont le titre interpelle le chimiste ! En effet ce titre est trompeur ! Ce n’est pas le sel qui nettoie l’argenterie.
Regardons de plus près la recette. Prendre une feuille d’aluminium. La disposer dans une cuvette en plastique (éviter un autre métal). Mettre une poignée de gros sel dans une casserole d’eau que l’on porte à ébullition. Puis verser cette eau salée chaude dans la cuvette. Introduire délicatement (sans se brûler) l’objet en argent à nettoyer et le poser au contact de la feuille d’aluminium. Laisser agir plusieurs minutes à 1 heure selon l’état d’oxydation de l’argent. Il est précisé que si l’objet en argent est très noir, on peut l’envelopper avec la feuille d’aluminium pour plus d’efficacité. Il est aussi dit que l’on peut ajouter du bicarbonate. Rincez puis séchez avec un chiffon très doux.
Notons que cette recette fonctionne bien.
Alors quels rôles jouent ces différents ingrédients ?
Le composé essentiel à la réussite de l’opération est ici l’aluminium. C’est un métal très réducteur. Il attaque le sulfure d’argent qui était un état oxydé de l’argent. L’argent est régénéré. Une partie de l’aluminium s’oxyde en ions Al3+. Compte tenu du pH de la solution ces ions précipitent sous forme d’hydroxyde d’aluminium, à la surface de l’aluminium qui se ternit.
La réaction (2) mise en jeu est
3 Ag2S + 2 Al +6 H2O → 6 Ag + 2 Al(OH)3 + 3H2S
On est en présence d’une pile (3), la pièce en argent étant au contact de la feuille d’aluminium. Si l’on enveloppe la pièce en argent par l’aluminium le contact entre les 2 métaux est meilleur facilitant ainsi les échanges d’électrons entre l’aluminium et le sulfure d’argent déposé sur l’objet en argent.
Quel est le rôle du sel ? Le sel est du chlorure de sodium (NaCl) qui se dissout sous forme d’ions sodium (Na+) et chlorure (Cl-). Il favorise les transports des ions (4) en solution mais n’intervient pas dans le bilan chimique.
La chaleur a pour but d’accélérer la réaction.
H2S : si vous avez déjà fait l’expérience, vous avez constaté l’émanation d’une mauvaise odeur. Elle est due à la formation du sulfure d’hydrogène produit durant la réaction et dont le dégazage est favorisé par la chaleur.
L’ajout éventuel du bicarbonate de sodium permet de stabiliser le pH vers 8,3 ce qui limite le dégazage de H2S.
Précautions
- Prenez soin de ne pas traiter de la même façon un bijou en argent avec des pierres fines incrustées. Ce mode opératoire ne concerne que des objets et bijoux en argent massif ou des couverts argentés (5).
- D’autres recettes proposent d’ajouter du vinaigre et non du bicarbonate. C’est à éviter car cela favorise la formation de H2S.
- Dans tous les cas aérer la pièce lors de ces manipulations.
Autres méthodes
- Frotter avec du carbonate de calcium ou avec une pâte de bicarbonate et de gros sel à confectionner soi-même. Il s’agit alors seulement de frotter et d’abraser la surface pour éliminer les traces de sulfures d’argent. Cela ne peut convenir qu’à des objets peu noircis et ne permet pas d’éliminer les traces restantes de sulfure d’argent piégés dans les micropores de la surface de l’objet.
Outre la faible efficacité, les risques sont de rayer l’argent qui est un métal assez mou et qui gardera les traces de ces rayures bien que les grains de bicarbonate et de gros sel soient estimés comme pas trop durs. De manière générale il vaut mieux éviter de frotter les objets en argent.
- Frotter avec une brosse à dent trempée préalablement dans du jus de citron : toujours abraser avec risque de rayures et de toute façon le citron n’est pas un acide capable de dissoudre Ag2S.
- Les professionnels de la restauration des objets d’art, de la bijouterie et des restaurants utilisant des couverts en argent pour leurs clients sont amenés à entretenir très souvent l’argenterie. Ils utilisent des produits à action très rapide dans lesquels ils les trempent. Le principe actif est alors la thio-urée qui réagit sur le sulfure d’argent l’éliminant ainsi de la surface de l’argent (6). Un rinçage soigneux termine l’opération. Il est indispensable de manipuler ces produits avec des gants et de porter des lunettes afin d’éviter tout contact avec la peau et les yeux.
Françoise Brénon et l’équipe question du mois
(1) En présence de sulfure d’hydrogène et d’oxygène de l’air, le sulfure d’argent noir, très stable, se forme selon
4 Ag + 2 H2S + O2 →2 Ag2S + 2 H2O
(2) Cette réaction est très favorable car sa constante d’équilibre vaut 10140 >>1
Les données nécessaires à ce calcul, E° (Ag+ / Ag) = 0,80 V ; E° (Al3+ / Al) = - 1,66 V ; pKs (Ag2S) = 49,2 ; pKs (Al(OH)3) = 33 ;
H2S : pKa,1 = 7,05, pKa,2 = 12,9 ; pKe = 14, sont issues de Les réactions chimiques en solution de G. Charlot (Masson).
(3) L’aluminium est le pôle négatif, c’est l’anode où se passe l’oxydation :
Al + 3 H2O → Al(OH)3 + 3 H+ + 3e-
Le pôle positif est constitué du sulfure d’argent déposé sur l’argent. Il s’y passe la réduction :
Ag2S + 2 H+ + 2e- → 2Ag + H2S
(4) Le sel dissout joue ici le rôle de l’électrolyte de la pile.
(5) Les couverts dit « en argent » sont rarement en argent massif. Ils sont en général en cuivre ou alliage de cuivre sur lequel a été déposé une fine couche d’argent.
(6) La thio-urée, notée de façon simplifiée Tu, a pour formule H2N-CS-NH2.
Si le mode opératoire est utilisé depuis le milieu du 20e siècle, la réaction mise en jeu suscite encore des questions. D’après les publications les plus récentes il est proposé 3 types d’interprétation :
- Soit une complexation (écrite ici en milieu acide) mettant en jeu la formation d’un complexe mononucléaire de Ag(I) selon
Ag2S + 2H+ + 2n Tu → 2 AgTun+ + H2S, n pouvant aller de 1 à 4. - Soit la formation d’un complexe binucléaire de l’Ag(I) selon
Ag2S + 2H+ + n Tu → Ag2Tun2+ + H2S, n allant de de 1 à 6 avec une forte présomption pour la forme majoritaire Ag2Tu42+. - Soit enfin la formation d’un composé éliminant Ag2S de la surface de l’argent selon
Ag2S + 2 CS(NH2)2 → 2 Ag-S-S-C(NH2)2
Sources :
- Métallurgie de l’argent § 6.2.1. in Les Techniques de l’Ingénieur (2006) et Silver and Acid-thiourea Silver Dips: Rinsing and Aging Monitored by Electrochemistry, L.Selwyn et W. R. McKinnon, Studies in Conservation (2021) 66:2, 98-112
- Potentiometric study of silver complexes with thiourea in acid media, P. Lukinskas et al. , Journal of Coordination Chemistry (2008) 61:16, 2528-2535
- Reaction of Thiourea With Silver Sulfide Tarnish Layers On Silver Surfaces, Ariga Allehyari (Californie State University, 2020)
33 lycéens parmi plus de 2 500 jeunes de toute la France et des lycées français de l’étranger ont participé aux épreuves finales du concours national des 37ème Olympiades Nationales de la Chimie.
Le palmarès de cette édition des ONC a été dévoilé ce jeudi 27 mai 2021 au lycée d’Arsonval (Saint-Maur-des-Fossés) à l’issue des épreuves.
PALMARES 2021 DU CONCOURS SCIENTIFIQUE
1er prix : Jules Nicoud, Terminale, LP Niepce-Balleure (Chalon-sur-Saône) – Académie de Dijon
2e prix : Romain Bothereau, Terminale, Lycée Louis Vincent (Metz) - Académie de Nancy-Metz
3e prix : Jade Ntsiegori, Terminale, Lycée Galilée (Franqueville Saint Pierre) - Académie de Rouen
PALMARES 2021 DU CONCOURS « PARLONS CHIMIE »
1er prix : Lycée Pierre Mendès France de Tunis, Tunisie (Académie AEFE), représenté par Khalil Bibih et Amine Zghal (Première) pour « Gel Daniels »
2e prix ex-aequo : Lycée Blaise Pascal d'Abidjan, Sénégal (Académie AEFE), représenté par Marèse Burtz et Nicolas Dioubaté (Terminale) pour « Le gel hydro cacaolique »
2e prix ex-aequo : Lycée Franco Hondurien, Tegucigalpa, Hondurasl (Académie AEFE), représenté par Flavia Antonella Arguelles et Vladimir Herrera Nativie (Première) pour « Un trésor qui s'ignoire »
Retrouvez les palmarès complets et les vidéos des trois projets primés du concours Parlons Chimie sur le site des Olympiades de la chimie
Télécharger le dossier de presse (PDF)
La Fondation de la Maison de la chimie partenaire depuis la création de ces Olympiades félicitent tous les candidats et invitent les élèves de terminales à participer aux 38ème Olympiades en 2021-2022 dont le nouveau thème sera Chimie et Cosmétique.
Pour plus d’informations rendez-vous sur le site des Olympiades de la chimie.
Les chercheurs de l’Institut de la vision (1) avec le professeur Jean Alain Sahel, l’Institut d’ophtalmologie de Bâle et le concours d’une start-up GenSight Biologics viennent de réussir récemment une performance clinique sur un patient aveugle. Depuis plusieurs années ils ont développé la thérapie « optogénétique » afin de redonner la vue à des patients devenus aveugles.
Cette approche thérapeutique nous avait déjà été signalée et décrite en 2017 lors du colloque « La chimie et les sens » à la Maison de la Chimie par le docteur Serge Picaud de l’INSERM (2). Cette incroyable innovation repose sur l’utilisation du système photosensible d’une algue unicellulaire qui est capable de se déplacer vers une source de lumière. Le principe de base est dû à une protéine qui sous la perception de la lumière ouvre un canal ionique dans la cellule et produit donc un courant qui agit sur le déplacement de l’algue (3). Les chercheurs, par biochimie, ont réussi à extraire le code génétique de cette protéine de la membrane des algues, à l’aide d’un vecteur viral de type virus adéno-associé (AAV) classiquement utilisé en thérapie génique. Ce vecteur est injecté dans l’œil, il diffuse dans la rétine et pénètre les neurones résiduels. Il a été montré que cette protéine photosensible est alors exprimée dans les cellules ganglionnaires de la rétine qui peuvent ainsi envoyer des signaux aux neurones du cerveau en fonction de l’intensité lumineuse reçue. Après des essais menés sur des souris puis sur des primates, les premiers essais cliniques de phases I et II en concentration progressive et essais de toxicologie et de rejets possibles immunitaires sont assez positifs. Ils ont cependant montré qu’il fallait des intensités lumineuses très élevées afin d’obtenir un stimulus conséquent chez les patients. D’où la nécessité de recourir à des lunettes spéciales qu’ont mises au point deux start-up spécialisées. Ces lunettes sont dotées de micro-caméras qui captent les changements d’intensité lumineuse et les retransmettent à l’œil au moyen d’une sorte de vidéoprojecteur, en images virtuelles monochromes, projetées à forte intensité sur les cellules ganglionnaires de la rétine qui peuvent ainsi envoyer un stimulus correct au cerveau.
C’est donc tout récemment en 2021 qu’un patient ayant perdu la vue par la mort des cellules photoréceptrices de la rétine, conséquence d’une rétinopathie pigmentaire, a retrouvé partiellement la vue au cours de cet essai clinique. Cette maladie génétique dégénérative de l’œil se caractérise par une perte progressive de la vision. Les chercheurs pensent aussi que cette approche par protéines photosensibles peut s’appliquer à d’autres pathologies de la rétine dont la dégénérescence maculaire qui se lie à l’âge de plus en plus élevé de nos concitoyens.
Il est remarquable que ce qui avait été annoncé en 2017 par une conférence en guise d’interrogation à la Maison de la chimie : « Faire revoir un aveugle avec le système photosensible d’une algue : bientôt une réalité ? » (2) soit vraiment devenu une réalité, 4 ans après, à partir d’une source naturelle (4) grâce aux biochimistes, ophtalmologues et star-up français et suisses.
Jean-Claude Bernier
Mai 2021
Pour en savoir plus
(1) La rétine en silicium (vidéo Les idées Plein la Tech)
(2) Faire revoir un aveugle avec le système photosensible d’une algue : bientôt une réalité ? conférence et article de Serge Picaud, Colloque La chimie et les sens, 22 février 2017
(3) Zoom sur la valorisation des algues Jean-Pierre Foulon
(4) Nature et chimie : des alliées pour accéder à de nouveaux médicaments conférence et article de Janine Cossy, Colloque Chimie et nouvelles thérapies, 13 novembre 2019
Les Olympiades Nationales de la Chimie auront lieu les 26 et 27 mai 2021.
La remise des prix du concours scientifique aura lieu le jeudi 27 mai à 17h, à la suite des épreuves. Elle se déroulera sans public, par respect des consignes sanitaires, mais sera postée sur la page Facebook des Olympiades.
Les soutenances orales du concours Parlons Chimie se dérouleront exclusivement cette année par visioconférence. Les résultats seront dévoilés en même temps que le palmarès du concours scientifique.
En mai 2021 la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon 1er a suscité de nombreux articles et livres qui ont parfois créé la polémique sur les qualités et défauts de l’empereur français. Peu ont rappelé combien la science et ses applications avaient été l’objet d’attention particulière de la part du souverain. Car dès sa formation il montre un penchant marqué pour les mathématiques et les sciences physiques qu’il gardera au cours de sa carrière.
Général commandant de la campagne d’Italie il écrit : « Le peuple français ajoute plus de prix à l’acquisition d’un savant mathématicien qu’à celle de la ville la plus riche ou la plus populaire ». Surprenante déclaration d’un général en chef de l’armée d’Italie qui de plus s’est fait accompagner par Monge et Berthollet pour aussi séduire à sa table des savants italiens comme Volta spécialiste des courants électriques et de l’électrochimie (1).
À son retour il veut aussi connaître la communauté scientifique et avec l’aide de ces deux mêmes mathématicien et chimiste se fait élire à l’Institut en décembre 1797. Il s’y comporte comme un membre ordinaire mais suscite un intérêt croissant qu’il s’empresse de communiquer à la nation par les journaux.
C’est ainsi que se bâtit la curieuse expédition d’Égypte qui fait s’embarquer 32000 hommes en mai 1798 à Toulon mais aussi la Commission des sciences et des arts avec plus d’une centaine de scientifiques issus de l’Institut et de l’École polytechnique créés respectivement en 1795 et 1794. C’est encore Monge et Berthollet aidés par Joseph Fourier qui animeront les recherches et explorations jusqu’au retour de Bonaparte et le rapatriement de la Commission en 1803. La rédaction d’un ouvrage monumental se poursuivra jusqu’en 1809 avec une masse incroyable de résultats historiques, géographiques et scientifiques.
Après le 18 brumaire le premier consul crée en 1801 la Société d’encouragement à l’industrie nationale qui rassemble les élites savantes autour de projets industriels. Il confiera ainsi à des scientifiques de hautes fonctions politiques. C’est ainsi que le chimiste Antoine François Fourcroy sera directeur de l’Instruction publique et le chimiste Jean Antoine Chaptal sera ministre de l’Intérieur.
Mais qui sont donc ces chimistes qui doivent en partie à Bonaparte puis à Napoléon leur réussite ?
C’est tout d’abord Claude Louis Berthollet (2), fils de notaire, né à Talloires (duché de Savoie appartenant alors au royaume de Sardaigne), qui effectue des études de médecine à Turin. À Paris il devient médecin du Régent, le duc d’Orléans, qui met à sa disposition son laboratoire du Palais Royal. En 1780 il polémique avec Lavoisier sur le rôle de l’oxygène mais reconnait vite son erreur et publie avec lui la célèbre Méthode de nomenclature chimique en 1787 qui marque les débuts de la chimie moderne. Sa grande découverte en 1789 est le blanchiment des fibres de lin par des solvants chlorés qui donne un grand essor à la culture et au textile du lin en supprimant le long blanchiment (2) sur pré. Il est nommé professeur de chimie à l’École polytechnique et participe avec plusieurs collègues à l’expédition d’Égypte où il se lie d’amitié avec Bonaparte. En 1801 il publie son ouvrage Recherche sur les lois de l’affinité où l’on trouve l’analyse de nombreux corps de compositions jusqu’alors inconnues. Chargé d’honneurs et sénateur comblé il fonde la Société d’Arcueil et le laboratoire où se retrouveront de nombreux chimistes pour y mener de nouvelles expériences jusqu’en 1822.
Antoine François Fourcroy (3) s’est vu confier la chaire de chimie au « Jardin du Roi » en 1784. Fin politicien et bon orateur il siège à la Convention et survivra aux diverses vagues de la Révolution en se chargeant déjà de la réforme de l’instruction publique. Il intègre l’Institut et en sera le président de la section chimie en 1797. Après le 18 brumaire Bonaparte le nomme conseiller d’Etat. Préoccupé par l’état sanitaire déplorable, il crée les écoles de santé et rédigera les textes fondateurs, souvent retravaillés par Napoléon, de l’Université impériale chargée de gérer et contrôler l’ensemble des établissements d’enseignements de l’Empire et créée par décret en 1806.
Louis Nicolas Vauquelin (4) venu d’une famille pauvre normande monte à Paris où il tombe malade et erre dans les rues jusqu’à ce qu’un pharmacien Cheradame le recueille et l’instruit. Celui-ci, émerveillé par son intelligence le présente à un ami de la famille, A.F. Fourcroy. Celui-ci le prend dans son laboratoire et le fait connaître dans le milieu scientifique. Nommé professeur en frimaire an IV, admis à l’Institut il participe à la rédaction des Annales de chimie, puis avec ses collègues chimistes part chercher les tonneaux de salpêtre par toute la France pour fournir des explosifs aux armées de la patrie en danger. Pour obtenir le poste de professeur à la faculté de médecine il passe vite le doctorat en médecine. Par ses travaux il découvre la strychnine avec Pelletier et Caventou et dans ses travaux sur les plantes isole plusieurs acides aminés l’asparagine, des pectines, la nicotine, l’urée urinaire. En chimie minérale il découvre l’élément chrome et un nouvel élément, le glucinium qui sera prendra plus tard le nom de béryllium.
Joseph Louis Gay-Lussac (5), fils d’un juge à Pont-de-Noblat en Haute Vienne. Ce n’est qu’après la mort de Robespierre qu’il vient à Paris où il apprend l’anglais et les mathématiques. Admis à l’École polytechnique en 1797 à 19 ans, il suit les cours de chimie de Fourcroy, Vauquelin, Chaptal et Berthollet. Rien d’étonnant à ce qu’il devienne l’assistant de Berthollet et participe aux travaux sur le traitement des fibres de lin par les composés chlorés (6) dans le laboratoire d’Arcueil. Accueilli à l’Institut en 1806 il devient professeur de chimie à Polytechnique puis au Muséum d’histoire naturelle et à la faculté des sciences de Paris. Ses travaux sur la chimie et la thermodynamique des gaz font autorité comme ses travaux sur le magnétisme qui lui donnent l’occasion de battre des records d’altitude en ballon. C’est avec Thenard qu’il isole le potassium et découvre le bore. Mais il a aussi beaucoup de collaborations avec l’industrie de l’acide sulfurique et du verre puisqu’il présidera le conseil d’administration des glaces de Saint-Gobain (7).
Jean Antoine Chaptal (8). Voilà encore un chimiste qui a débuté par des études de médecine à Montpellier en 1777. Mais, passionné il se rend à Paris pour étudier la chimie. Son oncle l’aide à construire des ateliers où il améliore la production d’acide chlorhydrique. Sa fabrique se diversifie et prend de l’essor, ses produits sont connus dans toute l’Europe. C’est revenu à Montpellier dans la chaire de chimie qu’il se penche sur la formule de Lavoisier de transformation du sucre en alcool. Il publie sa doctrine en 1799 sur la vinification du vin. Son traité sur « la chaptalisation » du vin en 1807 révolutionne l’œnologie (9). À Paris, professeur de chimie végétale à Polytechnique, membre de l’Académie des sciences il poursuit ses activités industrielles et politiques puisqu’en janvier 1801 il est nommé ministre de l’Intérieur et ce sera lui qui élaborera la loi qui institue préfets, sous-préfets et arrondissements. Il démissionnera en 1804 pour être nommé sénateur. Outre ses écrits sur la vinification on lui doit la fabrication artificielle de l’alun, du salpêtre et d’un type de ciment.
Armand Jean François Seguin. Collaborateur de Lavoisier et cobaye humain pour ses essais sur la respiration, très bon expérimentateur, il fit fortune en inventant une méthode rapide de tannage des cuirs à base d’acide sulfurique et de tannins divers. Fournisseur de cuir pour les armées de l’Empire il installa une grande manufacture sur l’île de Sèvres sur la Seine qui traitait plus de 100 000 peaux par an. Sa fortune lui permit d’acheter plusieurs châteaux, mais les affaires périclitant, des spéculations aventureuses l’obligent à vendre une bonne partie de ses immeubles et à transformer sa manufacture en un haras pour chevaux de course. Il réservait ses communications scientifiques sur l’opium ou le quinquina à l’Académie dont il était correspondant. Son île sera industrialisée bien plus tard en 1925 par Renault et s’appellera bien sûr l’île Seguin.
Curieux destins pour ces chimistes qui surent survivre aux changements radicaux de régimes, de la royauté à la Restauration en passant par la Révolution, le Consulat et l’Empire. Au cours de ces changements sociétaux, ils ont cependant jeté les bases de la chimie moderne et initié les débuts d’une industrie nationale. Faut-il y voir le sens de l’investigation, de la patience, de l’observation et du pragmatisme des chimistes, pour surnager aux vagues parfois sanguinaires des révolutionnaires et se glisser dans un ordre nouveau qui fera leur fortune, mais dictatorial ?
Jean-Claude Bernier et Françoise Brénon
Mai 2021
Pour en savoir plus
(1) La pile électrique : tout a commencé avec des grenouilles
(2) Berthollet (1748-1822) et ses œuvres
(3) Antoine François de Fourcroy (1755-1808), promoteur de la loi de germinal an XI
(4) Conférence de M. le Professeur Delépine : les œuvres chimiques de Vauquelin
(5) Louis Joseph Gay-Lussac (1778–1850)
(6) Berthollet, le pharmacien Curaudau et l’identification du chlore
(7) Comment faire des vitrages avec du sable ? La réaction de fusion du verre
(8) Chaptal (1758–1822)
(9) De la vigne au verre : tout un art ?
Deux programmes pour verdir l’Europe
Connaissez-vous le CBE ou Circular Bio-based Europe qui succède depuis février au BBI JU ou Bio-based Industries Joint Undertaking ? Non pas vraiment ? Eh bien ce sont deux programmes européens.
Le premier, créé en 2014, a été basé sur une collaboration public–privé entre la commission et le consortium des bioindustries composé de plus de 100 entreprises dont plusieurs dizaines de la chimie. Sous la forme d’un « Public Private Partnership »il a été doté de 2,7 Mrd€ dont 1 Mrd issu de Bruxelles et 1,7 Mrd venant des industriels.
Son successeur jusqu’en 2027 devrait aussi mobiliser 2 Mrd€. Les réponses aux appels d’offres sont sélectionnées par un groupe mêlant les représentants des États et le comité scientifique. Ces dispositions ont permis de créer onze bioraffineries (1) en Europe dont trois en France, en réduisant les risques des investissements dans ces industries biologiques et en les connectant avec le marché pour créer une bioéconomie durable et compétitive en Europe. Elles sont dénommées « flagships » ou « bioraffineries phares ».
Voyons les résultats pour la France qui prend la première place de ce programme puisque trois projets y sont aboutis.
RESOLUTE – Un biosolvant non toxique à partir des déchets ligno-cellulosiques
C’est un projet mené par la société Circa spécialisée dans la fabrication des solvants organiques biosourcés (2). C’est la production à grande échelle d’un nouveau solvant non toxique à partir de résidus forestiers pour répondre à la demande de l’industrie des pâtes et papiers de valoriser ses déchets et de diversifier ses activités.
Circa avec l’université de York et d’autres partenaires dont AgroParisTech a mis au point depuis plusieurs années un procédé de fabrication de la levoglucosénone (LGO) intermédiaire pour les polymères spéciaux, des parfums et des actifs pharmaceutiques.
Mais le principal débouché commercial est le cyrène obtenu par hydrogénation du LGO (voir figure) solvant aprotique dipolaire et chiral qui va remplacer avantageusement le NMP (N-méthyl-2-pyrrolidone) et le DMF (N,N-dimethylformamide) qui sont sous pression réglementaire à cause de leur toxicité. Après avoir reçu l’approbation de l’ECHA (3) pour son biosolvant et investi plusieurs millions d’euros pour des pilotes produisant 100 tonnes de cyrène par an, une unité industrielle est en cours de construction sur le site chimique de Carling Saint-Avold pour produire environ 1000 tonnes fin 2022.
Suite à des travaux universitaires du CSIC de Madrid, le cyrène s’est révélé avoir les propriétés chimiques et physiques idéales pour l’exfoliation du graphite et les dispersions du graphène. C’est un nouveau débouché high-tech qui s’ouvre alors pour la commercialisation des encres pour l’électronique et les revêtements conducteurs.
AFTERBIOCHEM – Comment fabriquer des acides à partir des pulpes de betterave
C’est un deuxième « flagship » porté par la société Afyren spécialisée dans l’ingénierie en biologie. Elle a investi depuis 2016 dans un procédé qui convertit les déchets agroindustriels de betterave issus de l’industrie sucrière (4) en « building blocks » par fermentation anaérobie, puis dans une deuxième étape à les transformer en acides carboxyliques R-COOH. Grâce au programme européen BBI JU et la contribution de Bpifrance le projet industriel s’implante lui aussi sur la plateforme attractive Chemesis de Saint-Avold qui dispose de services partagés entre les entreprises chimiques du site. C’est un investissement de plus de 60 millions d’euros et la création de 60 emplois qui permettront à Afyren de produire dès 2022 16.000 tonnes d’acides acétique (5), propanoïque, butanoïque (butyrique) et pentanoïque (valérique)… aux applications multiples en agroalimentaire, lubrifiants, cosmétiques, plastifiants et pharmaceutique.
FARMŸING – synthétiser des protéines à partir de déchets organiques
Le troisième « flagship » français est porté par la société Ÿnsect spécialisée dans la production de protéines pour l’alimentation animale (6). C’est sans doute le plus original bien que le terme de bioraffinerie ne soit pas adéquat. C’est probablement la plus grande ferme horizontale d’Europe qui s’implante à Poulainville près d’Amiens. Sa production bien maitrisée par Ynsect et protégée par une trentaine de brevets consiste à « industrialiser » la larve de Tenebrio molitor connue sous la dénomination du ver de farine qui consomme pour grossir toutes sortes de matières organiques, graisses, végétaux, déchets ménagers… et qui est une source de nutriments naturels pour de nombreux animaux, poissons, volailles, porcins, chiens et chats…
Cofinancée par BBI JU, la région Hauts-de-France et divers fonds d’investissement, cette ferme qui va s’élever sur 40 000 m2 et 35 mètres de hauteur sera économe en eau et en énergie et devrait dès 2022 produire 1500 tonnes de protéines par mois. Cette unité, écoresponsable et durable économiquement, peut éviter une pêche supplémentaire de poissons sauvages, l’importation de soja et la diminution d’entrants azotés pour les produits et plantations destinées à l’alimentation animale.
Pour sourire, signalons un autre débouché : déjà plusieurs firmes commercialisent aussi pour l’apéro (7) ces vers Tenebrio molitor cuisinés et à croquer, d’une saveur comté-pointe de muscade rappelant l’amande et la noix de cajou riches en protéines et oméga 3 et 6 ! À votre santé !
Une nécessaire adaptation des bioraffineries au marché concurrentiel
Pour rester sérieux, il est clair que ces « bioraffineries » vont commercialiser des produits à forte valeur ajoutée dont les prix à la tonne vont permettre une rentabilité qui assurera leur durabilité sur le marché.
Cela contraste avec les difficultés que rencontrent les bioraffineries de la Mède ou de Grandpuits d’une part pour assurer un approvisionnement en graisse animale, huile de palme ou de cuisson usagée et d’autre part pour commercialiser des carburants que l’on peut directement incorporer dans le kérosène. En effet, le prix à la tonne, trois à quatre fois celui du kérosène classique, et les récentes fermetures de vols intérieurs vont rendre difficile l’essor commercial sans mesures d’assistance, preuve à l’appui que la bioingénierie en chimie a son créneau dans les produits et intermédiaires chimiques de valeur.
Jean-Claude Bernier
Avril 2021
Pour en savoir plus
(1) Introduction aux bioraffineries et La bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle, L'Actualité chimique n° 375-376 (2013) pp. 46-48 et. 49-55
(2) Les solvants biosourcés : opportunités et limitations, P. Marion et F. Jérôme, L’Actualité chimique n° 427-428 (2018) pp. 91-94
(3) L’évaluation des substances chimiques dans le cadre de la mise en œuvre de REACH, conférence et article de C. Gourlay-Francé, Colloque Chimie et expertise - santé et environnement (2015)
(4) Zoom sur le saccharose : de la betterave au sucre, L. Amann, Mediachimie
(5) La chimie du vinaigre, R. Guelin, dossier pédagogique Mediachimie /Nathan
(6) La science et la technologie de l’alimentation vues par la chimie du bouillon, H. This, Colloque La chimie et l’alimentation (2010)
(7) Au menu de nos cousins : diversité, perception gustative et chimie des aliments des primates, S.Krief et Cl.-M. Hladik, Colloque La chimie et l’alimentation (2010)
La chimie n’arrête pas d’innover pour le bien de nos concitoyens en cette période de pandémie où les gestes barrières et le port du masque sont essentiels. Le manque de visibilité des visages apporté par les masques classiques en polyéthylène (1) est sur le point d’être contourné. Le professeur Vandensoep et son équipe de l’institut de Gand–Wevelgem, après plus de 12 mois de recherche, viennent enfin de publier des résultats sur un masque totalement transparent quasi invisible.
Après plusieurs essais sur des masques en polyéthylène multicouches directement issus de l’emballage alimentaire (2) on s’est aperçu que les couches filtraient bien l’oxygène mais pas l’azote et le gaz carbonique rejetés par les voies respiratoires, ce qui a failli entraîner des accidents heureusement sans grande gravité chez les volontaires testés. Ces essais malheureux ont cependant été très instructifs et ont conduit à l’élaboration de plusieurs prototypes.
Le masque est composé d’une mince feuille de polycarbonate percée de milliers de nano-trous et revêtue à l’extérieur d’une couche de polymères possédant une chaine perfluorée qui assure la « déperlance » (3) du masque. Ainsi l’air inspiré et les gaz expirés peuvent circuler mais les micro-gouttes des aérosols extérieurs, véhicules du virus, sont arrêtées et regroupées en macro-gouttes, tout en conservant la transparence du masque. Sa dénomination commerciale se ferait sous la marque Carat.
Le débit d’inspiration et d’expiration doit cependant faire face à une perte de charge due aux dimensions de nano-trous, c’est alors que l’équipe du professeur Vandensoep a eu l’idée de collaborer avec celle du professeur Trugludu de l’Université libre de Roubaix, spécialisée dans l’optique et notamment dans les micro-lasers. Ils ont alors augmenté les diamètres de micro-trous afin de diminuer la perte de charge et placé au-dessus des oreilles des micro-lasers (4) alimentés par des cellules photoélectriques disposées sur un serre-tête du porteur du masque qui balayent la partie avant du masque et font éclater toutes les gouttes des aérosols meurtriers. Sa dénomination commerciale est prévue sous le nom de Carré, compte tenu de sa forme plus anguleuse.
C’est alors, vu la complexité et surtout le coût de ce dernier masque, que l’idée de faire appel à des polymères autoréparables est venue à l’équipe, en utilisant des polymères à liaisons covalentes réversibles associant un réseau de type silicone et un autre réseau supramoléculaire (5). La mince feuille de polycarbonate est alors revêtue de cette couche autocicatrisante. Les trous de cette dernière pouvant être obturée par la simple chaleur de l’air expirée. L’équipe a alors donné à ce prototype le nom de « dArpone d» qui rappelle la base silicone, il demande encore à être testée pour la réversibilité des cycles.
Nul doute que d’ici peu les masques chirurgicaux difficiles à porter seront remplacés par ces masques qui permettront de mieux visualiser les visages et contribuer à la vie sociale. Souhaitons rapidement la fabrication des masques Carat, Carré et Arpone pour le bien-être et la sécurité de nos concitoyens.
Jean-Claude Bernier
1er avril 2021
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