En cette fin d’année l’expression « ça sent le sapin » doit perdre son sens argotique pessimiste et plutôt se compléter par « ça sent bon le sapin de Noël ». À l’approche du 25 décembre 2020 nous avons besoin d’une bouffée d’optimisme et, même si nous sommes déconfinés ou confinés, le sapin traditionnel dans le salon va agir comme une douce thérapie.
Nous l’avons acheté « bio », ou même « loué » si nous sommes d’abord écologistes, puis décoré avec nos guirlandes aluminisées et celles parsemées de LED multicolores.
Nous avons ainsi déjà profité de ses odeurs fraiches et boisées (1). Le pin sylvestre dégage plus de 44 composés olfactifs (2). Le principal responsable est la pinène (C10H16), présente sous ses deux formes isomères α et β. L’α-pinène présente dans l’essence de térébenthine est aussi connue comme antiseptique présente aussi dans la sauge. L’autre odeur fraiche du sapin est celle de l’acétate de bornyle à l’odeur de résine fraîche, utilisé aussi dans les parfums ou les désodorisants. Synthétisé par plusieurs conifères il est aussi utilisé en phytothérapie pour ses propriétés sédatives (3).
On notera en passant que la structure des molécules peut avoir une influence forte sur la chaine cellules olfactives - transmissions nerveuses au cerveau et - codes de reconnaissance. C’est le cas par exemple des deux énantiomères S-(-) limonène α et R–(+) limonène β : le premier à l’odeur de citron et le second à l’odeur d’orange (4).
Mais il n’y a pas que le sapin et ses parfums pour vous réconforter en cette période de Noël. Il y a bien sûr l’odeur du chocolat chaud qui contient des polyphénols excellents pour l’organisme mais aussi des endorphines stimulantes et euphorisantes idéales en hiver (5).
Ainsi le pain d’épices avec le gingérol du gingembre, mais aussi sa saveur douce, sucrée et légèrement épicée et due à la zingérone qui s’est développée durant la cuisson.
Si vous aimez les marrons chauds, lorsqu’elles sont grillées les châtaignes dégagent quantité de composés volatils par réactions à haute température. La chaleur développe aussi diverses molécules dont le ? butyrolactone qui donne en bouche un léger gout sucré caramélisé ainsi que le furfural qui apporte le côté boisé avec une légère odeur d’amande (6).
Vous aurez aussi pour vous réchauffer un incontournable des marchés de Noël, hélas si peu nombreux cette année, le vin chaud. Même sans en abuser vous reconnaitrez son odeur avec les vapeurs d’alcool qui entrainent les parfums d’agrume, l’aldéhyde cinnamique et les phénols comme l’eugénol de la cannelle.
Voilà une thérapie simple et joyeuse pour les fêtes (7). Si vous n’avez pas de sapin, la chimie extractive peut vous fournir les huiles essentielles pour une aromathérapie. Vous avez le choix entre l’huile essentielle de coriandre, l’essence d’orange douce, ou les extractions de cannelle de Ceylan ou encore de sapin bouvier : alors à vos diffuseurs, mais attention comme dans tout traitement c’est la dose qui compte (8) !
Joyeuses fêtes.
Jean-Claude Bernier
Décembre 2020
Pour en savoir plus :
(1) Quand la chimie a du nez (vidéo)
(2) Les méthodes de mesure des odeurs : instrumentales et sensorielles
(3) Un exemple de production de substances actives : le pouvoir des plantes
(4) Zoom sur la chiralité et la synthèse asymétrique
(5) Les emplois thérapeutiques du chocolat
(6) Sucre et huile : des ingrédients clés pour la chimie biosourcée
(7) La nature pour inspirer le chimiste : substances naturelles, phytochimie et chimie médicinale
(8) La bonne chimie est-elle dans le bon dosage ?
Les bonnes nouvelles de novembre annonçant le début de la fin de l’épidémie du Covid-19 ont rempli d’espoir nos concitoyens qui lors du deuxième confinement ont plutôt le moral dans les chaussettes. Ce fut d’abord les laboratoires germano-américain Pfizer-BioNTech puis l’américain Moderna qui ont annoncé l’efficacité de leur vaccin respectivement à 90% et 94,5% à l’issue de données intermédiaires des essais de la phase 3. Il faut bien sûr attendre les rapports scientifiques complets des dossiers d’autorisation qui seront déposés à la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis et à l’autorité sanitaire européenne qui doivent donner leur avis fin décembre. Ces deux vaccins sont composés de fragments d’ARN messager qui provoquent la synthèse de la protéine Spike qui induira une réponse immunitaire protégeant contre le Covid-19 (1). C’est apparemment la méthode d’approche scientifique (ARNm) la plus rapide mais à côté de ces deux laboratoires il y en a encore 9 dont on sait qu’ils ont déjà des résultats des essais de la phase 3 engagés sur plusieurs dizaines de milliers de volontaires : Johnson&Johnson – Janssen (vecteur viral), CanSino Biologics (Chine, vecteur viral), Sinopharm (Chine, virus inactivé), Gamaleya Research Institut (Russie, vecteur viral), Astra Zeneca (vecteur viral), Novavax (fragment d'antigène), Sinovac (Chine, virus inactivé), Bahrat Biotech (Inde, virus inactivé) (2).
Tous ont des essais cliniques importants dans de nombreux pays en particulier sur les soignants et les militaires dans les pays peu démocratiques. Par ailleurs Sanofi Pasteur avec GSK développe son vaccin en phase 3 (protéine recombinante) et Pasteur avec Themis (une autre protéine recombinante) serait en phase 2. La course au vaccin, avant même les autorisations de mise sur le marché, entraine des investissements énormes sur les chaines de fabrication et la logistique de l’acheminement des vaccins, car on parle ici non pas de millions de doses mais de milliards.
Prenons l’exemple des deux vaccins ARNm de Pfizer et Moderna, l’ARN est très instable et se dégrade rapidement à température ordinaire. C’est pourquoi on entrepose les molécules d’ARNm à basse température -80°C, elles baignent dans une solution aqueuse ionique enfermée dans des nanoparticules de lipides (capsules de gras) elles aussi sensibles à la chaleur. Pour éviter toute dégradation de l’efficacité du vaccin, Pfizer les conserve à -80°C et Moderna a su trouver une astuce pour ne les conserver qu’à -20°C.
Il faut donc de la fabrication à l’entrepôt du transport à la distribution aux hôpitaux ou pharmacies conserver la chaîne du froid. Si à -20°C les containers frigorifiques et les congélateurs dévolus à la conservation des matières alimentaires sont bien connus, à -80°C les ennuis commencent.
Les supercongélateurs (-80°C) sont pour l’instant des équipements de laboratoire avec des groupes frigorifiques qui fonctionnent avec le nouveau F-Gaz agréé en Europe. Plusieurs fabricants allemands dont Binder et un français Froilabo à Meyzieu près de Lyon peuvent livrer des armoires de 300 à 700 litres à des prix avoisinant 10 000 €, difficile cependant à équiper tous les hôpitaux et pharmacies d’ici le printemps 2021.
Il faut donc penser à des containers ou coffres isothermes qui pourront conserver à basse température durant plusieurs jours les doses de vaccins. Une entreprise spécialisée Olivo en France fabrique des armoires et conteneurs isothermes transportables fonctionnant avec deux types de réfrigérants :
- les cartouches en polyéthylène avec un gel eutectique. Ce sont, suivant les températures visées entre -21°C et -50°C, des solutions salines (3) avec NaCl (-21°) ou CaCl2 (-51°) pouvant contenir plusieurs centaine ou milliers de doses.
- à glace sèche. Les conteneurs comportent une certaine quantité de CO2 solide en neige ou en bâtonnets, on sait qu’à la pression atmosphérique il se sublime sans fondre à -78°C en absorbant pas mal de calories.
Ces containers sont isolés par plusieurs couches de polystyrène expansé avec des coefficients de qualité isotherme de 0,40W/(m2.K) qui permettent de maintenir plusieurs jours des températures aussi basses et pouvant aussi se recharger en CO2 solide. C’est une des solutions qui est retenue pour transporter par avion les millions de doses avec cependant une contrainte de sécurité pour la manipulation en zone de stockage et dans les avions, la ventilation nécessaire pour ne pas accumuler le gaz carbonique au-delà de 8% dans l’air pour les employés et pilotes.
Un aspect qui est aussi important est la mise sous flacon car il semble que l’on ne pourra distribuer les vaccins que sous forme multi-doses. C’est pourquoi les usines du verrier allemand Schott et de la filiale SGD Pharma de Saint-Gobain tournent à bloc pour l’intense fabrication de tubes et flacons en verres borosilicatés (type Pyrex bien connu des chimistes) (4) pouvant bien tenir aux variations de température. Encore faudra-t-il les remplir c’est ce que fera Delpharm en Eure-et-Loir qui vient d’investir plusieurs millions d’euros pour une chaine de remplissage stérile spécifique pour les paramètres de froid, capable de traiter plusieurs dizaines de millions de doses fournies par les deux sites de BioNTech en Allemagne.
Espérons que les autres vaccins en développement permettront d’être conservés entre -5°C et 0°C, ce qui simplifierait la fabrication, le transport et la distribution. Les chiffres annoncés par les laboratoires et les états qui frisent au total de 5 à 10 milliards de doses en flux tendus pour la population mondiale avec la mobilisation de plusieurs milliers de Boeing 747 et des centaines de millions d’emballages donnent le vertige. Pour Sanofi la production de l’antigène a déjà démarré à Vitry sur Seine en R&D. Les usines dans le Rhône, en Allemagne en Italie et aux États-Unis sont prêtes à démarrer sitôt la phase 3 terminée et les autorisations délivrées, les capacités seraient de l’ordre du milliard par an.
Alors qu’en France la campagne de vaccination dès 2021 est programmée, penchez-vous sur les coulisses du chemin abrupt du labo à l’aiguille sur votre bras. C’est assez fantastique, non ?
Jean-Claude Bernier
Décembre 2020
Pour en savoir plus :
(1) Zoom sur les vaccins
(2) Un vaccin, oui, mais quel vaccin ?
(3) Pourquoi met-on du sel sur les routes lorsqu’il gèle en hiver ?
(4) Comment faire des vitres avec du sable ? La réaction de fusion du verre
En plein hiver et particulièrement dans les régions très froides et montagneuses, il est nécessaire de lutter contre le manque d’adhérence des pneumatiques des véhicules sur sol gelé. On observe alors un ballet de saleuses, qu'on ne doit pas dépasser sur route. Mais que déversent-elles et pourquoi ?
Quels sont les effets du sel ?
Le sel ou chlorure de sodium de formule chimique NaCl, est soluble dans l’eau liquide. On appelle saumure le mélange liquide eau-sel. L’eau pure devient solide à 0°C sous la pression atmosphérique. Mais si l’eau est salée, ce mélange devient solide à une température inférieure à 0°C.
Ce phénomène est traduit par la courbe de congélation (ci-contre) qui indique la température pour laquelle l’eau devient de la glace, en fonction de la teneur (1) en sel dans le mélange. Comme le montre cette courbe, plus on ajoute de sel, plus la température de congélation baisse. Mais il y a une limite, repérée par le point E, nommé eutectique ! (2) Ainsi inutile de mettre plus de 23 g de sel pour 100 g de mélange, car les cristaux de sel ajoutés restent solides sans pour autant abaisser davantage le point de congélation. Donc ne gaspillons pas !
Et s’il fait une température inférieure à - 21°C, on a beau mettre du sel, la glace ne fond pas (3). Dans la pratique l’ajout de sel n’est plus efficace pour dissoudre la glace en dessous de -10°C, le phénomène de dissolution étant trop lent.
Les salages des routes
Les salages préventifs (la baisse de température est annoncée et imminente) se font pour empêcher l'eau de geler sur la chaussée, pour des températures entre -2° et -8°C.
Les salages curatifs (le verglas ou la neige sont déjà là !) se font avec un mélange de chlorures de sodium, de calcium (CaCl2) ou de magnésium (MgCl2), pour des températures inférieures à -8°C. En effet avec ces sels, les courbes de congélation des mélanges eau/sel de calcium ou magnésium ont des températures eutectiques plus basses (4).
L’épandage par une saumure liquide préalablement préparée, permet une diminution de la quantité de sel utilisée et son effet est beaucoup plus rapide. Il faut des saleuses adaptées.
En Amérique du Nord et au Canada, il est utilisé presque exclusivement du chlorure de calcium, compte tenu des températures hivernales très basses.
Les quantités de sel (NaCl) utilisées sont considérables
Elles varient selon les conditions météorologiques et selon qu’il s’agit d’un traitement préventif ou curatif : la fourchette va de 10 g à 15 g voire 20 g de sel par m². En France les quantités consommées sont de l'ordre 500 000 t à 1 Mt suivant les hivers plus ou moins froids.
Dans les agglomérations françaises, le sel représente l’essentiel des produits fondants utilisés (>99,5%). Environ 51% de la production mondiale de sel est consacrée à l'entretien des routes dans les pays froids. Le sel est actuellement le fondant de verglas le plus économique (environ 80 € la tonne).
Environnement
Ce sel engendre une pollution saline des bords de route, des eaux de surface, mais aussi des nappes phréatiques. Cela a un impact sur les sols, perturbe le système racinaire des plantes, bouscule les écosystèmes aquatiques (rivières et lacs) et favorise la corrosion de certaines infrastructures métalliques.
Différents produits alternatifs (majoritairement des composés organiques) sont recherchés et testés à la fois sur leur efficacité pour la viabilité des routes et sur leur impact environnemental (biodégradabilité, influence sur la demande biochimique en oxygène, …). Il faut aussi que leurs coûts restent compétitifs.
Par exemple, des formiates de sodium, HCOONa ou de potassium, HCOOK, déjà utilisés au Canada et en Finlande, sont très efficaces mais leur biodégradabilité reste un souci et ils sont respectivement 12 et 22 fois plus chers que le sel.
L’Estorob Bio D-Icer est une huile végétale à base de colza, déjà principalement utilisé dans les aéroports. Ce produit est à la fois biosourcé et biodégradable et s'avère 7 fois moins corrosif que le formiate de potassium et l'acétate de potassium. Il n'est pas corrosif vis-à-vis des métaux et freins carbone des avions. Mais il est aussi 11 fois plus cher que le sel (5).
De nombreuses autres études et essais pour des solutions plus écoresponsables sont réalisés de par le monde et la route de « cinquième génération » dotée de multiples fonctionnalités est à venir ! (6)
Françoise Brénon et l'équipe Question du mois
(1) Il s’agit plus précisément de la fraction massique, w, définie par :
w = masse du sel / masse du mélange eau-sel
(2) La lettre E pour Eutectique, qui signifie en grec « qui fond bien ». En effet l’abscisse du point E correspond à la fraction massique eutectique pour laquelle le mélange eau/sel a la température de fusion/congélation la plus basse, appelée température eutectique.
(3) En dessous de -21°C, selon les proportions en sel ajouté, il ne coexiste que des solides : eau solide (glace), NaCl solide ou solides en mélanges hétérogènes.
Dans la pratique on peut déverglacer un sol jusqu’à -30°C avec du chlorure de calcium ou du chlorure de magnésium car leurs températures eutectiques valent respectivement environ -51 °C et -33°C.
(5) On consultera avec intérêt l’étude sur la phytotoxicité de produits alternatifs au sel de déneigement (PDF) réalisée par l’ENSAIA et l’Université de Lorraine.
Voir Les infrastructures des transports : les apports de la chimie dans les projets d’avenir, Henri Van Damme (pages 34 et suivantes).
C’est le dimanche 8 novembre que sont partis des Sables d’Olonne les 33 voiliers du Vendée Globe 2020. Comme précédemment on s’attend à ce que le record de 2016 (1) soit battu compte tenu des innovations et nouveaux matériaux appliqués à ces voiliers IMOCA de 18 mètres préparés pour la course autour du monde depuis plusieurs années. Ce sont en effet des vitrines de technologie : mâts et coques en fibres de carbone, accastillages en titane, voiles en Kevlar ou fibres de carbone tissées, informatique et caméras embarquées du dernier cri. Mais cette année l’innovation la plus importante est sans doute la quasi-généralisation des « foils » (2).
Alors que dans la précédente édition 7 bateaux étaient pourvus de foils, cette année c’est plus de la moitié de la flottille, 19 navires sur 33, qui portent ces impressionnantes moustaches. De plus elles ont grandi. En 2016 les foils mesuraient 2 à 3 mètres, en 2020 ils font de 5 à 6 mètres. Conçus sur le même principe que les ailes d’avion, leur profil permet, lorsque plongés dans l’eau avec une certaine vitesse, de soulever la coque et donc de réduire les frottements et la prise au vent et ainsi gagner 20 à 30% en vitesse pure. Ces foils sont maintenant fabriqués par plusieurs entreprises du Morbihan. Ils sont en fibres de carbone entremêlées en 3D imprégnées de polyester (3). Un moule spécial en mousse reçoit les différentes couches de drapages sur plusieurs centimètres d’épaisseur. Après démoulage la cuisson permet de polymériser la résine (4) et donne la forme rigide du foil. Bien que légers les foils doivent cependant être très résistants car en plus des forces aérodynamiques ils supportent le poids du voilier qui se soulève et qui fait en tout 7 à 8 tonnes. Les cabinets d’études et les entreprises bretonnes ont dû repenser l’architecture des bateaux en fonction de ces foils et de leurs puits qui vont donner des allures inédites à ces « Imoca » de folie. Parallèlement c’est toute une industrie de R&D et de PME innovantes qui font de la Bretagne une vitrine des matériaux composites (5) de hautes performances qui est maintenant sollicitée pour des projets de navires de haute mer (6).
Il y a aussi cette année des originalités marquantes. Le skipper Sébastien Destremau sur son bateau « Merci » dans un souci écologique s’est équipé d’une « casquette » en carton. Dans le jargon nautique la « casquette » n’a rien d’un couvre-chef, c’est une pièce à l’arrière du bateau qui sert à protéger le barreur des embruns et du vent glacial. C’est la société DS Smith de Loire-Atlantique spécialisée dans les emballages recyclés qui a fourni 100 m2 de carton ondulé. Et c’est Stéphane Munoz « sculpteur cartonniste », créateur de meubles en papier rigide, qui a fabriqué la pièce de 3,6 m de longueur jusqu’à la veille du départ et qui a reçu un glaçage avec une résine époxy sans solvant. La casquette gardera-t-elle son imperméabilité lors du voyage ? Le skipper est engagé dans une démarche de réduction de son empreinte carbone (7) et il ne vise pas une place parmi les premiers de cette édition 2020.
Un autre bateau, l’Imoca « Newrest – Arts & Fenêtres » avec son skipper Fabrice Amedeo, mène aussi une démarche écologique. Il veut, avec trois laboratoires de l’IFREMER, de l’université de Bordeaux et de l’IRD, profiter de son périple dans des zones océaniques peu explorées pour recueillir et analyser les microplastiques. On sait qu’avec la dispersion des matières plastiques, on trouve dans les océans des milliards de billes de plastique de tailles comprises entre 300 et 50 microns qui suscitent des inquiétudes pour l’équilibre marin et des menaces pour la vie des poissons. Le bateau est équipé d’un capteur disposant de trois filtres de calibres différents. Le skipper devra changer les filtres toutes les 24 heures en notant sa position et recueillir les boites à filtres pour les analyses chimiques (8) ultérieures (polystyrène, polyéthylène, polyamide…) qui doivent permettre d’établir une cartographie de ces microplastiques dans les océans. Fabrice Amedeo ne vise pas le record de 74 jours : il emporte avec lui 85 jeux de filtres pour 85 jours en mer.
Cela rappelle l’aventure et le projet « Plastic Odyssey » lancés en 2018 par deux jeunes ingénieurs dont l’ambition est de faire marcher un navire avec les déchets plastiques trouvés sur les plages les plus polluées d’Afrique et d’Asie. Après une maquette de démonstration, ils ont acquis avec l’aide de nombreux sponsors et ONG un vieux navire océanographique le « Victor Hansen » qu’ils sont en train d’aménager avec un réacteur de pyrolyse à 400°C qui va dépolymériser ces déchets et les recycler sous forme d’une huile lourde récupérée par distillation, pouvant alimenter les moteurs de leur navire. Après avoir été bloqué plusieurs mois à Boulogne pour cause de désamiantage, le rétrofit est en cours. Ils pensent partir en 2021 pour un tour du monde avec multi-escales pédagogiques pour démontrer les possibilités du recyclage chimique des plastiques dont l’Europe et le monde auraient bien besoin.
Jean-Claude Bernier
Novembre 2020
Pour en savoir plus :
(1) Moins de 80 jours grâce à la chimie ?
(2) La chimie, une histoire de foils
(3) Les chimistes dans l’aventure des nouveaux matériaux
(4) Les polymères, ce qu’il faut savoir ! (vidéo)
(5) Les matériaux composites dans le sport
(6) Chimie et construction navale
(7) Papiers/cartons : les bons élèves du recyclage et du bilan carbone
(8) Techniques analytiques et chimie de l’environnement
Crédit photo : IMOCA Merci © Sébastien Destremau
Le prix Nobel de chimie 2020 vient d’être attribué à la française Emmanuelle Charpentier et à l’américaine Jennifer Doudna. Elles sont récompensées pour la découverte d’un outil génétique formidable, le CRISP-Cas9. On connait tous l’ADN molécule charpente de nos génomes (1) et caractéristique de toutes les cellules, dont les nôtres. Pour modifier ou éditer le génome il faut pouvoir modifier les séquences de cette molécule. Jusqu’en 2012 on utilisait d’abord des nucléases dites à doigt de zinc, des méganucléases puis des nucléases de type activateur de transcription (2). Ces méthodes nécessitaient des opérations de biologie moléculaire et étaient longues et exigeantes en instruments et équipements spéciaux donc onéreuses.
Or, dans la nature, de nombreuses bactéries possèdent dans leurs génomes de longues séquences qui se répètent régulièrement appelées CRISPR (Clustered Regurarly Interspaced Short Palindromic Repeats). Ces séquences permettent aux bactéries de conserver la mémoire d’une infection par un virus pour s’en débarrasser lors d’une prochaine attaque.
En effet lors de l’infection par un virus, des séquences de celui-ci sont intégrées au sein des propres séquences CRISPR du génome de la bactérie. Lors d’une nouvelle infection, l’ADN viral au sein du CRISPR est recopié en ARN associée à la protéine Cas9 qui alors se fixe sur l’ADN du virus et l’inactive en le coupant (3).
Toute l’intelligence d’Emmanuelle Charpentier et de Jennifer Doudna a été de s’inspirer de ce mécanisme mis en jeu par des bactéries pour couper des brins d’ADN à un endroit précis du génome pour n’importe quelle cellule, comme un ciseau moléculaire. L’outil biologique est alors constitué d’une ARN guide associée à l’enzyme Cas9. Une fois l’ADN coupée on peut intervenir dans le système de réparation qui va recoller les deux extrémités du brin d’ADN soit :
- en ajoutant ou en enlevant des nucléides à chaque extrémité des morceaux du brin. On provoque alors une anomalie de la séquence cible, le gène devient alors inactif ou réparé.
- en ajoutant une séquence d’ADN synthétique (4) sur l’anomalie génétique repérée sur la séquence. Le système de réparation l’intègre au niveau de la coupure et le gène est corrigé et réparé.
Le schéma suivant résume assez bien l’opération. Cette méthode découverte par les deux chercheuses est précise, peu coûteuse et facile à mettre en œuvre, ce qui a permis à des milliers de laboratoires de l’utiliser dans le monde entier après 2015 car les applications sont nombreuses.
Sur les animaux, des chercheurs après identification des gènes responsables ont pu grâce à cette méthode augmenter la masse musculaire de chiens, créer des vaches laitières sans cornes.
Sur les végétaux par CRISPR on a créé des champignons de Paris qui ne brunissent pas lorsqu’on les coupe. On a aussi imaginé des plantes vivrières résistantes mieux à la sécheresse pour les pays chauds…
L’INSERM a ainsi travaillé sur les gènes d’anophèles pour donner une race de moustiques résistante au paludisme et qui en se multipliant ne peuvent plus transmettre ce fléau (5).
De nombreux chercheurs dont Jennifer Doudna ont attiré l’attention sur les problèmes éthiques posés par cette découverte qui peut multiplier à l’échelle de la planète les modifications génétiques. Déjà en Europe il y a une retenue générale sur les applications aux plantes « génétiquement modifiées ». Dans le monde il semble aussi y avoir un consensus sur les applications à l’homme et la recherche sur les fœtus. Plusieurs biologistes éminents se sont prononcés sur les dangers de modifier le patrimoine génétique germinal qui peut le transmettre à la descendance et toucher ainsi au patrimoine génétique de l’humanité. Pour l’instant, en 2020 Jennifer Doudna poursuit ses recherches à l’université de Californie à Berkeley et Emmanuelle Charpentier est directrice de l’Institut Max Planck « sur la science des pathogènes » à Berlin où elle continue ses recherches en biologie commencées à l’Institut Pasteur de Paris (1992-1995).
Jean-Claude Bernier
Octobre 2020
Pour en savoir plus
(1) La chimie dans les empreintes génétiques
(2) L’édition du génome : une révolution en marche
(3) Outils CRISPR pour étudier et combattre les bactéries pathogènes
(4) De la chimie de synthèse à la biologie de synthèse
(5) Les maladies tropicales négligées. Un modèle coopératif au service de l’innovation scientifique et médicale
Ciblage des défauts de réparation de l’ADN : nouvelles molécules et approches thérapeutiques utilisant la létalité synthétique
Manipulation génétique : des ciseaux moléculaires à double tranchant
Crédits : infographie © Ask Media pour le Parisien ; portraits © Nobel Media. III. Niklas Elmehed
Le prix Nobel de chimie 2020 a été attribué à Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna pour la découverte des ciseaux à ADN Crispr-Cas9.
Pour découvrir cette méthode vous pouvez voir le reportage « Manipulation génétique : des ciseaux moléculaires à double tranchant » et l’article correspondant.
Pour approfondir les applications vous pouvez regarder les conférences suivantes ou lire les articles issus de ces conférences :
Entre la rentrée scolaire et la fête de la Science, la chimie bat son plein : en guise d’entrée en matière, Mediachimie vous propose une sélection de ressources ancrées sur l’actualité scientifique et économique, illustrant les nouvelles technologies de la recherche et l’industrie.
- Un éditorial sur les vaccins
- Une question du mois sur l’ozone
- Un zoom sur… la formulation des bétons et ciments
- Un dossier sur la quinine, découverte il y a 200 ans par P.J. Pelletier et J.B. Caventou par extraction de l’arbre quinquina
- les derniers colloques Chimie et… organisés par la Fondation de la Maison de la chimie : Chimie et nouvelles thérapies et Chimie et lumière
Vous trouverez également des ressources à destination des enseignants de tous niveaux :
- écoles et collège avec des séquences de la Main à la Pâte,
- collège cycle 4 avec la série Chimie et… en fiches collège, élaborée en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale
- lycée avec la série Chimie et… en fiches lycée, élaborée en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale
- lycée encore avec les dossiers pédagogiques élaborés en partenariat avec Nathan
- et une ouverture vers les métiers avec les Fiches orientation Nathan, et la série Les chimistes dans…
Le Grand Prix 2020 de la Fondation de la Maison de la Chimie a été attribué conjointement, en raison de l’impact de leurs travaux en sciences des matériaux polymériques,
au Professeur Guy BERTRAND
et au Professeur Krzysztof MATYJASZEWSKI.
Voir le communiqué de presse (PDF)
Le Grand Prix 2020 de la Fondation de la Maison de la Chimie a été attribué :
- au Professeur Guy BERTRAND, pour son travail sur la stabilisation d’espèces hautement réactives, en particulier les carbènes. Ces derniers ont en effet trouvé de nombreuses applications en chimie organique, inorganique et organométallique, ainsi que dans le domaine de la synthèse de polymères et de matériaux,
et
- au Professeur Krzysztof MATYJASZEWSKI, pour son travail sur les polymères et notamment sur la polymérisation radicalaire par transfert d’atomes qui a révolutionné la façon dont les macromolécules des polymères sont fabriquées.
Guy Bertrand, chimiste français, directeur de recherche de classe exceptionnelle du CNRS, est actuellement Professeur de chimie du Département de Chimie et Biochimie de l'Université de Californie, San Diego (La Jolla, Californie, USA).
Krzysztof Matyjaszewski, chimiste d’origine polonaise, est aujourd’hui Professeur de chimie à l’Université Carnegie Mellon (Pittsburgh, Pennsylvanie, USA).