La chimie n’arrête pas d’innover pour le bien de nos concitoyens en cette période de pandémie où les gestes barrières et le port du masque sont essentiels. Le manque de visibilité des visages apporté par les masques classiques en polyéthylène (1) est sur le point d’être contourné. Le professeur Vandensoep et son équipe de l’institut de Gand–Wevelgem, après plus de 12 mois de recherche, viennent enfin de publier des résultats sur un masque totalement transparent quasi invisible.
Après plusieurs essais sur des masques en polyéthylène multicouches directement issus de l’emballage alimentaire (2) on s’est aperçu que les couches filtraient bien l’oxygène mais pas l’azote et le gaz carbonique rejetés par les voies respiratoires, ce qui a failli entraîner des accidents heureusement sans grande gravité chez les volontaires testés. Ces essais malheureux ont cependant été très instructifs et ont conduit à l’élaboration de plusieurs prototypes.
Le masque est composé d’une mince feuille de polycarbonate percée de milliers de nano-trous et revêtue à l’extérieur d’une couche de polymères possédant une chaine perfluorée qui assure la « déperlance » (3) du masque. Ainsi l’air inspiré et les gaz expirés peuvent circuler mais les micro-gouttes des aérosols extérieurs, véhicules du virus, sont arrêtées et regroupées en macro-gouttes, tout en conservant la transparence du masque. Sa dénomination commerciale se ferait sous la marque Carat.
Le débit d’inspiration et d’expiration doit cependant faire face à une perte de charge due aux dimensions de nano-trous, c’est alors que l’équipe du professeur Vandensoep a eu l’idée de collaborer avec celle du professeur Trugludu de l’Université libre de Roubaix, spécialisée dans l’optique et notamment dans les micro-lasers. Ils ont alors augmenté les diamètres de micro-trous afin de diminuer la perte de charge et placé au-dessus des oreilles des micro-lasers (4) alimentés par des cellules photoélectriques disposées sur un serre-tête du porteur du masque qui balayent la partie avant du masque et font éclater toutes les gouttes des aérosols meurtriers. Sa dénomination commerciale est prévue sous le nom de Carré, compte tenu de sa forme plus anguleuse.
C’est alors, vu la complexité et surtout le coût de ce dernier masque, que l’idée de faire appel à des polymères autoréparables est venue à l’équipe, en utilisant des polymères à liaisons covalentes réversibles associant un réseau de type silicone et un autre réseau supramoléculaire (5). La mince feuille de polycarbonate est alors revêtue de cette couche autocicatrisante. Les trous de cette dernière pouvant être obturée par la simple chaleur de l’air expirée. L’équipe a alors donné à ce prototype le nom de « dArpone d» qui rappelle la base silicone, il demande encore à être testée pour la réversibilité des cycles.
Nul doute que d’ici peu les masques chirurgicaux difficiles à porter seront remplacés par ces masques qui permettront de mieux visualiser les visages et contribuer à la vie sociale. Souhaitons rapidement la fabrication des masques Carat, Carré et Arpone pour le bien-être et la sécurité de nos concitoyens.
Jean-Claude Bernier
1er avril 2021
Pour en savoir plus
(1) Oui la chimie avance masquée
(2) Chimie et maîtrise de la lumière
(3) Les textiles et les vêtements pour le sport
(4) La chimie à la lumière du laser : un intérêt réciproque
(5) Matériaux et chimie supramoléculaire (vidéo)
Les vagues de froid
Février 2021 a vu une météo très changeante et des vagues de froid vif en Europe du Nord et sur le continent américain. Des chutes importantes de température, accompagnées de chutes de neige abondantes, ont sévi en Scandinavie, au Canada et sur la côte Est des États-Unis. Plus surprenant un anticyclone arctique est descendu en Amérique au-delà de la Nouvelle-Angleterre et jusqu’au Texas. Des températures polaires de -19°C à -9°C et même -41°C dans le Minnesota ont été relevées alors même que neige et verglas paralysaient la circulation. Six états US ont déclaré l’état d’urgence grand froid et plus de 3 millions de foyers au Texas ont été privés d’électricité durant plus de 48 h (1) ainsi que d’eau courante pour plusieurs semaines, l’eau ayant gelé dans les canalisations.
En Europe, la Scandinavie a aussi été frappée d’une vague de froid qui a un peu débordé sur la France et le nord-est de l’Allemagne. La vertueuse Suède qui a remplacé ses centrales thermiques et nucléaires par des filières renouvelables (2) a vu tomber leur production électrique de 25% à 9%, les éoliennes étant gelées et les panneaux photovoltaïques enneigés. Pour échapper au black-out elle a remis en route la centrale au fioul et a eu recours à de l’électricité venue d’Allemagne, de Pologne et de Lituanie, las issue de centrales à charbon ! Les Suédois et Suédoises ont été invités par le gouvernement à réduire leur consommation, ce à quoi ils et elles ont répliqué par « #dammsugarupproret », soit « la révolte des aspirateurs ».
Les causes
On peut s’étonner que dans un État aussi riche en sources d’énergie qu’est le Texas, un black-out généralisé puisse arriver. Les hommes politiques ont été très interpellés à la suite de ces incidents qui ont tout de même fait plus d’une dizaine de morts. Certains ont pointé le pourcentage trop élevé de sources d’énergie intermittentes. La société privée de distribution ERCOT a fait l’objet de nombreuses critiques soulignant ses faibles investissements sur les lignes et le grand défaut du manque d’interconnexions avec les sources d’énergies d’autres États et au réseau national (3).
C’est là la grande différence avec l’Europe. Pour la France, une vague de froid fin 1978 avait provoqué une panne d’électricité générale le 19 décembre où les trois quarts du pays avaient été privés de courant durant une dizaine d’heures, alors que commençaient à produire les premières centrales nucléaires et que l’interconnexion des boucles de distribution était encore incomplète.
La leçon à cette date fut bien comprise. Il fut décidé d’accélérer le programme nucléaire et de parfaire une interconnexion européenne qui autorise les échanges de puissance électrique entre pays permettant de pallier des incidents locaux ou des conditions climatiques géographiques particulières. Il y a donc en Europe un marché d’échange du MWh qui, lors de la vague de février, est brutalement monté à 200 € au lieu de 30 €.
Les solutions
Au-delà de la toile d’araignée des interconnexions de grandes lignes de courant, il y a une réflexion sur notre avenir énergétique dans la perspective de la transition écologique. L’intermittent éolien et solaire n’est viable que s’il est soutenu par une source d’énergie constante (4) et modulable facilement suivant la demande et si possible non polluante. À ce sujet connaître la valeur en émission CO2 du KWh est cruciale (voir tableau ci-dessous).
Filière | nucléaire | hydraulique | gaz | fioul | charbon |
G CO2/kWh | 6 | 6 | 418 | 730 | 1060 |
Pour les producteurs et régulateurs de réseau c’est un vrai casse-tête car comment ajuster en temps réel demande et production et comment faire face à des conditions extrêmes - froid intense, neige et glace et anticyclone permanent - sans vent durant plusieurs jours (5) ? Les centrales thermiques à gaz ou fioul peuvent répondre assez vite mais comme elles ne fonctionnent que quelques jours par an, leur kWh est cher et peu d‘investisseurs sont enclins à s’y intéresser. De plus leur bilan carbone n’est pas bon. En France l’hydraulique peut répondre assez vite à ces hausses de demande. Pour le nucléaire, actuellement le CEA et EDF planchent sur un procédé de variation rapide de 20% à 80% de la puissance d’un réacteur en moins d’une heure (6). Par ailleurs la recherche et quelques réalisations de SMR (petits réacteurs modulaires) vont permettre de diversifier les applications nucléaires de puissance comprises entre 100 et 300 MW et répondre à ces types de demandes (7). Le projet français « Nuward » vient de bénéficier financièrement du plan de relance. Il regroupe le CEA, EDF, TechnicAtome et Naval Group. Avec deux ilots de 170 MW et une seule salle de commande, il sera le plus compact du marché dans une cuve de 4 m de diamètre et de 13,5 m de hauteur dans un bâtiment semi enterré associé à un système de refroidissement passif (sans pompes) garantissant une sureté et une protection de qualité. Modèle le plus compact issu de notre expérience de la propulsion navale, il pourrait être commercialisé en 2035 avec une chaine de fabrication modulaire et standardisée permettant des coûts réduits. Il ne faut pas tarder, car selon l’OCDE/AEN le marché des SMR à cet horizon peut être de 20 GW. Déjà la Russie a installé un SMR sur barge flottante en Sibérie et aux États-Unis la société NuScale prévoit d’installer un premier module en Utah en 2023.
Sur le papier nos gouvernants et l’opinion publique pensent qu’il est simple d’élaborer une transformation énergétique radicale de la société, sur le terrain c’est une autre affaire… (8)
Jean-Claude Bernier
Mars 2021
Pour en savoir plus :
(1) Noël aux tisons ? editorial Jean-Claude Bernier
(2) Une électricité 100% renouvelable : rêve ou réalité ? fiche Chimie et… en fiches
(3) Réseaux de transport de l’électricité et transition énergétique, article et conférence de S. Henry (colloque Chimie et enjeux énergétiques, 2012)
(4) Le challenge de l’électricité verte, collection Chimie et Junior
(5) La complexité du réseau et l’électricité verte, article et conférence de Y. Bréchet (colloque Chimie et enjeux climatiques, 2015)
(6) Équipe de recherche (vidéo du CEA)
(7) Le nucléaire de fission dans le futur. Complémentarité avec les renouvelables, conférence de C. Behar (colloque Chimie et énergies nouvelles, 2021)
(8) Vitesse de déploiement et acceptabilité des nouvelles technologies dans le domaine des énergies, conférence de G. de Temmerman (colloque Chimie et énergies nouvelles, 2021)
Image d'illustration : K. et B. Emerson - Flickr
licence Creative Commons Attribution 2.0 Générique.
Ce début février est marqué par le retour de températures hivernales classiques et négatives. C’est alors une floraison dans tous les journaux papiers ou télévisés d’une série de reportages et conseils plus ou moins pertinents liés à ces basses températures. Pourquoi Mediachimie ne s’y mettrait pas avant que le mercure ne remonte !
Chez vous
Pour un bon cocooning, vérifiez bien que l’isolation de votre maison est bonne. C’est d’abord 15 à 20 cm de laine de verre ou de cellulose dans vos combles qui vous font économiser 30% sur la fuite des calories (1). Les vitrages à haute isolation de vos baies vitrées et fenêtres avec deux lames de verre sodo-calciques séparées par un volume d’argon et disposant sur l’une des faces intérieures d’un micro-revêtement métallique renvoient les infrarouges vers l’intérieur et évitent de chauffer le jardin (2). Si vous avez un chauffage électrique vos murs sont équipés de contrecloisons en plâtre munies d’une bonne épaisseur de polystyrène. Pensez aux radiateurs à accumulateurs de chaleur qui, équipés d’une âme de céramique (silico-aluminates de calcium) chauffée la nuit, restituent ses calories le jour. Grâce à la chimie des matériaux vous économisez les kWh tarif nuit.
En voiture
Attention, au démarrage n’oubliez pas que votre bonne vieille batterie au plomb perd 33 % de sa puissance lorsqu’on atteint –5°C (3). Si vous roulez au diesel vérifiez bien que vous avez fait le plein à la pompe avec le gas-oil hiver qui a un point de cristallisation à –15°C et qu’il ne vous reste plus du gas-oil été (qui cristallise à 0°C), bien que pour des raisons commerciales il semble que certaines marques fournissent un carburant unique été – hiver. Si vous roulez à l’éthanol (E 85) le démarrage à froid est parfois plus difficile car les vapeurs d’alcool sont moins inflammables. Les pétroliers diminuent en hiver la proportion d’éthanol qui peut descendre à 60% eu lieu de 85% en été (4).
Assurez-vous que le liquide de refroidissement (souvent appelé antigel) de votre moteur est bien adapté à l’hiver afin qu’il ne gèle pas dans votre réservoir. Mélanges d’eau, d’éthylène glycol ou de propylène glycol et d’additifs, ils peuvent supporter sans geler des températures pouvant descendre à –25°C ou moins selon les proportions (5).
Si la route est glissante à cause du verglas, heureusement les municipalités et la DDE ont salé les revêtements (6). Mais roulez avec des pneus hiver qui ont une gomme tendre à base de caoutchouc naturel et de mélanges butadiène / acrylonitrile. En effet suivant la composition la température de transition vitreuse est abaissée et par temps froid le pneu reste souple procurant une meilleure tenue de route (7).
Si le matin vous déneigez carrosserie et pare-brise, utilisez une raclette en polystyrène ou polypropylène moins dure que le verre ou le vernis de peinture pour ne pas faire de rayures. Pour la couche de glace sur le pare-brise, une « pulvérisette » d’alcool ménager vaut mieux que l’eau chaude car le mélange eau – alcool se solidifie à bien plus basse température que 0°C. Enfin si les montants de portes ont leurs joints caoutchouc collés, pensez à les enduire d’une fine couche d’éthylène glycol qui tiendra jusque –45°.
À pied dehors
En promenade ou pour faire vos courses n’hésitez pas à vous couvrir en multicouches (8) :
- des sous-vêtements en microfibres très légers, des maillots en fibres creuses qui vont emprisonner de l’air qui est un isolant thermique efficace pour protéger du froid ;
- un « pull polaire » en fibres polyesters aérées qui viennent en partie du recyclage des bouteilles plastiques en PET ;
- une veste en textile imper respirant, imperméable à la pluie ou la neige mais laissant passer la transpiration, obtenu après enduction de polyuréthane ou des membranes hydrophobes comme les polyfluorothylène (9) ;
- ou mieux encore des textiles thermorégulants à changement de phase où sont encapsulées sur les fibres des cires qui se liquéfient à plus de 37°C lorsque vous êtes dans une pièce chauffée et qui, quand vous sortez à l’extérieur au froid, se solidifient en libérant de la chaleur.
On trouve aussi des vêtements et gants pour motards ou artisans du BTP avec des microcircuits de résistances alimentées par des piles ion-lithium qui sur commande peuvent chauffer soit les mains, soit le dos.
En cette période de COVID, vous sortez avec les masques sanitaires en polypropylène qui comportent une couche de « meltblown », microfibres qui par attraction électrostatique captent les nano-gouttes des aérosols pouvant véhiculer le virus (10). Si les masques sont humides les fibres ne servent plus de barrière, donc éviter de les mouiller par la respiration en hiver ou sous la pluie ou la neige. L’Académie de médecine canadienne recommande par grand froid de porter au-dessus une écharpe.
Mais que cela ne vous empêche pas de soigner votre visage et votre peau : par grand froid sec, elle souffre, alors n’oubliez pas les crèmes hydratantes et les rouges à lèvres protecteurs (11).
Parés pour le grand Nord ?
Jean-Claude Bernier
Février 2021
Pour en savoir plus
(1) Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories !
(2) Les vitrages : laissez entre la lumière
(3) Applications présentes et futures des batteries
(4) Pourquoi met-on de l’alcool dans l’essence ? (Question du mois)
(5) Glycol / Éthane-1,2-diol / Éthylène glycol (Produit du Jour Société Chimique de France)
(6) Pourquoi met-on du sel sur les routes lorsqu’il gèle ? (Question du mois)
(7) Le pneumatique : innovation et haute technologie pour faire progresser la mobilité
(8) Vers des textiles intelligents pour des vêtements performants et innovants
(9) Les textiles imper-respirants
(10) Oui la chimie avance masquée
(11) La peau au quotidien : protection et embellissement
Hum ! Un beau gâteau bien gonflé ! Les recettes des cakes, quatre-quarts, madeleines, cookies… nécessitent de la levure dite « chimique ». De quoi s’agit-il et à quoi sert-elle ?
Tout d’abord le mot « levure chimique » est utilisé pour se différencier de la « levure de boulanger » dont l’action est due à des microorganismes.
Pourquoi ajouter de la levure chimique ?
L’objectif de la levure chimique est de libérer un gaz lors de la cuisson afin de faire gonfler la pâte du gâteau. C’est ainsi que ces sachets sont aussi surnommés « poudre à lever » ou « poudre levante ». Dans la pratique ce gaz est le dioxyde de carbone (ou gaz carbonique), CO2. Il est obtenu par une réaction acidobasique une fois que la levure est mélangée aux ingrédients et humidifiée.
Que contiennent les sachets de levure chimique ?
Citons quelques compositions indiquées. Vous reconnaitrez sans doute celle que vous avez achetée :
- diphosphate disodique, carbonate acide de sodium, amidon de blé ;
- pyrophosphate disodique, bicarbonate de sodium, amidon de blé ;
- diphosphate disodique, bicarbonate de soude, amidon de maïs ;
- diphosphtates et carbonates de sodium, farine de blé ;
- pyrophosphate de sodium, bicarbonate de sodium, farine de froment (ancienne formule) ;
- acide tartrique, bicarbonate de soude, fécule de maïs (ancienne formule) ;
- crème de tartre, carbonate acide de sodium, fécule (ancienne formule).
À première vue ces compositions semblent différentes. Regardons de plus près.
Le bicarbonate de sodium, le carbonate acide de sodium et le bicarbonate de soude sont en réalité le même composé chimique dont le nom précis est l’hydrogénocarbonate de sodium et qui a pour formule chimique NaHCO3 (ou Na+, HCO3-) (i). C’est l’ingrédient commun indispensable. C’est lui qui permettra de libérer le dioxyde de carbone en jouant un rôle de base.
Les termes diphosphate disodique et pyrophosphate disodique concernent le même composé de formule Na2H2P2O7 (ii). L’acide tartrique a pour formule C4H6O6 (iii) et la crème de tartre KC4H5O6. Ce sont tous les trois des composés au comportement acide en présence d’eau.
La farine de froment, l’amidon de blé ou la fécule ou l’amidon de maïs contiennent tous de l’amidon [1]. Il est nécessaire à la conservation ou stabilisation du produit avant usage en limitant la réaction chimique entre les deux autres constituants et en absorbant l’humidité. Il est donc très important que le sachet soit conservé au sec.
Lors de la réalisation de la recette, il est aussi nécessaire de mélanger à sec la levure à la farine avant l’ajout des ingrédients humides.
L’ajout d’eau
Quelle que soit la recette, l’ajout d’eau est indispensable. Elle est apportée soit avec les œufs (l’eau représente 75% de la masse d’un œuf), soit avec un jus de fruit, du lait, ou tout simplement de l’eau seule…) . Elle dissout les acides et les bases contenus dans la levure, facilite le malaxage des ingrédients et la mise en contact des réactifs.
Le gonflement : quelles réactions ?
Une réaction entre acide et base
Une fois tous les ingrédients de la recette bien mélangés, les acides présents échangent un proton H+ avec le bicarbonate selon, par exemple :
H2P2O72- + HCO3- → CO2 (gaz) + H2O + HP2O73-
Cette réaction commence faiblement dès le mélange à froid puis à la chaleur du four, le dégagement de CO2 s’accentue et s’accélère.
En effet cette réaction est équilibrée avec une constante d’équilibre proche de 1. Le chauffage est favorable au dégazage de CO2 ce qui déplace l'équilibre jusqu’à la consommation totale du bicarbonate. Ainsi la pâte lève ; il se crée des alvéoles. Puis la pâte alvéolée se solidifie en gardant sa forme. Voilà c’est réussi !
Le composé secondaire formé HP2O73- est à la fois un acide et une base et seul dilué donnerait un pH voisin 7,3, soit un pH quasiment neutre. S’il reste du réactif initial H2P2O72- le pH serait alors légèrement inférieur à 7.
Pourrait-on utiliser du bicarbonate seul ?
C’est envisageable car il participe à l’équilibre 2 HCO3- = CO2 (gaz) + CO32- + H2O qui montre une formation possible de dioxyde de carbone et de carbonate. Toutefois le dégagement est quasi nul à froid, l’équilibre étant en faveur de HCO3- et ne se fait que lentement et de façon moindre à partir de 70 °C.
Le gâteau peut se solidifier avant que la pâte soit totalement levée. De plus l’ion carbonate CO32- formé en parallèle donne un milieu très basique au goût peu agréable.
Et le jus de citron ?
Quand l’eau est ajoutée sous forme de jus de citron (cake au citron, par exemple) cela introduit de l’acide citrique (iv) qui participe notablement à l’augmentation du dégazage. Il n’est en général pas totalement consommé ce qui donne ce petit goût acide caractéristique de cette pâtisserie. Mais ce n’est pas son seul rôle : il influence le caractère viscoélastique de la pâte à base de farine.
Que faire si on est en panne de levure chimique ?
Vous pouvez utiliser du bicarbonate de sodium et ajouter un peu de jus de citron.
Effervescence et analogie
On peut noter que toutes sortes de produits effervescents (dont des médicaments) présentent les mélanges bicarbonate et acide citrique ou bicarbonate et dihydrogénophosphate donnant du CO2 dès l’ajout d’eau.
Historiquement
Aux États Unis, c’est dans les années 1840 qu’apparait dans un livre de cuisine la proposition d’ajouter aux ingrédients d’une pâte de gâteau du bicarbonate de sodium et de la crème de tartre. Puis de nombreux essais ont été réalisés, y compris en Europe, pour sélectionner l’acide à ajouter avec le bicarbonate, la source d’amidon et les bonnes proportions. Les industriels ont alors vendu des mélanges prêts à l’emploi, aux proportions jalousement gardées.
Et le bicarbonate de sodium, matière première indispensable
Composé connu depuis l’Antiquité à l’état naturel, c’est le Français N. Leblanc qui a mis au point le premier procédé de fabrication à la fin du XVIIIe siècle [2], plus tard supplanté par le procédé Solvay [3]. Le premier producteur mondial est encore Solvay. Il existe des gisements naturels conséquents de bicarbonate aux États-Unis.
Le bicarbonate a de très nombreuses autres applications [3] [4].
Allez, à vos recettes !
Et n’oubliez pas de bien respecter les proportions. Les sachets vendus contiennent en général 10 g de levure à mélanger dans 500 g de farine. Un défaut de levure et le gâteau n’est pas levé, un excès de levure et le gâteau ne lèvera pas plus mais aura au final un arrière-gout de levure.
Françoise Brénon
(i) Cet additif alimentaire a pour code E500. Il est appelé baking soda dans les recettes américaines. Dans une des compositions lues sur les sachets, le terme « carbonates » avec un s (donc pluriel) est imprécis et fait penser à un mélange de carbonate ( CO32-) et d’hydrogénocarbonate. Ces composés appartiennent aux couples acides-bases CO2, H2O / HCO3- / CO32- dont les pKa sont 6,35 et 10,3 et jouent un rôle similaire.
(ii) Il s’agit du dihydrogénopyrophosphate disodique, codé E450i.
Le nom pyrophosphate de sodium indiqué sur un des sachets est imprécis. On pourrait penser à Na4P2O7 dont le nom précis est pyrophosphate tétrasodique. Mais celui-ci est une base ne pouvant donc réagir avec le bicarbonate pour donner du CO2. En réalité à l’analyse le produit contient aussi le E450i, soit H2P2O72-, comme dans les autres sachets. Les couples acidobasiques relatifs à l’acide pyrophosphorique sont : H4P2O7 / H2P2O7- / H2P2O72- / HP2O73- / P2O74- et les pKa correspondants sont 1,0; 2,5 ; 6,1 ; 8,5 (source « Les Réactions chimiques en solution », G. Charlot, chez Masson)
(iii) Ce diacide de formule semi-développée HOOC-CHOH-CHOH-COOH a pour nom précis l’acide 2,3-dihydroxybutanedioïque dont les pKa sont 3,0 et 4,4. Son code est le E334.
KC4H5O6 correspond au monoacide K+, -OOC-CHOH-CHOH-COOH.
Attention le mot courant « tartre » qui correspond au calcaire (CaCO3) qui se dépose sur les canalisations ou les bouilloires n’a aucun lien avec l’acide tartrique. Le nom « crème de tartre » provient des dépôts de tartrate sur les cuves en fin de processus de vinification.
(iv) L’acide citrique de formule HOOC-CH2-C(OH)COOH-CH2-COOH est un triacide de pKa 3,0 ; 4,4 ; et 5,7. Sa 1ère acidité est plus forte que celle de H2P2O72- et sa réaction sur HCO3- est totale.
Pour en savoir plus
[1] Zoom sur l’amidon sur le Site Mediachimie
[2] Bicarbonate de sodium - produit du jour (sur le site de la Société Chimique de France)
[3] Hydrogénocarbonate de sodium sur le site L’Élémentarium : propriétés, fabrication industrielle, applications
[4] le bicarbonate Solvay® (PDF) sur le site de Solvay
La situation actuelle
Il existe en France huit raffineries du pétrole, de la Normandie à la Méditerranée en passant par le sud de Lyon. La grande majorité du pétrole raffiné sert à l’obtention des carburants, une autre partie fournit la matière première pour la chimie des dérivés du pétrole. Ainsi ces sites sont aussi des complexes de pétrochimie.
La coupe pétrolière qui intéresse la chimie est essentiellement le « naphta » dont les chaines carbonées vont de 5 à 10 atomes de carbone. Celle-ci subit l’hydrocracking (ou craquage à la vapeur d’eau) permettant d’obtenir les intermédiaires majeurs pour la chimie organique tels que les oléfines (éthylène (1), propène, butène, benzène…). Pour éviter la pollution due à la présence de soufre et d’azote dans le pétrole, des unités d’hydrodésulfuration (2) sont également présentes sur les sites.
Ces fabrications utilisent actuellement environ 13% du pétrole (3), part qui pourrait monter à 22% d’ici 2050 sans régulation. Les politiques de transition énergétique vont limiter les objets en plastique, faire baisser la demande énergétique des bâtiments, économiser la consommation des véhicules en carburants, voire passer aux véhicules électriques, et donc baisser les volumes consommés de gas-oil et d’essence. C’est ainsi que les capacités de raffinage en France et en Europe n’ont cessé de diminuer. Les capacités de raffinage en Europe représentaient en 2008 21% des capacités mondiales et elles ne sont plus que de 17% en 2020. La consommation des produits pétroliers (carburants compris) dans l’hexagone a suivi la même pente, 98 millions de tonnes (Mt) en 1998, 89 Mt en 2000 et 73 Mt en 2019 qui plombent cependant encore notre balance commerciale de quelques dizaines de milliards d’euros.
L’évolution due aux huiles de schiste
Il faut se rappeler que la stratégie des grandes compagnies pétrolières a évolué dans les années 2010 avec l’arrivée de l’huile et du gaz de schiste américain sur le marché mondial. Historiquement les pétroliers européens utilisaient la coupe « naphta » pour la production de l’éthylène intermédiaire essentiel pour la chaine de valeur en chimie organique notamment pour les polymères résines et plastiques (4). Pour ce faire il faut casser les chaines carbonées des hydrocarbures du naphta à l’aide des vapocraqueurs qui malheureusement en Europe avaient plus de 25 ans. Aux États-Unis de nouveaux vapocraqueurs à base éthane produit en abondance par les gaz de schiste ont abaissé le prix de l’éthylène d’un facteur 2 à 3 ! Pour ne pas « mourir » les Européens ont investi soit dans de nouveaux vapocraqueurs en Écosse et en Norvège, soit dans la modernisation d’anciens vapocraqueurs au sein de plateformes chimiques pour leur donner plus de flexibilité. Fournir l’éthylène, le butadiène et des aromatiques sur place limite les émissions et les besoins logistiques. C’est ainsi que TOTAL a investi à Gonfreville et à Anvers, de même INEOS à Anvers. Ces deux acteurs majeurs européens comme ExxonMobil (USA) souffrent de la crise de 2020 qui a non seulement entrainé une chute de la vente des carburants mais aussi de produits chimiques et de matières plastiques pour l’automobile. Tout en proclamant que le pétrole n’a pas dit son dernier mot notamment en Chine, aux USA et dans les pays émergents, il se prépare des stratégies à long terme dans le ton européen de la transition énergétique en « verdissant l’or noir ».
Vers le « zéro carbone » ?
INEOS lance ainsi à Anvers le « Project One » d’un vapocraqueur base éthane qui devrait produire 1,5 Mt d’éthylène, le plus important en Europe et le plus économe, avec d’une part la récupération d’hydrogène dévolu à la mobilité et d’autre part un contrat avec ENGIE qui doit lui apporter toute l’énergie électrique éolienne pour son futur complexe. Pour la France on se rappelle la reconversion de la raffinerie de La Mède condamnée à la fermeture et transformée en bioraffinerie avec un investissement de plus de 275 millions d’euros devant produire des agrocarburants avec le procédé HVO (Hydrotreated Vegetable Oil), un procédé français. Cette unité traite en partie de l’huile de palme, ce qui a soulevé diverses réactions (5). TOTAL annonce en 2020 la transformation de la raffinerie de Grandpuits (77) en investissant 500 millions d’euros dans une plateforme « zéro pétrole » afin de fournir 400 000 t/an de biocarburants majoritairement destinés au secteur aérien, à partir de graisses animales, huiles de cuisson usagées et végétales recueillies régionalement. Sur le même site, associé au néerlandais Corbion, il veut produire du bioplastique centré sur le PLA (6) et développer une unité de recyclage de plastique par pyrolyse.
Après avoir fermé le vapocraqueur sur le site de Carling (57), TOTAL, après l’acquisition de Synova, veut devenir un acteur majeur dans le recyclage chimique des plastiques. Sur ce site pétrochimique, l’association Chemesis (Total, Arkema, Air Liquide, etc.) promeut la chimie verte avec Metex Noovista qui produit du propanediol et de l’acide butyrique biosourcés, et Afyren synthétise des molécules pour l’alimentation et des conservateurs aromatiques à partir de sous-produits de betterave. Et, dernier venu, Circa Sustainable Chemicals produira à partir de coproduits du bois 1000 t/an de Cyrène, un solvant fluide biosourcé (encres) (7). C’est ainsi qu’à proximité de l’Allemagne se transforme un site de chimie performant compatible avec les exigences environnementales, et générateur d’emplois dans le Grand-Est (8).
Les nouveaux marchands d’énergies
L’annonce de la nouvelle stratégie des pétroliers est celle de devenir, comme le dit Total, une entreprise de « multi-énergies ». Plusieurs facettes apparaissent dans ces stratégies : donner une plus grande part au gaz liquéfié (GNL, constitué majoritairement de méthane) et une nouvelle part à l’électricité à partir des renouvelables. Après l’expérience décevante de SunPower c’est entre 2 et 3 milliards d’euros par an qui seront consacrés à la production et au stockage d’électricité bas-carbone jusqu’en 2030. Pour cela TOTAL a racheté SAFT pour les batteries de stockage et s'allie à Peugeot et à Michelin pour le projet d’une giga factory en France de production de batteries ions-lithium. Les ventes de Total se répartiront alors entre 30% de produits pétroliers et 5% de biocarburants, 15% pour l’électricité bas carbone et 50% pour les gaz dont l’hydrogène. Le défi est lancé entre Shell, BP, Exxon et d’autres : ce sera à qui s’imposera pour la capture du CO2, les énergies propres et l’hydrogène vert ? (9) Ce qui est sûr cependant, c’est qu’à moins d’une catastrophe mondiale, la demande d’énergie ne va pas se tarir d’ici 2050.
Jean-Claude Bernier et Françoise Brénon
Janvier 2021
Pour en savoir plus
(1)° Éthylène, fabrication industrielle (site l'Élémentarium)
(2) Comment assainir l’atmosphère des villes ? L’hydrotraitement (Réaction un clin d'oeil)
(3) L’extraction du pétrole et du gaz (vidéo CEA)
(4) L’Union des industries chimiques (UIC) tire la sonnette d’alarme
(5) Polémiques dans le monde des biocarburants
(6) Zoom sur l'amidon : de l’amidon aux polymères biosourcés
(7) Les solvants biosourcés : opportunités et limitations
(8) Pour une industrie chimique propre et durable (Chimie et…junior)
(9) Qu’est-ce que l’hydrogène vert ?
Illustration : Raffinerie de Port-Jérôme-Gravenchon, Wikimedia, Gérard-travail personnel, CC BY-SA 4.0
ll y a urgence que le système mondial de production, distribution et consommation d’énergie soit engagé sur une trajectoire dont les effets seront déterminants pour l’avenir de la planète et celui de ses habitants en limitant ses effets sur le climat : le sujet est plus que jamais au coeur des préoccupations de la Société, notamment de la recherche et de l’industrie. Malgré l’engagement politique des États et la progression des énergies dites « vertes », notamment du solaire électrique ou thermique et de l’éolien offshore pour lesquels on s’attend à des facteurs de croissance record dans les prochaines décennies, toutes les énergies flexibles, propres, abondantes, décarbonnées seront nécessaires pour faire face aux besoins toujours croissants de la demande en énergie. Pour cela il est urgent d’innover, mais aussi d’optimiser les technologies existantes en lien avec l’objectif d’un développement durable garantissant l’accès de tous à des services énergétiques fiables à des coûts abordables.
Nous avons souhaité dans ce 25e colloque « Chimie et… » faire un point scientifique objectif sur une évolution possible du « bouquet énergétique diversifié » en cours de développement.
Les conférenciers ont été choisis parmi les experts les plus qualifiés dans les différents domaines concernés, la recherche, l’industrie, la politique et l’économie.
Le niveau se veut accessible à tous pour permettre un large débat.
Bernard Bigot
Président de la Fondation internationale de la Maison de la Chimie
et Directeur Général de l’Organisation internationale ITER
[Ajout février 2021] Le colloque a été diffusé en direct sur la chaine Youtube de Mediachimieet est disponible au même endroit en différé.
En cette fin d’année l’expression « ça sent le sapin » doit perdre son sens argotique pessimiste et plutôt se compléter par « ça sent bon le sapin de Noël ». À l’approche du 25 décembre 2020 nous avons besoin d’une bouffée d’optimisme et, même si nous sommes déconfinés ou confinés, le sapin traditionnel dans le salon va agir comme une douce thérapie.
Nous l’avons acheté « bio », ou même « loué » si nous sommes d’abord écologistes, puis décoré avec nos guirlandes aluminisées et celles parsemées de LED multicolores.
Nous avons ainsi déjà profité de ses odeurs fraiches et boisées (1). Le pin sylvestre dégage plus de 44 composés olfactifs (2). Le principal responsable est la pinène (C10H16), présente sous ses deux formes isomères α et β. L’α-pinène présente dans l’essence de térébenthine est aussi connue comme antiseptique présente aussi dans la sauge. L’autre odeur fraiche du sapin est celle de l’acétate de bornyle à l’odeur de résine fraîche, utilisé aussi dans les parfums ou les désodorisants. Synthétisé par plusieurs conifères il est aussi utilisé en phytothérapie pour ses propriétés sédatives (3).
On notera en passant que la structure des molécules peut avoir une influence forte sur la chaine cellules olfactives - transmissions nerveuses au cerveau et - codes de reconnaissance. C’est le cas par exemple des deux énantiomères S-(-) limonène α et R–(+) limonène β : le premier à l’odeur de citron et le second à l’odeur d’orange (4).
Mais il n’y a pas que le sapin et ses parfums pour vous réconforter en cette période de Noël. Il y a bien sûr l’odeur du chocolat chaud qui contient des polyphénols excellents pour l’organisme mais aussi des endorphines stimulantes et euphorisantes idéales en hiver (5).
Ainsi le pain d’épices avec le gingérol du gingembre, mais aussi sa saveur douce, sucrée et légèrement épicée et due à la zingérone qui s’est développée durant la cuisson.
Si vous aimez les marrons chauds, lorsqu’elles sont grillées les châtaignes dégagent quantité de composés volatils par réactions à haute température. La chaleur développe aussi diverses molécules dont le ? butyrolactone qui donne en bouche un léger gout sucré caramélisé ainsi que le furfural qui apporte le côté boisé avec une légère odeur d’amande (6).
Vous aurez aussi pour vous réchauffer un incontournable des marchés de Noël, hélas si peu nombreux cette année, le vin chaud. Même sans en abuser vous reconnaitrez son odeur avec les vapeurs d’alcool qui entrainent les parfums d’agrume, l’aldéhyde cinnamique et les phénols comme l’eugénol de la cannelle.
Voilà une thérapie simple et joyeuse pour les fêtes (7). Si vous n’avez pas de sapin, la chimie extractive peut vous fournir les huiles essentielles pour une aromathérapie. Vous avez le choix entre l’huile essentielle de coriandre, l’essence d’orange douce, ou les extractions de cannelle de Ceylan ou encore de sapin bouvier : alors à vos diffuseurs, mais attention comme dans tout traitement c’est la dose qui compte (8) !
Joyeuses fêtes.
Jean-Claude Bernier
Décembre 2020
Pour en savoir plus :
(1) Quand la chimie a du nez (vidéo)
(2) Les méthodes de mesure des odeurs : instrumentales et sensorielles
(3) Un exemple de production de substances actives : le pouvoir des plantes
(4) Zoom sur la chiralité et la synthèse asymétrique
(5) Les emplois thérapeutiques du chocolat
(6) Sucre et huile : des ingrédients clés pour la chimie biosourcée
(7) La nature pour inspirer le chimiste : substances naturelles, phytochimie et chimie médicinale
(8) La bonne chimie est-elle dans le bon dosage ?
Les bonnes nouvelles de novembre annonçant le début de la fin de l’épidémie du Covid-19 ont rempli d’espoir nos concitoyens qui lors du deuxième confinement ont plutôt le moral dans les chaussettes. Ce fut d’abord les laboratoires germano-américain Pfizer-BioNTech puis l’américain Moderna qui ont annoncé l’efficacité de leur vaccin respectivement à 90% et 94,5% à l’issue de données intermédiaires des essais de la phase 3. Il faut bien sûr attendre les rapports scientifiques complets des dossiers d’autorisation qui seront déposés à la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis et à l’autorité sanitaire européenne qui doivent donner leur avis fin décembre. Ces deux vaccins sont composés de fragments d’ARN messager qui provoquent la synthèse de la protéine Spike qui induira une réponse immunitaire protégeant contre le Covid-19 (1). C’est apparemment la méthode d’approche scientifique (ARNm) la plus rapide mais à côté de ces deux laboratoires il y en a encore 9 dont on sait qu’ils ont déjà des résultats des essais de la phase 3 engagés sur plusieurs dizaines de milliers de volontaires : Johnson&Johnson – Janssen (vecteur viral), CanSino Biologics (Chine, vecteur viral), Sinopharm (Chine, virus inactivé), Gamaleya Research Institut (Russie, vecteur viral), Astra Zeneca (vecteur viral), Novavax (fragment d'antigène), Sinovac (Chine, virus inactivé), Bahrat Biotech (Inde, virus inactivé) (2).
Tous ont des essais cliniques importants dans de nombreux pays en particulier sur les soignants et les militaires dans les pays peu démocratiques. Par ailleurs Sanofi Pasteur avec GSK développe son vaccin en phase 3 (protéine recombinante) et Pasteur avec Themis (une autre protéine recombinante) serait en phase 2. La course au vaccin, avant même les autorisations de mise sur le marché, entraine des investissements énormes sur les chaines de fabrication et la logistique de l’acheminement des vaccins, car on parle ici non pas de millions de doses mais de milliards.
Prenons l’exemple des deux vaccins ARNm de Pfizer et Moderna, l’ARN est très instable et se dégrade rapidement à température ordinaire. C’est pourquoi on entrepose les molécules d’ARNm à basse température -80°C, elles baignent dans une solution aqueuse ionique enfermée dans des nanoparticules de lipides (capsules de gras) elles aussi sensibles à la chaleur. Pour éviter toute dégradation de l’efficacité du vaccin, Pfizer les conserve à -80°C et Moderna a su trouver une astuce pour ne les conserver qu’à -20°C.
Il faut donc de la fabrication à l’entrepôt du transport à la distribution aux hôpitaux ou pharmacies conserver la chaîne du froid. Si à -20°C les containers frigorifiques et les congélateurs dévolus à la conservation des matières alimentaires sont bien connus, à -80°C les ennuis commencent.
Les supercongélateurs (-80°C) sont pour l’instant des équipements de laboratoire avec des groupes frigorifiques qui fonctionnent avec le nouveau F-Gaz agréé en Europe. Plusieurs fabricants allemands dont Binder et un français Froilabo à Meyzieu près de Lyon peuvent livrer des armoires de 300 à 700 litres à des prix avoisinant 10 000 €, difficile cependant à équiper tous les hôpitaux et pharmacies d’ici le printemps 2021.
Il faut donc penser à des containers ou coffres isothermes qui pourront conserver à basse température durant plusieurs jours les doses de vaccins. Une entreprise spécialisée Olivo en France fabrique des armoires et conteneurs isothermes transportables fonctionnant avec deux types de réfrigérants :
- les cartouches en polyéthylène avec un gel eutectique. Ce sont, suivant les températures visées entre -21°C et -50°C, des solutions salines (3) avec NaCl (-21°) ou CaCl2 (-51°) pouvant contenir plusieurs centaine ou milliers de doses.
- à glace sèche. Les conteneurs comportent une certaine quantité de CO2 solide en neige ou en bâtonnets, on sait qu’à la pression atmosphérique il se sublime sans fondre à -78°C en absorbant pas mal de calories.
Ces containers sont isolés par plusieurs couches de polystyrène expansé avec des coefficients de qualité isotherme de 0,40W/(m2.K) qui permettent de maintenir plusieurs jours des températures aussi basses et pouvant aussi se recharger en CO2 solide. C’est une des solutions qui est retenue pour transporter par avion les millions de doses avec cependant une contrainte de sécurité pour la manipulation en zone de stockage et dans les avions, la ventilation nécessaire pour ne pas accumuler le gaz carbonique au-delà de 8% dans l’air pour les employés et pilotes.
Un aspect qui est aussi important est la mise sous flacon car il semble que l’on ne pourra distribuer les vaccins que sous forme multi-doses. C’est pourquoi les usines du verrier allemand Schott et de la filiale SGD Pharma de Saint-Gobain tournent à bloc pour l’intense fabrication de tubes et flacons en verres borosilicatés (type Pyrex bien connu des chimistes) (4) pouvant bien tenir aux variations de température. Encore faudra-t-il les remplir c’est ce que fera Delpharm en Eure-et-Loir qui vient d’investir plusieurs millions d’euros pour une chaine de remplissage stérile spécifique pour les paramètres de froid, capable de traiter plusieurs dizaines de millions de doses fournies par les deux sites de BioNTech en Allemagne.
Espérons que les autres vaccins en développement permettront d’être conservés entre -5°C et 0°C, ce qui simplifierait la fabrication, le transport et la distribution. Les chiffres annoncés par les laboratoires et les états qui frisent au total de 5 à 10 milliards de doses en flux tendus pour la population mondiale avec la mobilisation de plusieurs milliers de Boeing 747 et des centaines de millions d’emballages donnent le vertige. Pour Sanofi la production de l’antigène a déjà démarré à Vitry sur Seine en R&D. Les usines dans le Rhône, en Allemagne en Italie et aux États-Unis sont prêtes à démarrer sitôt la phase 3 terminée et les autorisations délivrées, les capacités seraient de l’ordre du milliard par an.
Alors qu’en France la campagne de vaccination dès 2021 est programmée, penchez-vous sur les coulisses du chemin abrupt du labo à l’aiguille sur votre bras. C’est assez fantastique, non ?
Jean-Claude Bernier
Décembre 2020
Pour en savoir plus :
(1) Zoom sur les vaccins
(2) Un vaccin, oui, mais quel vaccin ?
(3) Pourquoi met-on du sel sur les routes lorsqu’il gèle en hiver ?
(4) Comment faire des vitres avec du sable ? La réaction de fusion du verre