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L’étiquette « zéro émission CO2e » est-elle usurpée pour les « wattures » ?

Si on reconnait l’évident avantage des voitures électriques à ne pas polluer les grandes villes (1) par l’émission de gaz à effet de serre (GES) par comparaison avec les voitures à moteur thermique, tout n’est pas aussi
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Si on reconnait l’évident avantage des voitures électriques à ne pas polluer les grandes villes (1) par l’émission de gaz à effet de serre (GES) par comparaison avec les voitures à moteur thermique, tout n’est pas aussi vert que ce que les constructeurs nous disent pour séduire nos élans de sauveurs de la planète.

Les constructeurs (et nous aussi !) ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête !

  • Obligation de ne produire que des véhicules électriques et d’arrêter les véhicules thermiques en 2035 (2)
  • Obligation assortie par Bruxelles de menaces de sanction financière à partir de 2025 pour tout gramme de CO2e par km excédentaire sortant de leur production, ce qui d’après les directeurs des grandes marques européennes se chiffrerait à plusieurs dizaines de milliards d’euros ! On comprend mieux la publicité pour ces véhicules (wattures) affichant « zéro CO2e/km » (i) pour convaincre ainsi Bruxelles de leur vert(u).

Une voiture électrique est-elle écologique ?

Réfléchissons un peu : prenons l’exemple d’une citadine moderne dotée d’une batterie lithium (3) NMC de 45 kWh.

Elle consomme environ 15 à 20 kWh/100 km si elle roule en France et si la recharge y a été faite. Comme notre mix électrique (à majorité nucléaire 75%, et hydroélectrique 15%) correspond à une émission de 50 g  CO2e/kWh, elle émet de façon indirecte entre 7,5 et 10 g  CO2e/km (ville, route, autoroute) et non zéro.

Si elle roule en Allemagne avec un mix électrique (à majorité gaz, pétrole et charbon, 61%…) correspondant à 350g CO2e/kWh, elle va émettre entre 50 et 70 g CO2e/km.  Je n’ose pas rouler en Hongrie ni en Chine où ma petite citadine dégagera entre 80 et 120 gCO2e/km, quasiment plus que son modèle thermique.

La publicité nous ment donc et j’approuve les associations de consommateurs à réclamer une meilleure information des acheteurs. D’autant que si nous nous penchons sur le cycle de vie (4) nous appuyons là où ça fait mal !

Imaginons que l’on conserve notre petite watture 16 ans (soit 2 fois 8 ans pour une durée raisonnable de la batterie) et que nous parcourions 10 000 km/an : en fin de vie, en France nous aurions émis entre 1,3 et 1,6 t CO2e. Comparons à l’émission de la même citadine thermique à la limite du malus (100 g/km) qui va émettre après 160 000 km 16 t de CO2e soit 10 fois plus. Il y a donc là un très large avantage à la voiture électrique.

Oui mais imaginons que la dépense énergétique pour fabriquer la caisse et les moteurs des deux exemplaires soit à peu près la même. Il faut y ajouter pour la « watture » la fabrication du pack de batteries. On estime qu’il faut pour sa fabrication de l’ordre de 12 000 à 15 000 kWh. Hélas la plupart des batteries sont fabriquées en Chine ce qui représente avec un mix de 550 g CO2e/kWh, 8,25 t CO2e qu’il faut ajouter aux 1,6 t soit 9,85 t à comparer aux 16 t de la citadine thermique. Ceci montre qu’en France on a intérêt à rouler en voiture électrique et, mieux encore si la batterie est issue d’une gigafactory qui se monte sur notre territoire car les 8,25 t chinoises maigriraient à 0,75 t. Cocorico vive le made in France.

Je vous laisse faire le calcul pour rouler et fabriquer en Allemagne ou en Tchéquie ou Hongrie, l’avantage s’amenuise beaucoup trop.

Quoi qu’il en soit en ajoutant la dépense de fabrication de la batterie notre « watture » est justiciable maintenant d’environ 60 g CO2e/km et non 0 g et on n’a pas pris en compte le remplacement possible du pack après 8 ans. Il est vraiment urgent que l’Etat et les constructeurs réforment l’étiquette énergie.

L’aspect économique et industriel

Á l’ouverture du Salon de l’Auto, l’industrie automobile Européenne est morose. La chute des ventes des voitures électriques en Allemagne suite à la suppression de la prime d’achat entraine une fermeture d’usines VW (une première depuis 1945). En France les ventes se tassent. Les grands PDG de Renault, Peugeot Stellantis, Volkswagen se demandent comment survivre. Car dans les ports européens arrive la déferlante chinoise, les marques BYD, MG Motor, Aiways, Leapmotor envahissent le marché européen avec des voitures électriques performantes et moins couteuses que nos modèles malgré le transport de plusieurs milliers de kilomètres. Les experts qui visitent les nouvelles usines autour de Shenzhen sont bluffés par l’armée de robots faisant virevolter les pièces et les plaçant avec précision avec quelques points de soudure. Ils sont aussi impressionnés par les presses de « gigacasting » moulant les carrosseries aluminium à haute pression. Si en 1970 les Chinois ont bien appris de l’expertise européenne des voitures et moteurs thermiques, depuis 2000 ce sont les européens qui doivent acquérir le savoir-faire chinois dans les voitures électriques et aussi dans la fabrication des packs de batteries. Car là aussi si les Européens et les Américains ont été les inventeurs des batteries lithium-ion, ce sont les Chinois qui sont devenus les maitres de la chimie des batteries NMC (Nickel, Manganèse, Cobalt) et maintenant des LFP (lithium, fer, phosphate) (5) comme CATL qui détient 38% du marché mondial. La firme chinoise consacre près de 5% de son budget à la R&D, les batteries au sodium et tout solide sont en préparation, d’où l’incertitude et l’attentisme qui gagnent les investisseurs des gigafactories européennes.

Votre mobilité personnelle

Adopterez-vous la mobilité électrique ? Une très intéressante étude de l’UFC Que Choisir (6) montre les avantages et désavantages des modèles électriques. Un prix 30% plus élevé que les modèles thermiques, mais une rentabilité économique championne si on dispose d’une prise « wall box » dans son garage avec un carburant EDF kWh Heures Creuses, à environ 0,20 €, ce qui met les 100 km à 3 € au lieu de 9 € pour la petite citadine-diesel. Malheureusement en ville, et dans les immeubles collectifs, rares sont les prises individuelles et là, comme sur autoroute les bornes affichent une moyenne de 0,60 €/kWh ce qui donne une dépense équivalente au thermique (9 € pour 100 km). De plus, pour les modèles d’autres segments - compacte, berline, SUV -  le poids intervient sur la consommation et des études comparatives mettent en évidence divers points de bascule de rentabilité de 60 000 à 100 000 km entre l’électrique et le thermique. L’entretien pour un véhicule électrique est plus simple car il y a moins de pièces en mouvement comme dans un moteur thermique. Il n’est pas moins couteux car on manque d’ouvriers qualifiés en électricité et électronique en ce domaine. Le fonctionnement complexe des batteries peut aussi donner lieu à quelques « bugs » et les spécialistes de dépannage manquent encore. Tesla a ses propres spécialistes, un réseau « Revolte » a formé plus de 200 spécialistes en France chez les concessionnaires, capables de tout réparer, chargeurs, logiciels, cartes électroniques, composants des batteries… Même après un accident.

Les prix élevés des modèles électriques la diminution ou la suppression des aides à l’achat expliquent la crise actuelle qui frappe l’automobile. Heureusement le Salon de l’Auto va montrer l’émergence de nouveaux modèles Renault R5 e-tech, Citroën ë-C3 à moins de 25 000 €. Le nombre de points de recharge a aussi atteint le chiffre de 140 000 en septembre 2024, avec une répartition très variable suivant les régions, mais on en programme un million pour 2035.

Avant tout achat, prenez le temps de la réflexion. Suis-je un petit ou un gros rouleur ? Ville, autoroute ? Quelle autonomie ? Quel segment d’automobile ? Quelle consommation moyenne en kWh ? Quelle émission de CO2e ? Puis je disposer d’une borne personnelle ?

Les associations de consommateurs appellent à une meilleure information, mais soulignent que la voiture électrique n’est pas la panacée. Elles pensent que les primes à la conversion seraient mieux utilisées par les pouvoirs publics à investir dans les transports collectifs. Elles citent l’effet de rebond en Norvège où les utilisateurs de véhicules électriques prennent de moins en moins les transports en commun.

Alors ? Achetez de bonnes chaussures, graissez votre bon vieux vélo, sachez que l’exercice physique est aussi bon pour vous comme pour la planète !

Jean-Claude Bernier
Octobre 2024

 

(i) (CO2e) pour CO2 équivalent, unité créée par le GIEC pour mesurer et comparer les effets climatiques d’un gaz à effet de serre, sachant que les différents gaz n’ont pas le même impact sur l’effet de serre et ont une durée de vie dans l’atmosphère différente.

Pour en savoir plus
(1) La mobilité urbaine, S. Delalande, Colloque Chimie et grandes villes, 9 novembre 2016
(2) La voiture intelligente (vidéo), F. Demerliac, collection Des idées plein la tech'
(3) Le lithium, un élément chimique indispensable pour notre mobilité actuelle, É. Bausson, fiche Chimie et... en fiche lycée (Mediachimie.org)
(4) Chimie pour un développement durable, Fédération française pour les sciences de la chimie (FFC)
(5) Un Nobel de chimie populaire, J.-C. Bernier, éditorial Mediachimie.org et Accumulateur « Lithium –Ion » : une révolution technologique portable ! (vidéo), R. Blareau et F. Brénon
(6) Véhicule électrique d’indispensables révisions sur l’information et le signal prix, UFC Que choisir

 

Crédit illustration : © Adobe Stock Patrick J.

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Colloque Chimie et eau - mercredi 6 novembre 2024

Réservez votre journée du mercredi 6 novembre 2024 pour participer au colloque accessible au grand public à la Maison de la Chimie.  Colloque Chimie et eau Mercredi 6 novembre 2024 Maison de la Chimie, 28 bis rue
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Réservez votre journée du mercredi 6 novembre 2024 pour participer au colloque accessible au grand public à la Maison de la Chimie.

 Colloque Chimie et eau
 Mercredi 6 novembre 2024

Maison de la Chimie, 28 bis rue Saint-Dominique, 75007 Paris

 

Depuis l’aube de l’humanité l’eau et la vie sont indissociables.

Aujourd’hui, les besoins en eau évoluent avec les modes de vie et, de façon différente, sur notre planète. Avec le changement climatique, le cycle de l’eau a lui aussi évolué. L’accès à l’eau, et encore plus à l’eau potable, est devenu un enjeu sanitaire et industriel et souvent même une source de tensions géopolitiques.

Il faut préserver la ressource en eau. La gestion de l’eau, sa qualité et les risques de pénurie sont devenus des enjeux majeurs pour les populations et les gouvernements Les industriels, notamment les industriels de la chimie, sont maintenant fortement mobilisés.

Les défis à résoudre sont nombreux, les problèmes sont multidisciplinaires, mais la place de la chimie est importante dans beaucoup des solutions actuellement mises en œuvre comme dans celles en cours de recherche et de développement. Nous avons dû limiter notre choix aux sujets qui nous semblaient actuellement les plus importants ou les plus innovants. Ils concernent l’identification et le traitement des micropolluants et des risques sanitaires, la gestion plus sobre des eaux industrielles, le recyclage et le traitement des eaux et boues usées, la préservation de l’humidité des sols, la capture de l’humidité atmosphérique…

Les conférenciers ont été choisis parmi les experts universitaires et industriels de ces domaines pour répondre avec rigueur scientifique et objectivité a ces questions qui préoccupent actuellement tous les citoyens et notamment les jeunes et leurs formateurs. Car la mise en œuvre des solutions nécessite une main d’œuvre multidisciplinaire bien formée et les choix d’orientation vers ces secteurs porteurs se font dès nos lycées de formation générale ou professionnelle.

Un temps sera consacré à de larges débats.

Danièle Olivier
Vice-Présidente de la Fondation de la Maison de la Chimie

 

En savoir plus

Inscription gratuite et obligatoire : INSCRIPTIONS

 

En attendant le colloque :

 

Conception graphique : CB Defretin | Images : Adobe Stock - © Kateryna Kordubailo - © Naknakhone - © Chinnapong - © Dr_Microbe - @TensorSpark -  MdBaki

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Un prix Nobel de chimie qui doit beaucoup à l’IA

Décidément la prestigieuse académie suédoise est séduite par l’intelligence artificielle. Après le prix Nobel de physique décerné à deux spécialistes des réseaux de neurones en électronique avancée, le prix Nobel de
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Décidément la prestigieuse académie suédoise est séduite par l’intelligence artificielle. Après le prix Nobel de physique décerné à deux spécialistes des réseaux de neurones en électronique avancée, le prix Nobel de chimie a récompensé des chercheurs qui se sont servis de l’intelligence artificielle pour transformer les recherches sur les structures tridimensionnelles des protéines. La moitié du prix a été décerné à 2 spécialistes, un anglais Demis Hassabis et un américain John Jumper qui appartiennent tous deux à l’entreprise Google DeepMind pour y avoir développé un programme d’IA nommé « AlphaFold » qui permet de prédire la structure complexe des protéines à partir de données sur des acides aminés. L’autre moitié du prix revient à David Baker, un biochimiste de l’université Washington à Seattle, qui réussit à concevoir des protéines entièrement nouvelles.

Ces découvertes ont une importance primordiale en biologie, car les protéines sont les molécules de la vie, elles sont dans les muscles qui nous donnent la force, dans les anticorps qui nous protègent des maladies et aussi dans celles qui lisent et copient l’ADN.

On se rappelle tous les études des structures par cristallographie à Grenoble à l ESRF ou à Saclay sur SOLEIL complétées par RMN, elles pouvaient prendre plusieurs mois. Ces travaux menés depuis plus de 40 ans dans tous les pays ont permis de nourrir une base de données internationale qui contient plus de 200 000 protéines avec leurs structure. C’est le fruit de plusieurs décennies de recherche, mais c’est encore peu en comparaison des 100 fois plus de protéines existant dans la nature.

Les protéines sont comme des chaines ou des colliers dont les maillons ou les perles sont des acides aminés. La façon dont elles s’enroulent est très importante, on parle de repliement de la protéine, qui lui donne ses propriétés. Avec le programme Alphafold en rentrant une séquence d’acides aminés, l’IA donne la structure tridimensionnelle de n’importe quelle protéine.

David Baker procède presque à l’inverse du programme Alphafold de ses collègues de Google Deepmind. On propose une structure 3D que l’on veut produire et son programme optimise la séquence d’acides aminées qui pourrait donner une protéine stable. C’est ainsi qu’il a développé une protéine nouvelle capable de bloquer la protéine Spike responsable du Covid-19. On voit là un champ immense qui s’ouvre pour la recherche de nouveaux médicaments en sachant l’importance des formes des récepteurs pour affuter des protéines sachant les copier afin d’annihiler les protéines dysfonctionnelles que nous avons dans notre corps lors d’une maladie.

La Fondation de la maison de la chimie avait déjà bien perçu l’importance de l’IA pour la chimie ; elle avait sensibilisé en février 2023 le grand public et les jeunes lycéens sur ce sujet brûlant au sein d'un colloque Chimie et Intelligence artificielle. Citons notamment les 2 conférences plénières de François Xavier Coudert, directeur de recherche CNRS, professeur attaché ENS – Université PSL, et de Carlo Adamo, Directeur Institute of Chemistry for Life and Health Sciences (i-CLeHS) – Chimie ParisTech, et la conférence de clôture de Cédric Villani, Université Lyon I, Institut des Hautes Études Scientifiques.

L’intelligence artificielle en recherche ne remplace pas le chercheur mais elle lui permet de manipuler des millions de données en un temps record c’est un accélérateur de découvertes !

Jean-Claude Bernier
Octobre 2024
 

Pour en savoir plus

Colloque Chimie et intelligence artificielle, Fondation de la maison de la chimie, février 2023, accès aux videos et articles des conférences sur Mediachimie.org
Concepts d’IA et Machine Learning ; utilisation en chimie ; les méthodes d’IA comme nouveau langage, François Xavier Coudert, article et vidéo, Colloque Chimie et intelligence artificielle, Fondation de la maison de la chimie, février 2023
L’Intelligence Artificielle comme moteur dans la recherche en chimie, Carlo Adamo, article et vidéo, Colloque Chimie et intelligence artificielle, Fondation de la maison de la chimie, février 2023
Intelligence artificielle pour la science et l’industrie, Cédric Villani, article et vidéo, Colloque Chimie et intelligence artificielle, Fondation de la maison de la chimie, février 2023
L'intelligence artificielle, un moteur dans la recherche en chimie !, Éric Bausson, Fiche Chimie et… en fiches lycée, Mediachimie.org

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Eau et innovation

Quoi de plus simple et anonyme que la molécule H2O, elle est pourtant vitale (1). Notre corps en contient plus de 65% soit 45 litres si vous pesez 70 kg. Sur notre bonne vieille planète l’eau est essentiellement sous
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Quoi de plus simple et anonyme que la molécule H2O, elle est pourtant vitale (1). Notre corps en contient plus de 65% soit 45 litres si vous pesez 70 kg. Sur notre bonne vieille planète l’eau est essentiellement sous forme d’eau salée, 97,5% (mer et océans), et l’eau douce ne représente donc que 2,5%. Mais seulement 30% de cette eau douce constitue les nappes phréatiques et les rivières, le reste étant sous forme de glace ou de neige.

En France ce sont des milliers de rivières, fleuves, cours d’eau et ruisseaux qui serpentent sur 500 000 km et sous nos pieds 2000 milliards de m3 sont stockés dans nos nappes phréatiques. Sans eau il n’y a pas de vie et on sait quel rôle essentiel elle joue dans notre alimentation, nos sources d’énergie (2) et notre industrie. Rien d’étonnant alors que les épisodes de sécheresses, de cumuls de précipitations, de pollutions, de pressions agricoles et urbaines trouvent de larges échos dans les médias et l’opinion. Pour répondre à ces problèmes y a t-il encore de la recherche sur les technologies liées à l’eau ? Essayons par trois exemples d’esquisser une réponse.

La lutte contre les espèces exotiques envahissantes

C’est un véritable fléau à l’échelle mondiale ! Ces espèces étouffent la vie aquatique, gênent l’écoulement dans les rivières et canalisations et sont sources de dégâts à l’environnement et de pertes économiques. Claude Grison et son laboratoire montpelliérain en étudiant des espèces comme la laitue de mer et la Jussie d’eau ont découvert qu’une bonne partie de la plante était au contraire capable de dépolluer l’eau (3). Transformées en fine poudre, elles sont des filtres très efficaces pour récupérer des métaux comme le palladium, le manganèse, le zinc et le nickel. Elles peuvent aussi être utilisées pour la récupération de polluants comme les herbicides.

La valorisation de ces découvertes est réalisée par une startup qui va transformer ces poudres gorgées de microparticules métalliques comme catalyseurs pour diverses réactions chimiques industrielles en remplacement de ceux issus des extractions minières. L’équipe de Montpellier espère avec ses partenaires industriels monter en puissance ces solutions de dépollution grâce à ces plantes envahissantes dont la croissance risque d’être accélérée par le changement climatique.

La pollution chimique organique

La chimie analytique a fait d’énormes progrès depuis 20 ans. Les procédés de séparation, d’extraction, et de caractérisation ; chromatographie inverse ou d’exclusion, spectrographies de masse… permettent d’identifier les polluants à des concentration très faibles comme le ppb (microgramme par kilo) et même moins. On est donc capable de caractériser les micropolluants (4) dans l’eau. Hélène Budzinski et son laboratoire de Bordeaux, l’EPOC, savent caractériser des milliers de molécules organiques. Mais d’après elle, alors qu’il y en a des millions, un enjeu de taille se dresse pour les chercheurs en chimie analytique : comment analyser ce qui n’est pas encore connu ! Ce projet novateur se fait en collaboration avec la régie de l’eau de Bordeaux (5). Il va demander de grands progrès méthodologiques de séparation et d’identification pour anticiper des actions sur des polluants potentiellement toxiques dont la recherche et l’analyse ne sont pas encore réglementées. Le challenge va aussi plus loin car on peut observer des effets sur la santé, la faune, l’environnement sans identifier les polluants et l’inverse est aussi possible. Un pesticide n’est peut-être pas en cause puisque l’effet escompté n’est pas constaté mais le mélange avec d’autres herbicides par un effet cocktail peut être impactant. S’y ajoutent des conditions environnementales, pH, température, turbidité… qui peuvent intervenir. Le projet de recherche mené par le CNRS, la régie de l’eau et l’office français de la biodiversité va essayer de caractériser par la chimie couplée à des bio-essais l’impact de rejets dans un affluent de la Garonne.

La prédiction des ressources et de la consommation

La recherche d’une meilleure qualité de l’eau au robinet c’est bien, mais la disponibilité de la ressource, son usage, sont aussi pour les collectivités locales une préoccupation constante (6). On l’a vu cet été lors du stress hydrique de certains départements et villes du sud de la France. C’est ainsi qu’un laboratoire de Mathématique du CNRS à Nice travaille avec la régie Eau Azur sur un projet complexe. Comment modéliser la prévision des demandes en eau des usagers au moins trois semaines à l’avance et aussi en amont prévoir le niveau des nappes phréatiques sur plusieurs mois.

Un premier modèle s’appuyant sur des méthodes statistiques classiques et sur un traitement des données par intelligence artificielle fournit des prévisions à six jours encore loin des six mois ! Mais il y a un réel intérêt scientifique à développer un outil mathématique de pointe pour traiter un sujet concret et utile. Le problème est bien sûr les prédictions météorologiques aléatoires qui influencent les niveaux des nappes. Mais la prédiction du stock disponible et du prélèvement permettra d’arrêter ici les pompes, là de les conserver, sans risques de pannes et des couts associés à ces défaillances et aux réparations. L’objectif pour les collectivités locales est de mieux gérer l’eau actuelle et future, prévoir la demande et dimensionner de nouveaux réservoirs si nécessaire.

En France la recherche dans la filière eau rassemble plus de 200 laboratoires et près de 3000 personnes à travers le CNRS, le BRGM, l’INRAE et plusieurs universités (7). Il s’agit d’accroître les connaissances sur les polluants, leur détection et leur élimination, les risques naturels, inondations et sécheresse, la valorisation des eaux usées, les réseaux de distribution intelligents, les nouveaux matériaux d’infrastructure de canalisation et les accès aux ressources. Le PEPR (Programme et équipements prioritaires de recherche) « One water - eau bien commun » financé sur 10 ans accélère la recherche académique et industrielle en ce domaine. Il sera décrypté lors du colloque « chimie et eau » du 6 novembre prochain.

Jean-Claude Bernier
Septembre 2024

Pour en savoir plus
(1) L’eau, une ressource essentielle à la vie, D. Soissons, dossier Nathan / Fondation de la Maison de la Chimie (Mediachimie.org)
(2) L’eau et l’énergie sont-elles dépendantes ?, A. Charles, N. Baffier et J.-C. Bernier, fiche Chimie et… cycle 4 (Mediachimie.org) et Pourquoi économiser l’eau potable est-il aussi source d’économie d’énergie ? F. Brénon et O. Garreau, Question du mois (Mediachimie.org)
(3) Zoom sur la phytoremédiation des métaux lourds, J.P. Foulon, Zoom sur… (Mediachimie.org)
(4) L’eau, sa purification et les micropolluants, M. Coquery et S. Martin Rue, in Chimie et nature (EDP Sciences) 2012, isbn : 978-2-7598-0754-3
(5) La bataille de l’eau propre, C. Agouridas, J.-C. Bernier, D. Olivier et P. Rigny, in La chimie et la sécurité des personnes, des biens, de la santé et de l'environnement, collection Chimie et... Junior, EDP Sciences, Fondation de la Maison de la Chimie
(6) L’eau ressource indispensable pour la ville, A. Charles, A.Harari et J.-C. Bernier, fiche Chimie et… cycle 4 (Mediachimie.org)
(7) Les chimistes dans les métiers de l’eau, F. Brénon et G. Roussel, série Les chimistes dans (Mediachimie.org)

Crédits :
- Figure : répartition de l'eau sur Terre. DR.
- Illustration : Goutte d’eau, José Manuel Suárez/Wikimedia Commons CC BY 2.0

- Question du mois
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Qu’est-ce que le biogaz ou biométhane ?

Le méthane, CH4, est le principal constituant du mélange gazeux d'hydrocarbures, appelé gaz naturel, qui s’est formé par sédimentation et décomposition de matières organiques sur des millions d’années aussi bien dans des
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Le méthane, CH4, est le principal constituant du mélange gazeux d'hydrocarbures, appelé gaz naturel, qui s’est formé par sédimentation et décomposition de matières organiques sur des millions d’années aussi bien dans des terrains sédimentaires qu’au fond des océans. Il fait ainsi parti des énergies fossiles et est très largement utilisé à des fins énergétiques (centrales thermiques, carburant...).

C’est aussi l'hydrocarbure le plus abondant dans l'air, car il est produit naturellement, en particulier dans les zones humides : gaz des marais, responsable de la formation des feux follets, qui terrifiaient nos ancêtres il n'y a pas si longtemps. C’est en étudiant ce gaz des marais que Alessandro Volta (celui qui a inventé la pile voltaïque) l’a découvert en 1776 (1).

Le méthane est produit par fermentation anaérobie (i), de la matière végétale grâce à divers micro-organismes.

En mimant la nature, il peut aussi être produit volontairement à partir de déchets organiques dans des installations spéciales de méthanisation, allant d’unités de petites tailles « à la ferme » jusqu’à des usines. On est donc ici dans un processus de renouvelabilité. C’est ainsi que le méthane issu de ces procédés est appelé « biogaz » ou « biométhane ».

Historique

Le principe de gestion des déchets apparaîtra en France au XVIe siècle, lorsque François Ier démocratise l'emploi des paniers pour récupérer les déchets ménagers. En 1883, le préfet de la Seine Eugène Poubelle (2) invente le célèbre récipient qui porte encore son nom. En 1922, à l'initiative de la ville de Paris, est créée la société TIRU (3), qui, après la loi « Grenelle 1 » (4), et la reprise par le groupe Paprec, devient une société qui conçoit, construit et exploite des unités de valorisation des déchets, en particulier par méthanisation.

Comment est gérée la méthanisation (5) ?

Selon l'arrêté du 23 novembre 2011 (modifié par l'arrêté du 24 juin 2014) (6) fixant la nature des intrants dans la production de biométhane pour l'injection dans les réseaux de gaz naturel, peuvent être méthanisés des déchets : agricoles (fumier, lisier, sous-produits animaux, résidus de cultures…), de l'industrie agroalimentaire (fruits et légumes, déchets d'abattoirs…), urbains (biodéchets ménagers triés, ou issus de la restauration collective, des grandes et moyennes surfaces, déchets verts, boues de stations d'épuration…), et industriels (eaux de lavage de procédés industriels, boues industrielles, graisses…).

Depuis le 1er janvier 2016, conformément à la loi Grenelle II (ii), les entreprises et les professionnels de la restauration doivent traiter leurs biodéchets s’ils en produisent plus de 10 tonnes/an et ainsi éviter la mise en décharge, aboutissant à un tassement, donc à un milieu anaérobie, producteur de gaz à effet de serre (dont surtout le méthane !). À l’horizon 2025, dans le cadre de la loi de transition énergétique, l’intégralité des biodéchets en restauration devra être triée à la source, y compris ceux des ménages (7).

Comment s'obtient ce biométhane ?

Les déchets fermentescibles sont stockés dans une cuve cylindrique et hermétique que l’on appelle « digesteur » ou « méthaniseur » dans laquelle ils sont soumis à l’action de micro-organismes (bactéries) en l’absence d’oxygène. Les réactions biologiques mises en jeu par la méthanisation sont complexes, mais globalement on repère trois grandes étapes : l’hydrolyse et l’acidogénèse où les chaînes organiques complexes (protéines, lipides, polysaccharides) sont transformées en composés plus simples (acides gras, peptides, acides aminés) suivi de l’acétogénèse où les produits de l’acidogénèse sont convertis en acide acétique et enfin la méthanogénèse où l’acide acétique est transformé en méthane et en gaz carbonique.


Schéma explicatif du processus de méthanisation (©Connaissance des Énergies)
Source https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/methanisation

Le processus produit deux sortes de composés, le Biogaz et le Digestat. Le processus produit aussi des CSR, Combustibles Solides de Récupération, utilisables en cimenterie. Le biogaz, appelé Biométhane après purification et odorisation , est envoyé dans les réseaux et sert à produire de l'énergie pour les usages industriels, domestiques, ou comme carburant (il est alors appelé GNV (iv)(v)). Le digestat peut lui aussi être utilisé, sa partie liquide, riche en azote sous forme ammoniacale comme engrais, et la partie solide comme amendement des sols qu'il enrichit et restructure (compost).

Ce processus peut aussi être réalisé dans les exploitations agricoles où il permet d'éviter l'émission libre de méthane dont l'effet de serre, 25 fois plus puissant que celui du dioxyde de carbone, le rend dangereux pour l’environnement.

Bénéfices pour l'environnement

La valorisation énergétique des déchets joue un rôle important dans la mise en œuvre de la transition énergétique et écologique de notre pays à double titre : en tant que solution de traitements des déchets, complémentaire du recyclage ; dans une logique de souveraineté et d’élargissement du mix énergétique.

Déjà, l’incinération avec récupération d'énergie entraîne une économie significative de combustibles fossiles (gaz, fioul, charbon…). Elle permet, par la vente de l'énergie, de diminuer d'au moins 20 % le prix de traitement des déchets urbains. Elle réduit de 90% le volume et de 70% la masse des déchets. Mais elle entraîne un dégagement de CO2.

Mais l’intérêt de la méthanisation est de pouvoir faire une double valorisation :

  • une valorisation matière via la production du digestat : 90% des matières entrantes seront transformées en engrais organique, local et renouvelable, qui permet de remplacer les engrais minéraux actuellement utilisés, dont la synthèse implique des énergies fossiles et l'importation de composés comme les phosphates, ou la potasse, coûteux.
  • une valorisation énergétique via la production du biogaz : 10% des matières entrantes sont transformées en biogaz renouvelable, en remplacement de gaz fossile importé.

Les déchets organiques sont en effet une matière parfaitement recyclable, dont notre agriculture a besoin, et qui ne doivent plus être jetés en mélange avec les déchets ultimes : leur tri à la source, pour produire du compost ou du digestat utilisés pour fertiliser les champs, évite leur gaspillage et des importations et augmente le taux de valorisation des déchets non dangereux. Leur valorisation en méthanisation participe à la production d'énergie renouvelable.

Développement de la méthanisation

L'Europe est la principale zone de production de biogaz par méthanisation. Le processus se développe d’abord en Allemagne et en Italie, puis en France.

Selon le Commissariat général au développement durable, le nombre d'installations de sites d'injection de biométhane en France, de 1 en 2011, 17 en 2015, 214 en 2020, 551 en 2023 devrait continuer à fortement augmenter dans les prochaines années, au regard des nombreux projets en cours et au fort potentiel de la filière (7000 sites prévus en 2050).

Mais il faut rester vigilant quant à l'utilisation des « cultures énergétiques » (8). En effet, les possibles changements d’usage des terres et/ou des systèmes de production pour assurer l’alimentation du méthaniseur, production de cultures dédiées sur des terres anciennement dédiées à la production alimentaire (terres arables ou prairies) ; modification des successions de cultures pour maximiser l’insertion de cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) peuvent conduire à une possible compétition avec l'alimentation, d'où un impact sur les volumes et les prix, voire une annulation de l'intérêt climatique de la méthanisation.

Par exemple, en Allemagne la politique publique a favorisé un fort développement des surfaces en maïs pour l’alimentation des méthaniseurs, en partie au détriment des surfaces en prairies. L'Italie a tendance à suivre ce modèle, mais de façon plus modérée, grâce à des fermes diversifiées.

Nicole Moreau et l’équipe question du mois
 

(i) anérobie = sans oxygène. Le contraire est aérobie
(ii) directive mise à jour en décembre 2023 https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/biodechets
(iii) Quel que soit le procédé, le traitement comprend au moins les 3 étapes : désulfurisation, qui enlève le SH2; déshydratation, qui enlève l'eau; décarbonation, qui enlève le CO2.
(iv)Tout gaz injecté dans le réseau de distribution doit posséder une odeur suffisamment caractéristique pour qu'une fuite puisse être immédiatement perceptible. On ajoute au biogaz un liquide incolore à l'odeur caractéristique, le tétrahydrothiophène (THT), à hauteur de 15 à 40 mg/m3.
(v) GNV = Gaz Naturel pour Véhicules, et les véhicules l'acceptant.
 

 

Pour en savoir plus
(1) Volta sur Wikipédia
(2) Poubelle sur Wikipédia
(3) Histoire de la société TIRU
(4) Le Grenelle de l'environnement : quels engagements ? sur le site Vie-publique.fr
(5) FNADE Fédération nationale des activités de dépollution et de l'environnement
(6) Arrêté du 23 novembre 2011 fixant la nature des intrants dans la production de biométhane pour l'injection dans les réseaux de gaz naturel sur le site Legifrance.fr
(7) Biodéchets sur le site écologie.gouv.fr du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires
(8) Effet de la méthanisation sur l’usage des sols et les systèmes de production PDF - F. Levavasseur, L. Boros, M. Carozzi, R. Girault, L. martin, P. Martin et S. Houot HAL open science,  Effet de la méthanisation sur l'usage des sols et les systèmes de production (PDF), Florent Levavasseur, Léa Boros, Marco Carozzi, Romain Girault, Lucie Martin, et al., Webinaire CLIMAE « Quel impact de développement des énergies renouvelables sur l'usage des sols agricoles », Métaprogramme CLIMAE, May 2023, En Ligne, France. ⟨hal-04262845⟩