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La chimie peut vous sauver la peau

C’est la période des grandes migrations. Paris et les grandes métropoles vont se vider et l’A7 et l’A10 vont nous montrer leurs périodiques bouchons. Vous allez profiter de la mer, de la montagne, de l’air non pollué
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C’est la période des grandes migrations. Paris et les grandes métropoles vont se vider et l’A7 et l’A10 vont nous montrer leurs périodiques bouchons. Vous allez profiter de la mer, de la montagne, de l’air non pollué et… du soleil. Comme il risque cette année de se montrer très généreux, faites attention à votre exposition et prenez un certain nombre de précautions. La chimie est là pour vous protéger.

Les rayons du soleil nous envoient une lumière avec un spectre de longueurs d’ondes très large allant de l’infrarouge aux ultraviolets (1). Ce sont ces derniers qui sont les plus dangereux pour la peau. Les UVC (100 à 280 nm) sont arrêtés dans la stratosphère par l’ozone (2) qui joue un rôle de barrière. Les UVB (280 à 315 nm) sont arrêtés par la peau au niveau de l’épiderme. Ils peuvent causer des coups de soleil et favorisent l’apparition de cancers de la peau, mais ils contribuent à la synthèse de la vitamine D. Les UVA (315 à 400 nm), les plus « durs », pénètrent jusqu’au derme et vont accélérer le vieillissement cutané. Ils peuvent provoquer des stress oxydants aigus (3) et entrainer mélanomes et cancers de la peau. 95% des UV qui traversent la couche d’ozone sont des UVA, le reste des UVB.

Pour vous protéger de ces UV on recommande d’appliquer généreusement les crèmes solaires (4) qui comportent des filtres solaires organiques ou minéraux. Plusieurs molécules telles les butyl méthoxydibenzoylméthane ou les bis-ethylhexyloxyphenol methoxyphenyl triazine absorbent en se transformant les UV. D’autres oxydes minéraux comme l’oxyde de titane (TiO2) (5) ou l’oxyde de zinc (ZnO) arrêtent et réfléchissent ces UV en laissant parfois des traces blanches sur la peau qui identifient leur protection.

N’hésitez donc pas à utiliser les crèmes solaires avant de vous exposer au soleil, que ce soit pour une séance farniente, du sport ou une balade. Consultez les indications figurant sur le tube ou le flacon. L’IP ou indice de protection, parfois noté SPF (Sun Protection Factor), va de 6 ou 10 pour une faible protection à 30 ou 50 pour une forte protection ou même 50+. Pour l’indice 10 cela signifie que c’est 1/10 du rayonnement UVB qui est transmis, pour l’indice 50 c’est 1/50 soit 2% des UVB qui atteignent la peau. Pour les UVA on admet que la protection est le tiers de celle des UVB.

Le problème est que la plupart des vacanciers au soleil ne connaissent pas leur taux d’exposition aux UV et donc le moment où il faut se protéger ou renouveler la protection.

C’est encore grâce à la chimie des encres polymères qui permettent de fabriquer des circuits électroniques imprimées (6) que le problème est maintenant en partie résolu. Après le patch « My UV » en 2016 qui, appliqué sur la peau, changeait de couleur en fonction de l’exposition et, après photo via une application sur smartphone (7), donnait le taux d’UV, L’Oréal a lancé l’an passé « UV Sense » un capteur d’UV connecté et sans batterie commercialisé cette année par La Roche-Posay. Ce dispositif de moins de 2 mm d’épaisseur et de 9 mm de diamètre se colle sur l’ongle du pouce. Il comporte un condensateur, des LED, un capteur et un circuit électronique imprimé (PCB – printed circuit board) flexible. Sensible aux UV il peut donner en temps réel l’évolution d’exposition et la garder en mémoire jusqu’à trois mois. Il suffit à l’utilisateur d’indiquer dans l’application disponible sur iOS et Android son phototype (blond aux yeux bleus et carnation claire ou noir aux yeux marron et peau mate) (8) pour recevoir et lire les recommandations personnalisées. Le design de la petite pastille a été particulièrement bien étudié et plait esthétiquement. Selon une étude auprès des consommateurs, plus de 35% d’entre eux appliquent plus souvent la crème solaire ou restent davantage à l’ombre. Si cette innovation permet de bloquer l’augmentation des cas de mélanomes, voilà une bonne contribution au bien-être estival.

Jean-Claude Bernier et Catherine Vialle
Août 2019

Pour en savoir plus
(1) Spectre et composition chimique du soleil (vidéo)
(2) Chimie atmosphérique et climat
(3) L’homéostasie redox de la peau et sa modulation par l’environnement
(4) Un exemple de composé chimique bénéfique à la santé de la peau : la crème solaire
(5) Les enjeux de la vectorisation et de la pénétration transcutanée pour les actifs cosmétiques
(6) La chimie des écrans souples (Chimie et… junior)
(7) Exploser un smartphone (Chimie et… junior)
(8) Les enjeux de la cosmétologie
 

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Un physico-chimiste médaille d’or du CNRS

Thomas Ebbesen, professeur à l’université de Strasbourg, vient de se voir décerner la médaille d’or 2019 du CNRS, l’une des plus prestigieuses récompenses scientifiques françaises. C’est au Japon lorsqu’il travaillait
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Thomas Ebbesen, professeur à l’université de Strasbourg, vient de se voir décerner la médaille d’or 2019 du CNRS, l’une des plus prestigieuses récompenses scientifiques françaises. C’est au Japon lorsqu’il travaillait pour la société NEC en 1988 qu’il mène des recherches sur les nanomatériaux (1) à base carbone : d’abord les fullerènes (2), ces arrangements d’hexagones de carbone C60 ressemblant à de micro-ballons de football, puis il met au point les nouvelles synthèses des nanotubes de carbone (NTC) (3) et commence des travaux sur le graphène (4). Il met en particulier en évidence un état supraconducteur (5) à 33 K pour un C60 dopé au rubinium.

Ce n’est qu’après 1998 qu’il rejoint Strasbourg à l’Institut de science et d’ingénierie supramoléculaire (ISIS) dirigé alors par J.-M. Lehn. Il poursuit alors en France ses recherches commencées au Japon sur l’interaction lumière–matière (6) et « la transmission extraordinaire » ou comment faire passer de la lumière à travers une plaque métallique. « Physicien de l’impossible », il montre la possibilité de transmission de la lumière à travers de nano-trous du métal, dont la dimension est inférieure à la longueur d’onde du rayonnement. Cette découverte donnera lieu à deux publications fondatrices où il montre l’influence des plasmons de surface, ou capture d’une onde par une surface. Ces publications seront citées des milliers de fois.

Après 2012 Thomas Ebbesen se lance sur un « nouveau terrain de jeu », celui de la chimie polaritronique. S’inspirant des travaux théoriques de Serge Haroche et de Claude Cohen-Tanoudji sur les cavités quantiques, il arrive avec son équipe à changer les propriétés des molécules en les enfermant dans une cavité nanométrique entre deux plaques miroirs et en ajustant très précisément l’espace entre ces plaques dans un environnement électromagnétique - il faut réaliser que cet espace doit être de quelques nanomètres c’est-à-dire 1000 fois plus petit que l’épaisseur d’un cheveu. Il y alors échange mécanique de la molécule en résonance avec la cavité et échanges de photons virtuels. Sont alors créés ce qu’on appelle des états hybrides lumière–matière, dits états « polaritoniques ». Le plus surprenant est alors que l’on peut modifier ou exalter une réaction chimique dans ces conditions, des essais ont été réalisés avec des semi-conducteurs organiques, des enzymes, des systèmes biologiques. C’est une « chimie résonante ». Et plus qu’étonnante car Il y a cinq ans, les éditeurs scientifiques étaient incrédules et pensaient qu’il s’agissait de science-fiction. En 2019, avec les résultats qui s’accumulent, sa découverte suscite de nombreuses études théoriques et expérimentales.

Actuellement, Thomas Ebbesen, après avoir dirigé l’ISIS, est directeur de l’Institut d’études avancées de l’université de Strasbourg (USIAS). Il a déjà reçu de nombreux prix prestigieux dont en 2018 le Grand prix de la Fondation de la maison de la chimie pour ses recherches. Elles récompensent un chercheur imaginatif, aventureux, pluridisciplinaire et éminemment sympathique.

Jean-Claude Bernier et Catherine Vialle
Juillet 2019

Pour en savoir plus
(1) Colloque chimie, nanomatériaux, nanotechnologies 7 novembre 2018
(2) Les fullèrenes
(3) Nanotubes et nanofilaments de carbone
(4) Le graphénomène
(5) Les matériaux stratégiques pour l’énergie
(6) Emettre de la lumière grain à grain : échange quantique d’énergie (vidéo)

 

Image : © C. SCHRÖDER/UNISTRA

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Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Alors que le 53e salon de l’aéronautique et de l’espace (1) vient d’avoir lieu au Bourget on peut rappeler que le premier salon en 1908 s’était tenu à Paris au Grand Palais sous l’égide de l’Automobile club. Ce
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Alors que le 53e salon de l’aéronautique et de l’espace (1) vient d’avoir lieu au Bourget on peut rappeler que le premier salon en 1908 s’était tenu à Paris au Grand Palais sous l’égide de l’Automobile club. Ce rapprochement initial entre l’avion et l’auto semble à nouveau se réaliser en 2019. On voit en effet Airbus s’allier à Audi et Renault et expérimenter deux « taxis volants » City-Airbus et Vahana et par ailleurs plusieurs constructeurs de nouveaux hélicoptères se lancent dans l’exploitation de lignes taxi reliant le centre-ville aux aéroports des mégapoles.

Plusieurs raisons expliquent ces convergences :

  • la croissance du trafic qui, selon l’IATA, devrait doubler d’ici 2040 et atteindre plus de 8 milliards de passagers avec une croissance annuelle de 4,5% nécessitant 37 000 avions pour Airbus et 42 000 pour Boeing. En conséquence, les procédés de fabrication et de montage des appareils devront mieux s’automatiser comme sur les chaines des constructeurs d’automobiles.
  • une sécurité de plus en plus accrue, avec des commandes électriques nombreuses sûres et intelligentes. Cette évolution a été suivie par les équipementiers automobiles dont les véhicules électriques sont quasi prêts à la conduite autonome. Le développement du trafic va aussi conduire à une pénurie des pilotes dont les compagnies estiment le besoin entre 500 000 et 700 000 d’ici vingt ans. Sans évidemment passer par « zéro pilote dans l’avion », passer de 2 à 1 pour les moyen-courriers et de 5 à 2 pour les long-courriers avec des algorithmes de pilotages plus automatiques serait source d’économie financière et de formation.

Il est déjà vrai que le secteur aérien est devenu de plus en plus sûr grâce aux améliorations technologiques et à l’informatisation des commandes. Les risques et accidents ont été divisés par 8 ces 30 dernières années (avec cependant l’exception du Boeing 737 max) alors que le trafic a été multiplié par 4. L’apport de l’intelligence artificielle comme pour l’automobile devrait encore améliorer la sécurité.

Mais voilà que s’invite dans ce ciel bleu un nuage noir venu de Suède le « flygskam » ou « la honte de prendre l’avion » pour des raisons écologiques (2). En effet le prix à payer en équivalent CO2 du km passager en avion est largement prohibitif. L’exemple de Paris-Lyon, 2 heures en TGV 1,5 kg équivalent CO2, 5 heures en voiture et 80 kg équivalent CO2, 1 heure en avion et 97 kg équivalent CO2, montre une facture carbone élevée. C’est pourquoi un mouvement gagne la France, via la Scandinavie, les Pays-Bas et la Belgique, où certains citoyens souhaitent ne plus prendre l’avion pour des vols intérieurs européens et préférer le train. L’objection contraire la plus souvent observée est la durée du voyage et son prix. L’exemple du Paris Londres en avion 1h05 et 58€ ou par le Thalys en 2h28 et 157 € est démonstratif. Il faudrait donc que les sociétés de chemin de fer et les États fassent baisser le prix du rail et taxent les airs pour encourager ces comportements.

D’autres solutions sont possibles (3). Déjà un logiciel utilisé par deux compagnies permet d’optimiser les trajets pour les long-courriers et les approches des aéroports, entrainant une économie de 20 à 30% de kérosène. De nouveaux moteurs, tels ceux de Safran équipant les nouveaux appareils, sont robustes et économes (4). L’allègement des structures en passant des métaux aux matériaux composites a drastiquement diminué les consommations (5). On se rappelle « Solar impulse » et ses multiples innovations en chimie : cet avion a fait le tour du monde grâce à l’électricité (6), sans une goutte de carburant, et a ouvert le champ de recherche de la propulsion électrique (7). Même si actuellement on bute encore sur le verrou technologique du ratio énergie stockée / poids des batteries, on devrait à l’avenir rendre possible au moins les appareils hybrides pouvant parcourir une partie du trajet avec des hélices mues par des moteurs électriques à coté de moteurs thermiques classiques. À l’heure actuelle les packs de batteries ion-lithium (8) permettent déjà sur le tarmac des roulages et manœuvres au sol économes et plus silencieuses. Il reste enfin la possibilité d’utiliser grâce à la chimie du kérosène issu de la biomasse, soit des algocarburants issus des microalgues (9) soit des biokérosènes venant des huiles végétales par le procédé Vegan (HVO - Hydrotreated Vegetable Oil) mis au point par l’IFPEN et utilisé par TOTAL à la raffinerie de la Mède (10).

Je ne sais pas si vous vous priverez de vacances au soleil au Maroc aux Baléares ou pire à la Réunion pour ne pas augmenter votre empreinte carbone. Pour que vous n’ayez pas trop de honte à prendre l’avion on peut rappeler que les milliers de participants à la COP 24 à Katowice en décembre 2018 ont généré 55 000 tonnes de CO2, soit l’équivalent de l’empreinte carbone de 4600 Français en un an !

Jean-Claude Bernier
Juin 2019

Pour en savoir plus
(1) Colloque la chimie, l'aéronautique et l'espace
(2) Atmosphère ! Atmosphère ! Alerte !
(3) Demain, l’aviation plus verte et plus autonome
(4) Les défis matériaux et procédés pour les équipements aéronautiques
(5) Les nouveaux matériaux composites pour l’aéronautique
(6) Solar impulse 2 et la chimie
(7) Sur les ailes de l’avion solaire (vidéo)
(8) Le transport ou le stockage de l’énergie électrique
(9) Zoom sur la valorisation des algues
(10) Polémiques dans le monde des biocarburants
 

Image : Wikimedia / Julian Herzog. Licence CC-BY 4.0

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Les prix dissuasifs à la pompe annoncent-ils l’après-pétrole ?

Dans les années 1970 après le choc pétrolier, les prévisionnistes auguraient du « peak oil » (pic pétrolier) qui marquerait le moment où la production mondiale plafonnerait avant de diminuer en raison de l’épuisement des
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Dans les années 1970 après le choc pétrolier, les prévisionnistes auguraient du « peak oil » (pic pétrolier) qui marquerait le moment où la production mondiale plafonnerait avant de diminuer en raison de l’épuisement des réserves mondiales. Cinquante ans après, alors que l’exploitation des huiles de schistes (1) américaines est passée par là, l’horizon du pic pétrolier a bien reculé, d’autant que les découvertes de gisements géants en Afrique, à Bahreïn, en Afrique subsaharienne, en Chine, en Alaska… se chiffrent à plus de 200 milliards de barils *.

En 2019, les prévisionnistes parlent maintenant d’un « peak oil demand » (pic de la demande pétrolière), c’est-à-dire que la consommation en pétrole diminuera avant que la production ne décroisse. Ainsi, la consommation, notamment en Europe, est de plus en plus sensibilisée par les alertes alarmistes sur le climat, les GES (gaz à effet de serre), les particules fines, la pollution et aussi par le prix des carburants à la pompe, ce qui nous incite à la diminution de l’usage des ressources fossiles.

Des faits et comportements nouveaux apparaissent. Alors que près de 60% du pétrole est encore consommé au niveau mondial par les véhicules particuliers et les transports (dont un peu moins de la moitié par nos véhicules particuliers et un peu plus par les autres transports), plusieurs pays annoncent la fin des véhicules thermiques d’ici 2040. Déjà, la réglementation européenne Euro 6 impose aux constructeurs des normes drastiques de consommation les obligeant à des prouesses techniques de « downsizing ** » et la mise sur le marché d’un nombre croissant de véhicules électriques (2). Certains gouvernements (France, Danemark) ne délivrent plus de permis d’exploration exploitation du pétrole sur leur territoire.

Même les compagnies pétrolières se diversifient en privilégiant d’abord le gaz, puis les énergies renouvelables (3). Shell annonce devenir un des premiers fournisseurs d’électricité. Total a racheté le fabriquant de batteries Saft (4) et vient d’investir sur l’emplacement de son ancienne raffinerie de Grande-Synthe les infrastructures test du projet BioTfuel destiné à l’élaboration de biocarburants de seconde génération à partir de biomasse lignocellulosique (5). Ceci-dit, même si en Norvège 60% des véhicules neufs sont électriques, il n’y a au monde en 2018 que 2,7 millions d’automobiles électriques sur le milliard de véhicules en circulation. Le calcul montre que l’électrification complète du parc mondial des véhicules particulier n’économiserait que 18 millions de barils/jour sur les 100 millions barils/jour actuels.

Pour la chimie et notamment la pétrochimie, les prévisions sont plus difficiles et suivant les agences intergouvernementales les chiffres varient. À partir du pétrole on extrait un certain nombre de produits :

  • en tête de colonne d’abord le méthane pour le formaldéhyde et l’hydrogène,
  • puis le butadiène pour les caoutchoucs, l’éthylène, le propylène, le butadiène pour les plastiques, les engrais et mousses isolantes,
  • viennent ensuite les aromatiques pour les polyesters, les polystyrènes et les produits de base pour les médicaments,
  • enfin les huiles et produits lourds.

Toutes ces fabrications utilisent environ 13% du pétrole, part qui pourrait monter à 22%, voire doubler, d’ici 2040 sans régulation comme par exemple l’interdiction mondiale des objets en plastique à usage unique et l’obligation planétaire du recyclage (6).

Pour les bâtiments, l’isolation et la réglementation thermique de la très basse consommation (BBC) va entrainer une baisse de la consommation du gasoil que l’on estime de l’ordre de 70 millions de TEP d’ici 2040.

La chimie verte aura aussi sa part dans l’économie des ressources carbonées fossiles. Arkema, par exemple, investit des centaines de millions en Asie pour sa 4e usine de polyamide fabrication à base de plante de ricin (7). La chimie végétale comme la chimie durable entrainera une baisse de la consommation d’énergie, de solvants et de déchets. Les procédés biotechnologiques se sont développés par crainte du manque de ressources fossiles mais aussi au début de notre décennie à l’approche de la barre des 120 $ le baril. Les procédés de fermentation bactérienne des sucres, des déchets végétaux et du bois pour la production d’isobutène matière première pour le caoutchouc et les plastiques ont été multipliés par des start-ups et les investissements de grands groupes, mais la chute du baril à 60$ a aussi fait chuter les espoirs des industriels confrontés à la concurrence et la compétitivité des mêmes produits issus de la pétrochimie (8). En Europe, on estime que les produits biosourcés, bien que ne représentant en 2019 que 3% du total des produits chimiques, ont un réel potentiel de progression. La condition est d’une part qu’ils présentent de meilleures propriétés et d’autre part de trouver des créneaux comme l’alimentation et la cosmétique où les consommateurs et les grandes enseignes demandent plus de « naturalité ».

Il est clair que toutes ces évolutions feront baisser les besoins mais il reste à prévoir la date à laquelle la courbe de consommation s’inversera et le « pic oil demand » interviendra. Les cabinets d’experts qui partagent cette analyse donnent une fourchette assez large : 2030 pour BP, 2050 pour l’AIE (agence internationale de l’énergie) avec des valeurs de production de 150 millions de barils/jour. Alors oui, au Japon la consommation stagne, l’Europe a réduit sa consommation de 4% en 5 ans mais le reste du monde l’a augmentée de 16%. L’accès à l’énergie, même chère, de plus de 5 milliards d’humains doit nous faire encore patienter de quelques dizaines d’années pour « l’après-pétrole ».

Jean-Claude Bernier et Catherine Vialle
Juin 2019

* Un baril est une unité de mesure pour le pétrole, qui vaut exactement 42 gallons américains, soit environ 159 litres.
** Le downsizing des moteurs vise à diminuer la cylindrée d’un moteur en gardant la même puissance finale et ainsi réduire la consommation.

Pour en savoir plus :
(1) Gaz de schistes : quels problèmes pour l’environnement et le développement durable ?
(2) L’industrie chimique au service de l’automobile
(3) Un exemple d’énergie renouvelable : l’essence verte
(4) Applications présentes et futures des batteries
(5) Des carbohydrates aux hydrocarbures
(6) Panique sur les déchets
(7) La grande aventure des polyamides
(8) Les variations de prix du baril et les énergies renouvelables
 

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La photosynthèse artificielle : une utilisation du dioxyde de carbone comme matière première

Non le gaz carbonique n’est pas un polluant, chimistes et biochimistes répètent à l’envie : le CO2 c’est aussi la vie ! (1) En effet si le carbone est l’élément essentiel du monde vivant, couplé à deux oxygènes et
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Non le gaz carbonique n’est pas un polluant, chimistes et biochimistes répètent à l’envie : le CO2 c’est aussi la vie ! (1) En effet si le carbone est l’élément essentiel du monde vivant, couplé à deux oxygènes et caressant une feuille sous le soleil et en présence d’eau, il permet aux végétaux de produire des molécules organiques telles que les sucres et la cellulose, âmes de la biomasse. Cette réaction naturelle de la photosynthèse fascine depuis longtemps les chercheurs qui rêvent de la reproduire (2).

Depuis plus de vingt ans, l’imagination des électrochimistes a permis de belles avancées (3). Le schéma le plus efficient couple une cellule photovoltaïque (4) qui sous rayonnement solaire fournit des électrons à une cellule électrochimique qui oxyde l’eau à l’anode et réduit le CO2 à la cathode.

Plusieurs réalisations ont déjà vu le jour fournissant à partir du CO2 du CO, des alcools, des acides organiques et même du méthane. Les rendements ont été parfois très corrects et supérieurs à celui de la photosynthèse naturelle, mais ils nécessitent le plus souvent des matériaux peu abondants et coûteux - des semiconducteurs de type AsGa, des catalyseurs à base de métaux précieux (rhodium, iridium, platine…) - rendant ces cellules difficilement extrapolables à grande échelle.

Pour passer à une échelle industrielle, ces systèmes mimant la photosynthèse naturelle doivent remplir plusieurs conditions :

  • une réduction catalytique efficace du CO2 avec des électrocatalyseurs ne comportant pas de métaux rares ou chers (5) ;
  • un milieu électrolytique stable et de pH peu acide pour limiter la corrosion ;
  • un design de cellule avec une répartition des compartiments anodiques et cathodiques optimales pour éviter les pertes ohmiques ;
  • un couplage à un système photovoltaïque robuste et peu coûteux.

C’est ce qu’a réussi un groupe de chercheurs européens coordonné par le Laboratoire de Chimie des Processus Biologiques (LCPB) du Collège de France (*). Après des années de recherche ce groupe a mis au point un système comprenant :

  • une cellule d’électrocatalyse optimisée avec une distance anode-cathode réduite permettant un courant stable sous une tension inférieure à 3V ;
  • des solutions électrolytes peu corrosives comportant des concentrations stabilisantes de bicarbonate ou carbonate de cesium ;
  • des matériaux d’électrodes à base de cuivre où à la cathode sont présentes des couches d’oxyde Cu2O et CuO (6), la dernière montrant une structure dendritique nanostructurée poreuse ;
  • une cellule photovoltaïque originale constituée de pérovskite (7) de type CH3NH3 Pb I3-x Brx fabriquée simplement par multicouches fonctionnelles avec des éléments abondants.

En fonctionnement, sous un flux de gaz CO2, la réduction de ce gaz et l’oxydation de l’eau fournissent des mélanges d’hydrocarbures tels que C2H4, C2H6, et CO, H2 bases de la chimie organique. Le rendement calculé par rapport à CO2 est de 2,3% (plus élevé que les 1% de la photosynthèse naturelle). Ce qui est important à souligner est que ce nouveau procédé mêle au moins deux innovations :

  • une cellule électrocatalytique utilisant un métal abondant et très utilisé le cuivre
  • et un générateur photovoltaïque à base de pérovskite se fabriquant à température ordinaire par sérigraphie de multicouches de matériaux peu coûteux, dont la fabrication industrielle commence.

Bien sûr des études complémentaires de procédés sont à faire car la cellule fonctionne avec du dioxyde de carbone pur alors que dans l’atmosphère (8) il est dilué à 400 ppm. L’augmentation des surfaces de contact ou le captage et la concentration peuvent être des solutions futures pour le développement industriel (9). Alors on peut se mettre à rêver à une économie de carbone en cycle fermé, en imaginant que nos combustibles seraient issus du même dioxyde de carbone produit par leur combustion. Voilà une belle solution à l’épuisement des ressources carbonées fossiles.

Jean-Claude Bernier et Catherine Vialle
Mai 2019

 

Pour en savoir plus
(1) Le CO2, matière première de la vie (Chimie et … Junior)
(2) Que faire du CO2 ? De la chimie ! 1334
(3) Les nouvelles cellules solaires nanocristallines 242
(4) Le soleil comme source d’énergie – le photovoltaïque 268
(5) Énergie électrique et réduction du dioxyde de carbone : quels électrocatalyseurs ? 878
(6) Expérience de réduction de l’oxyde de cuivre II (The reduction of copper oxide) 987
(7) Cristaux, cristallographie et cristallochimie 934
(8) Atmosphère ! Atmosphère ! Alerte ! 1555
(9) Le dioxyde de carbone : enjeux énergétiques et industriels 875


(*) Low-cost high-efficiency system for solar-driven conversion of CO2 to hydrocarbons, Tran Ngoc Huan, Daniel Alves Dalla Corte, Sarah Lamaison, Dilan Karapinar, Lukas Lutz, Nicolas Menguy, Martin Foldyna, Silver-Hamill Turren-Cruz, Anders Hagfeldt, Federico Bella, Marc Fontecave, Victor Mougel, Proceedings of the National Academy of Sciences Mar 2019, 201815412
DOI: 10.1073/pnas.1815412116