Mediachimie | Moins de chimie = plus de pénurie

Date de publication : Mardi 15 Octobre 2019
Rubrique(s) : Éditorial

Près d’un Français sur quatre s’est vu répondre par son pharmacien « désolé, pour votre médicament nous sommes en rupture de stock » ou « désolé, votre médicament n’est plus fabriqué ». Rien qu’en France sur les traitements jugés essentiels on est passé de 44 signalements de pénuries en 2008 à 871 en 2018, près de vingt fois plus ! Quelles sont les raisons de cette évolution qui menace la santé publique (1) ?

Elles sont multiples. La première raison est la décomposition et la délocalisation de la chaine de fabrication des médicaments (2). Une part croissante de la production des principes actifs est délocalisée dans les pays où la main d’œuvre est moins coûteuse et les normes environnementales moins contraignantes, comme la Chine et l’Inde. Cette part est passée de 20% à 80% entre les années 90 et 2018. La deuxième étape, le mélange avec les excipients, est souvent faite en Amérique du Nord et enfin la présentation en gélules et l’emballage en Europe (3). Comme tout ce processus se fait en flux tendu par mesure d’économie, le moindre incident sur une chaine peut bloquer une usine sur plusieurs semaines . Par ailleurs, les agences du médicament nationales ou européennes, soucieuses de la protection des consommateurs, durcissent les normes de fabrication et de traçabilité des composants chimiques, ce qui amène parfois à ne plus importer tel générique de ces pays asiatiques dont la fabrication a été jugée trop opaque.

Bien que la pénurie frappe la France mais aussi la Belgique, le Royaume Uni, l’Italie, des experts pointent du doigt l’attitude de certains grossistes européens revendeurs de médicaments. Ils les accusent de faire passer en dernier la France où les prix des médicaments sont les plus bas, imposés par convention avec la sécurité sociale, et dont les remboursements sont sous surveillance à cause d’un budget qui souvent explose ! Par exemple les prix en France sont inférieurs de 20% à ceux pratiqués en Allemagne N’oublions pas non plus que les entreprises pharmacochimiques ne sont pas des bienfaitrices ; la concurrence internationale et la financiarisation de la profession exigent des investissements que les actionnaires souhaitent rémunérer. C’est ainsi qu’elles abandonnent progressivement la production de génériques trop bon marché et non rentables au profit de molécules nouvelles, susceptibles d’apporter des bénéfices, et de médicaments innovants parfois vendus à des prix exorbitants.

Alors, quels remèdes ? La relocalisation en Europe : c’est ce que font en France les 86 PME (petites et moyennes entreprises, entre 50 et 250 salariés) et ETI (établissements de taille intermédiaire, entre 250 et 5000 salariés) de la chimie, producteurs sous-traitants de principes actifs (4) en insistant sur l’aspect qualitatif et transparent des fabrications malgré un coût salarial et une exigence environnementale plus élevés. Ces entreprises bénéficient d’un très bon positionnement des compétences et d’un chiffre d’affaires en progression qui devrait encore s’améliorer en développant les médicaments issus des biotechnologies, médicaments qui manquent encore trop à leur catalogue (5).

Il n’y a pas que la santé qui souffre de causes de pénurie par manque de chimie. La guerre quasi idéologique que se livrent le Japon et la Corée du Sud pourrait avoir des répercussions en Europe. Le Japon a jeté l’embargo pour la Corée sur les résines photosensibles, les films minces de polyamide et… l’acide fluorhydrique. Ces composés représentent entre 60 et 80% des importations de deux géants de l’électronique Samsung et LG. Cela handicape fortement le gravage des micro-circuits (6) intégrés (résines de photogravure), le nettoyage des circuits silicium (HF) et la fabrication des Oled pour téléviseurs plans et smartphones (polyimides).C’est l’électronique grand public mondiale qui risque de tousser si d’autres approvisionnements ne sont pas trouvés. Or ni l’Europe ni la France ne sont capables à court terme d’y remédier. La chimie de base (fluor) et la chimie de spécialité (résines et polyimides) (7) n’y sont pas développées, en raison d’un marché intérieur insuffisant et des normes réglementaires.

Cela impacte également la transition écologique, actuellement très médiatisée, dont les objectifs sont menacés faute de chimie des matériaux. On oublie que l’objectif zéro carbone en 2030 ou 2050 sera très gourmand en matériaux de haute technologie. Pour les milliards de cellules photovoltaïque (8), on n’est pas inquiet pour le silicium abondant, mais plutôt pour le cuivre, le tungstène et l’argent. Les millions d’éoliennes et de véhicules électriques vont consommer des millions de tonnes d’aimants riches en néodyme et dysprosium (l’éolienne de General Electric de 12 MW annoncée pour 2021 comporte une tonne d’aimant au néodyme - aimant NdFeB). Les véhicules électriques seront aussi bourrés d’aimants et les batteries exigeront des millions de tonnes de Cu, Co, Ni et Li. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’il faudra multiplier par 10 la production, la transformation et le recyclage de ces matières premières, avec toujours l’épée de Damoclès d’un éventuel quota chinois.

Militons pour l’implantation en France de la « Megafactory » l’Airbus des batteries et du complexe des aimants à base de terres rares, nous avons chez nous les meilleurs spécialistes mondiaux en électrochimie et magnétisme et le leader mondial de la séparation des terres rares. Re-industrialisons l’hexagone,, implantons de nouvelles usines chimiques propres, nous créerons de la valeur ajoutée nationale et de l’emploi et nous sauverons peut-être la planète.

Jean-Claude Bernier et Catherine Vialle
Octobre 2019
 

Pour en savoir plus sur Mediachimie.org :
(1) La chimie dans la vie quotidienne : au service de la santé (Chimie et… junior)
(2) Les chimistes dans l’industrie pharmaceutique
(3) De la conception du médicament à son développement : l’indispensable chimie
(4) La fabrication d’un principe actif (vidéo)
(5) Bioraffinerie et biologie de synthèse
(6) La chimie au cœur des (nano)transistors
(7) Les chimistes dans l’aventure des nouveaux matériaux
(8) Les panneaux solaires (animation)