L’expression « hydrogène à faible empreinte carbone » est plutôt recommandée par le Journal officiel [1]. L’hydrogène jouera sans doute un rôle important dans la transition énergétique. Il possède en effet l’énergie massique la plus élevée des combustibles (1200 MJ/kg) soit trois fois celle de l’essence ; de plus son utilisation dans les piles à combustible avec l’oxygène ne forme en effet que de l’eau sans aucune émission de produits polluants et fait l’objet de nombreux articles et dossiers dans la presse. Il est aussi à ce jour le meilleur moyen de stocker massivement de l’énergie sur une longue durée ce qui permet de répondre à l’intermittence des énergies solaire et éolienne [2].
Mais actuellement 95% de l’hydrogène est produit à partir de combustibles fossiles notamment par vaporeformage du gaz naturel selon l’équation bilan : CH4 + 2 H2O → CO2 + 4 H2 avec une production de 10 tonnes de CO2 par tonne d’hydrogène ! [3] [4] [5]. Cette technique pourrait être maintenue si on la couplait à des unités de stockage de CO2 et/ou par une opération de pyrolyse à haute température (voir plus loin [13]).
Rappelons qu’à l’anode se dégage de l’oxygène et à la cathode de l‘hydrogène. C’est la production « propre » recommandée par l’Europe. En France mentionnons le lancement de la Fédération H2 (FRH2_21) du CNRS le 9 mars 2021 suivi d’un colloque dès juin 2021 [6] [7]. Mais encore faut-il que l’électricité nécessaire à l’électrolyse soit décarbonée donc issue d’énergies renouvelables ou d’énergie nucléaire. Cet été en Vendée la startup nantaise Lhyfe a produit pour la première fois au monde de l’hydrogène avec une capacité de 300 kg H2/jour par électrolyse d’eau de mer avec une électricité provenant des éoliennes terrestres voisines à Bouin. Une station de distribution va fonctionner prochainement à La Roche-sur-Yon avec un prix à la pompe comparable à un plein d’essence ! [8]
i) L’électrolyse alcaline utilise de la potasse à 40% car la conductivité de la potasse est supérieure à celle de la soude et l’élimination des impuretés des ions chlorures et sulfates y est plus aisée. Les électrodes sont en nickel. Les compartiments anodique et cathodique sont séparés par une membrane constituée de copolymère à base de tétrafluoroéthylène présentant des greffons sulfonates (SO3-) en bout de chaines, pour éviter tout mélange explosif car au-delà de 4% en volume de H2 dans l’oxygène le mélange devient explosif ! La température de fonctionnement est de l’ordre de 80°C. C’est la technique la plus avancée industriellement avec un coût d’investissement des électrolyseurs le plus faible actuellement de l’ordre de 600 euros/kW. La consommation électrique y est de 4,5 kWh/Nm3. Le prix de revient du Nm3 dépend bien sûr du prix du kWh et de l’amortissement de l’investissement (l’unité Nm3 est définie en note *). Des plateformes industrielles développées par la société McPhy Energy ont des puissances de plus de 100 MW ! [9]
ii) L’électrolyse en milieu acide dite PEM pour « proton membrane exchange » a un coût plus élevé actuellement de 900 euros/kW. La consommation électrique est du même ordre de grandeur : 4,5 kWh/Nm3. L’électrolyte solide à forte conductivité ionique est constitué d’un copolymère à base de tétrafluoroéthylène présentant des greffons sulfoniques acides (SO3H) en bout de chaine. La cathode est en carbone recouvert de platine. L’anode est en titane recouvert d’oxyde d’iridium ; ces revêtements sont nécessaires pour catalyser les réactions d’oxydo-réduction. L’anode est ici poreuse et permet de capter l’oxygène formé et diminue le risque d’explosion avec l’hydrogène. La température est voisine de celle utilisée en milieu alcalin. Des applications dans les sous-marins ou dans le spatial sont déjà réalisées. La société Hydrogenics (en partenariat avec l’Air Liquide) au Canada, envisage de produire par ce procédé jusqu’à 3000 t/an d’hydrogène ! [10]
iii) L’électrolyse de l’eau en phase vapeur est possible vers 800°C. L’augmentation de la température permet d’apporter de l’énergie pour dissocier la molécule d’eau ! La tension à appliquer entre électrodes n’est que de 0,8 V. La consommation électrique est aussi réduite à 3 kWh/Nm3. Cependant le coût d’investissement est plus élevé soit 2100 euros/kW. L’électrolyte est constitué d’une céramique zircone (oxyde de ziconium) ZrO2, mélangé avec de l’oxyde d’yttrium qui est conductrice d’ions oxyde (O2-). Schématiquement : l’oxydation anodique s’écrit 2 O2- → O2 + 4 e- et la réduction cathodique 2 H2O + 4 e- → O2- + 2 H2.
L’anode est en céramique de type pérovskite LSCF (lanthane, strontium, cobalt ferrite) et la cathode où se dégage H2 est un matériau composite céramique / métal (zircone yttriée/ nickel).
Pour atteindre la température de fonctionnement, on utilise un échange thermique avec une source de chaleur existante aux environs de 150°C (stations d’incinération, géothermie, sites industriels, eau du circuit de refroidissement des centrales nucléaires...), puis l’architecture système de l’électrolyseur permet de surchauffer la vapeur jusqu’à 800°C en récupérant la chaleur émise par effet Joule dans chaque cellule bien que la réaction d’électrolyse soit endothermique. L’avantage de cette technologie est aussi la réversibilité de l’installation (électrolyseur / pile à combustible). Des développements permettent actuellement des productions de 16 Nm3/h [11].
La startup Sylfen créée en 2015 par le CEA a utilisé ce type d’électrolyse incluse dans un procédé de chauffage pour des immeubles autonomes en énergie !
i) La technique de décarbonation directe du méthane (DMD) par voie plasma électrique revient à craquer du méthane à très haute température (2000°C) dans un réacteur à flux continu pour donner une coproduction de noir de carbone très valorisable industriellement et d’hydrogène très pur. Le procédé ici ne nécessite qu’à peine 2 kWh d’électricité par Nm3 d’hydrogène et ne s’accompagne d’aucun dégagement de CO2 ! Cette technique s’accompagne d’une quantité importante de noir de carbone (biochar) qu’il est nécessaire de valoriser par exemple dans divers matériaux (bétons, ciments, pneumatiques, câbles électriques, encres, peintures…) ou en agriculture pour augmenter la productivité des sols. Une première unité industrielle fonctionne depuis 2020 aux USA dans le Nebraska [12].
ii) La pyrolyse de la biomasse végétale vers 800 °C conduit par craquage à la coproduction de charbon de bois (le biochar) et de gaz de synthèse (CO + H2). Les réactions de craquage sont endothermiques mais l’apport de chaleur rend le processus autothermique. Le bilan carbone est ici diminué car le charbon produit ici, ne provient que de la biomasse : chaque kg d’hydrogène s’accompagne de la production de 5 kg de biochar (soit une séquestration équivalente de 15 kg de CO2 !) qui peut être enfoui pour valorisation du sol. La société Haffner Energy a réalisé une première unité de production dans l’Est de la France pour pouvoir produire en 2023 plus de 300 kg de H2 par jour ! [13]
L’hydrogène naturel de type moléculaire H2 peut se trouver dans le milieu géologique terrestre. Ainsi à Chimère (Yanartas) en Turquie des gaz s’échappent du sol dont du méthane mêlé à l’hydrogène et brûlent en permanence depuis plus de 2500 ans. Selon les Grecs anciens il s’agirait de l’origine de la flamme olympique ! La formation de l’hydrogène proviendrait d’un dégazage profond provenant du manteau et/ou du cœur de la terre. Un premier puits fonctionne depuis 2012 au Mali et des forages prometteurs (H2 à 98% de pureté !) ont eu lieu notamment en Amérique du Nord en 2019. [14]
L'électrolyse de l'eau
* Le normo-mètre cube (Nm3) est une unité de norme correspondant à une quantité de gaz contenu dans un volume d’un m3 se trouvant dans les conditions normales de pression et de température.
Pour approfondir et illustrer ce sujet :
[1] Le vocabulaire de l’hydrogène de C. Andrieux, L’Actualité chimique n° 466 (octobre 2021) p. 8
[2] Hydrogène, la compétition mondiale a commencé, Numéro spécial commun des revues Challenges et Transitions et Energies d’avril-juin 2021
[3] L’hydrogène vert au secours des renouvelables de J.-C. Bernier, éditorial sur Mediachimie.org (avril 2017)
[4] Qu’est-ce que l’hydrogène vert ? de F. Brénon, Question du mois sur Mediachimie.org (décembre 2019)
[5] Vision de l’hydrogène pour une énergie décarbonée de Xavier Vigor, colloque Chimie et énergies nouvelles (février 2021)
[6] La production d’hydrogène décarbonée et compétitive : un défi technologique à relever de J.-P. Foulon, H. Toulhoat et E. Freund, L’Actualité chimique n° 466 (octobre 2021) p. 11
[7] Site H-Nat 2021
]8] En Vendée, on produit de l’hydrogène vert, « une première mondiale » article de Ouest France (3 septembre 2021)
[9] Filière hydrogène : principaux verrous et intérêt du Power to Gas de J. Deschamps, Techniques de l’Ingénieur (juin 2019)
[10] Les systèmes d’électrolyse de l’eau à membrane échangeuse de protons de S. Germe, F. Fouda-Onana et S. Rosini, L’Actualité chimique n° 466 (octobre 2021) p. 20
[11] Production d’hydrogène par électrolyse de la vapeur d’eau à haute température de J. Mougin, L’Actualité chimique n° 466 (octobre 2021) p. 12
[12] La pyrolyse du méthane : de l’hydrogène « gris » à l’hydrogène « turquoise » de L. Fulcheri, L’Actualité chimique n°466 (octobre 2021) p. 28
[13] Pyrogazéification et thermolyse : vapocraquage de la biomasse de P. Haffner, Colloque Hydrogène décarboné : enjeux et solutions ? Maison de la Chimie (13 juin 2019)
et séminaire Un virage réussi vers la production d’hydrogène Ecole de Paris du management (séance du 27/01/2021)
[14] L’hydrogène naturel, une nouvelle source d’énergie renouvelable de V. Zgonik, L’Actualité chimique n° 466 (octobre 2021) p. 35
Les références [1],[6] [10] [11] [12] [14] sont issues du numéro spécial de l’Actualité Chimique n° 466 (octobre 2021) et téléchargeables, avec l’aimable autorisation de la revue.
Crédits illustration : L’électrolyse de l’eau, Vision de l’hydrogène pour une énergie décarbonée, Xavier Vigor, Colloque Chimie et énergies nouvelles.