Le dihydrogène H2 est un gaz très léger, insipide et incolore. Mais depuis quelques années en fonction de son origine on lui a collé presque toutes les couleurs de l’arc en ciel ! Noir ou gris s’il est préparé à partir du charbon ou du méthane, vert ou jaune s'il est préparé par électrolyse de l’eau (1) [3] avec une électricité issue des énergies renouvelables ou nucléaire, de gris il devient bleu si on récupère le CO2 lors de sa synthèse. Tout le code des couleurs y était passé jusqu’à ce que plus récemment on lui trouve la couleur blanche originelle ? oui… Puisqu’il s’agit de l’hydrogène natif issu tout seul de notre bonne vieille Terre comme des restes et souvenirs qui lui restent après les condensations des atomes à la suite du Big–Bang.
La première fois que j’ai entendu parler de l’hydrogène « naturel », c’est lors de discussions avec le professeur Armand Lattes lors de nos nombreuses rencontres à la SCF au milieu des années 2000. Il avait eu connaissance d’émanations d’hydrogène en Russie et en Ukraine et, par l’intermédiaire d’un de ses jeunes thésards à Toulouse Viacheslav Zgonnik, prit contact avec un géologue russe V. N. Larin qui était spécialiste du contexte géologique de ces émanations. À l’époque nous pensions (à tort) qu’il s’agissait de l’influence du réchauffement climatique sur le permafrost. Alerté par Armand Lattes l’IFPEN (i) ne dut qu’à la présence d’Hervé Toulhoat (2) de lancer un programme exploratoire qui a abouti à de très sérieuses connaissances scientifiques prolongé par un Groupement de Recherche (GDR) coopératif HydroGeMM sur l’hydrogène du sous-sol considéré au départ comme une joyeuse galéjade toulousaine !
20 ans après, avec l’engouement pour l’énergie décarbonée, les gisements géants d’hydrogène ne font pas que rêver les chercheurs du CNRS et de l ‘IFPEN mais aussi nombre d’entreprises minières dont 40 compagnies multiplient les explorations et forages de par le monde en 2024.
Au moins trois processus ont été identifiés :
Les flux d’hydrogène issus des rides médio océaniques et volcans sous-marins à très grande profondeur sont difficilement exploitables. Ces rides dues au mouvement des plaques continentales peuvent aussi s’observer à terre dans certaines régions dans l’Afar (en Éthiopie) ou en Islande par exemple. Des recherches sur la possibilité d’exploitation de l’hydrogène à côté de l’usage des calories en géothermie mériteraient d’être conduites. Par contre le mécanisme d’oxydoréduction par la magnétite ouvre un horizon immense car ces nombreuses zones cratoniques, aires sédimentaires anciennes datant de 2 à 3 milliards d’années, sont nombreuses dans le monde et incitent les compagnies minières exploitant le minerai de fer à aller voir plus en profondeur si des flux d’hydrogène sont décelables.
Le journal du CNRS de décembre 2023 citait la découverte de dihydrogène par le laboratoire de GéoRessources de Nancy lors de forages au-dessous de couches de charbon exploitées dans d’anciennes mines de Lorraine. D’abord menés afin de trouver du méthane, mais surprise, plus on descendait en profondeur plus la teneur en hydrogène dans le méthane augmentait pour atteindre 15% à 1100 m. Des travaux menés avec l’IFPEN et les géologues amènent à penser que par extrapolation la teneur pourrait dépasser 90% à -3000m !
D’où l’enthousiasme des chercheurs qui pensent avoir trouvé en Lorraine un gisement de plus de 40 millions de tonnes d’hydrogène naturel. De la découverte à l’exploitation il y a encore un long chemin. Une seule compagnie au monde, Hydroma au Mali, exploite depuis 4 ans, un puits qui produit de l’hydrogène pur à 96%, à la pression de 4 bars et utilisé pour alimenter une turbine à gaz qui produit de l’électricité localement. Par vision aérienne on a identifié des zones de dépression circulaires de rayon de quelques centaines de mètres où rien ne pousse ; en Russie, en Ukraine, aux Etats unis, au Brésil les géologues les appellent « les ronds de sorcière », de l’hydrogène s’en échappe de façon non constante et non continue mais non négligeable : ces zones sont dans des aires cratoniques.
De nombreuses compagnies minières ou leaders dans l’énergie s’intéressent à ce nouveau paradigme non prévu dans la planification énergétique. C’est que le prix de l’hydrogène gris est en moyenne inférieur à 2$/kg, le vert proche de 6$/kg alors que le blanc revient à 1$/kg.
La compagnie NH2E (v) aux États-Unis a foré un premier puits au Kansas. En France la société 45-8 Energy a obtenu en décembre 2023 l’autorisation de recherche dans les Pyrénées, TBH2 en Aquitaine et plus de 40 compagnies se lancent dans de telles recherches. Car selon un modèle de l’institut d’études géologiques des États-Unis (USGS) de 2022, la captation efficace des réserves mondiales pourrait satisfaire la demande énergétique globale pendant plus de 1000 ans (6).
Revenons sur terre cependant : rien ne garantit que l’hydrogène natif tienne ses promesses, la captation, son stockage, sa distribution poseront les mêmes problèmes que l’hydrogène gris ou vert. Sa compression ou sa liquéfaction consomment plus de la moitié de son potentiel énergétique. Mais les optimistes font remarquer que si on s’était arrêté à la fin du XIXe siècle aux faibles manifestations de présence du pétrole en surface on n’aurait jamais exploité les immenses réserves de l’or noir.
En sera–t-il de même pour l’or blanc ?
Jean-Claude Bernier
Avril 2024
(i) IFP Energies nouvelles
(ii) Adénosine triphosphate
(iii) La chrysolite ferreuse est le silicate de magnésium et de fer II (Mg, Fe) 2 SiO4;
(iv) La serpentine est une famille de minéraux du groupe des silicates. Formule chimique : (Mg,Fe,Ni)3 Si2O5(OH)4
(v) Natural Hydrogen energy https://www.nh2e.com/ [4]
Pour en savoir plus
(1) Qu’est-ce que l’hydrogène vert ? [5], F. Brénon, Question du mois, Mediachimie.org
(2) IFPEN et l’hydrogène naturel [6], H Toulhouat, L’Actualité Chimique N° 483 (avril 2023) p. 11-12
(3) Les origines de la vie, du minéral aux biomolécules [7], d'après la conférence de T. Georgelin, Colloque Chimie, aéronautique et espace, novembre 2017, Fondation de la Maison de la Chimie
(4) Hydrates de gaz et hydrogène : ressources de la mer du futur [8], J.L. Charlou, La chimie et la mer (EDP Sciences, 2009) isbn : 978-2-7598-0426-9, p. 99
(5) Action de l’eau sur le fer [9], G. Chaudron, C. R. Acad. Sci., 159 (1914) pp. 237-239, gallica.bnf.fr [10]
(6) Le dihydrogène est-il une solution d’avenir pour lutter contre le réchauffement climatique ? [11], É. Bausson, F. Brénon et G. Roussel, Dossier pédagogique Nathan / Mediachimie (Mediachimie.org)
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Liens:
[1] http://www.mediachimie.org/send-friend/4314/?ajax
[2] http://www.mediachimie.org/print/print/4314
[3] https://www.mediachimie.org/actualite/plus-vert-que-vert-l%E2%80%99hydrog%C3%A8ne-blanc-ou-l%E2%80%99hydrog%C3%A8ne-naturel#ref1
[4] https://www.nh2e.com/
[5] https://www.mediachimie.org/actualite/qu%E2%80%99est-ce-que-l%E2%80%99hydrog%C3%A8ne-%C2%AB-vert-%C2%BB
[6] https://new.societechimiquedefrance.fr/numero/ifpen-et-lhydrogene-naturel-p11-n483/
[7] https://www.mediachimie.org/ressource/les-origines-de-la-vie-du-min%C3%A9ral-aux-biomol%C3%A9cules
[8] https://www.mediachimie.org/ressource/hydrates-de-gaz-et-hydrog%C3%A8ne-ressources-de-la-mer-du-futur
[9] https://www.mediachimie.org/ressource/action-de-l%E2%80%99eau-sur-le-fer
[10] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3112q/f237.image
[11] https://www.mediachimie.org/ressource/le-dihydrog%C3%A8ne-est-il-une-solution-d%E2%80%99avenir-pour-lutter-contre-le-r%C3%A9chauffement-climatique
[12] https://www.pexels.com/fr-fr/photo/automobile-espace-de-copie-arriere-plan-bleu-hydrogene-10670941/