La corrosion présente un enjeu économique considérable, avec un coût de l’ordre de 3 % du produit intérieur brut mondial ; on peut dire que la corrosion coûte 1 euro par jour à chaque Français ! Des organisations internationales s’occupent exclusivement de ce phénomène : signalons le CEFRACOR pour la France. Le CEBELCOR en Belgique a été dirigé pendant longtemps par Marcel Pourbaix, le père des diagrammes potentiel-pH bien connus !
Dans l’Antiquité la corrosion était perçue comme un phénomène mystérieux et était l’occasion de cérémonies religieuses [1a].
La corrosion du fer résulte de son oxydation en différents oxydes et hydroxydes de Fe (II) à Fe (III). Il se crée une couche « épaisse » recouvrant le métal mais pas totalement imperméable, hélas ! En effet les volumes molaires de Fe(OH)2 et Fe3O4 sont respectivement quatre et deux fois plus importants que celui du fer [1a] [1b].
Pour évaluer la corrosion des métaux du patrimoine une étude structurale des couches épaisses est intéressante car les métaux anciens étaient élaborés selon des procédés différents et avaient des structures et des compositions différentes de celles des matériaux actuellement utilisés : le fer et les aciers utilisés avant le XIXe siècle peuvent contenir du phosphore (1% maximum) et, oh surprise, l’élément phosphore s’est révélé intéressant pour comprendre la corrosion des aciers. En effet des mesures par rayonnement synchrotron et micro Raman en particulier ont montré qu’il n’y avait pas de phosphates de fer dans ces couches mais plutôt des complexes (schématiquement entre les ions Fer(II) et hydroxyde OH-) qui sont responsables de la corrosion ultérieure du fer ! [2]
La corrosion du fer peut être atténuée par l’ajout d’autres éléments (cuivre principalement environ à 0,5%). Ce sont les aciers patinés ou autopatinables découverts aux USA dès 1930 et utilisés en Europe à partir des années soixante et dénommés « Corten ». On obtient alors une couche de rouille très fine (quelques dizaines de mm) mais très adhérente qui bloque la corrosion. La couleur évolue d’orange vif à noir dense brillant (très apprécié par les architectes actuellement). En France il y a une trentaine de ponts qui sont en acier patiné et cette technique est aussi très utilisée en architecture de décoration et dans des statues monumentales comme celle réalisée par Pablo Picasso à Chicago : 15 m de haut et 160 tonnes d’acier patinable [1a].
Par ailleurs, la technique de la patine est aussi utilisée pour des objets et sculptures en cuivre. Celui-ci est patiné avec du barège (à base de polysulfures de potassium) à froid puis à chaud avec du dichromate d’ammonium, pour accélérer l’oxydation en oxyde de cuivre (I) de couleur brun chocolat. C’est ainsi que les statues des douze apôtres et des quatre évangélistes de la flèche de Notre-Dame de Paris, devenues vert de gris au cours du temps, avaient été évacuées par les airs juste avant l’incendie de la cathédrale, en vue d’être restaurées et repatinées ! [3] [4]
Dans le béton armé, la présence de la chaux, Ca(OH)2, donne un pH voisin de 13 pour l’eau interstitielle et l’acier est protégé (passivé) par une couche constituée en partie de Fe3O4 de l’ordre de 50 µm d’épaisseur. Hélas, le CO2 de l’atmosphère pénètre peu à peu dans les pores du béton et réagit avec la chaux selon la réaction de carbonatation : Ca(OH)2 + CO2 (dissous) = CaCO3 + H2O conduisant à un pH de 8,3 qui rend possible la corrosion du fer et la formation de la rouille qui exerce alors une pression de plus en plus forte pour fissurer et détériorer très gravement le béton ! [1a]
Des chercheurs américains ont développé récemment une méthode permettant de détecter plus tôt la présence de points faibles par rapport aux moyens actuels. Ils analysent les microcristaux qui se déplacent lors de l’apparition de fissures : cela évite des remplacements parfois inutiles et un gaspillage considérable [5].
Pour empêcher le contact du fer avec le milieu extérieur on peut utiliser une peinture sur le métal avec plusieurs applications entre des périodes de séchage. Ainsi la tour Eiffel au cours de la vingtième campagne de peinture (2019 – fin 2022) a nécessité 60 tonnes de peinture pour recouvrir les 250 000 m2 de surface pour un coût de 50 millions d’euros ! [6] Des nouveaux revêtements sont actuellement envisagés comme le dépôt d’une couche monoatomique de graphène.
La sauvegarde des ouvrages du patrimoine industriel et des ouvrages d’art métalliques peut être obtenue avec des méthodes électrochimiques.
On peut aussi éviter la corrosion d’un acier de béton armé qui se trouve immergé dans la mer (électrolyte) à l’aide d’un générateur de courant avec une tension de quelques volts : une anode inerte (platine, titane recouvert d’oxydes mixtes ou de polymères conducteurs) est reliée électriquement à la partie à protéger qui devient alors la cathode : c’est la protection cathodique [1].
Certaines bactéries présentes limitent la corrosion par transfert d’électrons directement dans le métal et constituent la bioprotection cathodique. Elle est basée sur la capacité des bactéries présentes dans les sédiments marins à convertir directement une partie de l’énergie qu’elles produisent lors de la dégradation oxydante de la matière (organique) des microorganismes. Un brevet a été déposé en juillet 2021 à Toulouse (laboratoire du Génie Chimique Toulouse CNRS) qui est très prometteur pour traiter les ouvrages d’art en milieu marin [7a] [7b].
Des protocoles d’expertise et de diagnostic sur les ouvrages d’art existent en ligne. Ils servent de documents pour analyser les 900 ponts et passerelles métalliques existant en France : relevés, analyses métallographiques, chimiques, mécaniques, examen des peintures (du plomb en particulier), recalcul des ouvrages par modélisation 3D (vérification des contraintes). Ces méthodes permettent des économies de coûts jusqu’à 40 % par rapport à une reconstruction ! [8] [9]
Des sociétés spécialisées se sont créées en France telles que A-CORROS à Arles, DIADES à Aix en Provence, Profractal en Île-de-France… [10].
Tour Eiffel © FB
Pour approfondir et illustrer ce sujet nous avons sélectionné les ressources suivantes :
[1a] Pourquoi faut-il repeindre la Tour Eiffel ? [4] (livre) V. L’Hostis et D. Feron, EDP Sciences (2019), Collection Bulles de sciences. Un excellent ouvrage de vulgarisation sur la corrosion !
[1b] Pourquoi mettre une peinture antirouille sur les grilles de jardin ? [5] F. Brénon (Question du mois, Mediachimie.org)
[2] Évaluer la résistance à la corrosion des métaux du patrimoine : étude de la réactivité des couches épaisses en corrosion atmosphérique du fer [6], J. Monnier, D. Vantelon, S. Reguer et Ph. Dillmann, L’Actualité chimique n°356-357 (oct.-nov. 2011) p 109-112
[3] Les statues de la flèche soignées par les restaurateurs [7], J. Coignard, La Fabrique de Notre-Dame – Journal des donateurs n° 1 (Janvier 2021) p 62
[4] La restauration des statues en cuivre de la flèche de Notre Dame [8], conférence de R. Boyer au colloque Chimie et Notre-Dame, 9 février 2022, Fondation de la Maison de la chimie
[5] Identifier les points faibles des métaux avant l’apparition de fissures [9], A. Moign, Le Magazine d’actualité – Les techniques de l’ingénieur (4 décembre 2020)
[6] La tour Eiffel haute en couleur : comment résiste-t-elle aux outrages du temps ? [10], B. Valeur, L’Actualité chimique n°471 (mars 2022) p 16-17
[7a] De l’eau de mer et des électrons microbiens, un cocktail innovant contre la corrosion [11], E. Durand-Rodriguez, Lettre Innovation du CNRS (13 janvier 2022)
[7b] Une pile à combustible microbienne pour protéger les bétons armés en mer [12], N. Louis, Le Magazine d’actualité – Les techniques de l’ingénieur (25 mars 2022)
[8] Guide Techniques et Méthodes - Entretien de de la protection anticorrosion des ouvrages métalliques [13] (pdf) (2005), Guide Techniques et Méthodes, Collection Laboratoire Central Ponts et Chaussées (LPCP) - IFSTTAR devenue Université Gustave Eiffel
[9] Réfection de la protection anticorrosion des structures métalliques en milieu marin (PDF) [14], Fiche aide-mémoire de CEREMA (2018)
[10] A-CORROS : https://a-corros.fr/ [15] ; DIADES https://diades.fr/ [16] ; Profractal http://www.profractal.fr [17]
Liens:
[1] http://www.mediachimie.org/send-friend/3862/?ajax
[2] http://www.mediachimie.org/print/print/3862
[3] http://www.mediachimie.org/javascript%3Ahistory.go%28-1%29
[4] https://laboutique.edpsciences.fr/produit/1075/9782759822249/pourquoi-faut-il-toujours-repeindre-la-tour-eiffel
[5] http://www.mediachimie.org/actualite/pourquoi-mettre-une-peinture-antirouille-sur-les-grilles-de-jardin
[6] https://new.societechimiquedefrance.fr/numero/evaluer-la-resistance-a-la-corrosion-des-metaux-du-patrimoine-etude-de-la-reactivite-des-couches-epaisses-en-corrosion-atmospherique-du-fer-p109-n356-357/
[7] https://fr.calameo.com/read/0055763683e97357402c6
[8] https://www.mediachimie.org/ressource/la-restauration-des-statues-en-cuivre-de-la-fl%C3%A8che-de-la-cathedrale-notre%E2%80%90dame-de-paris
[9] https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/identifier-les-points-faibles-des-metaux-avant-lapparition-de-fissures-85396/
[10] https://new.societechimiquedefrance.fr/numero/la-tour-eiffel-haute-en-couleur-comment-resiste-t-elle-aux-outrages-du-temps-p16-n471/
[11] https://www.occitanie-ouest.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/de-leau-de-mer-et-des-electrons-microbiens-un-cocktail-innovant-contre-la-corrosion
[12] https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/une-pile-a-combustible-microbienne-pour-proteger-les-betons-armes-en-mer-110127/
[13] https://www.ifsttar.fr/Utils/librairie/getdocument.php?d=GuideTechnique-LCPC-PROMET.pdf
[14] https://www.cerema.fr/fr/system/files?file=documents/2018/07/FM-refection%20protection%20anticorrosionv3%20sansTC.pdf
[15] https://a-corros.fr/
[16] https://diades.fr/
[17] http://www.profractal.fr/
[18] http://www.mediachimie.org/actualites/rubrique-461
[19] http://www.mediachimie.org/thematique/qualit%C3%A9-de-vie
[20] http://www.mediachimie.org/liste-ressources/14
[21] http://www.mediachimie.org/liste-ressources/15