On trouve toutes sortes de recettes dites « de grand-mère » sur Internet pour nettoyer son argenterie. Dans ces dites recettes il est même précisé « sans utiliser de produit chimique » !!! Est-ce vrai ?
Les aliments contiennent naturellement des sulfures comme l’albumine du blanc d’œuf, la cystéine présente dans les protéines, des sulfures organiques dans les choux, les oignons, certaines boissons…
Dans l’air il peut y avoir des traces de sulfure d’hydrogène (H2S, reconnaissable à son odeur « d’œuf pourri » !) et de sulfure de diméthyle (H3C-S-CH3) qui est le plus abondant des composés biologiques contenant du soufre émis dans l'atmosphère.
C’est ainsi la présence de ces sulfures qui sont majoritairement responsables de la formation de dépôts noirâtres à la surface d’un objet en argent. L’argent a été oxydé par le dioxygène de l’air et en présence de ces sulfures s’est recouvert de sulfure d’argent Ag2S, noir, très stable (1).
« Faire l’argenterie » consiste donc à éliminer ce sulfure d’argent.
Élucidons cette « recette de grand-mère » dont le titre interpelle le chimiste ! En effet ce titre est trompeur ! Ce n’est pas le sel qui nettoie l’argenterie.
Regardons de plus près la recette. Prendre une feuille d’aluminium. La disposer dans une cuvette en plastique (éviter un autre métal). Mettre une poignée de gros sel dans une casserole d’eau que l’on porte à ébullition. Puis verser cette eau salée chaude dans la cuvette. Introduire délicatement (sans se brûler) l’objet en argent à nettoyer et le poser au contact de la feuille d’aluminium. Laisser agir plusieurs minutes à 1 heure selon l’état d’oxydation de l’argent. Il est précisé que si l’objet en argent est très noir, on peut l’envelopper avec la feuille d’aluminium pour plus d’efficacité. Il est aussi dit que l’on peut ajouter du bicarbonate. Rincez puis séchez avec un chiffon très doux.
Notons que cette recette fonctionne bien.
Le composé essentiel à la réussite de l’opération est ici l’aluminium. C’est un métal très réducteur. Il attaque le sulfure d’argent qui était un état oxydé de l’argent. L’argent est régénéré. Une partie de l’aluminium s’oxyde en ions Al3+. Compte tenu du pH de la solution ces ions précipitent sous forme d’hydroxyde d’aluminium, à la surface de l’aluminium qui se ternit.
La réaction (2) mise en jeu est
3 Ag2S + 2 Al +6 H2O → 6 Ag + 2 Al(OH)3 + 3H2S
On est en présence d’une pile (3), la pièce en argent étant au contact de la feuille d’aluminium. Si l’on enveloppe la pièce en argent par l’aluminium le contact entre les 2 métaux est meilleur facilitant ainsi les échanges d’électrons entre l’aluminium et le sulfure d’argent déposé sur l’objet en argent.
Quel est le rôle du sel ? Le sel est du chlorure de sodium (NaCl) qui se dissout sous forme d’ions sodium (Na+) et chlorure (Cl-). Il favorise les transports des ions (4) en solution mais n’intervient pas dans le bilan chimique.
La chaleur a pour but d’accélérer la réaction.
H2S : si vous avez déjà fait l’expérience, vous avez constaté l’émanation d’une mauvaise odeur. Elle est due à la formation du sulfure d’hydrogène produit durant la réaction et dont le dégazage est favorisé par la chaleur.
L’ajout éventuel du bicarbonate de sodium permet de stabiliser le pH vers 8,3 ce qui limite le dégazage de H2S.
Françoise Brénon et l’équipe question du mois
(1) En présence de sulfure d’hydrogène et d’oxygène de l’air, le sulfure d’argent noir, très stable, se forme selon
4 Ag + 2 H2S + O2 →2 Ag2S + 2 H2O
(2) Cette réaction est très favorable car sa constante d’équilibre vaut 10140 >>1
Les données nécessaires à ce calcul, E° (Ag+ / Ag) = 0,80 V ; E° (Al3+ / Al) = - 1,66 V ; pKs (Ag2S) = 49,2 ; pKs (Al(OH)3) = 33 ;
H2S : pKa,1 = 7,05, pKa,2 = 12,9 ; pKe = 14, sont issues de Les réactions chimiques en solution de G. Charlot (Masson).
(3) L’aluminium est le pôle négatif, c’est l’anode où se passe l’oxydation :
Al + 3 H2O → Al(OH)3 + 3 H+ + 3e-
Le pôle positif est constitué du sulfure d’argent déposé sur l’argent. Il s’y passe la réduction :
Ag2S + 2 H+ + 2e- → 2Ag + H2S
(4) Le sel dissout joue ici le rôle de l’électrolyte de la pile.
(5) Les couverts dit « en argent » sont rarement en argent massif. Ils sont en général en cuivre ou alliage de cuivre sur lequel a été déposé une fine couche d’argent.
(6) La thio-urée, notée de façon simplifiée Tu, a pour formule H2N-CS-NH2.
Si le mode opératoire est utilisé depuis le milieu du 20e siècle, la réaction mise en jeu suscite encore des questions. D’après les publications les plus récentes il est proposé 3 types d’interprétation :
Sources :
Liens:
[1] http://www.mediachimie.org/send-friend/3484/?ajax
[2] http://www.mediachimie.org/print/print/3484