Les contraintes géopolitiques et le conflit ukrainien ont mis en lumière la dépendance de l’Europe vis-à-vis du gaz russe importé via des gazoducs traversant plusieurs pays à partir des champs d’extraction de la Russie. Plusieurs pays sont directement impactés dont la Hongrie, la Bulgarie et l’Allemagne. La France qui n’a plus de gisement national (1) [3] et a diversifié ses sources est moins concernée. Sa consommation en baisse depuis plusieurs années est cependant de l’ordre de 390 tWh/an dont 37% pour le résidentiel, 25% pour le tertiaire et 33 % pour l’industrie dont l’industrie chimique qui est « gazo-intensive » puisque le gaz dont le méthane est non seulement une source d’énergie mais une matière première, comme le pétrole (2) [4]. Les importations hexagonales de gaz se font pour 60% par gazoducs et pour 40% sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par des méthaniers.
C’est un navire de conception et de structure adaptées à la matière transportée, soit ici un gaz comportant de 70 à 95% de méthane (CH4) mais liquéfié à basse température – 162°C (3) [5]. Six cents fois moins volumineux qu’à l’état gazeux, son transport maritime permet une souplesse d’approvisionnement sur de très grandes distances en variant les sources : Qatar, Algérie, Nigéria, États Unis. Plus souple qu’un gazoduc dont les infrastructures traversent plusieurs pays avec des risques géopolitiques et des blocages comme vécus pour gaz Stream 2, le méthanier peut se fournir dans n’importe quel pays qui dispose de terminaux cryogéniques de liquéfaction et l’acheminer en quelques jours à la vitesse moyenne de 19 nœuds vers les terminaux de gazéification. La France dispose de 4 terminaux : Fos Tonkin et Fos Cavaou (13), Dunkerque (59) et Montoir de Bretagne (44). Un cinquième est en projet au Havre. Ces terminaux permettent d’accueillir chacun de 8 à 13 milliards de m3 annuels.
De façon générale ils comportent de 4 à 5 cuves isolées thermiquement avec des dispositifs très perfectionnés de détection de fuites. Ils disposent d’une double coque pour qu’en cas d’échouage ou de collision les cuves ne soient pas fissurées et sont prioritaires sur les voies maritimes compte tenu de leur dangerosité.
On en distingue trois types :
Il y a plus de 550 méthaniers en service dans le monde avec en moyenne des capacités de 160 000 m3 de gaz liquéfié. Le plus grand le Rasheeda peut transporter 266 000 m3 de gaz liquéfié (soit 160 millions de Nm3 gaz ou 1,76 tWh). Les méthaniers sont peu polluants car souvent de propulsion diésel aménagé, comme les fuites de gaz sont de l’ordre de 0,15% par jour, le méthane est réinjecté dans les moteurs pour améliorer le rendement énergétique.
Sur les plateformes d’extraction il faut d’abord le désulfurer puis le gaz purifié est liquéfié par cryogénie, stocké dans des réservoirs refroidis puis ensuite chargé dans les cuves du méthanier. Sur les terminaux gaziers le GNL du méthanier est transféré dans des cuves de stockages et peut prendre plusieurs directions ; le transport vers des stations de carburants au moyen de camions citernes réfrigérés, le « regazéifieur »où il est réchauffé puis mis sous pression pour rejoindre le réseau de distribution après avoir été odorisé.
Face à la décision pour les pays européens de diminuer drastiquement leur dépendance au gaz russe, les commandes d’approvisionnement au Moyen-Orient, en Afrique et aux États-Unis (5) [7] se développent. Ce ne sont pas les méthaniers qui feront défaut ce sont plutôt les terminaux gaziers pour accueillir, stocker et gazéifier le GNL qui manqueront. L’investissement pour un port d’accueil et les infrastructures de traitement dépasse le milliard d’euros et prend un à deux ans de construction. Il faut donc s’attendre à une augmentation du prix de l’énergie. Déjà en juin 2021 le prix du GNL en Asie avait eu un coup de chaud et en Europe depuis janvier 2022 l’augmentation en avril approche les 80%.
Oui la politique d’indépendance énergétique coute cher et les économistes montrent que s’y ajoute le prix de la transition écologique c’est la « Greenflation » qui nous atteint durablement.
Jean-Claude Bernier
Mai 2022
Pour en savoir plus
(1) Une stratégie industrielle payante [3], deJean-Claude Bernier, L’Actualité chimique (2014)
(2) L’extraction du pétrole et du gaz [4], une animation issue de la série "Les incollables" (CEA)
(3) L’encyclopédie du gaz [5], un site proposé par la société Air Liquide
(4) Isolation dans l’habitat : la chimie pour ne pas gaspiller de calories [6], de Jean-Claude Bernier, in La chimie et l’habitat (EDP Sciences 2011)
(5) Gaz de schistes : pour aujourd’hui ou pour demain ? [7], de Julien Lefebvre, Noël Baffier et Jean-Claude Bernier, une fiche Chimie et…en fiches, cycle 4, Mediachimie.org
Crédit illustration : LNG Tanker Energy Progress at Wickham Point in March 2016 - Ken Hodge – Flickr - Licence CC BY-NC-N 2.0 [8]
Liens:
[1] http://www.mediachimie.org/send-friend/3820/?ajax
[2] http://www.mediachimie.org/print/print/3820
[3] http://www.mediachimie.org/ressource/une-stratégie-industrielle-payante
[4] http://www.mediachimie.org/ressource/l’extraction-du-pétrole-et-du-gaz
[5] http://www.mediachimie.org/ressource/lencyclopédie-des-gaz
[6] http://www.mediachimie.org/ressource/isolation-dans-lhabitat-la-chimie-pour-ne-pas-gaspiller-de-calories
[7] http://www.mediachimie.org/ressource/gaz-de-schistes-pour-aujourdhui-ou-pour-demain
[8] https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/