Le remède a été introduit en Europe dès le début du XVIIe siècle, mais il a fait l’objet de multiples discussions et controverses sur la façon de le préparer et de l’utiliser. C’est une éternelle histoire qui n’est pas sans rappeler l’actualité de 2020.
Le cardinal de Lugo, alors général des jésuites, vante les mérites du quinquina auprès de son ami Mazarin, lui-même atteint des fièvres, ce qui va introduire le quinquina à la cour de France. Mais la réputation de ce traitement s’installe mal dans le corps médical parisien, car la Faculté de médecine reste un bastion d’obscurantisme, en particulier son doyen Guy Patin, qui est le type des médecins fustigés par Molière.
Le quinquina devint un sujet de querelle médicale à Paris, en liaison avec des querelles religieuses : les jésuites sont favorables au quinquina, mais les protestants et les détracteurs des jésuites opposés. Des polémiques et des pamphlets en résultent ce qui fera dire plus tard à Voltaire : « le quinquina seul remède spécifique contre les fièvres intermittentes et placé par la nature dans les montagnes du Pérou, mit la fièvre dans le reste du monde ». Le quinquina est alors utilisé sous forme de vin ou de teinture et des marchands malhonnêtes falsifient la drogue avec des écorces appartenant à des espèces différentes, certaines parfaitement inactives ce qui alimente la controverse.
En réalité, le quinquina fit une double entrée en France : l’une méridionale et directe par les jésuites en liaison avec Madrid et Rome et l’autre septentrionale et mercantile par Londres. Vers 1656 entre en scène Robert Talbor dit « Talbot », qui en 1672 écrit un ouvrage qui conteste la poudre de quinquina si elle est utilisée par les jésuites, mais la recommande si elle est utilisée par des mains expertes comme les siennes. Apothicaire à Cambridge et charlatan dans l’Essex, Talbot s’installe bientôt à Londres en qualité de « pyrétiatre » ou guérisseur de fièvres, en s’attribuant les mérites des pères jésuites. En fait, il avait fait une préparation de vin de quinquina qu’il gardait secrète en masquant le principe actif sous des produits additifs (citron, fenouil, persil…).
Nommé chevalier et médecin ordinaire de Charles II, il vient soigner Mademoiselle, Marie-Louise d’Orléans. La région de Versailles était particulièrement atteinte avec des terrains favorables aux moustiques. Louis XIV était très conscient des sévices causés par cette maladie, il savait qu’Alexandre le Grand en était mort à trente-trois ans. Talbot guérit le fils de Louis XIV, le Grand Dauphin, en 1679 par l’administration de fortes doses d’écorce de quinquina et au renouvellement régulier des prises. Le roi achète son secret et fait venir de fortes quantités d’écorce et de vin de quinquina de Lisbonne et de Cadix pout traiter cette maladie causée par les miasmes des marécages. Il écoute son médecin personnel, Fagon, qui est également réceptif aux idées nouvelles. Louis XIV aurait lui-même pris les fièvres au cours des travaux de comblement des marais entourant Versailles et Fagon donne à son royal malade le « remède à l’anglais », dont tout laisse penser qu’il est à base de quinquina (Journal de santé du roi). Le roi récompense Talbot en lui versant une importante pension annuelle (2000 livres) à charge pour lui de donner le remède au public. Talbot revient d’Espagne pour soigner et sauver le Dauphin.
Tout ceci accroît l’antipathie de la Faculté et des apothicaires, d’autant que le vin de quinquina devient à la mode, comme le café et le chocolat. En 1693, à la cour de Louis XIV, nait un conflit entre Antoine d’Aquin, médecin personnel du roi qui est disgracié et son remplaçant Guy Crescent Fagon. Ce conflit s’est cristallisé autour du vin à utiliser dans les préparations destinées à soulager le roi de ses fièvres. D’Aquin milite pour les vins de Champagne et Fagon pour ceux de Bourgogne. Fagon assure que son choix est purement médical, car il convient lui-même que le Champagne est « ,beaucoup plus agréable » que le Bourgogne qu’il prescrit mêlé de quinquina. Il en résulte une controverse entre vins de Bourgogne et vins de Champagne qui devient une question nationale.
Au sujet de Fagon qui accueillit avec intérêt l’utilisation nouvelle du quinquina, qui favorisa son extension et en vanta les mérites dans un mémoire sur les « Qualités du Quinquina » publié en en 1703, Saint-Simon écrit : « Un des beaux et bons esprits de l’Europe, curieux de tout ce qui avait trait à son métier, grand botaniste, bon chimiste, habile connaisseur en chirurgie, excellent médecin et grand praticien » et La Bruyère dit « Ô Fagon, Esculape, faites régner le quinquina et l’émétique, conduisez à la perfection la science des simples », et enfin Fontenelle, observant les brillantes qualités d’enseignant de Fagon remarque : « Il repeupla le Jardin d’étudiants comme il l’avait repeuplé de végétaux ».
Et c’est alors que les chimistes s’intéressent à cette histoire.
Pour en savoir plus
Pour en savoir plus sur cet acte II
- Talbot, vulgarisateur du quinquina en France [6] : M. Bouvet in Bulletin des sciences Pharmacologiques, mars 1934. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 22ᵉ année (1934) n°86, pp. 307-308.
- André Bertrand. Fièvres intermittentes et quinquina à la cour de Louis XIV [7], in Académie des Sciences et Lettres de Montpellier (1999) Bull. n°30, pp. 101-116
Illustration : Écorce de quinquina (Cinchona officinalis) par H. Zell — Travail personnel, CC BY-SA 3.0 [8]
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[6] https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1934_num_22_86_10053_t1_0307_0000_2
[7] https://www.ac-sciences-lettres-montpellier.fr/academie_edition/fichiers_conf/Bertrand1999.pdf
[8] https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0
[9] http://www.mediachimie.org/thematique/sant%C3%A9-et-bien-%C3%AAtre
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