Les media ont récemment relayé l'information du décès de 5 patients, 3 à l’Institut Gustave Roussy à Villejuif, 1 à l’Institut Curie à Paris et 1 à Rennes, suite à un traitement anticancéreux utilisant comme médicament un générique du Taxotère, le docétaxel. Ce type de traitement est bien connu pour son efficacité dans le cas de certains cancers chimio-résistants et en particulier pour ses propriétés qui permettent d’éviter la prolifération des métastases et récidives.
La presse audiovisuelle radio et télévision publique, dans un premier temps, a donné une information incomplète sur le Taxotère en omettant de dire qu’il s’agissait plutôt d’un traitement qui utilisait un de ses génériques, le docétaxel.
Rappelons d’abord que le Taxotère a été découvert, comme la Navelbine (1) [3] un autre antitumoral, par l’équipe de Pr. Pierre Potier au laboratoire ICSN du CNRS à Gif-sur-Yvette (2) [4]. Extraite au départ des aiguilles d’if, la molécule améliorée chimiquement montrait une activité remarquable comme agent d’anti-polymérisation de la tubuline, étape essentielle dans la multiplication des cellules cancéreuses (3) [5]. Synthétisée en 1989 puis développée industriellement avec Rhône-Poulenc Rorer (maintenant Sanofi), la molécule (4) [6] a été mise sur le marché en 1995 et a amélioré la vie, voire guéri, des millions de malades atteints du cancer du sein, de la prostate ou des poumons dans le monde entier durant près de 15 ans (5) [7].
Lorsque le brevet est tombé dans le domaine public, de nombreux laboratoires se sont mis à copier la molécule princeps et à produire des génériques depuis de nombreuses années. Le médicament Taxotère originel produit par Sanofi-Aventis représente actuellement moins de 5% du marché, alors que le générique docétaxel commercialisé par Accord et fabriqué par le laboratoire Indien Intas Pharmaceuticals représente à peu près la moitié du marché. Il a remporté en France l’appel d’offres public pour les centres anticancéreux français.
Dès le mois d’août 2016, plusieurs cancérologues avaient signalé à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) une fréquence d’effets indésirables plus élevée que la moyenne et des médecins de Gustave Roussy avaient par ailleurs alerté l’agence de certains décès, suite à un choc septique après administration du docétaxel.
L’ANSM et le Ministère des Affaires sociales et de la Santé confirment qu’une enquête de pharmacovigilance est en cours sur ce générique et les premières conclusions sont attendues pour la fin du mois de mars.
Il faudrait savoir que le concept de génériques a pour l’essentiel contribué à :
La contrepartie peut être :
Il faut savoir qu’un générique repose sur au moins trois règles infranchissables.
Le moindre sur- ou sous-dosage dû à une bioéquivalence non respectée ou la moindre contamination des lots peut engendrer des complications sévères, voire conduire à la mort dans le cas des patients affaiblis ou immunodéprimés, comme c’est le cas des personnes souffrant d’un cancer. Un contrôle de qualité stricte et sans faille à la fois du procédé de synthèse, du produit fini, comme des installations de production et d’empaquetage, s’impose en permanence (6) [8]. S’assurer du bon suivi avec des entreprises mondialisées sous des régimes légaux de contraintes réglementaires comme de responsabilités civile et juridique différentes relève d’un défi difficile à surmonter.
Pour le responsable de la filiale française Accord (Intas Pharmaceuticals), «… tous les médicaments ont des effets indésirables, il n’y a rien de particulier, il n’y a pas de problème… », ce à quoi répondent les oncologues : « Quand un médicament administré pour son activité devient toxique et provoque un décès c’est catastrophique ». Pour l’heure, l’ANSM et le Ministère signalent qu’un autre médicament, le paclitaxel qui contient une molécule aussi de la famille des taxanes, peut servir d’alternative, et l’ANSM n’a émis qu’une recommandation d'éviction temporaire le 17/02/2017.
En conclusion on peut regretter que les malades comme leur environnement soient mis au courant plus de six mois après les premiers signalements. On peut aussi regretter que l’image des génériques soit ternie par ces accidents mortels alors que la politique du Ministère est de diminuer les coûts de solutions thérapeutiques et de médicaments appliqués dans la santé. Enfin on ne peut que constater qu’il n’y a presque plus de laboratoires de synthèse chimique en France capables de produire industriellement des molécules et princeps. Si on a dit souvent que la Chine était l’atelier du monde, l’Inde ne devient-elle pas le laboratoire du monde ?
J.-C. Bernier et C. Agouridas
Février 2017
1- Un exemple de médicament extrait d’une substance naturelle : la pervenche de Madagascar [3]
2- Produit du jour SCF taxol /taxotère [4]
3- La nature au labo : la phytochimie (vidéo, 9:08) [5]
4- Un arbre à l’origine d’un anticancéreux [6]
5- La nature pour inspirer le chimiste : substances naturelles, phytochimie et chimie médicinale [7]
6- De la conception du médicament à son développement : l’indispensable chimie [8]
Liens:
[1] http://www.mediachimie.org/send-friend/1669/?ajax
[2] http://www.mediachimie.org/print/print/1669
[3] http://www.mediachimie.org/node/558
[4] http://www.mediachimie.org/node/525#taxol
[5] http://www.mediachimie.org/node/347
[6] http://www.mediachimie.org/node/624
[7] http://www.mediachimie.org/node/292
[8] http://www.mediachimie.org/node/315